Om Shanti Om (3): Le récit d'un film fantôme

Om Shanti Om (3): Le récit d'un film fantôme

Soumis par Sarah Grenier-Millette le 15/12/2014

 

Om Shanti Om, le récit de la construction d’un film. Om Shanti Om, le film fantôme, instrument de vengeance.

Tout au long de Om Shanti Om est filée la métaphore de la vie comme film, d’un Grand Scénariste rédigeant notre destin, le tout en lien, bien évidemment, avec le récit de réincarnation et ses présupposés. Or, qu’est-ce que Om Shanti Om? C’est un film fantôme. Mort avant d’avoir pu naître, il disparaît en même temps que son actrice principale. Or, Om Shanti Om, ce film de Farah Khan que nous analysons ici, que nous montre-t-il? L’histoire d’Om et de Shanti dans l’industrie cinématographique des années 1970. Cet avant est un passé fantasmé comme nous l’avons démontré plus tôt dans lequel on nous suggère un film absent puisque non-conçu.

Le spectateur du film de Khan voit Shanti prisonnière des flammes, mais le récit étant focalisé sur le personnage de Om, le spectateur est projeté à l’extérieur du studio en même temps qu’Om et assiste plutôt à la mort de ce dernier. Nous nous laissons alors porter à travers la seconde part du récit, plus près de notre réalité que celle qui la précédait. OK, devant le spectateur qui bien sûr sait qu’il s’agit d’une réincarnation puisqu’il se trouve en présence du même acteur, redécouvre son identité antérieure. Alors qu’OK se rejoue intérieurement le début du film auquel nous, spectateurs, avons assisté, il essayera de l’extérioriser, entre autres, dans sa quête de vengeance envers Mukesh. C’est ainsi qu’il ressuscitera Om Shanti Om, le projet abandonné par Mukesh, pour s’en servir contre lui. Om expliquera d’ailleurs à Pappu avant de se lancer dans son plan de vengeance:

Sometimes truth is stranger than fiction. But look at this divine intervention which made me recognize myself. All this is not just a coincindence, Pappu, no. This story is being written by somebody up there. But this time, the climax of the story will be decided by us. I couldn’t save Shanti that time. I was nobody, but now the tables have turned. This time Mukesh will pay for his sins. This time Shanti will get justice, Pappu. This time everything will be alright. Because the film is not over yet, my friend. (Khan, 2007: 1:53:40)

OK dira d’ailleurs à Mukesh en exposant son projet de produire Om Shanti Om: «Don’t worry about the climax. This time I will write the end of the story myself.» (Khan, 2007: 1:58:32). OK force Mukesh à passer par les mêmes lieux de mémoire qui l’ont rappelé à sa vie antérieure, mais cette fois, c’est une remémoration orchestrée à partir entre autres des dispositifs de production cinématographique, en image-miroir de la reconstruction mémorielle d’Om.

 

Finalement, climax de sa vengeance, OK présente une chanson lors du music launch, intitulée Dastaan-E, dont la mise en scène devient le miroir de cette première partie du film et fusionne finalement, l’image d’Om réincarné en OK.

 

À travers la mise en scène de la chorégraphie, le spectateur aperçoit une fois de plus le parallélisme de certaines scènes, de certaines images. Or, à la différence de la reconstruction identitaire d’OK et de la remémoration forcée de Mukesh qui étaient fragmentaires, Dastaan-E1 est une parfaite mise en abyme, un récit complet, reprenant exactement la même structure que la première partie du film de Farah Khan. Les changements de costumes, de tableaux et les paroles de la chanson nous présentent en effet un narrateur omniscient qui assure le passage d’un tableau à l’autre.

Intégrant parfois la diégèse de la chanson, le OK narrateur incarne Om, pour finalement révéler son secret, affirmant être à la fois Om, sa réincarnation et le narrateur de sa propre histoire. La scène se clôt sur la chute du chandelier et la foule quitte les lieux laissant Mukesh et OK seuls. Or, dans la salle de montage, Pappu se tient devant un mur où plusieurs écrans nous montrent en différents angles la confrontation verbale des deux personnages de la salle de réception, alors qu’aucune caméra n’est visible là où elles devraient simultanément l’être.

 

Ainsi, même le niveau fictionnel le plus proche du spectateur, celui d’OK, nous est montré comme construit. Finalement, si OK affirmait être le scénariste de la fin de son histoire, il n’a pas le dernier mot. C’est le fantôme de Shanti, absent de la narration, mais omniprésent dans la diégèse, visage du film fantôme, qui dévoile ce que le spectateur et Om ne savaient pas: l’emplacement du corps de Shanti, enterrée vivante par Mukesh trente ans plus tôt, après l’incendie. Dérèglement dans l’orchestration, mais fonctionnant pourtant de pair avec elle, le spectre de Shanti tue Mukesh. Le film se clôt d’ailleurs sur la silhouette de Shanti, le film incarné, qui s’évapore après avoir complété sa vengeance et échangé un dernier sourire avec Om.

 

En conclusion, Om Shanti Om est un film construit à partir de plusieurs dispositifs métafictionnels. Nous avons démontré comment la reprise d’un récit de réincarnation, tout en faisant figure d’un hommage à un genre narratif précis du cinéma indien, se déploie en une reconstruction inversée du récit originel. Dans le cas de Om Shanti Om, cette construction narrative est poussée encore plus loin, proposant différents degrés de fiction se reflétant en une multitude d’images-miroir, organisées de manière cyclique, à la manière du samsara de la religion hindouiste. Nous nous sommes aussi penchés sur la question de la formation des icônes cultes au sein du récit et la relation entretenue par le fan face à son objet de culte et l’usage fait des diverses citations filmiques, musicales et chorégraphiques.

Finalement, nous avons tenté de comprendre comment le parallélisme et les effets de la répétition ont une incidence sur la construction diégétique du film qui nous est donné à voir, le tout afin de bâtir un film-hommage à cette industrie cinématographique qui produit, il faut bien le dire, le plus de films au monde. Nous avons aussi tenté de démontrer la tendance du cinéma bollywoodien des dix dernières années à rendre hommage à son industrie, à récupérer ses grandes figures emblématiques et à utiliser de plus en plus couramment certains dispositifs métafictionnels. Le cinéma indien dit mainstream, encore très méconnu en Occident, tend à vouloir étendre son rayonnement. En effet, l’implantation de studios hollywoodiens en Inde et la collaboration de maisons de production indiennes et américaines2 encouragent les échanges entre ces deux gigantesques industries et participent à l’expansion de l’industrie cinématographique populaire indienne.

 

 

BIBLIOGRAPHIE & RÉFÉRENCES

Références bibliographiques

COULEAU, Christine. «Le Ruban de Möbius. Sur Mulholland Drive, de David Lynch». La Voix du regard, no. 15, automne 2002, pp. 238-247.

CUTLER, Wendy. «Mythe et pouvoir dans les films bollywoodiens: création de nouvelles figures mythiques». FRANZONE, Mabel et Alejandro RUIDREJO [dir.] Mythe et pouvoir dans les sociétés contemporainesM@gm@, vol. 11, no. 2, mai-août 2013. [en ligne] http://www.magma.analisiqualitativa.com/1102/article_11.htm (consulté le 12 décembre 2013)

DÄLLENBACH, Lucien. 1977. Le Récit spéculaire. Paris: Seuil: «Poétique», 247 p.

HILLS, Matt. 2002. Fan Cultures. Londres: Routledge, 237 p.

KALIYA, Dilip. «Quand les stars du cinéma indien entrent en politique». Rue89. Le Nouvel Observateur. 6 septembre 2008. [en ligne] http://www.rue89.com/2008/09/06/quand-les-stars-du-cinema-indien-entrent-en-politique (consulté le 13 décembre 2013)

MORIN, Edgar. 1960 [1957]. The Stars: An Account of the Star-System In Motion Pictures, Londres: John Calder, 189 p.

NORA, Pierre. «Entre Mémoire et Histoire: la problématique des lieux», dans NORA, Pierre. 1984. Les lieux de mémoire, I. La République. Paris: Gallimard, pp. XVII-XLII.

 

Filmographie

ADVANI, Nikhil. 2003. Kal Ho Naa Ho. Inde: Dharma Production/Yash Raj Films, 188 min.

AKHTAR, Zoya. BANERJEE, Dibakar. JOHAR, Karan. KASHYAP, Anurag. 2013. Bombay Talkies. Inde: Viacom 18 Motion Pictures/Flying Unicorn Entertainment, 128 min.

BHANSALI, Sanjay Leela. 2002. Devdas. Inde: SLB Films, 183 min.

CHOPRA, Aditya. 1995. Dilwale Dulhania Le Jayenge. Inde: Yash Raj Films, 190 min.

CHOPRA, Aditya. 2000. Mohabbatein. Inde: Yash Raj Films, 216 min.

CHOPRA, Aditya. 2008. Rab Ne Bana Di Jodi. Inde: Yash Raj Films, 167 min.

CHOPRA, Yash. 1997. Dil To Pagal Hai. Inde: Yash Raj Films, 180 min.

CHOPRA, Yash. 2012. Jab Tak Hai Jaan. Inde: Yash Raj Films, 175 min.

CHOPRA, Yash. 2004. Veer-Zaara. Inde: Yash Raj Films, 192 min.

DESAI, Manhoman. 1970. Sachaa Jhutha. Inde: Ranjit Studios, 144 min.

HITCHCOCK, Alfred. 1958. Vertigo. États-Unis: Paramount/Universal, 128 min.

HUSSAIN, Nasir. 1971. Caravan. Inde: Sky Entertainment, 161 min.

JOHAR, Karan. 2001. Kabhi Khushi Kabhie Gham. Inde: Dharma Production, 210 min.

JOHAR, Karan. 1998. Kuch Kuch Hota Hai. Inde: Dharma Production/Yash Raj Films, 185 min.

JOHAR, Karan. 2010. My Name is Khan. Inde: Dharma Production/Red Chillies Entertainment, 161 min.

KELLY, Gene. 1952. Singin’ In the Rain. États-Unis: Metro-Goldwyn-Mayer, 103 min.

KHAN, Farah. 2004. Main Hoon Na. Inde: Red Chillies Entertainment/Eros, 175 min.

KHAN, Farah. 2007. Om Shanti Om. Inde: Red Chillies Entertainment/Eros, 169 min.

PHALKE, Dhundiraj Govind. 1913. Raja Harishchandra. Inde: Phalke’s Films, 40 min.

PRIYADARSHAN. 2009. Billu. Inde: Red Chillies Entertainment, 150 min.

RAMANNA. 1970. Humjoli. Inde: R.K. Studios/Rajkamal Studios/Vasu Studios/Vauhini Studios, 151 min.

SHETTY, Rohit. 2013. Chennai Express. Inde: Red Chillies Entertainment, 141 min.

TANDON, Lekh. 1966. Amrapali. Inde: Eagle Films, 120 min.

 
  • 1. En hindi, dastaan signifie «histoire» ou «récit».
  • 2. My Name is Khan de Karan Johar (2010), produit par Red Chillies Entertainment et Dharma Productions, a été tourné aux États-Unis et a été distribué par Fox Star Studios et Fox Searchlight Pictures. Cette collaboration a permis au film de Johar de se retrouver dans les salles de cinémas nord-américains et sur les tablettes de grandes chaînes de clubs vidéo.