Les paradoxes de l'Homme-Singe (1)

Les paradoxes de l'Homme-Singe (1)

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 29/08/2012

 

Il y a tout juste 100 ans que Tarzan vint au monde dans le magazine The All-Story qui ouvrait la voie à l’âge d’or des pulps américains, inaugurant une saga de 26 romans qui couvre 30 décennies, publiés en 56 langues et vendus, du vivant même de l’auteur, à plus de trente millions d’exemplaires. Sous l’égide de E. R. Burroughs, businessman jusque là raté qui le mit au monde de son propre aveu pour des raisons alimentaires et qui fut le premier écrivain à transformer son nom en une marque déposée, l’Homme-Singe devint dès 1922 le prototype du marchandisage de produits dérivés qui allait transformer le champ de la culture populaire au sein de la société de consommation et du «capitalisme de fiction» (M. Vincent) en faisant de Tarzan, avec Coca-Cola, le nom de marque le plus connu au monde1.

L’Internet Movie Database recense 166 films avec pour titre le nom emblématique du personnage depuis la première adaptation en 1918 (Tarzan of the Apes) qui fut aussi le premier film à dépasser le million de dollars au box-office. Troisième pilier du mythe, la bande dessinée s’en empare dès 1929 inaugurant avec Hal Foster l’ère du strip d’aventures et trouvant avec Burne Hogarth sa forme classique; on comptabilisera par la suite plus de 12.000 BDs au caractère tarzanide. À quoi s’ajouteront des feuilletons radio (500 émissions) puis télévisuels, des disques vinyles avec des chansons (à commencer par «Tarzan My Jungle King», chantonnée dans les salles de 1921 avant même la naissance du parlant, et en attendant Charlebois, Nougaro ou Gainsbourg) ou des dramatisations des livres, des productions théâtrales (dont plusieurs versions musicales du mythe), des jeux vidéo, des innombrables publicités, des statuettes et des figurines, des parcs thématiques (tel le Sigulda Adventure Park Tarzāns en  Latvie), des boîtes de nuit (le Tarzan’s Night Club à Las Vegas), des organisations de jeunesse (le Club Tarzan crée dès 1916 sur les principes du scoutisme de Baden Powell), des costumes (paradoxe d’un personnage avant tout dévêtu), des savons, des montres, des puzzles, des tabliers de cuisine, des billards électriques, un cocktail (courtoisie de Mr. Burroughs) voire un sport extrême, le «vine swinging» ainsi que, comble de l’institutionnalisation, une grande expo au prestigieux Quai de Branly (2009)2...

Comme l’écrit F. Lacassin, son principal exégète, «son mythe s’est assuré dans notre vie une telle présence qu’il a presque acquis peu à peu une sorte de réalité. Celle d’un phantasme collectif» (17). Cette créature intermédiatique qui aura accompagné toutes les grandes mutations de l’industrie culturelle (jusqu’à triompher encore sur le Net: Google donne 54 millions d’occurrences du nom et plusieurs reliques tarzaniennes se vendent sur eBay à plus de 2000 dollars), créé un sous-type de héros (les «tarzanides») et nourri différents sous-genres populaires (du péplum fantastique à la Heroic Fantasy) est de fait un des derniers mythes modernes, conglomérat unique d’archétypes et mythèmes anciens.

Archétype du héros populaire, Tarzan «incarne le justicier épris de liberté, éternel redresseur de torts en butte aux faux-semblants de la civilisation» (S. Martin in P. Dibie, 9). «Tarzan est un héros antique”, écrit R. Boulay (10), mais il est aussi, selon l’expression de F. Lacassin, un «chevalier crispé» aux échos médiévaux ressourcé par le mythe fin de siècle du Barbare revivifiant face à l’homme blanc déchu par la civilisation techno-mécanicienne, le Noir stéréotypé, la femme soumise ou fatale, les créatures menaçantes de la jungle livrée à la lutte darwinienne, mais aussi Éden retrouvé.

«Fort comme Hercule, vagabond comme Ulysse, chevaleresque comme Lancelot, Tarzan n’est qu’un masque nouveau sur un vieil archétype, la réincarnation dans une forêt aventureuse et exotique des héros qui l’ont précédé» (Lacassin, 182). Plus que d’une «version appauvrie de mythes héroïques plus anciens», il s’agit d’une «modernisation», voire d’une véritable refondation. Annonçant les futurs superhéros (Superman notamment s’en inspirera, alors que les comic books l’auront déjà adopté comme un de leurs icônes) il est une version «surhumaine» (U. Eco) du mythe du héros classique avec notamment des références herculéennes (la peau de lion, la tératogonie constante, les cannibales et les Amazones, trésors interdits et voyages au centre de la Terre... l’Hercule des péplums fantastiques sera par ailleurs très largement «tarzanisé» ainsi que tout ce genre étonnant de beefcakes pour le moins ambigus). Antique à la fois que barbare, son corps nu et apparemment sans défense devient l’armure de l’âme pure dont la force (et l’idéologique blancheur) est avant tout morale.

La volonté de puissance darwino-nietzschéenne est affirmée dans le titre explicite Tarzan seigneur de la jungle et incarnée dans "le cri sauvage du conquérant", devenu un des icônes sonores du cinéma parlant dans la bouche de Johnny Weissmuller et sans cesse imité par des générations d’enfants, ce fameux cri qui veut tout dire, servant aussi bien d’appel au secours que de cri de victoire, d’avertissement ou de menace. Cette «tyrolienne de la jungle» est avant tout une pure affirmation d’existence, épistémologie de la victoire fondamentale de la pensée humaine sur l’univers muet des choses. De fait, ce cri, Tarzan va le transmettre à Jane et à leur fils adoptif comme le legs visible de sa domination.

Tarzan est la personnification même de l’homme primitif, du chasseur, du guerrier, laissant souvent pointer une fascination pour la pulsion de mort qui caractérisera plus tard Conan et tant de héros sanguinaires des pulps: «Je suis Tarzan des Singes. Je tue!», grogne-t-il dans Tarzan et la cité interdite.  Souverain, il passe du roi des singes au Roi des Animaux (titre quasi chamanique qui en fait un pur archétype primitif) et de la Jungle, notamment sous son double versant élémentaire de roi des airs et des eaux (son destin aquatique s’affiche avant même d’intégrer la performance athlétique de Weissmuller)... Il est aussi le chef blanc d’une peuplade africaine, les Waziris (Le retour de Tarzan) avant de devenir «père de toute l’Afrique, qu’il gouverne en despote éclairé, avec le mélange d’amour et de sévérité du pater familias ayant droit de vie et de mort sur ses enfants» (Lacassin, 64). Plus encore, il régnera sur les vestiges de l’Atlantide (Les joyaux d’Opar) et accédera même à l’immoralité (Le secret de la jeunesse, 36).

Mais ce justicier magnifique, «détaché de toute attache terrestre, professionnel du sauvetage et du prodige» est aussi une victime, «pauvre être poursuivi par le destin, privé de nom, privé de mère, privé d’enfance» (Lacassin, 33). Nourri du Mowgli de Kipling, de Jack London (The Call of the Wild et The Sea Wolf), du mythe de Remus et Romulus nourris par la louve romaine, des récits sur les enfants féraux tels que Victor de l’Aveyron ou encore du discours anthropologique d’E. Burnett Tylor (il lira son article «Wild Men and Beast Children» à la Chicago Public Library en cherchant l’inspiration), Burroughs réinvente le mythe de l’enfant sauvage, le reliant au sous-genre feuilletonesque de l’enfant perdu et retrouvé (le fantasme de l’orphelin dans la célèbre dichotomie de Marthe Robert). Le pathétisme de l’enfance abandonnée est ainsi intégré dans le mythe rousseauiste du Bon Sauvage («Rousseau chez les Waziri» est le titre de l’article inaugural de R. Boulay, commissaire de l’exposition du Quai de Branly). «Accoutumés dès l’enfance aux intempéries de l’air et à la rigueur des saisons, exercés à la fatigue, et forcés de défendre nus et sans armes leur vie et leur proie contre les autres bêtes féroces, ou de leur échapper à la course, les hommes se forment un tempérament robuste et presque inaltérable», écrivait déjà le Père fondateur du primitivisme occidental dans son célèbre Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754).

L’on connaît par ailleurs l’importance de Rousseau dans l’imaginaire et la pensée américaine, notamment dans la «nostalgie de la Nature» (yearning of the Wild) célébrée par le Transcendantaliste H. D. Thoreau dans son essai «Walking», l’appel de «l’absolue liberté et l’état sauvage» (wildness) au détriment de «mère et père, frère et sœur, épouse et enfants et amis» car «toutes les bonnes choses sont libres et sauvages»3. Symptomatiquement, la première conférence de Thoreau sur ce thème (1851) fait écho au célèbre motto «Go west, young man» de Horace Greeley qui inaugure la doctrine de la Destinée Manifeste et la ruée vers l’Ouest. La reformulation par Jack London de l’Appel sauvage de Thoreau (The Call of the Wild, 1903) pave la voie qui mène à Tarzan, dont le cri est aussi un appel.

La naissance du héros est placée sous le signe d’un double traumatisme, la mort de la mère en couches puis du père terrassé par le grand singe Kerchak, et une substitution miraculeuse: la guenon Kela prend en charge le jeune bébé, ayant perdu le sien lors de sa fuite du même assassin. Le mythe de l’Homme-Singe est né, respectant les codes du mythe héroïque dégagés par J. Campbell. Signalons, parmi les sources souvent délaissées par la critique anglo-saxonne, deux notables prédécesseurs français, Les Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul de l’étonnant dessinateur Albert Robida (1879) et Les émotions de Polydore Marasquin de Léon Gozlan (1857, tr. anglaise 1888), héros qui fut lui aussi prince des singes4.

Élevé par les grands singes comme un des leurs, Tarzan refait dans son étrange solitude tout le processus culturel de l’hominisation (et l’on touche à un autre grand mythe, Robinson, et son sous-genre narratif, la robinsonnade). «Lui seul était capable d’inventer et de créer», Homo Faber qui devient vite le maître de la Techné, des cordes aux lassos (qui en font, à l’image de l’auteur lui-même, une sorte de cow-boy exotique) puis, mise en abyme de l’œuvre elle-même, de la lecture (fonction édificatrice de la cabane paternelle qui est avant tout une bibliothèque) à l’écriture, en passant par la réinvention du  système décimal et se civilisant malgré lui. «Il n’avait plus honte de son corps dépourvu de fourrure ni des traits de son visage, car il savait maintenant qu’il n’était pas de la même race que ses compagnons velus: lui était un HOMME, eux des SINGES» (cit in P. Dibie, 21).

Cette épiphanie est aussi, comme dans le mythe édénique, le signe d’une rupture radicale: «au fond de son petit cœur d’Anglais montait également le profond désir de couvrir sa nudité de VÊTEMENTS, car il avait appris dans ses livres d’images que tous les HOMMES en portaient, alors que les SINGES et tous les autres êtres vivants allaient nus. Donc les VÊTEMENTS devaient sans doute être un signe de grandeur, l’insigne de la supériorité de l’HOMME sur tous les autres animaux» (id, p. 22). Il faudra néanmoins, pour cette ultime hominisation, passer par le meurtre initiatique, puisque ce n’est qu’après avoir achevé «silencieusement» Kalonga, assassin de sa deuxième mère, Kala, qu’il se parera de sa «magnifique culotte de daim». Survient alors la question coloniale, le meurtre fondateur du Noir par le Blanc assurant la distinction souveraine de celui-ci envers les Singes (et déjouant, symptomatiquement, la tentation du cannibalisme qui, par pure mimesis, saisit le héros lorsqu’il «s’apprêta à se tailler des morceaux de la chair de Kalonga. Mais une soudaine nausée le prit. Il ne comprenait plus»).

Burroughs puise dans les archétypes de l’Occident tout en montrant un intérêt constant pour la quête des origines de l’homme et pour les thèses darwiniennes. Tarzan rejoue, comme à rebours, le moderne mythe des origines, retrouvant l’ancien lien perdu avec les «anthropoïdes», terme vague choisi par l’auteur pour désigner ses créatures de fable. L’idée de l’homme-singe comme chaînon manquant est par ailleurs évoquée ironiquement par Clayton («à moins que nous ayons affaire à un simien échappé du zoo de Londres qui serait revenu dans sa jungle natale avec une éducation européenne!»). Mais ce chaînon est comme l’on sait enfoui dans le passé commun des espèces désormais distinctes: «Ce que le garçon avait appris du singe, Akut le tenait lui-même de quelque ancêtre, commun à tous les deux, qui avait erré sur la terre grouillante, du temps où les fougères étaient des arbres et les crocodiles des oiseaux»… Ce sont sans doute des phrases de cet acabit qui vaudront à la saga de l’Homme-Singe d’être collée sur la liste des «banned books» de la créationniste Sarah Palin (Time, 2008). Or «Greystoke c’est Darwin inversé, c’est l’évolution en forme de courbe de Gauss» (Calvet, in Dibie, 39).

Il en résulte un être divisé en une impossible synthèse, «homme singe au corps et au cœur de gentilhomme anglais et à l’éducation de fauve», fusion des qualités du primitif (agilité, instinct, sens affinés) et de l’homme du monde lord Greystoke, épithème du gentleman anglais rendu ici au pur mythe aristocratique du sang ineffaçable et inégalable5. De sa double naissance, fils d’aristocrates et de singes découleront d’autres paradoxes, tels que ce Tarzan briseur de cages, mais aussi dompteur suprême, gardien pointilleux de l’état de Nature (Boulay, 11).

Cette hérédité contre nature est à l’origine de sa perfection. Ce qui le distingue des autres surhommes que sont les divers superhéros modernes (il rencontrera, entre autres, Batman dans Batman-Tarzan), c’est son caractère sauvage. De fait son caractère surhumain est rationalisé par une pure «suspension of disbelief»: il devrait ses superpouvoirs (qui iront s’agrandissant dans les différents médias) à sa croissance au sein d’un milieu primitif. Intensification de l’archétype de l’Indien intronisé dans la culture populaire par Fenimore Cooper, Tarzan devient l’égal de Sherlock Holmes pour l’analyse des traces (P. José Farmer ne se trompera pas qui en fera deux grands fleurons de la mythique famille Wold Newton), dépassant son confrère victorien par la perfection de son propre corps dont tous les sens ont été aiguisés. L’on retrouve là le mythe primitiviste d’une perfection adamique qui est aussi aux sources du culturisme (dont Tarzan est l’extension mythique), nourrissant les fantasmes lecteurs: «n’importe lequel d’entre nous pourrait être un Tarzan si nos sens et nos instincts n’avaient été atrophiés par la civilisation» (Lacassin, 74).

Pour mitiger cette surhumanité qui eût pu, comme dans le cas de Superman, le figer à jamais, la sauvagerie a aussi sa part d’ombre, implicite dans la dichotomie de l’Homme-Singe. L’œuvre littéraire et le cinéma divergeront fortement sur ce point, ce dernier introduisant le «dumbing down» du personnage dans une «vaste entreprise de bêtification» et de «falsification de l’homme singe» dénoncée par F. Lacassin et qui transforme en «gentil garçon un peu abruti» et illettré celui qui est polyglotte et même latiniste. La question des langues est pourtant centrale dans l’œuvre écrite. «Je ne parle que la langue de ma tribu, les grands singes. Un peu les langues de Tantor l’éléphant et de Numa la lionne, et je comprends celle des autres habitants de la jungle (…) C’est la première fois que je parle avec quelqu’un de mon espèce grâce à des mots écrits», écrira-t-il en anglais au lieutenant français d’Arnot qui l’initiera à la langue de Voltaire et élucidera, par le système policier du «bertillonnage», le mystère de ses origines  dans Tarzan of the Apes (cit in Dibie, 35).

«Qui es-tu pour parler la langue des premiers hommes? Je suis Tarzan roi des singes, répondit-il dans la langue des anthropoïdes». Burroughs dressera lui-même un lexique anglais-singe en 1939 où l’on apprend que «tar» est «blanc» et «zan» «peau», «lul» l’oeau, à l’origine de galul (sang, rouge et eau) ou gomlul (rivière, courir et eau) ou encore «kal», «lait» à l’origine de «kalul» (femme), kalo (vache) et kalu (mère)! «Tarzan trouve dans chaque animal et chaque être humain la trace d’une langue première de laquelle seraient issues toutes les langues humaines. L’homme coupé du monde animal par la civilisation aurait tout simplement oublié les langues faunistiques (Boulay 56). Or au cinéma il sera linguistiquement infantilisé, utilisant des mots sans articles, des verbes à l’infinitif et sans pronom, parlant «bébé» à une Jane qui fait des phrases articulées; un «babytalk» qui est aussi du «petit nègre» nourri parfois de termes swahilis au détriment de toute vraisemblance ethnographique (mais c’est la langue véhiculaire des protectorats britanniques), qui est à la fois «bébé». Ironiquement ce rapport est dupliqué dans les échanges entre Tarzan et sa fidèle Cheeta qui ne prononce que des borborygmes.

«Divinité tutélaire de la forêt vierge, Tarzan est à l’opposé de notre civilisation.» (Letourneux, 795). Écologiste avant l’heure il protège la forêt contre les méfaits de la civilisation, au moment où Théodore Roosevelt instaure les premières réserves naturelles aux États-Unis... Tel sera, dans la mouvance de l’écologisme politique, le sens du film Greystoke proche de la lutte de Jane Goodall contre les chasseurs de chimpanzés, qui elle-même avait, enfant, nourri une fixation sur le personnage!

Dans la civilisation, vous trouverez la duplicité, l’hypocrisie, la cupidité, l’avarice et la cruauté. Vous ne trouverez personne pour s’intéresser à vous et vous ne vous intéresserez à personne. Moi, Tarzan des Grands singes, j’ai quitté ma jungle pour aller dans des villes bâties par des hommes, mais toujours j’ai été dégoûté, et heureux de revenir à ma jungle, aux nobles animaux qui sont sincères dans leurs amours et dans leurs haines, à la liberté et à la pureté de la Nature. (Tarzan et le lion d’or, 1923)

Le monde de Tarzan c’est la jungle,  «espace interdit dont il est à la fois le gardien, le seigneur et le bon génie. En retour elle le protège et le nourrit (...) les lacs et les rivières, infestés de crocodiles pour ceux qui s’y aventurent sont pour lui autant de piscines; les arbres sont une litière confortable; les lianes, un moyen de transport commode, les animaux, ses alliés. La jungle semble n’être pour lui [et que pour lui!] qu’un paradis» (Letourneux, 794). C’est pourquoi l’arrivée du Blanc est perçue comme une provocation: d’un seul coup, les bêtes redeviennent sauvages et les tribus agressives, complexification de l’imaginaire colonial(iste) auquel on voudra trop souvent réduire le mythe (notamment à travers la simplification filmique qui en fut faite à la gloire du «matamore de piscine» selon le mot amusé de U. Eco).

Le mythe de la jungle est aussi le mythe de l’Afrique où Burroughs n’a jamais mis les pieds, mais que l’époque découvre à travers l’aventure des safaris (l’équipée de Roosevelt au Kenya date de 1909, les exploits de Martin Johnson faisaient les délices des premiers films documentaires). «Baigné dans cette ambiance, Burroughs construit une Afrique à la mesure de son héros (…) de l’herculéen conforme à l’ampleur de ses exploits» (Boulay, 14). Cette mythologie est ancrée sur une imagerie de "la jungle, la liane, le cri et plus généralement les combats contre les animaux sauvages, les peuplades inconnues et les trafiquants»: voleurs d’ivoire et de trésors, marchands d’esclaves, chasseurs d’animaux sauvages destinés aux cirques et aux muséums sur le modèle de ceux de Carl Hagenbeck que Burroughs avait vu dans son enfance à l’Expo universelle de Chicago (1893). On y retrouve aussi des créatures sans cesse étonnantes, telles ces humanoïdes à queue de singe, les uns blancs et glabres qui vivent dans une ville et les autres noirs et hirsutes qui vivent dans les arbres; «ils semblaient égaux sur le plan de l’intelligence, mais on voyait que le blanc se considérait comme supérieur» constatera le héros devenu philosophe.

Au moment du «scramble for Africa», le continent est indissolublement lié à la Nature fascinante et dangereuse que généralisent tout à la fois zoos, ménageries et expositions coloniales. La figure négative et diabolique de l’Afrique est toute entière contenue dans la figure du crocodile, omniprésente dans les sculptures allégoriques du XIXe qui se réfèrent au continent et inlassablement combattue (à mains nues ou bien muni d’un couteau) par Tarzan sur les pages, les écrans ou les planches,  reprenant ainsi les archétypes des héros combattant le Mal, tel Saint George terrassant le dragon ou Hercule l’hydre de Lerne. Mais il y aura bien d’autres bêtes plus colossales, telles les créatures préhistoriques de ce lieu clos où «l’évolution hors des contacts avait pu suivre aune autre voie» dans Tarzan le terrible (1920). Face à ces opposants les adjuvants tels que le puissant Tantor, l’éléphant qui, à l’appel des singes, mobilise ses congénères dans les versions filmiques et surgit, telle la cavalerie dans le western, pour parachever la victoire. Comme l’on sait Cheeta est une pure invention du cinéma, sur le modèle de N’Kima, petit singe compagnon de Tarzan qui n’arrive que très tardivement dans les romans.

La jungle, et l’Afrique qui lui est consubstantielle ,sont donc un espace bivalent comme la jungle, à la fois satanique et édénique, lieu de libération de tous les interdits tout autant que réservoir des instincts et des abominations sexuelles (notamment la menace matriarcale des Amazones) et plus largement civilisationnelles (les cannibales, mais aussi les marchands d’esclaves). S’établit ainsi un chronotope qui unit la jungle aux Temps sauvages, l’éloignement dans l’espace fonctionnant comme un recul dans le temps  (les «Primitifs» étant, dans le discours anthropologique de l’époque, le vivant miroir des hommes «préhistoriques»). L’Afrique devient dès lors un véritable palimpseste, réservoir de l’imaginaire de l’Ailleurs et l’Autrefois (mais n’est-elle pas toute entière un vaste Monde Perdu?). Dans les jungles et les vallées perdues de cette Afrique fantasmée, Tarzan déniche des cités et des peuples égarés parmi lesquels il va accomplir son travail de Héros. Il retrouve des Croisés, des Atlantes, des légions romaines, des Néandertaliens et des Vikings, pour ne citer qu’eux. Variations sur le mythe millénaire du Prêtre Jean, elles rejouent fantasmatiquement la colonisation du continent.

La question coloniale et raciale est directement héritière de Rider Haggard en attendant la radicalisation pulp du Conan de Howard, explicitement inspiré de Tarzan, qui veut littéralement dire «peau blanche» dans la langue des «anthropoïdes» (la bande dessinée comme le cinéma puiseront sans fin dans l’éclat de cette blancheur purificatrice et souveraine). Pour beaucoup de critiques, le Noir y serait, comme dans les autres créations culturelles de l’époque des zoos humains soit un sauvage sanguinaire, soit un serviteur fidèle. «Les bons Noirs sont ceux qui ont admis le rôle que s’est arrogé Tarzan (…) beaux, grands, forts, adroits chasseurs, courageux, loyaux et asexués. Les méchants Noirs sont ceux qui méconnaissent l’autorité de Tarzan ou ses lois. Ils sont laids, sales, superstitieux, fourbes, malfaisants, concupiscents et cannibales» (Lacassin, 66).

«L’anglo-mâle» Tarzan, «chasseur de fauves et d’hommes noirs» comme il l’écrit lui-même dans sa cabane permettrait ainsi à l’Amérique des lynchages, de la ségrégation et de l’eugénisme de réassurer la suprématie de l’homme blanc sur «ses» Noirs et, symptomatiquement, «ses» femmes (J. Taliaferro, 1992). G. Bederman appellera même Tarzan «une gang de lynchage en un seul homme» («a one-man lynch mob») associant le lasso de lianes avec lequel il capture parfois les Noirs aux pendaisons d’Afro-Américains (Bederman, 223). Ironiquement, le gouvernement états-unien devra réduire le racisme des films au moment où la conscription a besoin des Afro-américains, limitant «les morts de natifs à un maximum de huit ou dix» pour Tarzan’s Secret Treasure6. Tout aussi ironique sera le fait que le regain de popularité de Tarzan dans les années 1960 corresponde au sursaut d’anxiété raciale à l’égard de la progression des mouvements de droits civiques7.

«Dieu blanc du continent noir, Tarzan est une projection particulière du narcissisme de l’homme blanc dont l’impérialisme s’exerce ainsi jusque dans l’imaginaire» (Lacassin, 66). Mais la question se complexifie dans l’oeuvre, et, si Tarzan gagne son pagne, on l’a vu par le meurtre de Kalonga, membre d’une tribu cannibale qui résiste à l’oppression coloniale qui évoque la politique désastreuse des décrets de Léopold II au Congo belge, il trouvera en Mugambi son «exact pendant, en Noir, du Blanc splendide qui était en face de lui», l’aidant dans sa lutte contre ces autres Noirs qui dévorent ses guerriers. «Ses sympathies n’allaient ni d’un côté ni de l’autre. A ses yeux, les Blancs avaient moins de valeur qu’un certain nombre d’animaux dits sauvages que le Seigneur de la Jungle connaissait parfaitement et qu’il trouvait sur bien des points supérieurs aux hommes», lit-on dans Tarzan et l’Homme-Lion.

Si Tarzan est souvent du côté des «gentils Noirs» contre les méchants (souvent) cannibales, mais aussi contre les exactions de l’homme blanc c’est qu’il se situe à la croisée du sauvage et civilisé (il est à la fois nu et habillé, mange la viande crue, maîtrise les différentes langues des uns et des autres) comme il l’est par ailleurs du singe et de l’humain à l’image de ces fossiles de l’homme de Piltdown qui constituèrent, on le sait, une pure fiction post-darwinienne. Pour cela il sera interdit dans l’Allemagne nazie, soucieuse de préserver la pureté raciale8. Le héros hybride de Burroughs «s’interroge sur la différence entre primitifs et civilisés, entre vie urbaine et vie naturelle, sur la perte des qualités humaines qu’implique la civilisation industrielle et sur le grand tort que font les religions à l’humanité» (Boulay, 92). Tarzan se situe ainsi à la croisée de l’attitude contradictoire qui caractérise la «mystique de l’aventure moderne» étudiée par S. Vanayre (2002): d’un côté la nostalgie et l’identification aux indigènes (Gauguin, Lawrence, Artaud et les Tarahumaras, etc.), dans le but de «se déciviliser» (J. Kessel) et se ressourcer auprès de ces «réserves de pureté humaine» qui résistent au «monde américano-européen» (E. Jünger), mais aussi la répulsion pour ces «espèces hors-la-loi» qui anime une véritable esthétique de la cruauté.

L’Homme-singe rejoue en fait la rupture traumatique entre wilderness et civilisation qui articule la frontière interne à l’Amérique et à son histoire (n’oublions pas que Burroughs est à la fois un produit du Far-West en voie de disparition et de la nouvelle Amérique urbaine)9. En cela, comme l’écrit A. Vernon, il est l’Amérique elle-même, double orpheline tiraillée dans sa quête des origines confuse «entre les grands halls de l’Europe et la sauvagerie de la Nature» (28). Une Amérique qui par ailleurs découvrait aussi l’expérience impériale (à Cuba, Hawaï, Philippines, etc.) après s’être toujours identifiée avec les colonisés, se trouvant confrontée à un nouveau paradoxe dont Tarzan est aussi l’emblème10. Contradictoire comme son pays lui-même, «il est un aristocrate et un sauvage, il est et n’est pas un immigré, il est et n’est pas un orphelin, il est et n’est pas éduqué, il est et n’est pas bien élevé, il est et n’est pas un enfant, il est et n’est pas un adulte mûr (…). Son corps blanc dépilé est notre tabula rasa» (Vernon, 29). C’est ce caractère ambivalent même qui l’a fait triompher dans la culture populaire américaine qu’il aida à définir au tournant du siècle, seule koinè à incarner le fantasme du melting pot dans un pays multiculturel, et par la suite dans la planète entière américanisée qui a pu, au fil de la Guerre froide, se reconnaître dans ces différentes contradictions11.

Outre l’aspect colonial de cette Afrique fantôme, réduite à une jungle peuplée de bêtes féroces et de sauvages des deux bords de la barrière (pirates Blancs, guerriers Noirs) qui se croisent et recroisent sans arrêt au grès des plus invraisemblables rencontres, dernier bastion de l’aventure au moment où l’on sent que "le monde est fini" (et où le récit d’aventures se tourne vers l’Ailleurs, le Futur et l’Autrefois comme en témoigne Burroughs lui-même dans son cycle martien et ses mondes perdus), "on assiste à un mythe profondément régressif: il est, comme son contemporain Peter Pan, le maître d’un monde où l’on ne grandirait pas. Plus encore qu’un refus de la civilisation, c’est un refus de la réalité qu’il incarne, éternel enfant de par sa condition d’orphelin, son langage, ses jeux constants avec ses amis les animaux voire avec son propre fils, symptomatiquement appelé Boy12.

«Chaînon intermédiaire entre l’homme et l’enfant», Tarzan est toujours cramponné aux lianes, rebondissant sans cesse selon la logique de la résilience qui en ferait, selon S. Tisseron, le saint patron des enfants abandonnés que nous nous sommes tous un jour ou l’autre sentis selon le «roman familial» freudien (in Dibie, 41). Héros de toutes les identités incertaines et suspendues, entre animalité et humanité, civilité et sauvagerie, il hésite entre enfance et âge adulte, littéralisation de l'expérience sentimentale de l'être-jeté (Geworfenheit) au monde du Dasein heideggérien. Un monde qui ne cesse par ailleurs de vouloir le déglutir sous toutes les formes de la dévoration (animale, cannibale, mais aussi métaphorique, assimilation par «la civilisation», déprédation sexuelle des Amazones, etc.).

«Le monde de Tarzan n’existe donc que comme négation du réel» (Letourneux, 795). Les critiques positivistes qui ont été dès Kipling adressées contre l’Afrique de pacotille de ces romans (et plus encore des films qui s’en inspirent, délibérément kitsch dans leur alternance de décors bon marché et de stock footage remonté sans queue ni tête) est donc déplacée. Inversement, lorsqu’il est confronté à la civilisation Tarzan la fuit ou la déréalise, sous le regard de ce nouveau Persan dans la lignée de Montesquieu. C’est encore, on le voit, un refus de la réalité.

De fait la saga de Burroughs (bien plus ancrée dans le fantastique de «l’Aventure Mystérieuse» que les adaptations filmiques) s’irréalise elle-même progressivement, allant vers des mondes de plus en plus atemporels dans un univers peuplé de créatures légendaires: Opar, vestige de l’Atlantide, Castra Sanguinarius et Castrum Mare, cités survivantes de l’Empire romain, Nimmr et Sepulcre villes fortifiées des croisés médiévaux, voire Pellucidar, continent souterrain infesté de monstres préhistoriques, de 9 peuples mi-humains mi-animaux et de 20 peuples humains dont les Oog, cousines souterraines des Amazones qui réduisent les hommes en esclavage… ou encore vaste cité des fourmis anthropoïdes (à moins que ce ne soit l’inverse) qu’un Tarzan gulliverisé parcourt dans The Ant Men de 1924. Burroughs inaugure par là le futur sous-genre mythique de l’Heroic Fantasy ainsi que sa version filmique du péplum à l’italienne. De plus en plus acculé par le «rétrécissement du monde» qui détruit l’aura de cette Afrique mythique, Tarzan devient alors le gardien d’autres terres inexplorées.

Tarzan cristallise ainsi une tendance qu’ont la littérature et le cinéma populaire à nier la réalité, «emblème d’une "mythologie du refus", tout à la fois de la modernité et de la réalité elle-même. Ainsi "ce qui fait de Tarzan un mythe moderne c’est peut-être paradoxalement son caractère résolument antimoderne", roi d’une jungle utopique, paradis perdu où l’on parle aux bêtes» (Letourneux, 797)… et où l’on ne connaît pas la faute originelle de l’argent. Celui-ci s’avèrera plus destructeur encore que les dangers d’une Nature bivalente, sous la figure profanatrice des trafiquants, exportateurs d’une civilisation entrée en décadence (où l’on voit l’ombre de Spengler, dont la lecture avait vivement marqué Burroughs).

«Tu sais, la civilisation c’est fini» dira, reprenant le célèbre aphorisme de Paul Valéry, Jane Parker dès son arrivée en Afrique qu’elle ne quittera plus dans le film mythique Tarzan, l’homme singe, symptomatiquement tourné au lendemain du krach boursier de 1929. «Au cinéma», écrit C. Tesson contre F. Lacassin qui oppose le «mythe triomphant» de Burroughs, Foster et Hogarth au «mythe humilié» de Hollywood, «Tarzan-Weissmuller a été le premier héros, symbole de son temps, et la première vraie réponse à la crise économique de 1929 (…) avec King Kong» (in Dibie, 47). La route était ouverte jusqu’à l’édénisme hippie dont se nourrira le chef-d’œuvre du cinéma tarzanien, le Greystoke (1984) de Hugh Hudson, pourtant tourné à l’ère de la contre-révolution reaganienne (et l’on connaît la célèbre boutade du président hollywoodien: «un hippie ressemble à Tarzan, marche comme Jane, et sent comme Cheeta»).

À SUIVRE

  • 1. R. Lindsey, «Wily Tarzan Lives On, Dollarwise», New York Times, août, 29, 1975, 59.
  • 2. L’ampleur du marchandisage tarzanien fut l’ancêtre direct des stratégies de Walt Disney (qui s’appropria le mythe en 1999) ou Georges Lucas: «Youngest fans growing up during the time of Tarzan’s greatest success would have had available to them Tarzan knives, bows, lariats, spears, and blow-tuns; Tarzan ice cream, pudding, bread, cereal, chocolate, whipping cream, and bubble gum; Tarzan Big Little Books, yoyos, costumes, and vinyl pools; Tarzan bathing suits, belts and jungle helmets. Some of them would have insisted their parents buy Signal Oil and Gas Company’s Tarzan gasoline, and some teenager’s hoodlum posturing might have included Tarzan cigarettes» (A. Vernon, 14).
  • 3. http://thoreau.eserver.org/walking.html. Cet essai publié posthume en 1862 traverse l’inconscient collectif américain jusqu’à l’étonnant succès de la fable dysphorique du retour à la Nature Into the Wild (J. Krakauer, 1996) adaptée au cinéma par Sean Penn en 2007.
  • 4. En ce qui respecte le volumineux roman de Robida, véritable parodie de l’univers de Jules Verne, l'aventure démarre avec un naufrage au cours duquel Saturnin, âgé de 4 mois et 7 jours, échoue avec son berceau sur une île peuplée de singes. Adopté, il deviendra aussi agile qu'eux. À 11 ans, conscient de sa différence, il quitte sa tribu, prend la mer sur un tronc de palmier, puis est recueilli par un navire. Il apprend vite, et devient rapidement un leader parmi les hommes, mais aussi parmi les animaux. Une bataille avec des pirates lui fera retrouver sa tribu de singes dont il fera un régiment armé, instruit et civilisé, et toujours victorieux. Le succès du livre fut tel qu’un des premiers films muets italiens lui fut consacré un an après la naissance de Tarzan, Le avventure straordinarissime di Saturnino Farandola (1913).
  • 5. Jane saura ainsi lire «la marque de sa naissance aristocratique, l’affleurement naturel de plusieurs générations de raffinement et d’éducation, un instinct héréditaire des bonnes manières, qu’une jeunesse de vie sauvage et grossière passée au cœur d’un monde brutal n’avait pu effacer» (Dibie, 30)
  • 6. Vernon, 66. L’une des scènes racistes les plus outrageantes du corpus tarzanien reste la célèbre scène de Tarzan the Ape Man (1932) où après la mort d’un porteur qui vient de glisser le long d’une falaise (scène archétypale sans cesse reprise par la suite), l’explorateur blanc Harry Holt demande simplement: «Qu’est-ce qu’il y avait dans ces sacs?» L’on peut toutefois interpréter la scène comme une dénonciation du colonialisme dont Tarzan se détache (Holt étant par ailleurs son rival auprès de Jane).
  • 7. «The resurgence of Burroughs’s Tarzan in the 1960s –the reprinting of the novels, and the new life they breathed into Tarzan of the comics, film and television- could almost be said to have played an organized part in the straight white male resistance to the civil rights and the feminist and gay movements of that tumultuous decade –just as he first appeared during the turn-of-the-century’s chaotic era of racial and gender anxiety» (A. Vernon, 125).
  • 8. «If this film were shown, in which a forest animal, an ape-like being, wood by and loved by a woman, it could be dangerous to society. The film’s content is thoroughly capable of hurting the government’s attempts at racial clarification and teachings. It would work against our nation’s intentions. The preservation of a healthy racial sense is vital for the state» (cit in R. Boller et J. Lesser, Tarzan und Hollywood, Berlin, Scwarzkopf , 2004, 33)
  • 9. «The first Tarzan novel became a convenient window into the era that produced and embraced it, as turn-of-the-century America transitioned from a rural economy and lifestyle to urban ones and yearned nostalgically for the good old days” (Vernon, 4). Cette Amérique était elle-même à l’image de son héros: «It was an adolescent nation, an immigrant and a self-orphaned nation frantic about self-determination, anxious to maintain the integrity of a still-vague self-conception» (id, 31).
  • 10. «If Roosevet and other identified a renewed, «strenuous» barbarianism as a salve to the encroachments of modernity, the “barbarism” of national or racial “inferiors” also provided a ready-made rationale for conquest and domination» (R. Jacobson, Barbarian Virtues: The United States Encounters Foreign Peoples, New York, Hill and Wang, 2001, 5). Comment peut-on dès lors se re-barbariser («go native») et à la fois exterminer les barbares? Tarzan fonctionnera ici encore comme une résolution imaginaire et légitimatrice des contradictions idéologiques.
  • 11. Le succès de Tarzan dépassa même les bornes imposées par la Guerre froide culturelle. Bien avant celle-ci un journaliste moscovite se plaignait déjà en 1924 de l’invasion tarzanide: «We publish books and pamphlets about Marxism and our great revolution. We encourage young authors to interpret its spirit and inspire the masses. We even issue cheap editions of the Russian classics. But the public reads –what?- Tarzan (…) In my opinion this alone proves the necessity for some dictatorship over the proletariat» (cit in A. Vernon, 35).
  • 12. «Nu ou presque comme un nouveau-né, Tarzan a un corps d’adulte et des rêveries d’enfant prépubère chez lequel la fantasmatique sexuelle peine à se dégager des figures animales. D’ailleurs ses amis les singes l’accompagnent d’une façon qui exclut toute confrontation avec la haine pour le rival sexuel et toute construction de sa propre généalogie» (S. Tisseron, in P. Dibie, 2009: 43).