Judge Dredd ou les charmes ambigus du super-fascisme

Judge Dredd ou les charmes ambigus du super-fascisme

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 25/09/2012

 

C’est en mars 1977 que, à l’instigation de l’éditeur Pat Mills, le scénariste John Wagner et le dessinateur Carlos Ezquerra créèrent le personnage qui allait redéfinir les comics britanniques,  l’inexorable Judge Dredd. Un an après le mythique Anarchy in the UK qui marqua «l’Année Zéro» du mouvement punk et deux ans avant l’élection de Margaret Thatcher comme première ministre tory, Judge Dredd allait symboliser ce complexe entre-deux qui changerait définitivement l’histoire du Royaume-Uni. Si d’un côté le motto inflexible du Juge («Je suis la Loi») répondait quelque peu ironiquement au «Je suis un anarchiste» hurlé par Johnny Rotten, l’obsession sécuritaire et la rhétorique de la Loi et l’Ordre allaient devenir le pilier de la campagne politique conservatrice et en grande partie la raison de son succès.

Ces deux versants, l’anarchie et la Loi, articulent la dialectique du comic qui oppose les «Juges», gardiens suprêmes de l'Ordre qui concentrent les trois pouvoirs traditionnels (législatif, exécutif et judiciaire) aux mégalopoles post-apocalyptiques, surpeuplées et livrées au chaos et la violence. Sous couvert d’iconographie science-fictionnelle l’on reconnaîtra là l’hyperbolisation swiftienne de la dialectique politique qui tiraille l’Angleterre du moment, où l’apologie de la destruction punk nourrit la rhétorique conservatrice de «l’ingouvernabilité» du pays selon le paradigme «progressiste» des Travaillistes (et la peur des classes moyennes qui voteront contre ces derniers).

Le pays était, de fait, sous le choc. En 1976, le Royaume-Uni doit négocier un prêt de 4 milliards de dollars auprès du Fonds monétaire international (FMI), mesure désespérée jusque là associée aux pays tiers-mondistes. Ses finances sont depuis un moment dans le rouge: déficit commercial, déficit de la balance des transactions courantes, endettement croissant, chute de la livre témoignent des difficultés persistantes de l'économie britannique, que le choc pétrolier de 1973 n'a fait qu'aggraver sur fond de montée ahurissante du chômage. L’intervention traumatisante du FMI marque un tournant majeur, signalant la fin de l’ère keynésienne et du «consensus d’après-guerre» qui avait caractérisé la politique économique et sociale de l’Angleterre depuis trois décennies. Le Wall Street Journal publiait un article catastrophiste dont le titulaire était le contrepoint économique au cri de Rotten: 'Goodbye, Great Britain'.

Si la jeunesse paupérisée trouve dans le «No Future» punk l’emblème de sa révolte désenchantée, les conservateurs vont criminaliser la débâcle sociale pour faire du retour à l’ordre le noyau dur de leur programme.

The 1979 Election was the first occasion in the post-war period on which the issue of crime and social order was forcefully popularised for partisan political purposes, as a means of challenging social democracy itself, on the grounds of the alleged inability of social democratic governments to guarantee the personal security of the citizenry. (...) Thatcher spelt out the quintessential position of the emergent radical right as to the inseparability of order and the 'Rule of Law” (…). This enthusiastic defence of the rule of law and the strong State as the true guardians of popular interest (in contrast to the pretensions of social democrats and trades unionists) served as the rationale for Thatcher's important final rhetorical flourish:“Across that path to 'social disintegration and decay, the path to a pitiless society in which ruthless might rules and the weak go to the wall (…) we will place a barrier of steel. There will be no passing that way once a Conservative Government is in office. (I. Taylor, 1987: 298)

Tout le travail idéologique de la droite radicale des années 1970 visait de fait à insister sur la défense d’un «État fort» (défini par l’adhésion inflexible à la Loi) soi-disant exigée par la «voix du peuple» alors que le véritable programme, selon les préceptes néolibéraux, était d’établir la nécessité d’un démantèlement des structures de l’État Providence défini par le consensus d’après-guerre. C’est donc sous couvert d’un «populisme autoritaire» comme l’écrira le pionnier des cultstuds Stuart Hall que le thatchérisme s’affirme dans le discours social et réussit à infléchir le débat politique. La hausse de la criminalité (2.5 millions de crimes recensés en 1978) est alors présentée comme le résultat non seulement du «laxisme» travailliste, trop enclin à «justifier» les criminels par le contexte socio-économique selon une idéologie sociale-démocrate devenue suspecte, mais comme l’effet du développement même du Welfare State1.

Comme plus tard lors de la réaction reaganienne, le désordre des seventies est vu comme la conséquence inévitable des «excès» des sixties, thème avancé par Sir Keith Joseph dans un célèbre discours de 1974 qui serait répété mot par mot par Norman Tebbitt dans une célèbre conférence de 1985. Pour tous deux la vague de crimes (crime wave) qui terrassait l’Angleterre était issue de «l`ère et les attitudes de la dépression d’après-guerre (post-war funk) qui donna naissance à la société permissive qui à son tour génère la société violente d’aujourd’hui. C’est ainsi qu’on sema le vent et qu’on récolte maintenant la tempête» (cit in I. Taylor, 315).

Par conséquent le message électoral de 1979 insistera sur la restauration de la discipline pénale, notamment à travers l’endurcissement des peines pour la délinquance juvénile et l’expansion des forces de police ainsi que de leurs pouvoirs. Le spectre des «Juges» créés par Wagner et Ezquerra devenait ainsi une réalité. Ironiquement c’est à ce même moment que Michel Foucault théorise la société disciplinaire avec sa dialectique entre la loi et la délinquance et définit des concepts-clés tels que la gouvernance, la sécurité ou le biopouvoir (Surveiller et punir, 1975, suivi notamment des conférences Sécurité, territoire, population, 1978 et Naissance de la biopolitique, 1979). Plus ironique encore sera le fait que le thatchérisme ne fera qu’augmenter la criminalité de 40% (3.6 millions de crimes recensés en 1985) par rapport aux statistiques de 1978 avancées de façon alarmiste par les Tories comme point d’orgue de leur campagne de délégitimation des travaillistes et de l’État Providence.

Mais cette politique de la Peur tirait sa force du fait qu’elle était l’expression conjecturale des anxiétés de différents secteurs de la société, ce que les travaillistes ne comprirent que trop tard.

A real sense developed in the English bourgeoisie as a whole in the course of 1970s that 'things had gone badly wrong'. It was not simply that there was a major economic crisis (…) [but] also a widespread feeling within the petty-bourgeois, in particular, and also the noncommercial middle class, that the foundations of a coherent, predictable and orderly life (the settled, respectable life of England) were threatened by rapid changes in public 'morality'. The suggestion must indeed be made, though I realise it is inspired more by George Orwell than by Karl Marx, that for some sections of the English petty-bourgeoisie the desire to maintain order, predictability and indeed, 'respectability' was-and is of far more importance than any issue of economic regeneration or political principle. (I. Taylor, 310)

Grâce au travail rhétorique de la droite, l’opinion publique se détourna des explications économiques de la crise et se tourna vers des discussions sur la relégitimation de l’autorité morale et la restauration de la Loi. Le discours disciplinaire de la criminologie se fit complice de cette mystification idéologique, notamment sous la plume de Patricia Morgan qui s’attaque dans sa monographie Delinquent Fantasies (1978) à la tradition libérale, sociale-démocratique et marxiste de la «criminologie progressiste» qui occulte, selon elle, la nécessité de «défendre, transmettre et maintenir l’ordre social», délaissant le «vieux langage de la moralité et la légalité au profit de celui de la thérapie et du bien-être». Toujours hantée par le spectre de l’Anarchie dans le Royaume (dés)Uni, elle dresse le portrait d’un pays atteint d’un «syndrome criminel», visible dans le portrait-robot qu’elle dresse, sans la nommer de la jeunesse punk:

the spread of what could be called a delinquent syndrome, a conglomeration of behaviour, speech, appearance and attitudes, a frightening ugliness and hostility which pervades human interaction, a flaunting of contempt of other human beings, a delight in crudity, cruelty and violence, a desire to challenge and humiliate and never, but never, to please; where the individual gets his way and wouldn't think or bother to get it with anything but aggression. (P. Morgan, 13)

C’est tout ce contexte explosif que la saga de Judge Dredd synthétise, traversant la tourmente qui va de la révolte punk à la répression brutale du thatchérisme. De l’explosion punk le comic hérite la fascination pour le chaos grouillant du lumpenprolétariat et ses sous-cultures marginalisées dans les mégalopoles dévastées du futur, ainsi qu’une ironie nihiliste et froide qui deviendra le signe de marque de la série, encore proche d’un certain underground (elle sera associée à celui-ci dans plusieurs autres pays, tels que l’Espagne). Du thatchérisme que, paradoxalement, il annonce, le Juge deviendra une sorte de caricature cauchemardesque, poussée jusqu’à l’absurde. À la fois policier, juge, jury et exécuteur, Dredd incarne le fantasme orwellien de la fin de la division des pouvoirs au sein d’un État policier dirigé par les Juges tout-puissants d’où tous les droits et libertés ont été bannis dans la quête du maintien de la Loi et l’Ordre. Du «régime fasciste» de la Dame de Fer dénoncée dans quantité de fanzines et de chansons d’un punk devenu social on est passés ici au super-fascisme d’un Justicier fêlé qui est dont le statut super-héroïque est pour le moins problématique.

L’on connaît la célèbre réflexion de Gramsci («On peut affirmer que beaucoup de la prétendue "surhumanité" nietzschéenne a comme origine et modèle doctrinal non pas Zarathoustra, mais le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas»2) qui servira comme «idée fixe» pour les analyses de Umberto Eco dans De Superman au surhomme. Si le fascisme fut marqué historiquement par les stéréotypes du roman populaire (Mussolini lui-même fut un écrivain de romans-feuilletons), celui-ci lui rendit bien qui, du Mike Hammer de Mickey Spillane au Executioner de Don Pendleton, dont le Punisher est un avatar super-héroïque, est hanté par des figures de justiciers proto ou über-fascisants (sans oublier les véritables superhéros fascistes que furent le policier mussolinien Dick Fulmine dont les traits évoquaient, magnifiés, ceux du Duce lui-même, ou ses confrères franquistes Roberto Alcazar y Pedrín3).

Les gens. C’est incroyable comme ils pouvaient être stupides parfois. Un procès en justice pour un tueur. Il suffit d’une formule mal ficelée et voilà le tueur qui rampe vers la sortie. Mais en fin de compte les gens finissent par l’obtenir, leur justice. Ils l’obtiennent grâce à des types comme moi, de temps à autre. Les criminels sévissent contre la société et moi je sévis contre eux. Je les abats comme les chiens enragés qu’ils sont et puis la société me traîne à la barre des accusés pour expliquer le pourquoi et le comment de l’extermination» proclamait Mike Hammer dès sa première aventure dans I, the Jury, au titre explicite qui préfigure le motto dreddien (M. Spillane, 1947, 14).

Dès sa naissance le Juge s’inscrit dans cette tradition du vigilantisme américain qui venait de triompher sur les grands écrans avec Dirty Harry (1971) et Death Wish (1974), suivis d’une cohorte d’imitateurs. Cette vague se présentait comme une désillusion envers le consensus progressiste des sixties qui allait nourrir, des deux côtés de l’Atlantique, la rhétorique de la réaction néo-conservatrice sous des dehors d’une apparente confusion idéologique4. Symptomatiquement, Wagner venait de créer une variante graphique de l’inspecteur Harry dans son comic «One Eyed Jack» pour Valiant et il eut l’idée, à la demande de Mills, d’extrapoler le personnage dans un univers de science-fiction pour le nouveau magazine de l’éditeur, exclusivement futuriste (2000AD). La rhétorique science-fictionnelle permettrait, selon Mills, d’échapper au sort funeste de son projet antérieur, le magazine ultra-violent Action ("the sevenpenny nightmare", selon ses détracteurs) qui avait été descendu par la censure suite à une véritable panique morale qui réactivait les peurs des années 1950 à l’égard de l’influence néfaste de la violence graphique sur les adolescents et annonçait, de fait, le backlash de la vague conservatrice obsédée par le rétablissement de l’Ordre. En situant ses histoires violentes dans le futur, pensait Mills, se produirait un effet de déréalisation. Si, de plus, la violence venait de l’exercice même de la Loi comme le suggérait Wagner il y aurait, ironiquement, une caution morale à celle-là. Il avait lui-même commencé un projet autour d’un juge fantastique nommé Judge Dread, nom qu’il transféra à la nouvelle créature.

Parmi les références visuelles que Wagner donna à Ezquerra il y avait celle du personnage de Frankenstein, champion des courses gladiatoriales d’une Amérique fasciste revenue au Panem et Cicernses de la Décadence romaine dans l’irrévérencieux délire dystopique Death Race 2000 de Paul Bartel (1975), dont le ton cynique et grand-guignolesque allait marquer définitivement l’univers de Dredd et de 2000AD dans son ensemble. Sensible à l’énergie punk que le film de Bartel annonçait (inlassablement repris par la suite dans les «films de punks» psychotroniques), Ezquerra ajouta aussi les chaînes et les zips à l’armure de ce policier motorisé du futur qui précède, ne l’oublions pas, de deux ans le héros archétypal du genre post-apocalyptique, Mad Max. "Dirtier than Harry, madder than Max", dira la publicité du premier épisode de Dredd lors de sa réédition, résumant ainsi une dichotomie centrale du héros.     

Mais le dessinateur espagnol développa surtout l’idée dystopique en intensifiant les références fascisantes explicitées par l’aigle franquiste (tirée des monnaies de 25 pesetas, selon l’aveu de l’artiste) qui venait éclipser la célèbre Bald Eagle qui sert de totem iconique au Grand sceau des États-Unis d'Amérique (nous avons déjà étudié un phénomène analogue dans notre dossier consacré à la dystopie Hunger Games). Par ailleurs, comme le remarque le dessinateur lui-même, l’armure du héros allait préfigurer l’esthétique ultérieure des anti-émeutes (telle qu’on a pu notamment l’apprécier lors du printemps érable). De fait cette armure allait devenir l’essence même du personnage, en faisant littéralement corps avec celui-ci. Ce véritable «corps dur» du héros annonçait l’iconographie politique des Hard Bodies qui définira, selon l’analyse bien connue de Susan Jeffords dans son ouvrage homonyme, le cinéma reaganien en opposition politique aux années progressistes des «corps mous» du Nouvel Hollywood. Dredd s’inscrit ainsi dans une filiation qui va, via le spectre du thatchérisme, de l’inspecteur Harry (vecteur, selon Jeffords, du durcissement des corps hollywoodiens) aux superhéros revanchistes reaganiens (et leurs prolongements cyborgs) dont il constitue à la fois la préfiguration et la parodie grotesque ab anteriori.

Ces corps durs étaient par ailleurs déjà préfigurés par les fantasmes fascistes analysés par Theweleit dans son étude pionnière Male Fantasies. Dans son analyse des journaux des Freikorps qui allaient devenir la force paramilitaire du parti national-socialiste, Theweleit découvre un modèle régulier de l’imaginaire qui oppose le corps masculin conçu comme une armure aux corps mous des femmes, des masses et des Juifs. Ce corps de l’Autre constitue une menace à l’ego fasciste, menaçant de le dissoudre dans les flots du désir sexuel, la féminité, le judaïsme et le communisme qui l’assiègent. Le corps mâle de ces textes est présenté comme une machine de guerre qui vise à "poursuivre et soumettre toute force qui menace de la transformer dans l’horrible conglomérat désorganisé de viande, cheveux, peau, os, intestins et sentiments qui s’appelle du nom d’humain" (Theweleit, 1989: 160), ne pouvant atteindre de soulagement et jouissance que "quant la machine-totalité et ses composantes explosent dans la bataille" (1989: 155). Il est troublant de constater que le corps des superhéros des comic books prolongera cet imaginaire, jusqu’à leur embrigadement cinématographique dans les blockbusters de l’ère bushiste5.

Clef de voûte de ce corps-armure, le casque phallique de Dredd renforce l’aspect sinistre du modèle initial, héritier des bourreaux de l’Inquisition. Poussant jusqu’au bout  l’impersonnalité de la Justice que le Juge se doit d’incarner, il fait de Dredd un véritable héros sans visage. La dichotomie traditionnelle du Justicier masqué, qui va des romans-feuilletons jusqu’aux superhéros bédéiques, est ainsi tronquée: ici le Masque a pris toute la vie du héros, qui ne vivra plus qu’à son ombre. Toujours dressé comme le Phallus qu’il est ("it’s not a condom" s’exclame un cybercommentateur anonyme exaspéré par la question de savoir s’il l’enlèvera ou pas dans le film de Travis), le casque de Dredd devient dès lors l’attribut mythique du héros.

D’où l’interdit qui va peser pendant toute la saga sur le visage du héros, que l’on ne verra jamais. Si dans le prog Dredd est obligé d’ôter son casque nous ne verrons que la réaction horrifiée des autres personnages, comme s’il était défiguré (comme le Fantôme de l’Opéra) ou s’il s’agissait d’un terrible secret (le visage est en fait couvert par un faux sticker de la censure). On le verra aussi utiliser, comme les criminels qu’il pourchasse, «l’échangeur de visages», mais sans que l’on ne voie jamais l’aura de l’original. Il y avait eu par ailleurs une tentative de faire de Dredd un personnage afro-américain, reprenant l’une des plus célèbres planches des E.C. comics qui montrait un astronaute du futur noir quittant une planète ségrégationniste dont il s’était fait le dénonciateur éclairé. Mais l’interdit du visage pesa plus lourd que cette transformation qui eût certes contrasté avec l’imaginaire traditionnel des superhéros fascisants. Symptomatiquement, lorsque le cinéma réduira le Juge à un simple visage, fut-il celui de Stallone, le hard body reaganien par excellence, il détruira entièrement le mythe, le ravalant à une affreuse banalité.

Or, contrairement au vigilantisme dont il se réclame et aux hard bodies qu’il préfigure, le Juge Dredd est présenté de façon ambivalente dans la série, articulée autour de la contradiction latente entre l’archétype du Justicier (qui remonte in fine aux héros civilisateurs grecs autant qu’aux rois bibliques) dont les superhéros ne sont qu’un avatar et la visée critique des récits, sensible notamment dans le format de "conte cruel" qu’ont plusieurs de ces nouvelles. De là la fusion en lui du héros et du vilain qui provoque, aux dires mêmes de son créateur, une bivalence lectrice, fascinée par ce " Bad-ass Cop", mais  soulagée qu’il n’existe que dans la fiction ("Thank God someone like him doesn’t exist today").  

I suppose there is a lot of Dredd in me, but isn't there a bit of Dredd in most of us? I'd describe my politics as fairly left wing. Any kind of police brutality appalls me, and yet -- and yet -- I admit there are times when I fantasize about Dredd appearing and giving this or that creep a whack with his daystick. As far as Dredd the man is concerned, there was a need to allow his character to develop without altering the essentially retributive nature of his role or indeed his attitude to the job. He's changed, but never make the mistake of thinking he's some bleeding-heart liberal. (CBR)

Symptomatiquement, cette bivalence va créer une double postulation à l’intérieur même de l’équipe créatrice de la saga:

After years of writing over-the-top future stories, there was a split in the house of2000 AD. Everyone had pretty much decided that parodying American action flicks could only take them so far, and that Judge Dredd needed some new direction. One group wanted to push the parody even further, taking Judge Dredd fully into the realm of British comedy and ridiculous ultra-violence. The other group thought that you could remove the parody and used Judge Dredd and the Mega Cities to tell more serious stories. The result was a series of stories that started with “A Letter to Judge Dredd,” which featured a letter from a child who had been killed as part of a pro-democracy demonstration. The letter saw the first time that Judge Dredd questioned the fascistic authority he wielded and the Judge System he was a figurehead of. The story continued into “The Devil You Know” and finished with the brilliant “America”6.

À travers ce cycle critique, la série va s’éloigner de la fascination du vigilantisme et mettre en question l’embrigadement explicitement thatchéro-reaganien qui en est fait dans le complexe médiatico-militaro-industriel. Elle accompagnera ainsi la contestation de la morale dans les chefs-d’œuvre du crépuscule des superhéros, notamment le diptyque du tout aussi britannique Alan Moore, V pour Vendetta et Watchmen, et leur miroir obscur d’outre-Atlantique, Dark Knight Returns de Frank Miller7.

De ces ambivalences découle aussi la tragédie du héros purificateur, héritière du "poor lonesome cowboy" du western, en ceci qu’il doit protéger coûte que coûte une société à l’intérieur de laquelle il ne peut lui-même fonctionner normalement. Comme le cowboy et le détective dur à cuir qui en est le prolongement, Dredd est une figure liminaire, vouée à la solitude8. Tragique et solitaire, il l’est aussi de par son fratricide; il doit en effet abattre son frère en clonage Rico –ils sont tous deux issus du ADN du premier Juge Suprême- qu’il avait emprisonné pour meurtre et corruption et qui était revenu se venger. Enfin il est aussi tragique en ce qu’il est un héros voué au passage destructif du temps, contrairement au modèle super-héroïque incarné par Superman, selon la célèbre analyse de Umberto Eco. En effet, la saga se déroule en temps réel, c’est-à-dire dans une temporalité strictement parallèle à celle de sa publication sérielle: la première histoire, publiée en 1977, ayant été située en 2099, celles qui sont publiées de nos jours, en 2012 se situant donc en 2134 en temps «dreddien». D’où le vieillissement inexorable du héros, maintenant heptagénaire après plus de 50 ans de service (entre 2079 et 2134), ce qui se fait sentir dans certains épisodes récents où l’on assiste à un véritable crépuscule de la figure mythique (comble de malheur, un cancer au duodène lui a été diagnostiqué dans le  «prog 1595» en 2008).

Cette solitude tragique marque son opposition avec son milieu, le monde post-apocalyptique des mégacités hantées par l’anomie sociale, synthèse les deux hyperbolisations du thatchérisme et de la punkitude qui orchestrent la série. En effet la saga s’articule vraiment autour du contraste entre ces deux protagonistes, le Justicier et la ville, reprenant un vieux schème qui traverse tout autant le roman noir que le récit de superhéros. On retrouve là l’hyperbole tout aussi délirante du thème de l’Amérique irrévocablement vouée à la violence, hantée par le retour à la Nature qui est avant tout Sauvagerie ("Wilderness") au sein même de la jungle qu’est la ville moderne, emblème du Mal radical.

Dans le sillage de l’idéologie américaine qui a volontiers représenté l’Amérique rurale comme un Éden perdu et son industrialisation comme une deuxième Chute, on peut voir dans la tradition du roman noir que Dredd hyperbolise une réécriture du mythe de la Frontière, comme l’analyse B. Tadié: «au terme de la quête, ce n’est pas la Nouvelle Jérusalem qui se découvre, mais un univers corrompu et corrupteur» (2007, 105). La Frontière est par ailleurs devenue un no man’s land radioactif peuplé non plus d’Indiens, mais de mutants menaçants.

Selon l’analyse de B. Tadié, la régression de la civilisation vers la jungle signe, dans la vision autant puritaine que darwinienne du polar, la dépravation de l’homme qui a violé l’ordre divin et l’emprise du mal sur le monde qui découle de sa Chute. Le déroulement de l’intrigue permet de mettre à jour son fonctionnement criminel, caché derrière des apparences trompeuses. Lieu de la Chute et condensé du mal, Mega-City One devient tout autant la protagoniste de la saga que son Juge le plus emblématique; elle est la digne héritière des villes pourries du polar, les ville-cauchemar et ville-poison de Hammett devenant la «ville-abattoir» («Meatgrinder») dans Dredd3d: «les gens rentrent, de la viande sort, nous tournons la manivelle» dira le Juge corrompu payé pour abattre le héros.

Qui plus est, la dystopie américaine est ici revue par la tradition dystopique anglaise en une sorte de cauchemar au carré (ce que refera Alan Moore en passant de V pour Vendetta à Watchmen; mais Wagner est d’autant plus à la croisée de ces deux traditions qu’il est Américain d’origine -il reviendra à ses sources notamment dans A History of Violence). Et si Mega-City One est une ville-pourriture comme l’exige le polar elle est aussi un microcosme post-apocalyptique qui obéit aux canons de l’autre grand genre auquel la saga souscrit, la science-fiction la plus sombre. De fait un des premiers arcs narratifs à triompher dans la série («La Terre Maudite») est une réécriture explicite d’un petit bijou de Roger Zelazny, Damnation Alley (le roman venait d’être adapté au grand écran en 1977) qui retrace une mission suicidaire à travers le no-man’s land post-atomique qu’est devenue l’Amérique (la Frontière devenue pur cauchemar). Et si l’iconographie des mutants renvoie au classique post-apocalytique Omega Man (1971), les Juges se situent au croisement des Exterminateurs du Zardoz de J. Boorman (1974) et de la police robotisée du THX 1138 de G. Lucas (1971).

Construite sur les ruines des villes de la Côté Est américaine dévastées par une guerre nucléaire,  Mega-City One est l’emblème de la dystopie urbaine dénoncée en Angleterre par Lewis Mumford dès 1938 (The City in History). Cité-Etat d’un 400 millions d’habitants (les survivants d’une guerre qui aura réduit drastiquement la population de moitié) qui s'étend sur toute la East Coast, cette mégalopole cauchemardesque est parsemée de gigantesques HLM ou «mégablocs», capables de contenir des populations de 60 000 habitants en moyenne, avec un taux de chômage de 96% et qui se livrent des véritables batailles rangées avec les blocs voisins (c’est le sujet d’un célèbre épisode, "Block Mania"). D’autres mégacités parsèment ce qu’il reste de la planète, telles que Mega-City Hondo (en ex-Japon), East Meg One (en ex-Russie –d’autant plus «ex» que Dredd lui-même la redétruira lors de la «Guerre de l’Apocalypse» de 2104), Euro City (ex-France et ex-Allemagne), Brit-Cit (ex-Angleterre), Sino City (ex-Chine) ou Ciudad Espania, au nom explicite.

Livrées à l’anomie sociale la plus brutale (inégalités sociales, chômage, pollution, hystéries diverses et variées, guerres des gangs, etc.), ces Cités sont toutes gouvernées par le régime ironiquement platonicien des Juges, qui sont présidés par un Conseil des Cinq et un Juge en Chef, le "Juge Suprême". Fruits d’apocalypse, elles y retourneront en une sorte de cauchemar circulaire, la «Guerre de l'Apocalypse» contre East-Meg One annonçant le «Jugement dernier», qui amena une épidémie de zombification, orchestrée par Sabbat le Nécromage, mais aussi l’invasion des Juges Noirs menés par la Némesis macabre de Dredd, le Judge Death dans l'épisode de «Nécropolis» ou, plus prosaïquement, les attentats à la bombe nucléaire organisés par un groupuscule de «démocrates» radicaux opposés au système des Juges («America», etc.).

Entre ces mégalopoles vouées au désastre réitéré, nous l’avons vu, la Terre Maudite qui n’est pas sans évoquer la célèbre Terre gaste de l’imaginaire arthurien. Cet espace radioactif ne nourrit que des mutants réduits au cannibalisme et au primitivisme dans une «dévolution» qui découle d’un véritable régime d’Apartheid génétique. Ce système sera source de plusieurs conflits dans la saga (ce sera eux les antagonistes de Stallone dans le film de 1995) et Dredd lui-même s’insurgera contre son inhumanité en 2129 dans un rare accès de «progressisme» critique (témoignant par là d’une lente évolution axiologique du héros qui ferait de la saga une sorte de Pilgrim’s Progress sécularisé). Écho des angoisses écologistes suscitées par le Club de Rome dans leur célèbre (mais toujours ignoré) rapport sur «Les limites de la croissance», l’Atlantique elle-même n’est plus que la «Noire Atlantique» entièrement polluée.

Dans ces coordonnées se développe, tout au long de cette interminable série (on compte à ce jour plus de 1800 épisodes –ou «progs» pour «programmes» soi-disant exécutés par des narrateurs robotisés- parus) un univers "néobaroque" en continuelle expansion rizhomatique. Il serait impossible d’évoquer ici l’évolution diachronique des aventures de Dredd qui constituent sans doute un des opus les plus labyrinthiques et étoffés de toute l’histoire de la bande dessinée, et probablement de la littérature populaire toutes catégories confondues. Notons toutefois que dans ce prodigieux fatras, véritable Comédie post-humaine, se dégagent, comme dans les grandes Sommes de la littérature médiévale (mi-Renard et mi-quête du Graal), quelques grands cycles. Ainsi l’on passe du trope de la révolte des machines (“The Robot Wars” progs 10–17) à la tragédie des frères ennemis (“The Return of Rico”, prog 30), l’aventure spatiale («Luna-1” progs 42–59), la traversée du Waste Land (“The Cursed Earth”, progs 61–85) ou les querelles "dynastiques" des Juges Suprêmes (“The Day the Law Died”, progs 86–108).

Le cycle très important du Judge Death, seule Nemesis à la hauteur du héros –et allégorie postmoderne d’une Mort pour qui «la vie même est un crime» qu’il faut expier, anime le «Jugement Dernier»  (progs 149–151) et «Judge Death Lives!» (progs 224–228) tandis que la quête épique du Messie anime un autre cycle qui lui est en quelque sorte parallèle passant de l’espoir (“ The Judge Child” (progs 156–182) à la désillusion («City of the Damned», progs 393–406) puisque l’enfant qui devait prémunir dans le futur Mega-City One du désastre en est lui-même le principal responsable. Le héros lui-même sera confronté, comme tant de personnages de roman noir, à l’amnésie dans “The Dead Man” (prog 650–662), il verra son système moral s’ébranler par le tournant démocratique déjà cite de “A Letter to Judge Dredd” (prog 661) et deviendra un homme dérouté dans «Tale of the Dead Man» (progs 662–668), ce qui provoque la prise de la ville par les Juges Noirs dans «Necropolis” (progs 669–699). Ironiquement, lorsque la population pourra choisir entre la démocratisation de Mega-City One et la survie du régime des Juges elle choisira, apathiquement, le statu quo («The Devil You Know and Twilight's Last Gleaming” (progs 750–756).

Suivront le «Jugement Dernier» zombifié (progs 786–799 et Megazine 2.04–2.09), la guerre des Machines sur le modèle des mecha animes nippons («Mechanismo trilogy», Megazine 2.12–17, 2.22–26 et 2.37–43, suivi de "Wilderlands», progs 891–894 puis 904–918 et Megazine 2.57–2.67), le putsch des Juges évadés de Titan ("Inferno», progs 842–853) et les attaques terroristes, 11 septembre oblige, de «Terror and Total War» (progs 1392–1399 and 1408–1419) puis  «Blood Trails» (progs 1440–1449). Comme souvent dans les mythologies superhéroïques issues de la révolution kirbyenne, le chaos inter-dimensionnel s’empare de l’intrigue; ce sera «Helter Skelter” (progs 1250–1261). Vient ensuite le temps des «cross-over”, destin inévitable des superhéros à l’ère des franchises, ce sera la confrontation avec son double Justicier, Batman («Judgement on Gotham»). Puis la guerre des franchises aidant, le moins inévitable “Judge Dredd vs. Aliens” (Prog 2003 special et 1322–1335).

Le héros connaîtra même l’amour (cela peut sembler hautement improbable, mais le pouvoir de Cupidon terrasse même les héros les plus farouches dans toutes les mythologies), troublé dans «The Pit» (progs 970–999) par sa collègue Galen DeMarco –qui aura droit à sa propre série, selon le principe rhizomatique des cycles feuilletonesques et mythologiques. De fait l’on suivra la catastrophe du «Doomsday Scenario” (progs 1141–1164 and 1167, et Megazine 3.52–3.59) des deux points de vue divergents de Dredd et de sa belle. Qui plus est le héros est doté d’une famille, aussi post-humaine soit-elle, puisqu’il est de nouveau cloné dans “Blood Cadets” (progs 1186–1188) ayant ainsi un nouveau frère, appelé Rico comme le premier dont il est une version «purifiée», et qu’il renoue avec sa famille biologique en retrouvant sa nièce Vienna Pasternak dans «Blood And Duty» (progs 1300–1301). C’est le temps, comme dans toutes les fins de cycles épiques, de remonter à l’enfance du héros:  sur le modèle des superhéros de Marvel et D.C. on assiste donc à ses «Origines» (progs 1500–1519 et 1529–1535).

Progressivement humanisé, il va contester l’apartheid en crise dans “Mutants in Mega-City One” (progs 1542–1545)  et protéger la reconstruction de la Terre Maudite dans «Tour Of Duty» (progs 1650–1693). Mais, fidèle à sa vocation (post)apocalyptique première, cette vaste saga est toujours hantée par une même tentation de la Fin, comme le montre ce “Day of Chaos” (progs 1743–1789) où le 87% de la population de Mega-City One meurt des suites d’une attaque bactériologique lancée par les survivants de East-Meg One. Ce retour des forcenés soviétiques qu’on croyait avoir définitivement écrasé dans la Guerre de l’Apocalypse n’est-elle pas à l’image d’un autre retour du refoulé, qui hante l’imaginaire impérialiste du «Monde Libre»?

C’est cette prolifération constante de ramifications narratives qui a sans doute assuré le succès sans précédent de cette série. Dredd devint vite le personnage le plus populaire du magazine 2000AD, apparaissant dans la plupart des 1800 numéros parus de ce dernier (vendus à plus de 100,000 exemplaires par semaine dans ses jours de gloire). Il a été voté meilleur comic britannique et meilleur comic de l’histoire dans les National Comics Awards, et la série a servi de tremplin à des auteurs devenus par la suite mythiques du médium tels que Garth Ennis, Mark Millar, Grant Morrison et toute la cohorte de la “British Invasion” qui allait prendre d’assaut les comic books de superhéros états-uniens. C’était la revanche des «parents pauvres» d’outre-Atlantique qui avaient précisément fait leurs armes en démolissant le mythe du All American Superhero dont Dredd était la sinistre caricature.

Dredd aura a son tour influencé d’autres figures, notamment Robocop qui en est la robotisation extrême, durcissement ultime de son corps-armure dans un film qui, grâce à l’esprit subversif de Paul Verhoeven, garda une même distance à l’égard du culte des Hard Bodies reaganiens (avec lesquels, néanmoins, on le confondit dans une lecture superficielle, ce que Jeffords analyse pertinemment dans son étude citée).Pat Mills poussera à son tour l’archétype jusqu’au grotesque absolu de la satire superhéroïque Marshall Law. Les termes de «Dredd law» et de «Dredd powers» sont désormais employés dans la vie politique anglaise en ce qui concerne la «sécuritarisation», qui n’a cessé, comme l’on sait, de dominer la rhétorique et les pratiques disciplinaires depuis l’ère de la Dame de Fer.

Son succès transmédiatique va des jeux vidéos dont l’ultraviolence ne pouvait lui rester longtemps étrangère aux chansons ironiques de différents courants qui se veulent subversifs à la façon pop de la saga elle-même, du "I Am the Law" de Anthrax à celui, homonyme, de The Human League, en passant par les "Mutants in Mega-City One" de Madness, le "Judge Yr'Self" de Manic Street Preachers ou «Drokk» du Geoff Barrow de Portishead. Une première adaptation cinématographique banalisa le personnage en pur "hard body" reaganien, celui de Stallone (emblème de cette iconographie), simplification idéologique de la création initiale (ainsi que banalisation du mythe, dépourvu du mystère de l’homme sans visage) qui provoqua un énorme fiasco (n’en déplaise à mes amis du Douteux.org, amateurs fanatiques de l’interprétation stallonienne du mantra "Je suis la Loi").

Heureusement la version de Travis et Alex Garland présentement en salle est bien plus fidèle à l’original, malgré le body count inhérent à l’esthétique transludique et le quasi-plagiat du film-choc indonésien The Raid Redemption (qui réussissait mieux à humaniser la structure vidéoludique de par le prodige acrobatique des corps livrés à eux-mêmes). Enfin on nous annonce les remakes des deux autres grands avatars de Dredd, Robocop et Mad Max: Fury Road. Serait-ce la nostalgie, dans les années de «l’enlisement» impérial états-unien, des super-héros superfascistes?

 

Bibliographie

S. Cagin et P. Dray, Hollywood Films of the Seventies, Harper & Row, 1984

J. Hyams, The Life and Times of the Western Movie, New York: Gallery Books,1983

M. Miettinen, Superhero Comics and the Popular Geopolitics of American Identity, U. Tampere, PHD, 2011

Patricia Morgan, “Crime and Punishment” (Daily Telegraph, 28 décembre 1978)

B. Tadié, Le polar américain, la modernité et le mal, PUF, 2007

I. Taylor, "Law and Order, Moral Order: The Changing Rhetorics of the Thatcher Government" In: Miliband, R., Pantich, L. & Saville, J. (eds) The Socialist Register, London: The Merlin Press, 1987

K. Theweleit, Male Fantasies, U of Minnesota Press, 1989 (2 vols).

J. B. Thoret, Le cinéma américain des années soixante-dix, Cahiers du cinéma, 2009

 

  • 1. C’est ainsi que David Howell, porte-parole conservateur, attaque la permissivité des libéraux sur la BBC le 20 avril 1979: «We are saying that if you have a background -a philosophy, let's say- which on the whole treats private effort and private property with some contempt and does not place the upholding of the rule of law absolutely as the highest priority then this creates an atmosphere in which you get vandalism, disrespect for the law and the vast increase in crimes which we have seen and that worries us very much indeed and worries many millions of people.» (I. Taylor, 299)
  • 2. Il faudrait aussi, nous dit Gramsci, réfléchir à la question «du surhomme dans la littérature populaire et de ses influences sur la vie réelle et sur les mœurs (la petite bourgeoisie et les petits intellectuels sont particulièrement influencés par ce genre d'images romanesques, qui sont comme leur «opium», leur «paradis artificiel», en opposition avec leur vie mesquine et étroite dans la réalité immédiate): d'où le succès de certains slogans [mussoliniens] comme: «il vaut mieux vivre un jour comme un lion que cent ans comme une brebis», succès particulièrement grand chez ceux qui sont justement, et irrémédiablement, des brebis. Combien de ces «brebis» disent «Oh! si j'avais le pouvoir, même un seul jour!», etc. être des «jus­ticiers» implacables, c'est à quoi aspirent ceux qui subissent l'influence de Monte-Cristo» («Origines populaires du surhomme», in Gramsci dans le texte).
  • 3. Je me permets de renvoyer ici à mon article «Cuerpos fascistas: brutalización, teratología y perversidad en el cómic altofranquista», in Studi Ispanici, Anno XXXVI/2011
  • 4. «The vigilante films, in which a larger-than-life superhuman hero battles alone against an increasingly deteriorating society in which the only recourse from crime, violence and corruption is the determined individual who acts on his own principles and commitments (...) [were] marvels of cross-purposes and a testament to the confusion and loss of social cohesion that arose out of bitter resistance to the counterculture, as well as resistance to the resistance.» (Cagin et Dray, 219). Cette confusion serait en fait dominée par un véritable instinct de mort (celui qui donne titre au Death Wish de M. Winner): «L’autodéfense est moins une perversion de la justice que la réponse aberrante et extatique d’un système parvenu à son point de rupture. On comprend alors le recours aux métaphores bibliques voir millénaristes puis que les explosions meurtrières qui concluent le film de Winner ou Taxi Driver apparaissent comme des moyens parmi d’autres de précipiter le monde vers sa Fin et de libérer enfin le trop-plein d’énergie accumulée» (J. B. Thoret, 275).
  • 5. «The superhero shares a disturbing amount of similarities with Theweleit’s fascist subjet who, like the American monomythic hero, renounces all physical needs and becomes a "man-machine" with a "steel body", an armor that contains his "over-wrought body" that yearns to explode and erupt like a bullet in battle. The similarities become even more underlined as Theweleit has chosen illustrations from both Captain America and The Mighty Thor, which contains very similar visual imagery with explosive dynamics of battle. (…) The fascist male body aims at becoming hard, impenetrable, and the imaginary superhero is this ideal realized through his hard, perfect and impeccably phallic body that surges outward and penetrates the enemy.» (M. Miettinen, 21)
  • 6. Zack Davisson, “35 Years of 200AD and Judge Dredd”, http://www.comicsbulletin.com/columns/3276/35-years-of-2000-ad-and-judge-dredd/
  • 7. Au sujet de cette dernière oeuvre, M. Miettinen s’interroge: «Is the underlying motivation behind these portrayed relationships between vigilante and law enforcement an enactment of fantasy by a society that wishes for its own Batman? Or are they critiques of this fantasy, reprimanding a lack of faith in a necessary institution? The stakes of these texts as ideological indicators depend on the answer to this question» (op cit, 43).
  • 8. «The western, like the gangster and hardboiled detective genres, grudgingly recognized the inevitability of social progress as well as the individual sacrifice involved in society’s progression" (…). Because the Westerner exists on the periphery of both the community and the wilderness, (...) his mediating function between them becomes increasingly complex and demanding (…). The logic of sending the Westerner "into the sunset" after the requisite showdown [sustains] the genre’s prosocial function while reaffirming the hero’s essential individuality.» (Hyams, 1983: 51-2)