Défense et illustration du Joker

Défense et illustration du Joker

Soumis par Francis Ouellette le 02/10/2012

 

 

Plus que toute autre forme de bande dessinée, le comic-book possède certains mécanismes narratifs qui lui sont absolument propres et qui offrent de surprenantes possibilités d’exploration conceptuelle. Les contingences mercantiles inhérentes au format sont littéralement responsables de plusieurs de ces fabuleuses explorations. Ainsi un personnage comme Batman, qui existe depuis 1939, ayant été réécrit au moins une fois tous les mois depuis sa création, et ce, au strict minimum, est le fruit d’une véritable œuvre collective en constante évolution depuis plus d’un demi-siècle; plusieurs centaines de créateurs construisant, détruisant, reconstruisant et déconstruisant ses coordonnées mythiques.

Si quelques-uns des auteurs ayant travaillé sur le personnage sont dignes des plus grands romanciers, il va sans dire que la majorité d’entre eux ne sont pas des virtuoses. Or, c’est là précisément une autre forme de contingence ajoutant de la richesse au personnage; pour toute histoire absolument horrible ou farfelue, les auteurs qui suivront sont libres de récupérer, ignorer, détruire, intégrer et recycler certains éléments qui leur sembleront pertinents. Elles peuvent devenir tour à tour des fabulations mentales, des souvenirs oubliés ou des échos d’univers parallèles. Imaginez une tentative d’unifier la Comédie humaine de Balzac aux Rougons-Macquart de Zola par un collectif d’auteurs écrivant tous le point de vue d’un seul et unique personnage sur une multitude d’axes narratifs et vous serez encore loin de ce qui est accompli depuis plus de 70 ans dans les comics de Batman. Devant cet effarant volume de créativité consacré à un seul et unique héros, on peut se permettre une réjouissante et péremptoire déclaration: il est difficile, voire même impossible, de trouver un personnage littéraire plus complexe et riche que Batman. Le comic-book et ses constituants, qu’ils soient avantageux ou non, sont un des rares médiums narratifs capables d’ériger un tel mythe.

À la lumière de ces constatations, j’ai souvent réfléchi à ce que Batman laissera comme héritage culturel dans un avenir proche. Je suis maintenant profondément convaincu qu’une des plus grandes créations littéraires du 20e siècle (et du nôtre) est née entre les pages de ce comics. J'ose une déclaration encore plus péremptoire: un des personnages les plus riches de toute la littérature américaine y a pris forme. Le Joker.

Si le Joker n’a pas nécessairement eu le nombre faramineux d’apparitions de Batman, il va sans dire qu’il est assurément le vilain le plus exposé du médium et des autres qui en découlèrent peu à peu (aucun vilain de comic-book n'a fait autant d’apparitions au grand et petit écran). Il est également un des personnages les plus protéiformes qui soient. Posons la question: en quoi le Joker serait-il sensiblement une création plus importante que Batman? C’est qu’en essayant de créer un vilain à la hauteur de cette figure de perfection héroïque et humaine qu’est Batman, les auteurs ont graduellement conféré au Clown assassin des traits de plus en plus riches et ambigus. Il en a résulté une figure charismatique et élusive, qui éclipse souvent par sa seule et unique présence tous les autres personnages, un fou furieux génial parfaitement adapté à son époque violente et cynique.

Plus Batman devenait un personnage complexe, plus Joker devenait captivant. Il est devenu lentement, mais sûrement une figure littéraire en constante expansion, à l’identité flottante, capable de se redéfinir lui-même et de se mettre en scène en tant que personnage. Il va sans dire que le Joker est désormais un archétype résolument borgésien, pleinement conscient de la place qu’il occupe dans la fiction. Le personnage métafictionnel par excellence. Dans le jargon du comics, on dit que Joker est un des rares personnages à posséder une «conscience cosmique» ou une «conscience du comics» en cela qu’il sait précisément de quoi l’univers est fait et la place qu’il y occupe. Cette capacité permet à Joker de se manifester aux lecteurs de plusieurs façons, très souvent à même les pages couvertures. Détail important: avant même de savoir de quoi l'histoire parlera, le lecteur est aspiré dans la narration sans ouvrir le comics.

La superbe page couverture de BATMAN # 321 en est un exemple exceptionnel; elle devient un faire-part pour l'anniversaire de Joker! 

Batman #321

La cruauté inventive dont fait preuve le personnage est une mise en scène qu’il élabore consciemment pour divertir le lecteur (avec la complicité des auteurs... diront certains). Il est constamment sur scène et les gens sont des accessoires dont il se sert à sa guise. 

The Killing Joke, par Brian Bolland 

Vote for Me... or I'll Kill You.

Pour Joker, l'existence est une monstrueuse blague ou nous ne contrôlons à peine que le punchline. Derrière le quatrième mur, le Joker est un souffleur. Conséquemment, le personnage sait très souvent se faire un habile philosophe (un aspect magnifiquement bien saisi chez le Joker du film de Nolan) et un encore plus redoutable métaphysicien.

The Killing Joke, par Brian Bolland

Selon les déclarations de leur créateur Bob Kane, Bill Finger et Jerry Robinson (la paternité du personnage reste floue, mais on considère généralement que le concept de base vient de Robinson), la source d’inspiration première fut le chef-d’oeuvre expressionniste L’homme qui rit (Paul Leni, 1928), dont le héros éponyme était incarné par Conrad Veidt1.

L'homme qui rit, par Conrad Veidt

L’aspect physique du Joker y est déjà presque en totalité, mais aussi une dimension tragique dont le spectateur est complice, proposée par des plans de caméra habiles et suggestifs, un aspect que les meilleurs auteurs de Joker sauront exploiter à merveille.

Ce que Joker empruntera au cinéma, il le lui rendra par ailleurs au centuple. Dans une scène de ce film adapté du célèbre roman de Victor Hugo, le rictus figé en permanence du héros tragique Gwynplaine est révélé au spectateur en gros plan, le visage bien centré par la caméra, passant le visage à travers un rideau (celui du quatrième mur). Pour la première fois, il tente de passer dans notre monde.

L'homme qui rit, par Conrad Veidt

Joker, par Bob Kane

Initialement, Joker est un trickster qui élabore copieusement des crimes thématiques; cartes à jouer, jeux piégés, vols avec indices laissés derrière. Fait peu mentionné: il est aussi un assassin d'entrée de jeu. Dès sa première apparition (Batman #1-1940), il laisse derrière lui 3 victimes au visage couvert d'un rictus, courtoisie d'un poison de sa confection, son venin. Il fait par ailleurs l'annonce de ces meurtres à la police avant même de les commettre; Dark Knight, le dernier film de Christopher Nolan reprendra ce modus operandi dans son entièreté. Déjà, sans pour autant interagir directement avec le lecteur, le Joker apparaît comme un personnage soucieux d’appliquer un certain sens du panache dans la mise en scène de ses meurtres, un esthète du crime, un Moriarty pour le genre noir. Comme s'il était soucieux d'un public qui pourrait l'observer. Si les supervilains sont des adeptes du soliloque, Joker se fait un devoir de communiquer les siens aux lecteurs en leur faisant face. 

Joker (1940), par Batman #1

Alors que les décennies passent, les mises en scène du personnage deviendront un théâtre grandiloquent de la cruauté. Dans une série portant son nom publiée dans les années 70, il ne tuera pas moins de 7 personnes, un nombre effarant pour l'époque. On le verra tour à tour violer des gens après les avoir dépouillés de leur peau, faire exploser des autobus pleins d’enfants, forcer des parents à manger des soupes constituées de leurs rejetons et assassiner une massive partie de la ville de Gotham avec une pluie de verre empoisonnée. Le nombre de meurtres perpétrés par le personnage dépasse les milliers (même en excluant les histoires où il prend possession de pouvoirs faramineux comme EMPEROR JOKER et va jusqu'à détruire l'univers!)

Wix.com Joker, par cruxxis

De sa propre déclaration, Joker se considère le Orson Welles de la mise en scène criminelle. Pour les autres, Joker est un fou ne reconnaissant pas la valeur de l’existence humaine, tantôt espiègle, tantôt meurtrier, à la convenance de ses inspirations. Ses gestes sont pour lui sans conséquence parce qu’il possède, à des degrés variant d’un auteur à l’autre, une conscience de sa propre fonction diégétique. Plusieurs moments inoubliables définiront le personnage selon cette perspective. Joker restera cet esthète de la cruauté charismatique jusqu'aux années 60. It was the best of time. It was the worst of times... 

Joker, par Cesar Romero

Le succès de la série Batman fait autant de bien au personnage de Batman qu'elle lui fera du tort, consolidant une image du personnage unidimensionnelle qui n'a que très peu à voir avec le comic-book original. Forcé de suivre le succès de la série pour conserver son public DC comics émule les histoires mièvres de la série télé entre ses pages pendant quelques années.

Symptomatiquement, le Joker disparait des planches le temps de la série télé. Délicieuse ironie: la conscience cosmique de Joker irait donc jusque-là?

La série télé terminée, l'auteur Dennis O'Neil et l'illustrateur Neil Adams réincarneront le personnage dans une histoire désormais classique,"The Joker's Five Way Revenge" (Batman #251,1973).

Batman #251, par Neil Adams

Retour aux sources. Joker est plus intelligent et cruel que jamais. Dennis O'Neil était initialement un journaliste de formation spécialisé dans les affaires criminelles. DC Comic, inconfortable avec ses histoires un tantinet trop glauques de drogue, de mafieux et d'assassin (on rappelle qu'O'Neil est responsable de plusieurs histoires classiques aux accents fortement politisés), on lui demande d'inclure plus de véritables "super-vilains" à ses histoires. Il réintroduit donc le Joker, mais engonçant dans le personnage toute le cruauté dont il a été témoin durant ses années de journalisme. C'est ce Joker qui dominera par la suite.

Joker 0117, par DC Comics

Nombreuses seront les pages couvertures de comics où il s'adresse au public durant cette période. C’est probablement dans Death in the Family (1988, de Jim Starlin et Jim Aparo) que Joker passe littéralement le quatrième mur pour la première fois, du moins de manière conceptuelle -cette distinction revient en fait au Killing Joke d'Alan Moore, publié quelques mois auparavant, mais la métatextualité de Joker y est infiniment plus subtile. Dans cette histoire où on le voit, terrifiant, battre au seuil de la mort Robin à grand coup de barre à clou, le personnage nous est montré de face, comme un chef d’orchestre s’agitant dans une symphonie grand-guignolesque.

A Death in the Family, par Jim Aparo et Mike DeCarlo

Hannibal Lecter n’en fera pas moins 3 ans plus tard dans SILENCE OF THE LAMBS. Juste retour des choses, puisque Anthony Hopkins fut choisi pour jouer le super-psychopathe créé par Robert Harris pour une seule et unique raison, à mon humble avis; il est un hommage qui crève les yeux au Riddler de Frank Gorshin dans la série de Batman des années 602.

The Silence of the Lambs, par Jonathan Lemme

Dans ce meurtre unique dans l’histoire du comics, Joker avait une légion de complices; la mort de Robin était le résultat d’un vote populaire organisé par DC comic permettant de déterminer auprès des lecteurs si Robin devait mourir ou non. Un processus qui émule les beaux jours du cinéma interactif de William Castle; dans son film de 1961 Mr. Sardonicus, les spectateurs pouvaient décider de la mort du personnage principal, aux traits décidément familiers...

Mr. Sardonicus, par William Castle

Une majorité écrasante de lecteurs voudront la mort de Robin. Joker jouait donc déjà avec ce principe de complicité des lecteurs. Dans ces cases désormais classiques, le Joker semble jouir de notre participation à la tuerie. Après tout, les gens voulaient bel et bien voir Robin mourir. Joker remporte à ce moment sa première grande victoire contre Batman. Les lecteurs l'adorent. Par la suite, ils seront souvent les complices coupables du Clown du crime.

Joker a défoncé le quatrième mur en faisant de nous ses complices3.

Les grands auteurs de «l’invasion britannique», Alan Moore et Grant Morisson en tête, véritables chantres du déconstructivisme narratif, se feront un plaisir d’amener par la suite le personnage dans des zones d’explorations pures. Au début, avec le choc du séminal The Killing Joke (1988), où une potentielle origine du personnage est élaborée. Le clown la démentira à plusieurs reprises, la proposant simplement comme une histoire parmi tant d’autres. Dans cette page magnifique dessinée par l'artiste de The Killing Joke Brian Bolland, on constate que la conscience méta textuelle de Joker va jusqu’à ses incarnations cinématographiques: 

The Origin of the Joker.

Dans cette origine proposée par Alan Moore, un seul aspect ne semble pas avoir été envisagé par Joker (peu de gens semblent faire le lien, étrangement); il est une variation sur le thème d'origine de Plastic Man, personnage avec lequel il partage bon nombre de caractéristiques; morphologie, passé de criminel raté, sens de l’humour douteux, folie et personnalité malléable. Alan Moore aura probablement fait ce subtil emprunt tout à fait volontairement. Dans ce texte aussi dense qu’il est court, Joker prend conscience de l’absurdité de son existence après sa renaissance dans un baptême de feu au produit chimique. Caquetant son premier rire, il se retourne vers le lecteur et le regarde droit dans les yeux, dans un dessin désormais légendaire. 

 

The Killing Joke, par Brian Bolland

Joker est né.

Il est maintenant conscient de la nature de l’univers dans lequel il vit; c'est une gigantesque farce qui ne fait pas le moindre sens (c'est une histoire sur laquelle il n'a pas le moindre contrôle) . Dans un monde où le chaos est la seule constante, la cruauté est une réponse logique. Pour la première fois, le Clown prince du crime s’adresse directement aux lecteurs dans une série de narrations particulièrement acides sur la banalité des gens normaux.

The Killing Joke, par Brian Bolland

Il fait aussi cette surprenante déclaration, lorsque Batman propose de l'aider:

The KIlling Joke, par Alan Moore et Brian Bolland

C’est aussi dans The Killing Joke que Joker effectue sa deuxième grande symphonie de la cruauté; il fusille Batgirl, (on suppose aussi qu’il la viole) pour ensuite montrer des photos de son corps tuméfié à son père, le commissaire Gordon, séquestré, humilié et en état de choc. Dans un plan de caméra subjective évoquant la première scène brisant le 4e mur de l’histoire du cinéma dans The Great Train Robbery (1903), Joker nous pointe littéralement de son arme à feu, nous narguant. Rien ne pourra l'arrêter.

 

En 2007, Geoff John revisitera cette histoire en intégrant dans la trame narrative le personnage de Booster Gold (Booster Gold no.2 "No Joke", observez la page couverture rendant hommage à The Killing joke), un voyageur temporel chargé de stopper ce crime. Il aura beau essayer plusieurs fois de manières différentes de reculer dans le temps pour changer ce moment, il n'y arrivera jamais. Joker est littéralement conscient de ce qui va se passer toutes les fois. Le chaos de son monde lui appartient. Il en est un puissant avatar. 

Booster Gold, par DC Comics

Le modus operandi présenté dans Death in the Family est ici répété: Joker attaque un protégé de Batman et l’essentiel des sévices se passent hors-champ. Dès lors, le Joker s’adressera régulièrement au spectateur en tant que narrateur ouvertement omniscient; il le fera souvent avec brio et pour notre plus grand bonheur dans la brillante série animée de Bruce Timm The Batman adventures.

Dans la première histoire du Batman 80 page Giant intitulée Reality Check (Peter Miriani et Szymon Kudranski, 2011), Joker entretient une conversation à propos de ses «amis imaginaires» avec un prétentieux prédicateur de thérapie psycho pop. D'entrée de jeu, il annonce au thérapeute qu’il le tuera à la toute fin de l’histoire. Nous aurons droit à la thérapie au grand complet, des tests de Rorschach jusqu'à la psychanalyse. C'est en fait aux lecteurs que le Joker se confie tout au long de cette histoire. Particulièrement en lui servant le mantra des adeptes de la magie du Chaos: rien n'est vrai, tout est permis. Observez la case numéro six: «J'ouvre les yeux et observe le monde... et pour la première fois, je vois directement à travers, de l'autre côté…»
On confirme ici l'approche d'Alan Moore. Joker a vu ce qu'il y a de l'autre côté du monde: il y a nous, les lecteurs. 

 

Le thérapeute demande à Joker s'il a déjà considéré que ses fans imaginaires sont probablement le fruit de son imagination. La réponse du Joker dit tout. Joker n’a pas d’amis imaginaires; il a un public comme lui, assoiffé de sang.

 

Après le meurtre du thérapeute, Joker regarde le lecteur et lui fait ses salutations.

Dans l'histoire intitulée Laughing Fish (Batman #475, 1978), il tourne lui-même la page du comics en souriant au lecteur. Le Joker sera également le narrateur omniscient d’une mini-série où il présente d’autres vilains de l'univers de Batman incarcéré dans l'Asile d'Arkham, Joker's Asylum, à la manière de Tales from the Crypt et de son présentateur, The Cryptkeeper.

Joker passera d’ailleurs une majeure partie de son temps entre les murs de cet asile. Le lecteur sait que son incarcération est volontaire; il est là chez lui et il peut en sortir quand il veut. C’est dans le Arkham Asylum (1989) de Grant Morrison qu’on propose un aspect du personnage pour la première fois: Joker serait en fait atteint d’une forme de super équilibre mental lui permettant de s’adapter à la dureté des drames qui ont criblé son existence. En outre, la connexion que Joker possède avec l’Asile est presque de nature mystique. La conscience quasi chamanique du personnage semble y agir comme un catalyseur.

Arkham Asylum, par Grant Morrison

Cette image puissante confirme cette théorie:

Joker est dépeint comme une figure vampirique, il est un parasite se nourrissant de la folie et de la tristesse traversant les couloirs de l’Asile, qui a en retour besoin de lui pour se donner une voix. Dans Arkham Asylum, le clown n’est rien d’autre que le locuteur de l’âme damnée des lieux. Joker est à l’asile d’Arkham ce que Jack Torrance sera pour l’Hôtel Overlook dans The Shining (Jack Nicholson, Jack Torrance, Jack Napier… Joker… Jack, Jack Jack, Saucy Jack). Dans la fable de Morisson, le talent de l’artiste Dave Mckean contribue profondément à exalter la mystique du personnage. Joker y est en effet le seul à ne pas posséder de phylactère et la taille des lettres lorsqu’il parle est variable. Son langage est ici dépouillé de tout encadrement, libéré de sa structure, à l’image même du personnage. Joker gagnera une autre des ses nombreuse victoires en disant ces mots troublants à Batman, lui prouvant que leur relation est bien plus profonde que le héros voudrait se l’avouer: «Souviens-toi Batman... si la vie devient top dur dehors... tu es ici chez toi!». Plus encore, dans un moment inoubliable de la bédé, Joker donne une solide claque sur les fesses de son ennemi et fait des références plutôt salaces aux jambes bien douces du jeune Robin:

Arkham Asylum, par Grant Morrison

L’identité de Joker est absolument libérée de toutes contraintes, y compris de nature sexuelle. On se souviendra du costume d’infirmière de Heath Ledger dans le film de Nolan. Profondément et ouvertement sadomasochiste, il obtient autant de plaisir à torturer qu’à recevoir les coups virils de Batman. En fait, on pourrait théoriser que le plaisir sexuel de Joker passe par Batman.

Quand le Joker se retrouvera affublé d’une petite amie, Harley Quinn, dans le dessin animé Batman Adventures, elle deviendra vite la figure de l’esclave sexuelle parfaite, satisfaite seulement dans la servitude.

Ce personnage créé pour l’émission, jeune psychiatre poussée à la folie par Joker, deviendra si populaire qu’elle sera intronisée dans le canon de la bande dessinée. Permettons-nous ici une digression: ce n’est pas les auteurs qui ont voulu cette transition, mais bel et bien Joker, conscient de ses divers degrés d’existence diégétique, qui a trainé sa copine d’un médium à l’autre. Il verbalisera d’ailleurs souvent à la belle à quel point, il regrette sa décision. Dans les comics, la dimension sexuelle du personnage sera pleinement exaltée, jusqu’à la voir affublée d’un costume de latex digne des plus grandes soirées fétiches.

The Joker & Harley Quinn.

C'est dans un comics mettant en scène ce personnage, le Mad Love de Paul Dini et Bruce Time qu’on comprendra le plus profondément les motivations du Joker. Harley Quinn réussira presque à tuer Batman, ce qui entrainera le courroux de son amant. Pour Joker, il n’est pas simplement question de tuer Batman. Il est question de le faire avec élégance. Plus encore, il n’est même pas question de le tuer du tout; Batman lui appartient.

 

Bibliographie sommaire

A. J. Porter (éd.), Batman Unauthorized: Vigilantes, Jokers, and Heroes in Gotham City,Smart Pop, 2008

L. Daniels, Batman, The  Complete History, Chronicle Books, 2004

M. D. White, Batman and Philosophy: The Dark Knight of the Soul, The Blackwell Philosophy and Pop Culture Series, Wiley, 2008

 

  • 1. La série lui rendra directement hommage dans Batman: The Man Who Laughs (Ed Brubaker et Doug Mahnke, 2005) qui fait suite à Batman: Year One.
  • 2. Le Riddler de Gorshin avait pour plusieurs fans plus à voir avec le Joker que l'interprétation de Cesar Romero. En quelque sorte, il en allait de même pour Jim Carrey et son interprétation. Il ne faisait pas un bon Riddler, mais il aurait été un Joker magnifique.
  • 3. Rappelons que le film Funny Games (1998) de Michael Haneke, qui sortira une décennie plus tard, jouait précisément sur un principe méta fictionnel de complicité entre le créateur-spectateur-personnage dans la démonstration de la violence (dans le remake de 2007 de Haneke, le personnage de tueur joué par Michael Pitt ressemble à s'y méprendre au Joker interprété par Heath Ledger dans The Dark Knight. Ces coïncidences inquiétantes gravitent souvent autour du personnage).