The Smart Bunny

The Smart Bunny

Soumis par Christophe Becker le 19/08/2012
Institution: 

 

SMART BUNNY, ou nature et fonction de Kilgore Trout, personnage et écrivain imaginaire dans et hors les romans de Kurt Vonnegut.

«You were sick, but now you’re well, and there’s work to do.»1

La réédition de grands classiques de la littérature, de très nombreuses années après leur publication originale, a eu pour résultat de largement occulter la question de l’auteur, de l’artiste qui prend en charge son œuvre. Car, s’il est aujourd’hui admis, à la fois par convention et de par la loi, que le nom d’un auteur doit être mentionné sur les plats2 comme sur la tranche des livres, des écrivains aujourd’hui intégrés à un patrimoine littéraire universel, des romanciers, des chroniqueurs, des essayistes, n’ont pu eux-mêmes signer leurs textes. Leurs ouvrages, à l’origine publiés sans mention d’un patronyme ou sous astéronyme3, étant à verser à la liste écrasante des ouvrages anonymes, soit que l’identité de l’auteur n’ait pu parvenir jusqu’à nous, soit que ces ouvrages aient été rédigés collectivement.

Si l’anonymat a pu être un choix pour un nombre non négligeable d’auteurs, celui-ci faisait écho, dans une grande majorité de cas, à une crainte; crainte de représailles politiques – auxquelles tente de se soustraire Thomas Paine en publiant anonymement Common Sense en 17764; plus récemment Henri Alleg qui dénonçait la torture en Algérie dès 19585 –, de représailles religieuses – Le Traité théologico-politique de Spinoza publié sans mention du nom du philosophe en 16706 –; l’inquiétude est ici d’autant plus légitime que nombre de ces auteurs, une fois passée la divulgation de leur identité, ont du payer leur travail de peines de prison – ce fut le cas pour Daniel Defoe embastillé en 1703 à la prison de Newgate pour avoir mis en cause l’Eglise Anglicane7.

D’autres cas, plus rares, témoignent de convenances personnelles et entérinent l’idée selon laquelle la vie de l’auteur, ses antécédents, ses angoisses comme ses inimitiés, s’invitent également à la réalisation de l’œuvre littéraire et plus largement artistique en définitive ouverte sur le monde. Voltaire qui met rudement en cause Jean-Jacques Rousseau tout en étant protégé par son incognito; Edgar Allan Poe, souhaitant que sa famille perde à jamais sa trace8; l’anglais Stanislas de Rhodes estimant que son roman érotique The Autobiography of a Flea publié en 1887 pourrait entamer sa réputation d’homme de loi sévère et avisé.

Ces exemples confirment qu’un acte qui semble a priori banal – signer son œuvre et son travail, revendiquer sa réalisation – est porteur de sens comme de contraintes nouvelles. L’anonyme peut être le sujet d’enquêtes de la part de lecteurs enthousiastes, parfois envahissants, voulant connaître l’auteur des mots, des phrases qui les ont émus, de bibliographes ou philologues comme Antoine-Alexandre Barbier animés par un esprit scientifique9, mais également de censeurs de tous horizons qui comptent exercer le droit, ou réclamer vengeance.

Aussi les auteurs anonymes jouent eux-mêmes de stratégies plus ou moins nettes pour induire le lecteur en erreur et garantir leur tranquillité mais aussi leur liberté d’action – en choisissant le nom d’une personne du sexe opposé, par exemple, ainsi George EliotGeorge Sand et James Tiptree, Jr sont des femmes10 tandis que Lady Sutton Smith et Cleo Birdwell sont des hommes11; en changeant leur nationalité – Boris Vian prenant la nationalité et le nom de Vernon Sullivan venu d’une Amérique «pays de Cocagne» et de «l’enfoncez-vous-bien-ça-dans-la-tête»12; de religion – l’auteur anonyme de Les Protocoles des Sages de Sion (1901) revendiquant la religion juive afin d’attiser l’antisémitisme; plus rarement en changeant d’espèce.13

L’anonymat, loin de se résumer à une feinte, est, en réalité, la prémisse de nombreux jeux de pistes et de constructions dédaléennes qui participent, à part entière, à la littérature. L’auteur, au même titre que le personnage, est véritablement une fabrication de l’esprit; c’est une épaisseur derrière laquelle l’écrivain choisit de camoufler tout ou partie de sa personne, de construire une identité neuve avec son histoire, son ou ses parcours imaginaire(s)14; c’est ainsi un jeu d’esprit pour François Rabelais qui se cache derrière l’anagramme de son nom véritable – Alcofribas Nasier; un tour de force fictionnel pour Emil Ajar, alias Romain Gary, qui fuit le regard de ses contemporains et met son double en scène, comme autant de «stratégies d’une identité mobile»15 qui prolongent son travail d’écriture; un trompe l’œil avec la multiplication des noms de plumes d’Antoine Volodine qui renvoie à une œuvre par essence labyrinthique16; c’est enfin un escamotage pour Cleo Birdwell, en réalité Don DeLillo qui souhaite faire oublier qu’il a commis un texte estimé embarrassant et qu’il préférerait voir rayé de sa bibliographie17.

L’artifice est presque toujours transitoire, et, en définitive, bien mince: c’est encore et toujours Vian qui meurt en voyant l’œuvre de Sullivan maltraitée au cinéma, non son alter ego américain18, et l’œuvre ne se départ jamais réellement de son bon génie.

Parmi ces pseudonymes, un, en particulier, attire notre attention – il s’agit de Kilgore Trout, écrivain de science fiction. Auteur du roman Venus on the Half-Shell, publié en 1975 chez Dell Publishing, Trout est un écrivain d’autant plus difficile à cerner que son œuvre est rare. Sa bibliographie, reproduite avec les premières pages du roman comporte dix-sept titres dont seul Venus on the Half-Shell est disponible19.

Trout est effectivement un auteur discret, absent des plateaux de télévision, peu interviewé, et Pierre Versins de confirmer dans son Encyclopédie de l’utopie des voyages extraordinaires et de la science fiction que le public «aimerait bien avoir quelques renseignements bibliographiques sur lui»20, ou qu’une «thèse sur l’œuvre trop négligée de cet auteur serait particulièrement bienvenue»21 tout en recensant «plus de soixante-cinq romans populaires de science-fiction»22 signés par Trout – une différence bibliographique qui pose dès à présent la question de la fiabilité des sources touchant à cet auteur.

Bien que discret, Trout n’est pas oublié dans les commentaires ou les références que quelques-uns de ses coreligionnaires font de son œuvre. Salman Rushdie, par exemple, qui l’évoque dans son roman The Ground Beneath Her Feet en tant qu’«écrivain américain célèbre» (280) pourtant absent des anthologies des écrivains de science-fiction les plus récentes.

Trout, comme nous l’indiquons dès le sous-titre de notre article, est bel et bien un «écrivain imaginaire» issu de l’imagination de l’écrivain Kurt Vonnegut (1922 – 2007), et Venus on the Half-Shell a en réalité été écrit par l’américain Philip Jose Farmer (1918-2009), plus connu pour la série de romans Riverworld.23

Pas plus qu’il n’a imaginé le nom de Trout ou ses pérégrinations américaines, Farmer n’a inventé le titre du roman Venus on the Half-Shell mentionné dans God Bless You, Mr. Rosewater, or Pearls Before Swine de Vonnegut en 1965:

Fred (…) picked up what looked like one hell of a sexy paperback novel, Venus on the Half-shell, by Kilgore Trout, Rosewater. (160)

Les ressorts de la narration sont eux-mêmes tirés d’un résumé du roman écrit par Vonnegut. Ce résumé, reproduit sous le titre «Seduction on Shaltoon» dans l’édition Dell sert de cadre au travail d’écriture de Farmer.

Trout joue un rôle bien particulier dans la littérature postmoderne, comme l’indiquent les renvois ou clins d’œil de Rushdie qui préfère nommer Trout que Vonnegut dans le corps de son texte – autrement dit en entretenant la fable qui voudrait que Trout, auteur, est bien une personne physique, un individu de chair et d’os.

Le personnage de Trout a été inspiré par un écrivain américain, bien réel celui-là: Theodor Sturgeon (1918-1985), écrivain de science-fiction que Vonnegut invite à diner chez lui en compagnie de son épouse dans les années 1950 dans sa maison de Cape Cod. Sturgeon est une figure importante pour Vonnegut qui peut, certes, se retrouver dans son énergie, sa puissance de travail qui le laisse hagard après avoir passé plusieurs jours à écrire sans discontinuer, mais qui, par dessus tout, voit dans cet homme maladroit et un rien ridicule24, sans lecteurs et ignoré par la critique, un miroir terrible qui lui montre, à peine déformé, son avenir possible. Kilgore Trout nait dès lors comme un personnage multiforme, liant dans un même élan Sturgeon l’écrivain amer, Vonnegut, inquiet des coups que lui réservent sans doute possible la carrière d’écrivain, ainsi que d’autres individus – comme Kurt Vonnegut, Sr..

Le nom de Kilgore Trout est un jeu de mot transparent formé sur le nom de Theodore Sturgeon – «Trout», pour «truite», «Sturgeon» pour «esturgeon». Monica Loeb remarque quant à elle que les noms complets de Vonnegut et de Trout comportent le même nombre de lettres, et que la première et les deux dernières lettres du nom de famille sont les mêmes, confirmant ainsi un lien – qui reste à définir – entre l’homme et son personnage.25

Dès cet instant, Trout va devenir le personnage central de l’œuvre de Vonnegut. On peut trouver le personnage dans cinq de ses romans: God Bless You, Mr. Rosewater, or Pearls Before Swine (1965), Slaughterhouse-Five, or The Children’s Crusade: A Duty-Dance with Death (1969), Breakfast of Champions, or Goodbye Blue Monday (1973), Jailbird (1979), Timequake (1997); romans dans lesquels le lecteur trouvera quelques-uns de ses traits de caractère, ainsi qu’une description physique, somme toute sommaire, qui esquisse un portrait de l’auteur plus qu’une représentation détaillée et solide.

Trout est «maigre»26, a des «dents biscornues»27. Plus étrangement, il a des «pieds artistiques»28. Il est «solitaire»29 et porte une barbe fournie – une description qui va permettre à Philip José Farmer de camper un Trout crédible sur le cliché du quatrième de couverture de l’édition de Venus on the Half-Shell (Dell Books).

Tout ou presque chez Trout renvoie à Kurt Vonnegut. Au métier de l’auteur, à la réalité d’un écrivain considéré, à tort ou à raison, comme un écrivain de genre, mais également à des détails intimes, comme à cette figure de père, si importante pour Vonnegut («Kilgore Trout had my father’s shins. They were a present from me»30; «Kilgore Trout looked like my father»31).

Il est possible, en étudiant les textes de Vonnegut et en recouvrant les informations que l’écrivain abandonne au lecteur, d’établir un semblant de chronologie et donc de biographie de Trout, et de mieux comprendre le rôle que Vonnegut compte donner à son personnage.

Tout d’abord, Trout est citoyen américain, né aux Bermudes32. Marié trois fois, il a un fils, Leon Trout, exilé en Suède pour ne pas devoir partir combattre au Vietnam, et qui perd la vie dans un accident sur un chantier maritime; son fantôme est le narrateur de Galápagos: A Novel, 1985. Kilgore Trout est lui-même le fils de Leo Trout33, ornithologue aux Bermudes, l’homme qui a tué sa mère alors que Trout avait douze ans34.

Trout n’a pas terminé le lycée; c’est un autodidacte35. Il est lieutenant dans l’armée pendant la Seconde Guerre Mondiale36, une période qui l’a profondément marqué, comme ce fut le cas pour Vonnegut bouleversé par les bombardements de la ville de Dresde en février 1945.

Destiné à devenir «l’un des êtres humains les plus aimés et les plus respectés de toute l’histoire»37, Trout est un auteur très pauvre, largement inconnu hormis des amateurs du genre38, il est obligé de travailler pour continuer à écrire. Il vend, par exemple, des fenêtres en aluminium39; il est employé aux stocks40. Des métiers systématiquement ingrats et que Vonnegut connaît bien pour avoir été lui-même vendeur de voitures; des métiers, enfin, qui rappellent continument la peur du jeune écrivain, de terminer sa vie à la manière de T. Sturgeon.

Plus étonnant, sans doute, pour qui a suivi son parcours, Trout reçoit le Prix Nobel de Médecine en 197941 – une information sur laquelle Vonnegut ne reviendra plus dans le texte, et qui souligne à quel point la biographie de Trout, qui se nourrit de détails mais n’explicite jamais les faits les plus importants, participe d’un trait d’humour pour Vonnegut qui frustre à dessein son lecteur d’éléments biographiques potentiellement essentiels à la narration.

Les qualités littéraires de Trout sont présentées comme discutables. Les romans de Vonnegut sont bien souvent l’occasion de mettre en avant de façon lapidaire quelques-unes des idées de Trout, résumées ainsi en quelques traits rapides, et le plus souvent farfelues, qui font écho à l’écrivassier pulp, coupable d’écrire des romans au kilomètre:

It was about an Earthling man and woman who were kidnapped by extra-terrestrials.42

Another Kilgore Trout book there in the window was about a man who built a time machine so he could go back and see Jesus.43

Kilgore Trout once wrote a story called "This Means You." It was set in the Hawaiian Islands (…). Every bit of land on the islands was owned by only about forty people, and, in the story, Trout had those people decide to exercise their property rights to the full. They put no trespassing signs on everything.44

The novel in question, incidentally, was The Smart Bunny. The leading character was a rabbit who lived like all the other wild rabbits, but who was as intelligent as Albert Einstein or William Shakespeare.45

Chaque roman ainsi évoqué se résume à une trame entièrement tournée vers une morale simple, voire simpliste puisqu’elle se résume à une même formule sempiternelle46, aux mêmes thèmes remâchés47; jamais le style n’entre en compte48, et Trout est bel et bien un écrivain sans écriture, un homme sans style que Rosewater, un autre personnage récurrent chez Vonnegut, réduit à un auteur qui ne sait pas écrire, mais sait néanmoins manipuler des idées («Kilgore Trout’s unpopularity was deserved. His prose was frightful. Only his ideas were good»49). Les trames narratives employées par Trout reprennent systématiquement le schéma de l’histoire drôle (protagonistes anonymes signalés par «a man», «a woman» «people» ou bien au nom ridicule50, etc…; abandon de tout détail superflu qui ne participerait pas d’une chute).

Il est le plus souvent édité par d’obscures maisons d’éditions – comme World Classics Library – qui les font paraître comme des romans pornographiques agrémentés de photographies graveleuses. Les titres de ces textes sont modifiés au fur et à mesure de leur publication sans que jamais Trout ne soit consulté, et si le nom de l’auteur est mentionné par les journalistes celui-ci est mal orthographié tandis que les informations bibliographiques le concernant sont erronées («Trout’s name was given as Kilmer Trotter, incidentally, address unknown. His age was given as eighty-two»51) – autant d’indications qui confirment que rien n’est jamais tout à fait établi en ce qui concerne l’écrivain de science fiction.

Comme de nombreux écrivains pulp, Trout est un écrivain prolifique, «peut-être l’auteur de nouvelles le plus prolifique de l’histoire»52, il laisse deux-cent neuf romans, dont un inachevé, au moment de sa mort53. Il est également l’auteur d’un seul et unique poème de trois lignes tout au plus:

When the tupelo/ Goes poop-a-lo/ I’ll come back to youp-a-lo»54

La rime est riche, inélégante, et fait assez peu penser à de la poésie. Les pieds ne sont pas réguliers, la rime est forcée. A vrai dire, le modèle employé par l’auteur est celui de la chanson populaire à la rime facile et sans grande prétention artistique. Personne n’est dupe, et Trout lui-même condamne son travail. Il ne possède d’ailleurs aucun de ses textes. Il méprise, enfin, son œuvre littéraire («He had no copies at home. He despised them»55; «Trout had never thought of himself as Worth a hill of beans as a writer»56).

Les premières apparitions de Kilgore Trout renvoient le lecteur aux schémas actanciels tels qu’analysés par Souriau ou Greimas57. Trout étant défini nettement au travers de plusieurs fonctions narratives selon le roman. Il est force orientée, ou sujet qui fait progresser l’action. Il est adjuvant. Figure de l’écrivain éprouvé calquée sur Sturgeon, Trout est l’outil idéal qui doit permettre à Vonnegut de consolider des réseaux de personnages – Trout est une référence commune à d’autres actants comme Rosewater ou Billy Pilgrim –, surtout d’exposer ses doutes quant au travail d’écriture.

Trout est alors un double fictif, une quasi-personne différente à la fois de Vonnegut et de Sturgeon, qui va permettre, comme le note Jésus Lerate de Castro, d’apporter un «contrepoint humoristique au sein du roman»58.

Cette fonction va toutefois être rapidement remise en cause, puisque les indices que Vonnegut fournit sur son personnage, le tout sur vingt-deux ans, ne sont pas eux-mêmes sans poser question. Il existe effectivement un problème de continuité d’un roman à l’autre – problème qu’il est difficile d’imputer à une maladresse de la part de l’auteur puisque les imprécisions auraient pu facilement être corrigées à mesure des rééditions du roman. Ainsi le père de Trout est nommé «Léon» dans Breakfast of Champions et rebaptisé «Raymond» dans TimeQuake.

Les dates de vie et de mort du personnage varient également. K. Vonnegut, qui dessine lui-même la pierre tombale de son personnage, y inscrit: «Kilgore Trout/ 1907-198159/ "We are healthy only to the the extent that our ideas are humane."» (Breakfast of Champions, 16), avant de se décider pour d’autres dates. Dans Timequake, Vonnegut écrit que Trout nait en 1917 et meurt en 2001; l’entretien – imaginaire – entre Vonnegut et Trout publié dans These Times indiquant que Trout met fin à ses jours le 15 octobre 2004 après qu’une voyante lui ait prédit la réélection du Président George W. Bush avec l’appui de la totalité du vote noir.60

En changeant ces détails dans la biographie de Trout, l’écrivain sait que c’est toute la structure de son roman qu’il met délibérément en péril. Comme les cinéastes Shohei Imamura ou Alejandro Jodorowsky faisant un pas de côté pour se filmer eux-mêmes en même temps que l’action de mise en scène, et soulignant l’artifice de l’image cinématographique que le spectateur, plongé dans l’action du film, tendait à oublier61, Vonnegut n’a dès lors de cesse de souligner l’illusion de la structure de l’œuvre écrite qui ne tient qu’au bon vouloir de l’écrivain. Lui qui multiplie les renvois proleptiques dans ses textes, allant jusqu’à indiquer au commencement d’un texte le mot sur lequel celui-ci s’achèvera62, s’amuse à rendre visible au lecteur le fait que le texte ne suit pas le déroulement continu et pour ainsi dire rythmé de l’existence humaine: c’est un objet mental avec sa propre temporalité que Trout finit de mettre en lumière par le biais d’une caractérisation inhabituellement précaire.

Le roman Jailbird finit par réduire à néant toute tentative de biographie, puisque le lecteur y apprend que Trout se nomme en réalité Robert Fender, docteur en médecine vétérinaire condamné à vie pour acte de trahison commis pendant la guerre de Corée. Trout est alors l’un des noms de plumes de Fender, écrivain de science-fiction prolifique, au même titre que Frank X. Barlow63.

Ces révélations, détaillées par le narrateur Walter F. Starbuck, personnage lui-même fictif, lors de parties dialoguées qui ne sont pas prises en charge par le narrateur, sont d’autant plus déstabilisantes qu’elles ne permettent de fixer aucune réalité. La description de Trout, dorénavant Fender ou Barlow, évolue à son tour vers un individu «grand» et «aux os massifs». En appuyant sur une hypothétique ressemblance avec Charles Augustus Lindbergh Sr.64, Vonnegut décrit finalement un homme élégant, sérieux, qui se démarque largement du portrait d’un Trout épais et malhabile, campé par un Albert Finney vieillissant dans l’adaptation que fait Alan Rudolph du roman Breakfast of Champions en 199965.

La fiction n’est plus simple, ni même double, mais multiple et incertaine; elle est capable de soubresauts, d’autant de confirmations que de reniements, de retournements plus ou moins spectaculaires – et l’on peut voir Trout mourir, puis ressusciter plusieurs textes plus tard. D’autres questions restent sans réponse: si Trout n’est pas un actant dans les romans de Vonnegut, comme tendrait à l’indiquer l’apparition de Fender, qu’en est-il de Leon Trout, narrateur de Galápagos: A Novel? Car c’est bien l’unité des textes écrits par Vonnegut qui se trouve mise en doute et affaiblie, au même titre que la cohésion intertextuelle.

Fluctuant, impossible à fixer, Trout est une percée dans l’esprit de l’auteur qui insiste, à plusieurs reprises, sur le fait que son personnage est effectivement personnage, que sa vie, déroulée dans de nombreux textes, traversant autant d’aventures que d’obstacles, n’a aucune réalité. C’est un personnage de fiction, l’élément d’une fable qui soutient une construction.

I do know who invented Trout. I did.66

Kilgore Trout was a famous made-up person in my books.67

Car, si les personnages récurrents sont effectivement nombreux dans les romans de Vonnegut, l’auteur insiste sur le lien qui le rattache à Trout dont il revendique la création à plusieurs reprises. Le lien est tel, nous dit Vonnegut, que Trout, personnage imaginaire et inventé de toute pièce est lui-même conscient d’être le résultat d’une construction littéraire («Trout was the only character I ever created who had enough imagination to suspect that he might be the creation of another human being»68).

Vonnegut se décrit par la suite entrant en communication avec son personnage, l’écrivain gagnant le rôle d’un démiurge discutant avec sa créature («By his own account to me, Trout riffled through the scuffy pages with distaste»69; «I told Trout…»70) et s’écrivant lui-même comme actant à l’intérieur de son œuvre.

Dès lors, Vonnegut remet très clairement en cause la fonction jusqu’ici classique de son personnage. Donnant lui-même plusieurs identités à Trout, plusieurs biographies possibles et plusieurs fonctions narratives sans en privilégier ni en exclure aucune. En échappant un peu plus au lecteur, puisqu’ici les indices actanciels viennent se contredire, Trout gagne dès lors une fonction maîtresse pour Vonnegut, et apporte un semblant de réponse aux angoisses de l’écrivain qui, plus jeune, craignait pour son avenir. Car nous sommes bien dans le domaine de «stratégies d’une identité mobile» auxquelles Romain Gary, écrivain bien réel, avait habitué son lecteur, et l’impossibilité d’apprécier désormais la caractérisation de Trout a pour résultat de mettre en lumière les choix littéraires comme les stratégies d’écritures mises en branle par Vonnegut. Le texte, «cathédrale» pour Marcel Proust, est ici une vaste construction de verre, définie autant par la beauté de ses formes, par ses lignes, ses courbes, que par la transparence de ses murs et de ses cintres. Une métaphore qui convient d’autant mieux à l’œuvre de Vonnegut qu’elle y revient régulièrement, à la fois comme image et comme renvoi à son père, architecte à Indianapolis. Et Vonnegut, «spécialiste de l’œuvre méconnue de Kilgore Trout, sur lequel on attend de sa plume une monographie magistrale»71, pour reprendre les mots de Pierre Versins, en rappelant par le biais de son personnage que la diégèse échafaudée au fur et à mesure de ses romans n’est pas une imitation du réel, ou un simple faire semblant, mais un travail de l’imagination, de démontrer la puissance de l’œuvre littéraire, capable de donner vie au personnage comme «puissance de concepts» ou «d’affects et de percepts»72, et de poser la question essentielle de l’identité comme pure et belle invention.

Et si l’écrivain américain n’a su donner de réponse satisfaisante à ses interrogations, du moins a-t-il su extraire celles-ci de la thèse philosophique ou sociologique, pour les renvoyer au domaine du jeu et du plaisir de l’œuvre. Trout, écrivain ridicule et trop souvent médiocre est ici salutaire au sens ou il assure le lecteur de la souveraineté de l’art.

En endossant le rôle de Trout, Farmer ne fait donc ici que poursuivre une construction labyrinthique entamée par Vonnegut, libérant définitivement le personnage d’écrivain raté et aigri du cadre de la littérature pour le mener vers de nouveaux horizons extratextuels où il saura sans doute, à l’instar de bon nombre de lecteurs qui ne savent rien de Kilgore Trout, affaiblir la barrière entre fiction et réalité. Et Farmer d’achever de faire de Trout un personnage conceptuel au sens deleuzien, Farmer devenant Trout non pas comme on passerait un masque mais comme un puissant mouvement par et pour l’écriture, une force ou une intensité créatrice colossale qui se concrétise dans son propre échec.73

 

Remerciements: Noëlle Batt, l’équipe de la libraire Shakespeare & Co.

 

Ouvrages Cités

 

Ouvrages littéraires

Henri ALLEG, La Question, Paris, Les Editions de Minuit, 1958.

Cleo BIRDWELL (Don DELILLO), Amazons, Boston, Holt, Rinehart and Winston, 1980.

Daniel DEFOE, The Shortest-Way with the Dissenters; Or, Proposals for the Establishment of the Church, 1703.

Edgar Lee MASTERSSpoon River Anthology, Mineola, New York, Dover Publications Inc., 2000 [1915].

Thomas PAINE, Common Sense, 1776.

Edgar Allan POE, Tamerlane and Other Poems, 1827.

Salman RUSHDIE, The Ground Beneath Her Feet, Londres, Jonathan Cape.

Baruch SPINOZA, Le Traité théologico-politique, 1670.

Kilgore TROUT (Philip José FARMER), Venus on the Half-Shell, New York, Dell Publishing, 1975.

Boris VIAN (Vernon SULLIVAN), J’irai cracher sur vos tombes, Paris, Le Livre de Poche.

Kurt VONNEGUT, God Bless You, Mr. Rosewater: A Novel, New York, Dial Press Trade Paperback, 1998 [1965].

---. Slaughterhouse-Five: A Novel, New York, Dial Press Trade Paperback, 1999 [1969].

---. Breakfast of Champions: A Novel, New York, Dial Press Trade Paperback, 1999 [1973].

---. Jailbird: A Novel, New York, Dial Press Trade Paperback, 1999 [1979].

---. Galapagos: A Novel, New York, Dial Press Trade Paperback, 1999 [1985].

---. Timequake, New York, Berkley Trade, 1998 [1997].

 

Ouvrages critiques et historiques

Antoine-Alexandre BARBIERDictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes composés, traduits ou publiés en français, avec les noms des auteurs, traducteurs et éditeurs, 1822.

Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Qu’est-ce que la Philosophie?, Paris, Les Editions de Minuit, 1991.

Bernard DUPRIEZ, Gradus / Les Procédés littéraires, Paris, éditions 10/18, Département d’Univers poche, 1984.

Julie PHILLIPS, James Tiptree, Jr.: The Double Life of Alice B. Sheldon, Londres, Picador, 2007.

David PORUSH, The Soft Machine, Cybernetic Fiction, New York, Methuen, 1985.

Adam ROBERTS, Science Fiction, London, Routledge, 2002.

Ralph SCHOOLCRAFT, Romain Gary: The Man Who Sold His Shadow, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2002.

Charles J. SHIELDS, And So It Goes: Kurt Vonnegut: A Life, New York, Henry Holt and Co., 2011.

Pierre VERSINS, Encyclopédie de l’utopie des voyages extraordinaires et de la science fiction, Lausanne, L’Age d’Homme, 1984.

 

Ouvrages collectifs

Oswald DUCROT et Jean-Marie SCHAEFFER, avec la collaboration de Marielle ABRIOUX, Dominique BASSANO, Georges BOULAKIA, Michel de FORNEL, Philippe ROUSSIN et Tzvetan TODOROV, Nouveau Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil, 1995.

 

Travaux universitaires

Jésus LERATE DE CASTRO, «The Narrative Function of Kilgore Trout and His Fictional Works in Slaughterhouse-Five» paru dans Revista Alicantina de Estudios Ingleses 7, 1994 (pp. 115-2), 117.

 

Documents Internet

Mike CAREY, «Venus On the Half-Shell», Mike Carey & Peter Gross, the Official Website of artists Mike Carey and Peter Gross à la date du 23 juillet 2009, article consultable à l’adresse:

http://mikeandpeter.com/2009/07/venus-on-the-half-shell/

Philip José FARMER, «Cosmic Traveller in a Wheelchair», Scintillation 13, Volume 4, Number 2, June 1977, pages 19-24, article également consultable à l’adresse:

http://www.silentera.com/family/carl/publications/scintillation-13/jonat...

Kurt VONNEGUT, «Requiem for a Dreamer», These Times daté du 15 octobre 2004, article consultable à l’adresse:

http://www.inthesetimes.com/article/1351/

 

Filmographie sélective

Michel GAST J’irai cracher sur vos tombes (1959).

Shohei IMAMURA, Karayuki-san – Ces dames qui vont au loin (1975).

Alejandro JODOROWSKY, The Holy Mountain (1973).

Alan RUDOLPH, Breakfast of Champions, (1999).

 

 

1 Kurt VONNEGUT, Timequake, New York, Berkley Trade, 1998 [1997], p. 196.

2 Couverture et 4ème couverture.

3 Textes où le nom de l’auteur est remplacé par des astérisques.

4 Thomas PAINE, Common Sense, 1776.

5 Henri ALLEG, La Question, 1958.

6 Baruch SPINOZA, Le Traité théologico-politique, 1670.

7 Daniel DEFOE, The Shortest-Way with the Dissenters; Or, Proposals for the Establishment of the Church, 1703.

8 C’est ainsi que Poe publie Tamerlane and Other Poems anonymement en 1827.

9 Voir d’Antoine-Alexandre BarbierDictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes composés, traduits ou publiés en français, avec les noms des auteurs, traducteurs et éditeurs, 1822.

10 Respectivement Mary Ann Evans (1819 – 1880), Lucile Aurore Dupin (1804 – 1876) et Alice Bradley Sheldon (1915 – 1987).

11 William S. Burroughs (1914 – 1997) et Don DeLillo (1936 - …).

12 Boris VIAN (Vernon Sullivan), J’irai cracher sur vos tombes, Le Livre de Poche, Paris, Introduction de l’auteur, p. 9.

13 Ainsi l’autobiographie du chimpanzé Cheeta, Me Cheeta publiée en 2008 et écrite par James Lever. Ce texte, bien que sans doute assez anecdotique, rappelle efficacement combien l’emploi de noms de plume peut relever du jeu, voire de l’absurde.

14 Le parcours peut en effet être multiple. Si Homère, auteur, n’a jamais réellement existé, les nombreuses cités grecques qui se revendiquent comme lieux de sa naissance donnent toutes une version différente de sa vie. Ici, l’identité est une construction extérieure.

15 Je reprends volontairement le titre d’un chapitre que Ralph Schoolcraft consacre à Gary: «Strategies of Mobile Identity», Ralph SCHOOLCRAFT, Romain Gary: The Man Who Sold His Shadow, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2002.

16 Par exemple Manuela Draeger, Elli Kronauer ou Lutz Bassman.

17 Cleo BIRDWELL (Don DELILLO), Amazons, Boston, Holt, Rinehart and Winston, 1980.

18 Vian meurt le 23 juin 1959 lors de la projection du film de Michel GAST J'irai cracher sur vos tombes adapté de son roman. A noter que le livre de Sullivan est édité au Livre de Poche sous le nom de Vian, confirmant que des pseudonymes sont condamnés à être progressivement oubliés.

19 Soit Venus on the Half-Shell; The Son of Jimmy Valentine; Pan-Galactic Three-Day Pass; How You Doin’?; The First District Court of Thank-You; 2BRO2B; Oh Say Can You Smell?; The Gospel from Outer Space; The Gutless Wonder; Maniacs in the Fourth Dimension; The Big Board; The Pan-Galactic Memory Bank; Plague on Wheels; Pan-Galactic Straw-Boss; The Smart Bunny; Now It Can Be Told; SF-1, A Selective Bibliography.

20 Pierre VERSINS, Encyclopédie de l’utopie des voyages extraordinaires et de la science fiction, Lausanne, L’Age d’Homme, 1984, p. 730.

21 Ibid., p. 898.

22 Ibid., p. 897.

23 To Your Scattered Bodies Go (1971); The Fabulous Riverboat (1971); The Dark Design (1977); The Magic Labyrinth (1980); Gods of Riverworld (1983).

24 «In High school, Sturgeon had been captain of his gymnastic team, and he announced that he would perform one of his best tricks. Clearing away some of the furniture in the living room, he stood with his feet together, back straight, arms outstretched, and suddenly whirled backward in a flip. But instead of landing upright, he hit the floor on his knees, shaking the whole house. Struggling to his feet, "humiliated and laughing in agony," Kurt could tell, Sturgeon would become the model for one of Vonnegut’s best-known characters: Kilgore Trout, the Wise fool of science fiction, ignored, sold only in pornographic bookstores, and half-mad with frustration. But Sturgeon wasn’t a fictional character—his reversals and the blows to his pride were real. And Kurt was afraid he had just witnessed a glimpse of his own future, too. "Kilgore Trout is the lonesome and unappreciated writer I thought I might become."», Charles J. SHIELDS, And So It Goes: Kurt Vonnegut: A Life, New York, Henry Holt and Co.; First Edition edition, 2011, p. 158.

25 Cité dans Jésus LERATE DE CASTRO, «The Narrative Function of Kilgore Trout and His Fictional Works in Slaughterhouse-Five», paru dans Revista Alicantina de Estudios Ingleses 7, 1994 (pp. 115-2), p. 117.

26 «skinny», Kurt VONNEGUT, Breakfast of Champions: A Novel, New York, Dial Press Trade Paperback, 1999 [1973], p. 7.

27 «snaggle-toothed», Ibid., p. 32.

28 «artistic feet», Ibid., p. 229.

29 «lonesome», Ibid., p. 7.

30 Kurt VONNEGUT, Breakfast of Championsop. cit., p. 229.

31 Kurt VONNEGUT, Timequakeop. cit., p. 227.

32 Kurt VONNEGUT, Breakfast of Championsop. cit., p. 30.

33 Ibid.

34 Kurt VONNEGUT, Timequakeop. cit., p. 57.

35 Ibid., p. 42.

36 Ibid.

37 «He became one of the most beloved and respected human beings in history», Kurt VONNEGUT, Breakfast of Championsop. cit., p. 7.

38 «This was true. Trout (…) was a very poor man, and unknown outside the science-fiction field.», Kurt VONNEGUT, God Bless You, Mr. Rosewater: A Novel, New York, Dial Press Trade Paperback, 1998 [1965], p. 19.

39 Kurt VONNEGUT, Breakfast of Championsop. cit.

40 Kurt VONNEGUT, God Bless You, Mr. Rosewaterop. cit., p. 19.

41 Kurt VONNEGUT, Breakfast of Championsop. cit., p. 25.

42 Kurt VONNEGUT, Slaughterhouse-Five: A Novel, New York, Dial Press Trade Paperback, 1999 [1969], p. 201.

43 Ibid., p. 202

44 Ibid.

45 Kurt VONNEGUT, Breakfast of Championsop. cit., pp. 237-238.

46 «Trout’s favorite formula was to describe a perfectly hideous society, not unlike his own, and then, toward the end, to suggest ways in which it could be improved», Kurt VONNEGUT, God Bless You, Mr. Rosewaterop. cit., p. 21.

47 «Most of Trout’s novels, after all, dealt with time warps and extrasensory perception and other unexpected things. Trout believed in things like that, was greedy to have their existence proved», Kurt VONNEGUT, Slaughterhouse-fiveop. cit., p. 175.

48 Hormis la ponctuation: ni Trout ni Vonnegut n’emploient de points virgules, Kurt VONNEGUT, Timequakeop. cit., p. 190.

49 Kurt VONNEGUT, Slaughterhouse-fiveop. cit., p. 110.

50 La lettre «z» revient ainsi souvent dans les noms fictifs, qu’il s’agisse de personnages ou de lieux («Zod» dans Breakfast of Champions), comme un renvoi à une science fiction vieillotte et déjà ridicule qui cherchait des noms potentiellement exotiques.

51 Kurt VONNEGUT, Breakfast of Championsop. cit., p. 77.

52 «Arguably the most prolific writer of short stories in history», Kurt VONNEGUT, Timequakeop. cit., p. 52.

53 Breakfast of Championsop. cit., 16. Notons que c’est également la littérature pulp qui inspire Philip José Farmer lorsqu’il rédige Venus on the Half-Shell, ce que confirme le soucis apporté à la réalisation de l’édition Dell. L’examen de la couverture originale est également essentiel. Sur un fond bleu marine, une jeune femme quasiment nue, reproduction de La Naissance de Venus de Sandro Botticelli. A ses côté, un homme, quasiment nu lui-aussi, dans un semblant de scaphandre. Le graphisme de la page de couverture, la typographie, les couleurs criardes, renvoient efficacement au mauvais goût compassé de la littérature pulp telle qu’analysée par Adam Roberts dans Science Fiction, London, Routledge, 2002.

54 Kurt VONNEGUT, Timequakeop. cit.

55 Kurt VONNEGUT, Breakfast of Championsop. cit., p. 38.

56 Kurt VONNEGUT, Timequakeop. cit., p. 76.

57 Repris par exemple dans Bernard DUPRIEZ, Gradus / Les Procédés littéraires, Paris, éditions 10/18, Département d’Univers poche, 1984, p. 25.

58 Jésus LERATE DE CASTRO, «The Narrative Function of Kilgore Trout and His Fictional Works in Slaughterhouse-Five», op. cit., p. 120.

59 Dates diffusées par Versins, ce qui suffit ici à confirmer ses sources.

60 «Trout committed suicide by drinking Drano at midnight on October 15 in Cohoes, New York, after a female psychic using tarot cards predicted that the environmental calamity George W. Bush would once again be elected president of the most powerful nation on the planet by a five-to-four decision of the Supreme Court, which included “100 per-cent of the black vote.”», Kurt VONNEGUT, «Requiem for a Dreamer», These Times, daté du 15 octobre 2004, article consultable à l’adresse:

http://www.inthesetimes.com/article/1351/

61 Alejandro JODOROWSKY, The Holy Mountain (1973), Shohei IMAMURA, Karayuki-san – Ces dames qui vont au loin (1975).

62 Procédé employé de façon célèbre dans Slaughterhouse-five.

63 Kurt VONNEGUT, Jailbird: A Novel, New York, Dial Press Trade Paperback, 1999 [1979], p. 82.

64 «[Fender] bore a strong ressemblance to a great American hero, Charles Augustus Lindbergh. He was tall and big-boned. He had Scandinavian blood. He was a farm boy», Ibid., p. 98.

65 Alan RUDOLPH, Breakfast of Champions, 1999. Le film, avec Bruce Willis, Albert Finney et Nick Nolte, demeure une adaptation décevante du roman. Elle est désavouée par Vonnegut lui-même qui y apparaît pourtant comme vendeur de voitures.

66 Kurt VONNEGUT, Breakfast of Championsop. cit., p. 32.

67 Ibid., p. 155.

68 Ibid., p. 246.

69 Kurt VONNEGUT, Timequakeop. cit., p. 76.

70 Ibid., p. 85.

71 Pierre VERSINS, Encyclopédie de l’utopie des voyages extraordinaires et de la science fiction, op. cit., p. 940.

72 Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Qu’est-ce que la Philosophie?, Paris, Les Editions de Minuit, 1991, p. 64

73 Aussi est-ce logiquement que Farmer emploie les mêmes procédés que Vonnegut à l’intérieur de Venus on the Half-Shell où apparaît un autre auteur fictionnel: Jonathan Swift Somers III. Si le patronyme de Kilgore Trout pouvait sembler poser un certain nombre de question évoquées plus haut, il en est de même pour celui de ce nouvel auteur inventé qui renvoie tout d’abord au personnage de Jonathan Swift Somers II tiré du recueil de poèmes Spoon River Anthology de Edgar Lee Masters (1915), et au nom du satiriste irlandais Jonathan Swift (1667 – 1745), auteur admiré par Vonnegut. Farmer rédige une biographie détaillée et tout aussi imaginaire du personnage de Somers pour le magazine Scintillation 13 en juin 1977. Le lecteur y apprend que ce dernier est né le 6 janvier 1910. Grand lecteur, familier des philosophes allemands, Somers se retrouve rapidement paralysé et condamné à ne jamais quitter son fauteuil roulant; il écrit son premier roman intitulé The Ivory Gates of Barsoom en hommage à E. R. Burroughs, puis des pastiches de Conan Doyle ou de Jules Verne. Ses romans comme A Scarletin Study (1931), souffle la rumeur, n’ont pas été écrits par Somers, mais plutôt par Johann H. Weisstein et Cordwainer Bird à la fois personnages principaux et narrateurs du texte, autrement dit de leurs propres aventures dans le futur – ouvrant un paradoxe temporel parfaitement absurde. Le propos de Farmer est bien d’embrouiller le lecteur, en le renvoyant à des personnages dont on ne sait bien s’ils sont réels ou imaginaires, jusqu’à Somers qui écrit sous le nom de plume de Gideon Spilett, personnage de L’Ile Mystérieuse de Verne (1874) et qui, affirme Farmer, est le cousin de Trout en personne. Difficile, dès lors, pour un lecteur anonyme – aimablement dupé – de savoir si ces personnages sont autre chose qu’un pastiche soit de l’œuvre imaginaire de Trout soit de celles, bien réelles cette fois, de Vonnegut et de Farmer puisque ce dernier multiplie les renvois ou chronologies contradictoires, les emboîtements et les mises en abimes dans une alternance vertigineuse d’enchâssements et d’enclaves successifs sans jamais se soucier de logique ou de vraisemblance.