Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 15/08/2020

 

Après avoir suivi les différentes et tortueuses étapes de la rédaction du scénario de ce qui deviendra Star Wars, nous arrivons enfin, avec la quatrième version (1er janvier, 1976) et sa révision (15 mars), en territoire connu[1]. Sous l´influence avouée de Bettelheim, « The Adventures of Luke Starkiller » s´ouvre par une révision futuriste du « il était une fois » des contes de fées, forçant quelque peu le trait: « A long, long time ago in a galaxy far, far away an incredible adventure took place... ». Le contexte géopolitique du « roll-up » a, significativement, quelque peu changé de ton:

“It is a period of civil wars in the galaxy. A brave alliance of underground freedom fighters has challenged the tyranny and oppression of the awesome GALACTIC EMPIRE. Striking from a fortress hidden among the billion stars of the galaxy, rebel spaceships have won their first victory in a battle with the powerful Imperial starfleet. The EMPIRE fears that another defeat could bring a thousand more solar systems into the rebellion, and Imperial control over the galaxy would be lost forever. To crush the rebellion once and for all, the EMPIRE is constructing a sinister new battle station. Powerful enough to destroy an entire planet, its completion spells certain doom for the champions of freedom[2].

L´on peut voir là en germe un tournant décisif. De par l´ambivalence même de l´imaginaire états-unien à l´égard de la notion d´Empire (la Nation s´étant établi dans sa guerre d´Indépendance contre la métropole ne peut entièrement se concevoir, malgré son rôle de superpuissance hégémonique dans l´Alliance atlantique, comme ouvertement impérialiste), la notion des rebelles, « guerriers souterrains de la liberté » («underground freedom fighters ») se charge d´une symbolique patriotique lourde qui va se substituer à l´analogie initiale avec les peuples opprimés par le complexe militaro-industriel états-unien. Cette operation s´étendra, comme le signale Robin Wood, au jeu des accents dans le film, symptôme de l´opération de « suture » idéologique de l´imaginaire national en cours :

« The trilogy’s simple but absolutely systematic code of accents extends this theme in the wider terms of the American heritage. All the older generation Jedi knights, both good and evil, and their immediate underlings, e.g. Peter Cushing, have British accents, in marked contrast to the American accents of the young heroes. The contradictions in the origins of America are relevant here: a nation founded in the name of freedom by people fleeing oppression, the founding itself an act of oppression (the subjugation of the Indians), the result an extremely oppressive civilization based on the persecution of minorities (e.g., the Salem witch-hunts). Britain itself has of course markedly contradictory connotations—a democracy as well as an imperialist power (“the Empire”), which America inherited. It is therefore fitting that both Obi One and Darth Vader should be clearly signified as British (…). Hence the films’ unease and inability satisfactorily to deal with the problem of lineage” (Wood, 2003, p.152).

Les champions du « Monde libre » s´éloignent désormais de la rhétorique contre-culturelle (le speech de Luke sur les « assassinats » politiques et les « désordres civils » a disparu, ainsi que la référence finale à « la révolution »), ce qui allait permettre le succès de la saga au-delà du simple cercle des jeunes contestataires et, in fine, sa récupération reaganienne (légitimant l´attaque à la fois contre l´Ennemi extérieur, « l´Empire du Mal », et l´ennemi intérieur selon la vulgate néolibérale, le « Big Government »).

Car, sous les dehors d´une guerre civile intergalactique, c´est le spectre du réchauffement de la Guerre Froide qui se profile, avec son conflit radical entre le « monde libre » et un régime totalitaire qui a tout de l´ennemi extérieur[3]. Les références constantes à la lutte héroïque contre l´Allemagne nazie (« The Good War », par opposition à ce que l´on sentait comme une guerre quelque peu honteuse, où l´asymétrie des moyens employés transformait les États-Unis en Empire militariste néocolonial) vont se concrétiser dans les références visuelles aux films de combats aériens que Lucas a patiemment archivés pour parfaire la grammaire des « guerres des étoiles ».

Il s´agissait en fait d´une obsession de son enfance, née à l´ombre des souvenirs de ces combats héroïques, sans cesse déclinés dans la kinderkultur de l´époque (comic books, séries télé, films rediffusés, jouets, etc.). Les références à la Bataille d´Angleterre ou aux différents raids aériens des Alliés, médiatisés dans des films épiques tels que The Dam Busters (1955) ou 633 Squadron (1964), situent l´assaut de l´Étoile de la Mort dans un grand récit national (et international), aux antipodes des massacres au napalm dans les jungles vietnamiennes[4]. Esthétique et idéologie s´alliaient dès lors au mépris de toute vraisemblance astronautique, campant résolument le space opera du côté de la fantaisie technologique (et réussissant, par la même occasion, à créer les combats spatiaux les plus cools jamais vus)[5].

Mais la déréalisation des référents historiques, de par leur projection « rétrofuturiste », finit par les vider de sens, simples simulacres tel que le dénoncera Baudrillard dans son célèbre Simulacres et simulation (1981) intitulé « L'histoire : un scénario rétro ». Les nombreuses références au nazisme vont ainsi être vidées de toute charge idéologique (l´Empire, symptomatiquement, semble ne guère s´en soucier) et tomber dans le pur simulacre (illustrant si l´on veut le « côté obscur » de la nostalgie, les nazis étant devenus, au fil des centaines de films de guerre hollywoodiens gobés par Lucas et sa génération, tout aussi familiers –et, d´une certaine façon, irréels- que les supervilains combattus par Flash Gordon et ses émules). Dans un sens, c´est la « fascination (esthétique) du fascisme » analysée au même moment par Susan Sontag à propos du « nazi chic » symbolisé par une des égéries visuelles de Lucas, Leni Riefenstahl, et les deux films majeurs, Cabaret et Night Porter, qui venaient de sortir en 1972 et 1974 respectivement[6]

Le parallélisme initial entre Nixon et l´Empereur, Vietnam et la guerre génocidaire de l´Empire, s´estompe au profit du simple look (extension d´un glissement plus général du « style over content »), celui du « nazi chic ». Ainsi les Stormtroopers, dont l´armure blanche continue à être qualifiée de « fasciste » dans le scénario malgré l´élision de marqueurs contestataires (l´inversion chromatique de l´uniforme brun des nazis opérant celle, symbolique, de la blancheur érigée en signe de menace – persistance de l´antonomase racialisée « The Man », malgré le caractère caucasien des héros?) deviennent, à force de déshumanisation (l´on saura bien plus tard qu´il s´agissait initialement de clones[7]), des sortes d´über-nazis pop, tout aussi inhumains que les Klingons, ce qui permettra leur réconfiguration en Soviétiques de propagande par la rhétorique reaganienne[8].

L´Empire est devenu un pur croquemitaine, bon à toutes les récupérations. Lucas tranchait encore une fois entre le démon de l´analogie qui domine la science-fiction sociologisante et le pur escapisme des space operas de son enfance. Il est significatif que paraisse cette même année l´anthologie de Brian Aldiss dévolue aux Galactic Empires.

Galactic empires represent the ultimate absurdity in science fiction », affirme-t-il dans son introduction. “Galactic empires represent a promiscuous liaison between Science and glamour, with Glamour generally in the ascendant. Galactic empires represent the spectaculars of the sf field. As such, galactic empires have often been condemned by the serious-minded. That may be less because of faults intrinsic in the genre than because the serious-minded are practised in condemnation. One can be fairly sensible and still get pleasure from reading about armoured chaps with flambeaux, drinking out of bellarmines and leading war-horses into starships before they dash across the parsecs at many times the speed of light. Most of these stories were written for fun” (1976, p. VII-VII).

Certes, tous ces Empires sont des visions hypertrophiques de la tyrannie. « Almost every science fiction writer took a look at interplanetary empires st one time or another and, whether they talked of federalism or colonialism, produced their own interpretation (...) All authors agreed on one item: power was needed to establish or to maintain any sort of empire” (p. 5). Et Aldiss de citer Arnold Toynbee: “In his volume Surviving the Future, he has this comment on a world state which applies equally to galactic unification: "It is most unlikely, I fear, that it will be established by the will, or even with the acquiescence of the majority of mankind. It seems to me likely to be imposed on the majority by a ruthless, efficient, and fanatical minority, inspired by some ideology or religion" (v. 2, p. 117). Aldiss récuse toutefois les interpretations politiques du thème (« Some commentators have claimed to find something sinister in the idea of a galactic civilization, linking it to American Imperialist designs. This seems to me absurd; the stories do not bear that sort of weight of interpretation”), tout en reconnaissant qu´il s´agit d´une obsession états-unienne (“Nevertheless, it is noticeable that all the best exponents of galactic empires are American, with one exception (the greatest, Olaf Stapledon). Presumably the British, who had an empire, regarded the matter more matter-of-factly”, p.x).

L´Empire serait, surtout, le parfait emblème d´une structure manichéenne, permettant de fusionner divers aspects du genre (anachronisme, hétérogénéité, rétrofuturisme, érotisme, spectacularité) : “A galactic empire is ramshackle and anachronistic, full of miscegenous worlds, leaky spaceships, and naked slaves working by torchlight in uranium mines. A galactic empire owes more to Cecil B de Mille than to Einstein: it is the Spectacular of sf” (v. 2, p.viii). Si les esclaves nu.e.s disparaissent de Star Wars (seule la scène de Léia captive souscrira au fétichisme sadomasochiste latent dans Flash Gordon ou certains récits de Leigh Brackett), on voit ce que la saga retient de cette tradition (jusqu´aux « leaky spaceships », matrice de la célèbre esthétique du « used future » dont on attribue à tort à Lucas l´invention), mais aussi ce qui l´en sépare (l´emphase sur la standardisation technologique, héritière des composantes fascistes initiales).

“What the authors do in the main is tell us a story adorned with alien creatures, swordplay, fascinating gadgets, and -for preference- beautiful princesses”, continue Aldiss. “The story itself is generally fairly traditional, the crux being resolved by quick wits, courage, and brute strength. If this sounds like the recipe for a fairy-tale, the point about fairy-tales is that they enchant us and enlarge our perception” (p.ix). Symptomatiquement, la dépolitisation du scénario de Star Wars coïncide avec l´inscription, de par l´épigraphe cité, dans le domaine du « féerique spatial ».

L´Empire sera donc de plus en plus un « Evil Empire » quasi-cosmogonique (en syntonie avec la veine gnostique qui traverse la culture pop de ces années, de Philip K. Dick à Jack Kirby, en passant par Black Sabbath); les « rebelles » lutteront contre lui pour restaurer un vieil ordre qui se présente comme démocratique, menés toutefois par un couple à la symbolique royale et une caste pour le moins féodale, contradiction qui ne cessera de hanter la saga et que la deuxième trilogie explorera sans la résoudre, présentant l´Ancienne République comme une oligarchie régie par une aristocratie guerrière incapable de freiner la « résistible ascension » de Palpatine[9].  Ces contradictions profondes sont subtilement élidées par le vaste schéma manichéen qui oppose les champions de la Liberté aux horribles suppôts de l´Empire du Mal (soumis par ailleurs à une discipline impitoyable qui condamne, en la figure du bourreau impérial Vader, toute maladresse par l´exécution sommaire).

Le scénario final s´articule par ailleurs autour de la « quête héroïque » de Luke, refondant par là le culte du « All American Hero » en le retrempant, via Joseph Campbell, dans ses sources les plus archétypales. Lucas s´était intéressé, dès ses cours d´anthropologie à Modesto Junior College, aux mythologies et à la question, souvent débattue à l´époque (de Jung à Barthes) de la possibilité et des conditions d´une mythologie des temps modernes[10]. Le statut hybride du space opera permettait de connecter avec la veine mythopoétique de la Fantasy, déjà amplement théorisée par Tolkien (dont l´ombre plane aussi sur l´oeuvre, de la tentation du côté obscur de la Force au Dia Noga, analogue au Watcher in the Water de The Fellowship of the Ring, en passant par le sacrifice d´Obi-Wan –similaire au combat entre Gandalf et le Balrog- ou la rencontre avec Han dans la cantina, trope déjà établi par celle d´Aragorn dans The Prancing Pony) et qui ira se renforçant jusqu´au Retour du Jedi (1983), coïncidant avec un véritable boom du genre, autant sur grand écran qu´en librairie.

Le rôle spécifique de la lecture de Campbell dans la création de Lucas a été, comme le dénonce Kaminski, amplement exagéré[11]. La vulgate fanique et critique s´est plue à essayer de systématiser ce qui pour Lucas n´était, visiblement, qu´un point d´appui parmi tant d´autres, de par le prestige culturel que la mythologie a dans le canon occidental et que semble apporter la caution pseudoscientifique de Campbell (bien qu´il soit discrédité dans les études académiques). Avec un flou méthodologique encore plus prononcé que celui du Hero With a Thousand Faces (1949) on trouve donc quantité de schémas illustrant la thèse du « voyage du héros » à partir de Star Wars, mélangeant souvent des éléments des différents films de la trilogie (ce qui va à l´encontre de la généalogie réelle de son élaboration, qui n´a pas suivi un tel plan d´ensemble).

Si l´on s´en tient au premier film, Kristen Brennan en donne un schéma assez typique dans son site consacré aux origines de Star Wars que l´on peut quelque peu corriger : l´appel de l´aventure (le message de Leia); le refus (les « travaux et les jours » de la ferme); l´aide surnaturelle et la rencontre du mentor (Obi-Wan sauve Luke), la traversée du premier seuil (le massacre des parents et la fuite de Tatooine), le « ventre de la baleine » (les péripéties au cœur de l´Étoile de la Mort, notamment le fantasme de déglutition par le compacteur d´ordures); le chemin des épreuves (apprentissage du sabre, aux échos smithiens et herbertiens); la rencontre avec la déesse (Leia?), la tentation (l´on pense inévitablement au côté obscur mais il est plutôt présenté ici comme une menace), la réconciliation (Han et Luke?), l´apothéose (Luke, visité par l´esprit de Ben qui le guide, accède au pouvoir de la Force), la confrontation avec la mort (ici clairement métaphorisée par la destruction de l´Étoile de la Mort); le pardon du père (l´on serait tentés de projeter sur le premier film ce que l´on sait des suivants, mais il s´agirait, du point de vue généalogique qui est le nôtre, d´un anachronisme), le vol magique (le X wing?), la rescousse (Han sauve Luke), le « maître des deux mondes » (la cérémonie finale), la liberté (re)conquise (qui toutefois reste en suspens à la fin du premier film).

Mais, outre le fait que la chronologie de la diégèse doive être altérée si l´on veut à tout prix la faire entrer dans ce schéma (à moins que l´on n´opte pour le transférer à l´ensemble de la trilogie, ce qui ne pouvait aucunement être le cas lors de la rédaction du premier scénario –et qui ne fait que déplacer le problème), il faut signaler que plusieurs étapes cruciales du film (la remise par Ben du sabre paternel; le sacrifice de Ben; ses réapparitions pour guider Luke dans sa quête, etc.) sont passées sous silence tandis qu´inversement, des catégories campbelliennes restent pour ainsi dire vides (telle le refus du retour ou la traversée du seuil du retour), ou semblent peu significatives. Par ailleurs, cette vision exclusivement centrée sur la quête de Luke éclipse celles des autres personnages, qui pourtant y sont étroitement entrelacées, formant la véritable armature du film. Enfin, et c´est là le principal défaut de cette méthode heuristique, toutes les subtilités et nuances idéologiques, symboliques et esthétiques sont aplaties dans une sorte de jeu de Lego qui fonctionne à son tour comme une sorte de métamythe critique.

C´est là ce que Richard Mèmeteau nomme à juste titre la « soupe Campbell » (2014, p.87). Le vieux rêve de l´Ur-religion qui avait hanté les sciences humaines tout au long du XIXe siècle avant d´être démonté par les anthropologues modernistes, est transféré par Campbell dans le domaine des mythologies : les mythes n´existeraient dans leur pluralité que comme fragmentation d´un mythe initial, non pas au sens structuraliste mais plutôt vaguement junguien[12]. Cela, au moment même (1949) où « la définition du dénominateur commun de l´humanité est devenue le problème de Hollywood » (Mèmeteau, 2014, p. 88). Véritable vecteur de l´Américanité érigée en sujet occidental, ce dernier postule par ailleurs, extension ou perversion de l´éthique protestante, la nécessité de réaliser son propre destin (allant du mythe du self-made-man à celui du « lonesome cowboy »), ce que Campbell semble cautionner par un discours réputé savant. Lucas opère dès lors une jonction qui était inévitable, d´où le succès de sa formule, le monomythe devenant la base narrative de la nouvelle économie du récit –et des films- de l´ère « blockbuster ».

« Le mythe sert moins à expliquer cette industrie [Hollywood] qu´à la légitimer », affirme Mèmeteau. « Dire d´un récit qu´il est mythique revient aussi à dire qu´on doit y croire, qu´il est populaire, ancestral, fondateur. Hollywood se donne un rôle civilisateur, accomplissant la noble fonction d´usine à mythes modernes pour le monde entier » (id, p. 89-90). Le schéma campbellien n´est donc pas la « vérité » latente au cœur de la mythologie lucasienne, il n ´en est qu´un autre des aspects, celui, notamment, qui permet de la légitimer culturellement, en effaçant au possible ses racines concrètes dans le genre du space opera que nous avons voulu exhumer, lui substituant tout un bric-à-brac de références mythologiques sorties de leur contexte culturel original (en cela aussi le projet campbellien –et ses extensions lucasiennes puis disneyéennes- est résolument ethnocentrique)[13].

D´où l´aspect quelque peu dérisoire, bien qu´amusant (quand il n´est pas tout simplement pompeux, ce qui est malheureusement le cas dans la plupart des documentaires consacrés à la saga) du jeu de la chasse aux références mythologiques qui anime quantité d´analyses critiques, maniant allègrement ce qu´Umberto Eco nomme la « sur-interprétation ». Ce serait d´ailleurs assez drôle de tâcher de recueillir toutes les interprétations mythologisantes qui ont été données aux différents personnages de la saga au fil du temps : outre les habituels Achilles, Ulysses, Thésées, Satans, etc. signalons la lecture christique [14] ou, très étonnante mais singulièrement astucieuse, celle qui en fait un avatar du Don Carlo de Verdi[15].

« Ces rapprochements illustrent à la fois la puissance du récit postmoderne comme trou noir absorbant tout ce qui passe à sa portée, et les limites heuristiques de l´approche intertextuelle », écrit L. Jullier (2015, p. 111). Il donne l´exemple, si souvent invoqué par la critique, d´Œdipe : « ce n´est pas sans quelques ajustements que le périple de Luke peut se superposer à celui d´Œdipe ». Et de conclure, après l´évocation des nombreuses divergences entre les deux récits : « ces différences amènent finalement Pelisse et Cluzel à qualifier Luke d´anti- Œdipe (…) mais l´histoire de Luke ne s´oppose pas à celle d´Œdipe, elle lui ressemble vaguement, suivant en cela la tradition postmoderne de l´allusion » (id, p.112). Ce qui est d´autant plus clair lorsqu´on fait la généalogie de l´œuvre lucasienne : Luke ne devient le fils de Vader que dans le deuxième volet et comme une révélation qui aurait surpris l´auteur lui-même qui semble, tout au long de l´écriture du scénario, dénier la symbolique presque trop évidente du Dark Father[16].

Ce n’est donc pas la mythologie qui serait la « clé ultime » du film, et, partant, de la saga. Si les trois films semblent suivre une structure quelque peu analogue, ce n´est pas celle du schéma campbellien (le « Retour » du héros étant, par exemple, toujours rapidement expédié) mais bien plutôt l´accumulation incessante et itérative de péripéties issues de la tradition du serial montées (le plus souvent) en alternance à l´intérieur de longues séquences d´action (la rescousse de Leia, l´attaque de l´Étoile de la Mort, la fuite d´Hoth, la pousuite du Faucon, la Ville aérienne, la rescousse de Han,  Endor et l´assaut de la deuxième Étoile de la Mort) ponctuées par des scènes où les relations entre les personnages (le plus souvent par couples) évoluent (l´apprentissage –tout relatif- de Luke, le triangle amoureux résolu par le tabou de l´inceste) ou se réitèrent (le duo burlesque des robots, l´élimination de subordonnés par Vader, etc.).

Les embrayeurs actantiels sont ceux de la grande tradition du récit d´aventures (trahisons, emprisonnements, évasions, poursuites, attaques, duels, etc.), depuis longtemps combiné à Hollywood avec des traits mineurs d´autres genres (rivalités et quiproquos amoureux de la comédie romantique, « comic relief » burlesque, filitations cachées du mélodrame, etc.). Là encore, Star Wars est beaucoup plus proche de ses réelles origines génériques (le space opera avec sa synthèse hybride de genres et de modes) que du mythe des origines mythologiques que l´on y a voulu projetter[17].

Ce réflexe, qui s´amorcera avec la réception du deuxième volet de la trilogie[18], est lui-même symptomatique. « La pop culture ne se signale pas seulement par une croyance renouvelée dans les mythes », écrit Mèmeteau. « Ce qui se construit là est aussi « mythique » en un autre sens. Le lecteur y fait l´expérience d´une solidarité de croyances qui s´auto-engendrent » (id, p. 154). De fait, « la forme du mythe est devenue la forme standard de la culture pop » (id, p. 97).

C´est d´ailleurs ce qui connecte le schéma campbellien à l´autre grand pilier qu´est la Force. Si nous avons déjà signalé ses liens avec les Fulgurs, le New Age et le mana postulé comme Ur-religion, nous devons maintenant évoquer ce qui est peut-être à la base de son succès conceptuel. Dégagée de ces autres oripeaux, la Force semble en effet traduire la notion durkheimienne de la « force religieuse » : « La force religieuse n’est que le sentiment que la collectivité inspire à ses membres, mais projeté hors des consciences qui l’éprouvent, et objectivé. Pour s’objectiver, il se fixe sur un objet qui devient ainsi sacré »[19]. Ce qui en fait un principe quasi-tautologique (ce que la société célèbre en elle, c´est elle-même) qui rejoint la logique dégagée par Mèmeteau au cœur de la pop culture : « toute culture de masse doit présenter aux masses l´histoire massive et renouvelée de leur propre convergence. La pop sert à faire éprouver à un peuple indéfini son propre pouvoir d´agrégation » (id, p. 7).

D´où le rôle combiné du monomythe et de la Force, et le succès colossal de la fusion, connectant parfaitement avec le tournant nostalgique (au-delà des serials, on est ici renvoyés aux origines même des mythes et de la croyance) et permettant de réintroduire la pensée magique dans une société de plus en plus technologique, au moment où les syncrétisme contre-culturel se transformait en « self help » avec ses fantasmes de transformation radicale de soi[20], ce que Christopher Lasch baptisa la « culture du narcissisme » dans son best-seller éponyme de 1979 (« en bon Américain, [Luke] est pétri de positive thinking et de croyance au will-power », écrit L. Jullier, 2015, p. 154). En appelant au narcissisme de tout un chacun (régression aux fantasmes de toute-puissance de l´enfance, singularité héroïque, contrôle de la Force, révolte contre le Père), c´est la collectivité toute entière qui finit par se célébrer dans ce gigantesque objet transitionnel qu´est devenu le blockbuster pop. De là le rôle, dans la diégèse, de la diversité reconfigurée en une nouvelle communauté[21], tandis qu´à l´extérieur de la diégèse la diversité du public[22] est transfigurée en une nouvelle (supra)identité, celle du fandom qui s´est érigé à la sortie même du premier film autour de la célébration de la saga[23].

Là encore, Lucas se montrait en parfaite syntonie avec le Zeitgeist. “Americans are hungry to feel once again a sense of mission and greatness” proclamait en 1975, Ronald Reagan dans une conférence à Washington, annonçant le thème qui allait être essentiel dans la prochaine campagne électorale : la volonté de renouveau après les désastres du Vietnam et du Watergate. La hantise de la fin des héros était par ailleurs devenue une obsession élégiaque déclinée par les journaux[24], alors que l´approche du Bicentenaire de 1976 marquait une volonté marquée de renaissance, voire de refondation[25]. D´un côté, écrit J. Hoberman, « there was the nostalgia-infused Disneyfication of the past”, de l´autre, “there was a desire for a ritual cleansing" (2019, Kindle). Ça tombait bien, Star Wars se situait au croisement de ces deux (nostalgie et purification rituelle) : qui plus est, le retour aux sources du Mythe de la Frontière était désormais barré, ce dont témoignait le déclin inexorable du western (entré dans sa phase dite crépusculaire, celui-ci était devenu un des échos amplificateurs du traumatisme de la guerre de Vietnam). Paradoxalement, ce sera par le détour du space opera (soit les futurs rêvés jadis par la Great Generation) que le Mythe pourra se réinventer (ce qui eut grandement étonné Tucker, qui pensait pouvoir se débarrasser des « cowboys de l´espace »), gommant le traumatisme national (le génocide des Autochtones, l´esclavagisme, etc.) et se ressourçant dans l´opposition entre la Nation « rebelle » et le Mal qui l´assaille.

“Synthetic populism and cheerful negation of complicated realities anticipated the inspirational message of Carter, the smiling, non-ideological, “born again” outsider—handled by Gerald Rafshoon, a former 20th Century Fox publicist”, écrit J. Hoberman. Selon Carter, “America was suffering a spiritual depression that might be dispelled by the regular application of single-syllable words like “right” and “wrong.” Carter also reminded his audiences of the country’s inherent virtue—a natural goodness only momentarily besmirched by corrupt politicians like Nixon and Agnew, repeating the mantra that the nation deserved “a government that is as good and honest and decent and truthful and fair and competent and idealistic and compassionate and as filled with love as are the American people.” Carter´s insistence on refracting every issue through the prism of personal morality elevated his quest for the Democratic nomination into something resembling a spiritual crusade for instant renewal and the Great Second Chance” (2019, éd. Kindle).

Ce sera le “nouvel espoir” incarné par Star Wars, sorti, symboliquement, le jour du Memorial Day 1977, quatre mois après l´élection de Carter. Mais le film réussira là où ce président échouera[26]. Son succès, plutôt que d´épouser les limitations de ce mandat marqué par les hésitations et les compromis, préfigure celui, quatre ans plus tard, de la « révolution conservatrice » dans la figure, justement, d´une icône tout aussi « achronique » ou rétrofuturiste : une (petite) star de série B des années 30, qui (comme l´idole enfantine de Lucas, Buster Crabbe) connut une deuxième vie dans les petits écrans des années 50 avant de se tourner vers la politique et se présenter comme le futur de l´Amérique.

Plus encore que Ghostbusters, que J. Hoberman cite à ce propos, on peut dire que Star Wars

« parallels the psychic sleight of hand by which (…) President Reagan “saved” America from its psychosomatic ills. The old Hollywood faded in the Sixties even as America’s great imperial project, the War in Vietnam, proved disastrous. If the Sixties and early Seventies were, at least in part, periods of disillusionment, the late Seventies and Eighties brought a process of re-illusionment. Its agent was Ronald Reagan. His mandate wasn’t simply to restore America’s economy and sense of military superiority but also, even more crucially, its innocence. Lyndon Johnson’s war, Richard Nixon’s crimes, and Jimmy Carter’s willingness to reduce “America” to the level of common sense made Reagan not only possible but necessary—an idea fervently wished for burst out of the darkness (or off the TV screen). Like an old movie or TV rerun, Reagan reversed the flow of time and remade our days” (2019, éd. Kindle).

Dans son article essentiel de 1986, Andrew Britton situait justement Star Wars comme la matrice de ce qu´il baptisait « Reaganite entertainment ». Considérant le film comme l´emblème de ce nouveau « cinéma du réconfort, de l´optimisme et de la nostalgie », il en fait une « utopie négative » au sens marcusien, l´analysant dans une perspective clairement francfortienne (il ne serait pas le seul, l´exercice étant presque devenu aussi convenu que de le mettre à la « soupe » campbellienne) :

« It leaves out everything about the existing reality principle that we would prefer to forget, redescribes other things which are scarcely forgettable in such a way that we can remember them without discomfort (and even with uplift), and anticipates rejection of the result by defining itself as a joke. Thus, Reaganite entertainment plays a game with our desire. It invites us to take pleasure in the worlds it creates and the values they embody, but because it is also ironic about them, it confirms our sense of what reality is and leaves us with the anxieties and dissatisfactions which leave a space for Reaganite entertainment. The films continually reproduce the terms of “the world as it is” while also a yearning for something different; if people go back to them again and again, it is perhaps because of the lack of satisfaction the films build into the pleasure: they regenerate the need for escape which they seem to satisfy and provide confidence of a kind which leaves us unconfident. By at once celebrating and debunking the “good old values,” and addressing them both as viable norms and the conventions of a fantasy, Reaganite entertainment perpetuates a paralyzed anxiety and institutionalizes itself[27].

À l´autre bout du spectre, le magazine conservateur National Review situait aussi le début de la « recupération » du cinéma américain autour du succès de Star Wars, "whose simple truths about heroism and the triumph of good over evil (not to mention space defense) were harbingers of the Reagan Eighties. The Reagan years saw quite a number of conservative films -not to mention destruction of the real-life Evil Empire"[28]. Les clins d´œil du président à la franchise, ironiquement involontaires, notamment l´Empire du Mal (8 mars 1983), suivi de son annonce du lancement de la Strategic Defense Initiative (23 mars 1983), que les Démocrates nommeront le « Star Wars speech », confirmeront cette connexion, désormais liée à la trilogie originale.

Symptomatiquement, ce sera aux lendemains de l´élection de Reagan que le premier volet trouvera enfin son titre, dont on comprend toute l´importance symbolique. « Nouvel espoir », tout d´abord, pour le genre honni qu´il réinventa : on ne comptera plus les variations autour du space opera, allant des purs nanars à ce que l´on nomme « The New Space Opera » ou « The Space Opera Renaissance », entièrement décomplexée par rapport au legs pulp que les nouveaux auteur.e.s retravaillent à la fois par un souci de littéralité qui frise l´esthétisme néobaroque, par un goût du « sublime technologique » qui incorpore des éléments de la Hard SF et par une complexification des enjeux à la lumière des grands thèmes du discours social (féminisme, altermondialisme, écologisme, etc.). « Nouvel espoir », enfin, de la Nation, confirmé par le succès sans précédent de la saga, qui allait accompagner celui de la révolution conservatrice et lui survivre (si tant est que nous y ayons véritablement survécu).

 

 

Bibliographie principale citée :

 

B. Aldiss, Galactic Empires, St Martin's Press, 1976

A. Britton, Britton on Film: The Complete Film Criticism of Andrew Britton, Wayne State University Press, 2008 [1986]

J. Hoberman, Make My Day : Movie Culture in the Age of Reagan, 2019, éd. Kindle

L. Jullier, Star Wars. Anatomie d´une saga, Armand Colin, 2015

M. Kaminski, The Secret History of Star Wars, ebook, 2008

R. Mèmeteau, Pop-culture. Réflexions sur les industries du rêve et l'invention des identités, Paris, Zones, 2014

C. Taylor, How Star Wars Conquered the Universe, NY, Basic Books, 2014




[1] "The Adventures of Luke Starkiller as Taken from the "Journal of the Whills" (Saga I), Star Wars” et “The Adventures of Luke Starkiller, as Taken from the “Journal of the Whills” (Saga I) Star Wars, Revised Fourth Draft, Shooting Script” respectivement.

[3] Aux lendemains de l´accord de Helsinki (1975), qui stabilisait les frontières du Bloc soviétique et semblait annoncer le maintien du status quo, les tensions reprenaient de plus belle : « The relationship between the two superpowers was slowly eroding under the impact of international developments. The Kremlin saw in the successes of national liberation movements an opportunity to further expand its influence. Soviet direct or indirect involvement in Angola and the Horn of Africa exacerbated the inherent tension in the system. At the same time, the United States saw an opportunity in developing its relationship with China, not only as an end in itself, but also as a way to counteract Soviet expansionism. Carter’s focus on human rights and his willingness to continually and publically address the issue in relationship with the Soviet Union and Eastern Europe was seen in Moscow as a direct attack on their legitimacy” (Mircea Munteanu, "The Beginning of the End for Détente: The Warsaw Pact Political Consultative Committee", Wilson Center, CWIHP e-Dossier No. 24).

[4]These were the movies Lucas would record and splice to create the ultimate dogfight, a 25-hour reference reel that would form the basis for all the special effects of Star Wars (which would be shot by the same cinematographer who filmed Dam Busters). If you look closely enough, you can see that wartime influence throughout the franchise. It’s in the one-man fighters, the rebel’s helmets and boots, the Stormtrooper’s modified UK Sterling submachine guns, Han Solo’s German Mauser C96 semiautomatic, the tall fascist in the black gas mask. “I like to say Star Wars is my favorite World War II movie,” says Cole Horton, who runs the website From World War to Star Wars, which has documented hundreds of callbacks. “The story comes from myth. The physical, tangible things come from history” (Chris Taylor, 2014, p. 44)

[5] Parmi les innombrables critiques « scientifiques » de la notion lucasienne de « space fighters » v. l´anthologie réunie par Winchell Chung dans son site ultrageek Atomic Rockets.

[6] S. Sontag, « Fascinating Fascism », The New York Review of Books, 6 février 1975. Quant au débat encore frequent dans le fandom sur l´influence de Riefenstahl dans la séquence finale du premier film, L. Jullier fait adroitement le point, montrant tout ce qui différencie celle-ci du documentaire apologétique sur le congrès de Nuremberg Le triomphe de la volonté (1935) (L. Jullier, 2015, p. 110).

[7] Tel que l´expliquera l´encyclopédie de Lucasfilm The World of Star Wars: A Compendium of Fact and Fantasy From Star Wars and The Empire Strikes Back (1981) “The creation of an Imperial Stormtrooper. A cloned man is one of a group of genetically identical humans, an assembly-line product. He is a thinking man, but he serves a specific purpose and no other. A clone has no mother; only his trainers, and he accepts his fatebecause he believes it is inevitable. A clone is, physically and emotionally, a normal man. He simply has no human rights and no name. He is the property of the Emperor.” (cit in Kaminski, op.cit, p.163).

[8] L´on connaît la célèbre analyse de Barthes : « Le mystère des Soucoupes Volantes a d'abord été tout terrestre: on supposait que la soucoupe venait de l'inconnu soviétique, de ce monde aussi privé d'intentions claires qu'une autre planète. Et déjà cette forme du mythe contenait en germe son développement planétaire; si la soucoupe d'engin soviétique est devenue si facilement engin martien, c'est qu'en fait la mythologie occidentale attribue au monde communiste l'altérité même d'une planète: l'URSS est un monde intermédiaire entre la Terre et Mars » (« Martiens », Mythologies, 1970, [1957] Seuil, p. 40)

[9] Ces contradictions feront la base de la diatribe de David Brin dans Star Wars on Trial : science fiction and fantasy writers debate the most popular science fiction films of all time, Smart Pop, 2006

[10]When I was in college, for two years I studied anthropology—that was basically all I did...Myths, stories from other cultures. It seemed to me that there was no longer a lot of mythology in our society—the kind of stories we tell ourselves and our children, which is the way our heritage is passed down. Westerns used to provide that, but there weren’t westerns anymore. I wanted to find a new form. So I looked around, and I tried to figure out where myth comes from. It comes from the borders of society, from out there, from places of mystery—the wide Sargasso Sea. And I thought, space. Because back then space was a source of great mystery.” (cit in Kaminski, 2008, p.26). Ironiquement, cette mythologie qui accompagnait très consciemment le discours du Space Age (tel que le montre l´ouvrage cité de H. W. McCurdy, Space and the American Imagination, 1997) va survivre au déclin de celle-ci, notamment en se réfugiant dans une fictionnalisation accrue dont Star Wars sera le fer de lance.

[11]The original trilogy-Campbell connection is greatly exaggerated and practically non-existent. Though some may argue that Lucas cleared up his Star Wars scripting struggle by applying Joseph Campbell’s “call to adventure” motif to a naïve farmboy Luke, and certainly Lucas was familiar with certain fairy tales and myths, all of this has been blown out of proportion in recent times (in fact, multiple volumes have been written on the subject, as well as television specials and entire museum exhibits). Most of the parallels between The Hero’s Journey and Star Wars are out of the organic process of story development and not specific mimicry” (Kaminski, op. cit, p.204)

[12] Sans la rigueur d´un Vladimir Propp ou d´un Lévi-Strauss, Campbell ne se montre pas pour autant capable du dynamisme de la « psychologie des profondeurs » de Jung; il est véritablement à la recherche d´une « recette », ce qui le rend si apte à l´instrumentalisation pragmatique.

[13]After meeting, the two used each others status and exaggerated connection to sell themselves: for Lucas, it gave him proper scholastic backing for his “mythic” B-movie, and for Campbell, it finally gave him worldwide recognition due to the association with George Lucas. Luke Skywalker posed alongside Greek gods on a new edition of Hero With A Thousand Faces, while Campbell’s most famous work, the Power of Myth television series produced by PBS and conducted by Bill Moyers, was filmed at Skywalker Ranch and featured clips from the Star Wars trilogy. More importantly, the connection presented a good opportunity to educate young people who might not have an interest in the subject otherwise, and so both men went along with it.” (Kaminski, op.cit., p. 206)

[14]Within a few months of the release of the original film in 1977, Frank Allnutt wrote The Force of Star Wars which viewed Lucas's film as a "prophetic parable" about the coming of the Antichrist in which the Force is God, the Emperor is Satan, and the Rebellion represents the Church (26,201). Allnutt offers a fundamentalist Christian analysis on the film which, for reasons too lengthy to debate here, attempts to make the Star Wars narrative fit the Book of Revelation, but fails. In the absence of a true Christ figure (Allnutt suggests Obi-Wan), the theory does not work”, Kevin J. Wetmore Jr., "The Tao of "Star Wars", Or, Cultural Appropriation in a Galaxy Far, Far Away",  Studies in Popular Culture, Vol. 23, No. 1, oct. 2000, p. 93

[15] Voici la liste de 17 parallélismes relevés par Jeffrey High :

  1. A plea from the oppressed provinces
  2. An ancient religion divided into two sects (Light and Dark side), one resists the other’s rule of terror
  3. A distracted prince who lost his mother at childbirth (Luke and Carlos)
  4. The rule of territorial governors
  5. A war hero-mentor who rebels against the empire (Rodrigue and Obi-wan)
  6. Forbidden love between the prince and a female family member
  7. The actions of a stepmother/sister as the allegorical embodiment of republican virtue
  8. The burned skeletons of territorial subjects
  9. A conspiracy of the prince and the queen/princess against the tyrant
  10. The past friendship between the war-hero mentor and the father (Vader and Philip)
  11. The exhaustive search for secret/stolen war plans
  12. The fourth/fifth acts spent in jail cells and dark passageways teeming with guards
  13. The prince sneaking through passageways in disguise
  14. The function of two supporting characters, long-time royal court insiders who provide back story
  15. The political machinations of a source of all evil behind the father/tyrant
  16. The self-sacrifice of the war hero-mentor that inspires the rebellion
  17. The defeat of the unsinkable fleet/ultimate weapon (Spanish armada/Death Star)”

(J. L. High, "From Hypotext to Hypertext and (Hyper-)Space Opera: Schiller’s Don Karlos, Verdi’s Don Carlo, and George Lucas’ Star Wars", The Germanic Review, vol. 95 n.1, 2020)

[16] L´on pourrait rapprocher ceci de la lecture lacanienne de la « Lettre volée ».

[17]As 1977 turned over to the new year its popularity was still as strong as ever, and when audiences kept going back to the film, critics began to take a second look at it, and all sorts of analysis of its subtext was made. It wasn’t until Star Wars started to become a modern myth itself that the claims of Lucas “pouring through the archives of civilisation and studying Campbell until he could distil the essence of humanity” started coming about. But as can be clearly seen from the early chapters of this book, Star Wars has its roots in pulp science fiction schlock, what the intelligentsia would consider the lowliest material in literature and cinema. There has never been any formal interest in this ancestry of Star Wars—virtually every academic study has focused on the comparative-mythology aspect. Star Wars was meant to emulate Flash Gordon, Jason and the Argonauts and Captain Blood, what were considered at the time to be the “trash” of cinema, juvenile and unimportant—Star Wars was the ultimate B-movie” (Kaminski, op. cit, p. 206-7)

[18] The Empire Strikes Back “marks the beginning of Lucas' unheroic journey from honest entertainer to galactic gasbag. The first recorded blats are to be found in Time magazine's May 1980 cover story. Associate editor Gerald Clarke, who had praised the original flick for its lighthearted refusal to offer anything like a serious message, now finds ‘a moral dimension that touches us much more deeply than one-dimensional action adventures can.’ A sidebar, ponderously headlined ‘In the Footsteps of Ulysses,’ cites everything from ‘The Odyssey’ to ‘Pilgrim's Progress’ before concluding that the ‘Star Wars’ films ‘draw from the same deep wells of mythology, the unconscious themes that have always dominated history on the planet” (S. Hart, "Galactic gasbag", Salon, 11/4/2002)

[19] É. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, 1912, p. 327. « La force religieuse » n´est pas réductible aux « forces » à l´œuvre, par exemple dans le totémisme (de la même façon que Lucas postule un principe de la Force au-delà de ses manifestations performatives) : « Quand nous disons de ces principes que ce sont des forces, nous ne prenons pas le mot dans une acception métaphorique ; ils agissent comme des forces véritables. Ce sont même, en un sens, des forces matérielles qui engendrent mécaniquement des effets physiques. Un individu entre-t-il en contact avec elles sans avoir pris les précautions convenables ? Il en reçoit un choc que l’on a pu comparer à l’effet d’une décharge électrique. On semble parfois les concevoir comme des sortes de fluides qui s’échappent par les pointes. Quand elles s’introduisent dans un organisme qui n’est pas fait pour les recevoir, elles y produisent la maladie et la mort, par une réaction tout automatique. En dehors de l’homme, elles jouent le rôle de principe vital ; c’est en agissant sur elles, nous le verrons, qu’on assure la reproduction des espèces. C’est sur elles que repose la vie universelle” (p. 270-1)

[20] Sam Binkley propose une vision intéressante de cette évolution à la lumière sociologique de Bourdieu et de Bautman dans Getting Loose: Lifestyle Consumption in The 1970s, Duke University Press, 2007

[21] Il s´agit d´une diversité hautement fictionnalisée selon les codes du space opera, privilégiant les relations entre des représentants de différentes catégories ontologiques (animalité de Chewbacca, mécanique des robots, humanité du trio protagoniste, surhumanité d´Obi-Wan) à la diversité sociologique (raciale, culturelle, sexuelle, etc.). Symptomatiquement, le communautarisme états-unien s´éloignait de plus en plus du modèle des luttes des droits civiques et du fantasme révolutionnaire, vers un modèle identitaire, en phase avec l´évolution générale du mainstream.

[22] Chris Taylor évoque une des descriptions les plus célèbres de la foule des premiers fans: “The manager of the Coronet, a cranky old soul named Al Levine, had never seen anything like it. He offered a now-famous description of the crowds: “Old people, young people, children, Hare Krishna groups. They bring cards to play in line. We have checker players, we have chess players; people with paint and sequins on their faces. Fruit eaters like I’ve never seen before, people loaded on grass and LSD.” (op cit., p. 238). Parallèlement, les médias s´emparèrent du phénomène, le rendant absolument massif par un effet de feedback : “Every TV news program had done a segment on the crowds waiting to see this amazing movie—up to and including the voice of America, CBS news anchor Walter Cronkite. His coverage marked a major milestone. In 1968, President Lyndon Johnson famously declared after Cronkite’s negative report on the war in Vietnam that “if I’ve lost Kronkite, I’ve lost Middle America.” The converse was true in 1977: if Star Wars had won Cronkite, it had won Middle America. This wasn’t just a movie for kids, science fiction fans, stoners, and assorted weirdos. In the space of a week, space fantasy had gone mainstream. (id., p. 242)

[23] D´où les tensions qui vont l´animer. Si le monomythe est vrai, il ne peut être copyrighté (ouvrant la mythologie lucasienne à toutes les réappropriations, de la même manière qu´elle s´est elle-même constitué comme palimpseste); si l´œuvre est une vision strictement auctorielle, protégée par la législation (moderne), le monomythe ne peut être qu´un gimmick. Dans un cas, le fan est co-auteur, dans l´autre, simple consommateur. Des décennies de conflits entre Lucas et ses fans en découleront (là aussi l´opposition avec le lien entre les Trekkies et la série Star Trek, placée d´emblée sous le signe de la création collective et l´ouverture herméneutique, est révélatrice).

[24][24] Citons, entre autres, Robert Penn Warren, “A Dearth of Heroes,” American Heritage 23, October 1972, 4–7, 95–99; J.H. Plumb, “Disappearing Heroes,” Horizon 16, Autumn 1974, 48–51; “The Vanishing American Hero,” U.S. News & World Report, 21 July 1975, 16–18

[25] Même l´ancien conseiller de Nixon, emprisonné pour sa participation dans l´affaire Watergate, publiait un récit de sa conversion en prison intitulé Born Again (1976), adapté au cinéma deux ans après (« For everyone who ever wanted a chance to start over »).

[26] Dès janvier 1978 Stephen Hess publie un article sur l´échec du président en fonctions : « Jimmy Carter : Why He Failed ». Reagan s´appuiera sur l´image d´un opposant faible qui a fini de fragiliser l´Amérique, échouant à la régénérer.

[27] A. Britton, "Blissing Out: The Politics of Reaganite Entertainment", [1986] 2008, p.110-1

[28] W. D. Romanowski, Pop Culture Wars: Religion and the Role of Entertainment in American Life, Wipf and Stock, 1996, p. 284