La guerrière, de Hunger Games à Divergence

La guerrière, de Hunger Games à Divergence

Soumis par Alexandra Lourette le 31/07/2019
Institution: 
Cégep de L'Outaouais
Catégories: Dystopie, Féminisme

 

La figure de la guerrière tient son origine de la mythologie grecque, avec les Amazones. Elles sont un peuple de femmes guerrières habillées très légèrement, armées d’arcs et de boucliers en forme de demi-lune. Selon la légende, elles blessaient les jeunes garçons, les rendant aveugles ou même boiteux, pour ensuite les réduire en esclavage. Pour s’assurer d’une descendance, ces guerrières allaient choisir, une fois par an dans les villages les plus proches, les plus beaux hommes avec lesquels s’unir. Depuis des décennies, la figure de la guerrière a inspiré de nombreux auteurs, dont William Moulton Marston (1893-1947) avec Wonder Woman, Morgan Rice avec Ceres ou encore Christophe Arleston (1963-) avec Les Guerrières de Troy. Ceux-ci l’ont adoptée, transformée ou bien remodelée complètement, un peu comme l’ont fait Suzanne Collins et Veronica Roth avec Katniss Everdeen et Tris Prior. 

En effet, la guerrière des temps modernes est maintenant généralement caractérisée par une jeune femme ambitieuse et courageuse, qui ne baisse jamais les bras et qui dépasse ses propres limites dans le but de protéger une communauté quelconque. Souvent d’ailleurs, la guerrière entre en rébellion contre un gouvernement totalitaire, dans un processus de défense ou de vengeance: elle veut rétablir l’ordre ou éradiquer les inégalités. La guerrière revêt maintenant des habits ajustés, bannissant la robe. Ses cheveux sont très souvent attachés, tressés ou très courts. Parfois, le corps de la guerrière ne correspond pas toujours entièrement aux normes et, pour espérer atteindre son but, elle doit le transformer. 

Les passionnés de Hunger Games et de Divergence remarqueront que leurs héroïnes ne ressemblent pas exactement aux Amazones. Exceptée la ressemblance du port de l’arc pour Katniss et le courage que les deux possèdent, elle et Tris ne blessent pas les innocents volontairement. Dans ces oeuvres, les autrices ont transformé la figure de l’Amazone en une jeune adolescente qui, tout au long du roman, évolue physiquement et mentalement. Elle apprend à défier ses peurs et à se faire valoir dans sa communauté rongée par les inégalités sociales et déchirée par le mensonge des grands leaders.   

 

Katniss, la fille du feu

Pour son roman, Suzanne Collins, l’autrice des Hunger Games, crée un monde dystopique. La dystopie est un genre littéraire qui fait référence à un monde supposément parfait, mais qui ne rend pas forcément heureux tous les gens qui y habitent, particulièrement le personnage principal. Ce dernier a souvent du mal à se fondre dans la masse, il est différent d’une manière ou d’une autre. La société dans laquelle il se retrouve est méthodiquement organisée, il n’est pas rare qu’elle soit divisée en classes ou en groupes. Le personnage principal peine à se plier aux normes, ce qui le pousse à douter de lui-même. Dans la plupart des cas, le ou la protagoniste rencontrera un amour qui changera sa façon de voir les choses. Le monde dans lequel il se retrouve est très fréquemment entouré d’une barrière ou d’un mur, ce qui l’isole complètement de «l’ailleurs». 

Katniss Everdeen fait partie de l’un de ces mondes. Celui dans lequel elle évolue est divisé originellement en treize districts plus le Capitole (le siège du gouvernement), mais, à la suite d’une guerre, le treizième district fut détruit. Katniss vit donc dans le dernier district, le Douze, qui fournit le charbon au Capitole. L’indice de richesse allant d’un ordre décroissant, elle habite donc dans le plus pauvre. Chaque district possède des richesses qui lui sont propres. Il y a par exemple le district deux, qui fournit des armes et qui, puisqu’il a été un allié fidèle pour le Capitole, bénéficie de meilleures conditions de vie que les autres districts. Ce traitement préférentiel anime beaucoup la colère de Katniss envers le Capitole, puisqu’elle se bat contre les inégalités. Après la mort de son père dans les mines de charbon, Katniss doit prendre en charge sa famille. Comme son district est défavorisé, elle doit chasser pour avoir de quoi subsister. Katniss possède déjà les atouts de la guerrière: elle est habile à l’arc, n’a pas froid aux yeux, son esprit de survie est très aiguisé et elle n’hésite pas à s’éloigner des critères stéréotypés de la femme. Elle est très indépendante et débrouillarde: elle déteste qu’on lui dise quoi faire. 

 

La divergente

Sous la plume de Veronica Roth, la guerrière prend une tout autre forme. De nature gênée et réservée, Tris n’a rien en commun avec les Amazones, si ce n’est l’ambition qui brûle au fond d’elle-même. Elle est petite, toute menue et très pudique. Contrairement à Katniss, elle est plutôt féminine. De plus, l’uniforme de sa faction veut le port de longue robes grises pour les femmes. Tout comme Katniss, Tris évolue dans un monde dystopique. Anciennement Chicago, la ville dans laquelle vit Tris est basée sur un système de cinq factions, comparables aux districts mentionnés précédemment, toutes ayant des rôles indispensables au bon fonctionnement de la société. La guerrière de ce roman fait partie des altruistes, une faction qui valorise l’oubli de soi-même et qui condamne la vanité. Cependant, elle a toujours admiré les audacieux, qui valorisent la bravoure et la force. Tout au long du roman, elle s’inflige un combat intérieur: est-elle réellement altruiste ou plutôt audacieuse ? 

À la Cérémonie du Choix, Tris doit prendre une décision cruciale. Cette cérémonie, accessible aux adolescents de seize ans, donne aux concernés la possibilité de choisir une faction qui les représente mieux en tant que citoyen ou de rester dans leur faction native. Tris choisit les audacieux, ce qui changera à tout jamais sa vie. Comme elle ne possède ni la force, ni les habiletés nécessaires, elle doit absolument acquérir celles-ci si elle veut rester qualifiée. En effet, la faction audacieuse fournit des combattants à la ville et ces derniers doivent être les meilleurs. L’initiation des novices repose alors sur un classement. Ceux qui se retrouvent en bas du classement lors de la fin de l’initiation se verront rejoindre les sans-factions, soit les exclus de la société. Parfois, certains préfèrent s’enlever la vie plutôt que de les rejoindre, comme Al, l’un des camarades de Tris, sachant qu’il allait échouer l’initiation. La possibilité de se retrouver parmi les sans-factions effraie beaucoup Tris, ce qui motive cette dernière à ignorer ses propres limites et à se surpasser dans toutes les épreuves de l’initiation.  

 

Similarités

Malgré leurs nombreuses différences, les guerrières de Roth et de Collins ont bien entendu quelques similarités. Dans le premier tome de chaque livre, Katniss et Tris ont toutes deux seize ans. Puisqu’elles sont très différentes des filles de leur âge, leur cercle d’amitié est donc assez restreint. Katniss possède au début un seul meilleur ami, Gale. Pendant les Hunger Games, c’est lui qui s’est occupé de la famille de celle-ci, puisqu’il savait chasser aussi bien qu’elle. Pour Tris, cependant, c’est plus difficile. En changeant de faction, elle perd sa famille et les quelques liens qu’elle avait avec ses voisins. C’est alors bien plus tard dans le roman qu’elle se lie d’amitié avec Christina, qui elle aussi provient d’une faction différente des Audacieux. 

Les deux guerrières évoluent également dans un monde dystopique futuriste. En effet, elles vivent dans des villes, Panem et Chicago, reconstruites à partir des vestiges qu’avait laissé la guerre, toutes les deux entourées d’une barrière. Chez Katniss, on crée douze districts, chez Tris, cinq factions. Les districts et les factions sont très importants dans l’histoire. D’une certaine manière, ils classent et catégorisent le peuple. C’est l’une des raisons qui poussent les deux adolescentes à se rebeller. Les jeunes femmes vivent également plusieurs épreuves difficiles dont le deuil. Lors d’un combat avec Tris, la mère de celle-ci meurt sous les balles pour la protéger. C’est un coup très dur pour la protagoniste, qui culpabilise immédiatement et qui aura du mal à s’en remettre. Pour Katniss, c’est la vie de sa coéquipière dans l’arène qu’elle voit partir, celle de Rue, du district 11. Comme il s’était développé un lien très fort entre les deux, la mort de la petite fille l’a, tout comme à Tris, beaucoup affligée. Leur relation ressemblait à celle qu’entretenait Katniss avec sa sœur. En effet, lorsque les deux se taquinaient, Katniss «lui plante un doigt dans le ventre [de Rue]» (Collins, 2008: 164), comme elle le ferait à Prim.

 

L’héritage de la Fille du Feu 

À travers leurs héroïnes, Collins et Roth inculquent de nombreuses morales aux lecteurs qui les poussent à réfléchir. Dans les Hunger Games, Katniss Everdeen donne espoir à la lutte contre les stéréotypes attribués à la femme. En effet, elle est la preuve vivante qu’une femme peut être forte, qu’elle peut être en tête d’une révolte et qu’elle peut renverser des régimes politiques en faisant preuve de détermination. Katniss, aussi appelée le Geai Moqueur ou la Fille du Feu, montre qu’il est possible de se relever après des étapes difficiles. Elle survit à toutes sortes d’épreuves dans l’Arène: elle se fait taillader la cuisse, piquer par des guêpes tueuses, brûler par le feu… bref, des blessures, elle en a amplement souffert. En revanche, le deuil fait partie des plus grandes épreuves du livre. En réussissant à passer au travers, Katniss montre qu’il ne faut pas se laisser abattre par ces événements, qu’il faut vivre pour honorer leur mémoire et pour atteindre ses objectifs. 

La famille semble être un thème important pour Collins puisqu’il fait partie intégrante du roman. À travers Katniss, l’auteure aborde le sujet dès le tout début du livre: «À onze ans, alors que Prim n’en avait que sept, j’ai pris notre famille en charge» (Collins, 2008: 23) L’adolescente a donc une grande responsabilité, celle de faire vivre sa famille. Plus tard dans le roman, Katniss se porte volontaire comme tribut à la place de sa sœur Prim pour les Hunger Games. En plus du thème de la famille, une majeure partie du livre repose aussi sur l’idéologie féministe. En effet, Katniss est tout sauf l’archétype de la femme. Elle sait chasser, pêcher et ne cache pas du tout le fait que ses champs d’intérêts diffèrent de ceux des filles de son âge, qui aiment potiner et parler de mode: « [Je] n’aim[e] pas les ragots et les vêtements m’ennuient profondément.» (Collins, 2008: 75) Grâce à un personnage féminin fort qui se bat contre les inégalités et qui arrive à bout de toutes sortes d’épreuves, Collins donne courage et confiance aux jeunes lectrices. «L’espoir est la seule chose plus forte que la peur» est une citation connue et très inspirante de Collins.

L’autrice critique aussi fortement certains éléments de notre réalité dans son livre, comme le voyeurisme. En effet, dans notre monde, les gens ont soif de divertissement et n’hésitent surtout pas à filmer lorsque des événements inhabituels surviennent. Dans le monde de Katniss, le divertissement prend la forme de jeux mortels où tout est filmé dans les moindres détails. Les gens de Panem qui suivent ces événements avec avidité pourraient aussi agir à titre de critique sur le culte des séries télé-réalités que nous avons dans notre monde, avec par exemple des drames comme Occupation Double ou alors avec de l’action, comme dans Survivor ou encore Koh Lanta.

 

La trace qu’a laissé Divergence

Dans Divergence, Tris Prior apprend aux lecteurs à croire en eux malgré leurs échecs. En effet, lorsque celle-ci passe de la faction des altruistes à celle des audacieux, il lui faut à tout prix acquérir la force, la précision et la souplesse nécessaires pour rester qualifiée. Dans le cas contraire, elle risque de se retrouver avec les sans-factions. Cependant, ce sont des capacités qu’elle ne possède pas. À la suite de tous ses échecs au tir et au combat, Tris se retrouve rapidement au bas du classement, mais elle ne baisse pas les bras. Elle se lève avant tous les autres pour s’entraîner et elle persévère sans relâche. Bientôt, la jeune femme arrive à remonter dans le classement et, à l’épreuve décisive, elle fait remporter son équipe. Ainsi, Roth montre aux lecteurs l’importance de faire des efforts pour atteindre leurs objectifs. Sous la plume de Veronica Roth, le lecteur apprend à apprivoiser et à accepter ses plus grandes peurs. Avoir peur ne souligne pas un manque de courage. Au contraire, le courage signifie d’avoir conscience de ses peurs et de les surmonter. Elles agissent donc comme une pression nous poussant à nous développer et à nous surpasser. Une autre belle leçon qu’il est possible de tirer du roman est la suivante: des résultats ne peuvent pas définir une personne. Tout le monde est unique, ce qui veut dire que les résultats d’examens, que ce soit sur le plan scolaire ou professionnel, n’indiquent pas la vraie valeur d’une personne. Comme le livre s’adresse surtout à un public adolescent en quête identitaire qui se remet sans cesse en question, la leçon s’avère très rassurante et inspirante. Comme le dit Shailene Woodley, l’actrice qui joue Tris Prior: «[…] les jeunes femmes et les fillettes ont besoin de voir qu'elles n'ont pas à être des demoiselles en détresse, elles n'ont pas à cacher leur force, elles n'ont pas à se conformer aux stéréotypes […].» (Traduit de l’anglais par Isabelle Hontebeyrie de l’Agence QMI.)

 

Une amazone moderne

Si Katniss et Tris s’éloignent un peu de la figure originale de la guerrière, soit de l’Amazone, une autre guerrière s’en rapproche bien plus. Il s’agit de Wonder Woman, de son vrai prénom Diane. En plus de posséder une armure qui rappelle celle des Amazones de l’Antiquité gréco-romaine, Diane possède la force, la beauté et l’ambition. Son créateur, le professeur Marston, affirme qu’il s’est bel et bien inspiré de l’Amazone pour créer son personnage. En effet, dans la mythologie grecque, les Amazones étaient un groupe de femmes qui vivaient sans l’aide des hommes. Pour lui, il est important que les femmes sachent qu’elles ont le pouvoir de faire leurs propres choix. C’est ainsi que fut créée Wonder Woman, fille d'Hippolyte, descendue du ciel pour défendre la justice et la démocratie américaine. 

Somme toute, les guerrières chez Collins et chez Roth ont beau se ressembler sur certains points, elles sont tout de même globalement différentes. Contrairement au cas de Katniss, qui est déjà brave et forte dès le début du roman, il est plus facile de noter l’évolution psychologique de la guerrière de Divergence. Partant d’une fille timide et chétive, Tris devient à travers de nombreuses épreuves une jeune femme pleine de caractère, courageuse et surtout plus entraînée. Cependant, il n’y a pas que les romans qui adoptent la figure de la guerrière. Il y a aussi des jeux vidéo, comme Tomb Raider, des films, tels que Wonder Woman ou Captain Marvel, ou des séries, comme Supergirl. Il est possible de remarquer que les stéréotypes de la femme sont mis de côté dans ces œuvres artistiques mettant en vedettes des guerrières fortes et braves.

 

Bibliographie complète

COLLINS, Suzanne. Hunger Games, Paris: Pockey Jeunesse, 2008.

ROTH, Veronica. Divergence, Paris: Nathan, 2011.