Pandémies

Pandémies

 

Impossible, en ces temps de confinement hantés par le spectre du coronavirus, de ne pas s'interroger sur notre imaginaire contemporain de la pandémie qui, en nous rattrapant, est déjà en train de muter «en temps réel». Or celui-ci, comme toujours, plonge ses racines dans la longue durée des représentations culturelles.

Inauguré par «l'autre chef-d'œuvre», méconnu, de Mary Shelley, The Last Man (1826), l'apocalypse pandémique va connaître une série de vagues elles-mêmes épidémiques, se propageant dans divers médias. L'émergence de la bactériologie à la fin du XIXe siècle alimenta une première cohorte de fictions pandémiques, alliant guerres (biologiques) futures, «bio-terrorisme» anarchiste, savants fous et bouleversements sociétaux inédits après la fin du monde. Ensuite, alimentée par une rhétorique de la viralité empreinte de Guerre Froide idéologique, la hantise de la guerre bactériologique nourrit un cycle flamboyant que l'on pourrait situer entre le «techno-thriller» paranoïaque d'Alistair MacLean The Satan Bug (1962) et l'horrifique (au double sens du terme) Warning Sign (1985), clairement épigonique. Vient ensuite la troisième vague où nous sommes, inaugurée par l'émergence, au tournant des années 1990, de ce que Priscilla Wald nomme le «récit épidémique» (outbreak narrative). Issu de l'épidémiologie, ce récit devient à son tour viral, «contaminant» les médias et la quantité de fictions populaires qui s'en approprient et le fantasmagorisent à souhait. D'Outbreak (Wolfgang Petersen, 1995) à Contagion (Steven Soderbergh, 2011), en passant par des œuvres telles que la trilogie dystopique de Margaret Atwood (2003-13) ou le jeu vidéo Plague Inc (2002) le récit épidémique triomphe, façonnant l'imaginaire du Village Global de plus en plus hanté par le retour réel des pandémies.

Comment ce récit éminemment «populaire» informe-t-il nos réactions à la crise du coronavirus? À l'inverse, en quoi cette dernière permet-elle de le réinterroger, ainsi que toute la tradition dont il découle? À côté des œuvres canoniques, quelles ont été les créations méconnues ou subversives (l'on peut penser à The Hamburg Syndrome de Peter Fleischmann, 1980) qui sont restées en dehors du récit épidémique, voire l'ont contesté?

Ce dossier accueille, entre autres, les textes issus du speed colloque virtuel Contagion et confinement, organisé par Elaine Després et Sarah Grenier-Millette, le 29 avril 2020.

 

N'hésitez pas à nous envoyer vos textes. Les dossiers thématiques POP-EN-STOCK, comme les articles individuels, sont à soumission ouverte. Une fois un numéro thématique «lancé», il demeure ouvert, indéfiniment, à quiconque voudrait y soumettre une collaboration. Le(s) directeur(s) d’un dossier s'engage(nt) à évaluer et éditer les nouvelles propositions à leur dossier pour une durée de deux ans, sous la supervision des directeurs de la revue.

La longueur des articles est variable. POP-EN-STOCK accepte une limite inférieure équivalente à sept ou huit pages (3000 mots), afin de favoriser la publication rapide, mais peut aussi accepter des articles beaucoup plus longs selon l'offre (n'étant pas limitée par un impératif de préservation de la forêt boréale).

The Andromeda Strain (1971)
Soumis par Bertrand Gervais le 15/06/2020

La première fois que j’ai été confronté à une situation de pandémie potentielle, c’était au cinéma en 1971, à la sortie du film «The Andromeda Strain» (Robert Wise). En 1971, nous étions entre deux moments forts de la guerre froide; nous avions fini de nous sentir au bord d’une apocalypse nucléaire, provoquée par la tension entre l’URSS et les États-Unis et leur course aux armements; et Ronald Reagan n’avait pas encore été élu président, ce qui allait relancer pour une autre ronde la logique de dissuasion («deterrence», en anglais) au cœur de la rivalité entre les deux superpuissances. C’est dans ce creux, entre deux crises, entre deux spectres apocalyptiques, que le film, adapté du roman de Michael Crichton (1969), est sorti en salle.

Fathromi Ramdlon / Pixabay
Soumis par Frédéric Bally le 15/06/2020

La «crise» sociale, économique et sanitaire liée à la Covid-19 est sans précédent en Occident en ce qui a trait aux conséquences, présentes comme futures, qu’elle a entraînées. Si la focalisation est mise sur l’économie par les politiques et les grands médias, nous souhaitons proposer une réflexion sociologique sur ce que représente le confinement et sur les différentes situations qui peuvent être mises au jour par celui-ci. Que veut dire être confiné ? Cet état non choisi –dans cette situation si particulière– se vit de manière différente selon le type d’habitation des individus, leurs activités, leurs moyens matériels, entre autres choses. Pourquoi certaines populations «transgressent» les règles de confinement, tandis que d’autres les respectent? Qu’est-ce qu’être confiné veut dire pour elles? Si le confinement est vu par certains comme l’occasion de réfléchir, de ralentir, de prendre du recul, il est vu par d’autres comme une situation subie, où les ressources économiques, mais aussi sociales, s’amenuisent et font craindre un futur bien sombre (soulevant cette fameuse question de «l’après»).

Soumis par Aurélie Palud le 8/06/2020

Les écrivains ayant consacré un roman au sujet de l’épidémie se servent souvent de la métaphore de la contagion pour évoquer leur fonction sociale ou leur travail de création. Qu’ils aient mobilisé cette analogie en amont ou en aval de l’écriture, ils créent un écho entre leur production romanesque et leurs essais théoriques. Parmi ceux-ci, mentionnons Albert Camus dans «La Peste», José Saramago dans «Ensaio sobre a Cegueira» («L’Aveuglement»), Jean-Marie Gustave Le Clézio dans «La Quarantaine», André Brink dans «The Wall of the Plague» («Le Mur de la Peste») et Juan Goytisolo dans «Las virtudes del pájaro solitario» («Les vertus de l’oiseau solitaire»).

Soumis par Jean-Paul Engélibert le 25/05/2020

Le 12 avril 2020, au moment où l’épidémie de la COVID-19 atteignait son pic en France, Mediapart publiait un entretien avec l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau dans lequel ce dernier caractérisait ainsi cet événement: «[N]os sociétés subissent aujourd’hui un choc anthropologique de tout premier ordre. Elles ont tout fait pour bannir la mort de leurs horizons d’attente, elles se fondaient de manière croissante sur la puissance du numérique et les promesses de l’intelligence artificielle. Mais nous sommes rappelés à notre animalité fondamentale […]. Nous restons des homo sapiens appartenant au monde animal, attaquables par des maladies contre lesquelles les moyens de lutte demeurent rustiques en regard de notre puissance technologique supposée: rester chez soi, sans médicament, sans vaccin…» (Audoin-Rouzeau, 2020)

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 10/05/2020

Un des principaux paradoxes de la mémétique coronavirale c'est qu'elle vise bien moins le virus comme tel que ce qui est perçu comme son principal effet sociétal, le confinement.

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 7/05/2020

Invisible, le coronavirus engage une mobilisation scopique totale, précédée là aussi par des multiples simulations et aboutissant à un dispositif tout à fait sidérant: la perspective de l'«Apocalypse Live».

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 6/05/2020

L'énigme de l'origine de la pandémie (le célèbre «Patient zéro» du récit épidémique tel qu'analysé par Priscilla Wald) n'est dévoilé que dans la dernière scène de «Contagion», invoquant de façon inattendue le principe structural du récit policier et brisant la linéarité chronologique jusque-là scrupuleusement respectée («Day 1»).

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 6/05/2020

Si nous avons tous l'impression de nous retrouver «dans un film» c'est, comme nous en avons l'intuition, que nous y sommes.

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 5/05/2020

Dédié à Herwann Mahaud, survivant, et à tous les amis qui ont perdu des êtres chers