Le savant fou tel qu'en ses oeuvres

Le savant fou tel qu'en ses oeuvres

 

Personnage emblématique de la fiction anglaise du 19e siècle –de Frankenstein à Moreau, en passant par Jekyll–, le savant fou est le creuset des tendances contrastées de la science en pleine métamorphose, sous l’impulsion de Darwin, Lavoisier et autre Pasteur. Il en incarne les fantasmes les plus délirants, mais aussi les dangers à travers ses projets radicalement inédits et transgressifs, qu’il mène en dehors de l’institution et de ses règles, œuvrant dans des lieux généralement isolés (laboratoire, villa ou château), en retrait de la société, au propre comme au figuré.

Dans la plupart des cas, ses connaissances poussées en biologie et en chimie lui permettent de créer des êtres nouveaux, hybrides, se posant ainsi en véritable Prométhée plasticator, remodelant la matière, qu’elle soit humaine, animale ou technologique. Or, les conséquences sont souvent désastreuses: pour lui, puisqu’il est le plus souvent rattrapé par la nature qu’il tente de déjouer; pour la société, qui n’est pas en mesure d’intégrer un Autre aussi radical; et pour l’humanité, dont la définition même est mise en danger par ce miroir déformant. Alors, pourquoi s’entêter si les conséquences sont aussi immanquablement funestes? Là se situe justement la folie du savant fou: dans sa libido sciendi, cette pulsion incontrôlable et dévorante de la quête du savoir et de la technique, cette pulsion épistémique évoquée par les créateurs de la bombe nucléaire: «lorsque vous voyez quelque chose de techniquement réjouissant, vous allez de l’avant et vous l’accomplissez et vous vous demandez quoi en faire seulement après avoir obtenu votre succès technique» (J. Robert Oppenheimer).

On peut d’ailleurs constater à cette époque un changement radical dans la représentation du savant fou: l’ombre de Frankenstein plane toujours, mais, d’une part, la physique, la génétique et la cybernétique ont remplacé la biologie et la chimie, et, d’autre part, la big science et le complexe militaro-industriel ont absorbé les savants fous solitaires pour en exploiter les talents de créateurs. Si l’on se concentre souvent sur la folie de ces personnages ou sur les questionnements éthiques résultant de leurs œuvres, il ne faudrait pas négliger les méandres d’une créativité si tortueuse qu’elle rapproche le scientifique de l’artiste et le laboratoire de l’atelier. Comme l’artiste, le savant fou souhaite laisser des traces et refuse d’accepter le monde tel qu’il est pour l’imaginer d’une manière radicalement différente; ce faisant, il dépasse de nombreuses limites. À la différence de l’artiste, le savant fou refuse d’être limité par l’imagination, il agit concrètement (et parfois brutalement) avec les outils qui sont les siens. Si le scientifique est en quête de connaissances, le savant fou et l’artiste sont des créateurs; comme les alchimistes d’autrefois, ils n’ambitionnent qu’à réaliser leur Grand Œuvre.

C’est cette créativité des savants fous –qui peut également prendre une forme destructrice et prolixe, en particulier lorsqu’il s’agit de s’opposer à des superhéros– que le présent dossier entend aborder.

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Podcast associé: Frankenstein, du Prométhée moderne au phallus indestructible

Billet de blogue associé: Frankenstein, ou le cauchemar d'une jeune fille en fleur

Dossier(s) associé(s): 
Soumis par Elaine Després le 21/03/2016

Depuis son apparition dans la littérature britannique au XIXe siècle, la figure du savant fou a subi de nombreuses métamorphoses, en fonction des grandes découvertes scientifiques et des nouvelles formes de fiction investies. Ainsi, les savants fous littéraires, scéniques, cinématographiques, bédéistiques, puis télévisuels se sont développés indépendamment, construisant leurs propres codes, mais toujours en relation hypertextuelle avec leurs origines littéraires.

Soumis par Elaine Després le 21/03/2016

L’histoire de la médecine occidentale a parfois des tendances positivistes. À partir de la médecine d’aujourd’hui, elle relate le développement de savoirs et de techniques ou présente des médecins qui se sont avérés (l’histoire nous l’aura appris) particulièrement importants. Comme si l’évolution de la médecine avait été un long fleuve tranquille d’accumulations de savoirs nouveaux. Se trouve alors occulté tout un pan de l’histoire, celui de la médecine qui trébuche, qui s’accroche au passé, aux superstitions.