Frontières et conquêtes

Frontières et conquêtes

 

Ce dossier thématique englobe les actes des colloques étudiants Interstices: la richesse des frontières (2014) et  Transgressions: métamorphoses et changements d'allégeances (2015), organisé par Mathieu Villeneuve, Paul Kawczak et Samuel Archibald, dans le cadre du Congrès Boréal 2014. Il reste, comme tous les autre du site, ouvert à des nouvelles collaborations.

Dans le cadre du Congrès Boréal 2015 – le rassemblement des amateurs et des spécialistes des littératures de l’imaginaire depuis 1981 – qui a eu lieu à Montréal les 8, 9 et 10 mai 2015, et à l'occasion du centième anniversaire de La Métamorphose de Kafka, les chercheur.e.s du colloque Transgression: Métamorphoses et changements d’allégeances se sont penché sur la question de la métamorphose sous l'angle de ses implications littéraires ainsi que de ses diverses allégeances.

«Certes, écrit Pierre Brunel, on aura bien souvent, en lisant des récits de métamorphoses, l'impression de quitter le domaine de la logique, mais pour mieux retrouver celui de la littérature.» En effet, la métamorphose partage avec la littérature bien des similitudes: elle joue de la même dialectique de l'identique et du différent, qui, comme la métaphore, feint de décrire l'autre pour décrire le même; elle invite à penser l'idée de changement, relatif ou radical, et sa signification.

La métamorphose peut aussi être perçue comme la transgression d'une forme vers une autre. Thématiquement, elle accompagne le franchissement de l'interdit: chez Ovide, elle suit souvent la transgression d’une règle, la rupture d'un ordre. La métamorphose crée des monstres, des mondes au-delà d'un ordre initial. Ce nouvel ordre semble être celui que raconte le mythe, l'histoire originelle et symbolique, tant le thème de la métamorphose est partagé par de nombreux récits mythiques. Ici encore se rejoignent métamorphose et littérature.

Les littératures de l'imaginaire ne peuvent être que des littératures de la transformation, de la métamorphose du monde par une imagination qui la transcende. Une littérature qui offre de nouveaux espace-temps, de nouvelles créatures, de nouveaux genres et sous-genres... Or si la métamorphose est une dialectique du même et du différent, quelles fidélités conservent les identités métamorphosées? Que reste-t-il de Twilight dans Fifty Shade of Grey? Que reste-t-il d'un homme dans un loup-garou? Que reste-t-il de La Métamorphose de Kafka dans La Mouche de Cronenberg? Quelles nouvelles allégeances se créent à l'issue des mutations, qui sont les nouveaux maîtres, les nouveaux ordres, les nouveaux impératifs?

Que ce soit d'un point de vue générique – les genres, les sous-genres, les médias et leurs croisements, l'évolution de leurs rapports et de leurs identités, etc. –, d'un point de vue thématique – les monstres, les freaks, les univers évolués, évolutifs, etc. –, d'un point de vue philosophique – la métamorphose dans ses rapports avec le bien et le mal, la transgression –, d'un point de vue d'histoire des idées – métamorphoses historiques des imaginations –, la métamorphose, ses transgressions et ses changements d'allégeance offrent au chercheur de nombreuses approches de la littérature et des arts de l'imaginaire.

L'idée de frontière implique un double espace: celui des territoires qu'elle sépare, et le lieu de la séparation lui-même. Dans le contexte de la postmodernité, la séparation tend à s'élimer, à «s'élider1»; elle laisse place à un «entre», un interstice habitable, où le mélange est non seulement possible, mais reconnu et travaillé. Les plus étranges mutations deviennent possibles, dont l'une des plus impressionnantes demeure le roman Abraham Lincoln, chasseur de vampires. Devant quoi nous trouvons-nous? Une blague politique ou esthétique? Ou, plus fondamentalement, devant une transgression générique? La réponse varie d'un théoricien à l'autre. La question mérite néanmoins d'être posée: la notion de genre littéraire sous-entend un ensemble de codes qui modulent à la fois l'horizon d'attente d'un genre donné ainsi que ses modes de lecture, de telle sorte que tout franchissement des limites instaurées par ces codes contient la possibilité d'une nouvelle «carte» des genres.

Évidemment, les mélanges littéraires ne datent pas d'hier, que l'on pense aux comédies en cinq actes et en alexandrin du dix-septième siècle, au mariage du roman et des mémoires au dix-huitième, à l'avènement du roman d'aventures phagocytant les autres genres de la littérature d'imagination au dix-neuvième, aux jeux de la prose et de la poésie au vingtième... Il semble cependant que la modernité, puis la «post-modernité» aient favorisé davantage la transgression des frontières génériques. La liste des oeuvres «multigénériques» est nombreuse et leurs formes multiples: roman policier anticipatif, roman d'énigme dans un monde exotique, roman d'énigme fantastique, etc. Il est désormais acquis qu'un genre est variable, change avec le temps. Pour Tzvetan Todorov, «toute oeuvre modifie l'ensemble des possibles, chaque nouvel exemple change l'espèce» (Introduction à la littérature fantastique, 10). Richard Saint-Gelais va encore plus loin: pour lui, la compréhension du phénomène générique passe nécessairement par l'abandon d'une «conception essentialiste [l'espèce de Todorov] qui aboutirait à une hypostase des genres, en y voyant une matrice ou un ensemble de propriétés plutôt qu'un domaine de pratiques» (L'empire du pseudo: Modernités de la science-fiction, 13). Dans un tel contexte, quelles sont les nouvelles avenues pour les littératures de l'imaginaire? C'est à cette question que le dossier thématique Interstices: la richesse des frontières tente d'apporter des réponses.

 

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La longueur des articles est variable. POP-EN-STOCK accepte une limite inférieure équivalente à sept ou huit pages (3000 mots), afin de favoriser la publication rapide, mais peut aussi accepter des articles beaucoup plus longs selon l'offre (n'étant pas limitée par un impératif de préservation de la forêt boréale).

  • 1. On peut considérer avec Michel Freitag que l'une des particularités de la postmodernité est de dépasser l'opposition dialectique telle que pratiquée par la modernité. Freitag, Michel, L'oubli de la société. Pour une critique de la postmodernité, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 2002.
Soumis par Rochdi Elmanira le 26/08/2017

Le mythe de la créature par l’homme remonte, peut-être, au désir irrémédiable de ne pas mourir, ne pas vieillir, ne pas souffrir, et de tout obtenir, comme le rappelle Laurent Alexandre, l’auteur de La mort de la mort (2011). Il s’agit de mettre fin à la dictature des limites humaines et d’avoir une capacité d’action illimitée sur le cosmos, telle a toujours été l’ambition de l’humanité. Mais l’idée de créer des artefacts entamera-t-elle un changement de civilisation pour l’humanité? Celle-ci, en sera-t-elle pour autant plus heureuse, plus efficace car augmentée? Seule une réflexion sérieuse autour des implications philosophiques et éthiques des progrès technologiques à venir peut nous apporter des éléments de réponse. Car si le transhumanisme sert à améliorer la nature humaine et à lui donner une valeur ajoutée, il faut garder à l’esprit ses enjeux économiques: Google, Amazon et Silicone Valley investissent, en effet, des milliards de dollars dans de tels projets juteux.

Soumis par Simon Bréan le 26/08/2017

Parmi les nombreuses variations mettant aux prises créateur et créature en science-fiction, une configuration met bien en évidence ce que l’anthropocentrisme peut avoir d’excessivement orgueilleux: la représentation de l’éviction, moins par la violence que par une sorte d’inexorable nécessité, de notre espèce –se croyant au pinacle de l’évolution– par l’espèce qu’elle a créée, et dont l’infériorité prétendument ontologique devait couronner une maîtrise totale de la nature. Les écrivains puisent ici à un fonds mythique commun à toutes les cosmogonies, motivé par la nécessité d’expliquer la rupture entre le monde divin et le monde humain, en raison d’une faute originelle, comme l’accès à la conscience de soi de la Genèse ou la maîtrise technique comme dans le mythe prométhéen; à cette différence près que c’est l’humanité qui endosse le rôle du dieu jaloux.

Soumis par Myriam Marcil-Bergeron le 25/08/2017

Les premières plongées abyssales réalisées dans les années 1950 grâce au bathyscaphe inventé par le physicien suisse Auguste Piccard ont permis d’atteindre des fonds situés à plusieurs milliers de mètres sous la surface de l’eau. C’est à bord de cet appareil que la plus grande profondeur connue à ce jour, le Challenger Deep, à presque 11000 mètres dans la fosse des Mariannes, a pu être observée en 1960 par Jacques Piccard et Don Walsh (Piccard, 1961). L’expérience ne s’est d’ailleurs répétée qu’en 2012 grâce au Deepsea Challenger de James Cameron (National Geographic, 2017). Entre ces deux plongées, les moyens techniques se sont perfectionnés et la connaissance de la faune s’est accrue, mais ce milieu continue néanmoins à symboliser la dernière frontière de la planète, un univers si radicalement autre que l’appréhender implique inévitablement une comparaison avec l’espace sidéral.

Soumis par Noémie Budin le 19/04/2016

Lorsqu’il apprend à Wendy la naissance des fées au premier éclat de rire d’un enfant et leur mort quand celui-ci s’exclame ne plus croire en leur existence, Peter Pan évoque le rapport entre le monde imaginaire et le monde réel. Si le premier n’existe que par rapport au second, il en apparaît comme l’échappatoire, comme une fenêtre laissée ouverte, rendant possible la fuite de la réalité vers la Féerie en étant guidé par quelque Fée…

Soumis par Mylène Truchon le 2/03/2016
Catégories: Erotisme, Féminisme, Cinéma

Les féministes ne parviennent pas à trancher quant à la question de la pornographie, se divisant alors en deux castes: celle réunissant les féministes anti-pornographie et celle réunissant les féministes pro-sexe. Les premières conçoivent l’industrie pornographique comme un bloc monolithique et croient donc qu’il n’existe qu’un seul type de film X: le mauvais. À leur avis, l’expression «pornographie féministe» constitue un oxymore parfait. Notons que plusieurs hommes s’inscrivent dans ce mouvement, comme le mentionne souvent Richard Poulin dans son ouvrage Le sexe spectacle: consommation, main d’œuvre et pornographie. Les féministes pro-sexe, quant à elles, ont certes aussi remarqué qu’il y avait quelque chose de pourri au royaume du film pour adultes.

Soumis par Ophélie Queffurus le 28/09/2015

La réflexion que propose le thème de ce colloque m’incite naturellement à transposer les questions qu’il sous-tend au domaine qui est le mien:l’Art. Cette réflexion, précisons-le, a lieu dans le cadre du doctorat en Étude et Pratiques des Arts que je mène conjointement à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) et à l’Université Rennes II. Une des particularités de ce doctorat est due à sa double nature à la fois théorique et pratique engageant l’individu, autrement dit, l’artiste-chercheur dans un processus réflexif symbiotique mêlant ces deux aspects. C’est donc par l’entrecroisement de ces deux points de vue que ma présente réflexion va se construire.

Soumis par Marie-Ève Bolduc le 20/07/2015

Dans «L’Histoire sans fin» de Michael Ende, le jeune Bastien est aspiré dans le monde fictionnel alors qu’il lit les aventures d’Atréju, un guerrier chargé de trouver un remède à la maladie de la Petite Impératrice du Pays Fantastique. Bastien guérit la Souveraine et est récompensé par des qualités auxquelles il aspirait. Il réintègre son univers d’origine après avoir fait de nombreuses erreurs ayant failli lui coûter la raison. Ce roman présente deux mondes parallèles: un premier niveau diégétique –considéré comme la réalité– et une métadiégèse –qui représente l’univers imaginaire.

Soumis par Milovan Larcher le 14/07/2015

Le fantastique en littérature est assujetti à de multiples critiques théoriques depuis la publication en 1951 de la thèse de Pierre-Georges Castex Le conte fantastique en France de Nodier à Maupassant, qui qualifie l’évènement fantastique de «rupture» dans «la trame de la réalité quotidienne» (1951: 8). Roger Callois s’aligne sur cette réflexion en le définissant comme une «rupture de l’ordre reconnu» (1966: 191) dans sa célèbre préface à l’Anthologie du fantastique. Louis Vax également, dans La séduction de l’étrange, le désigne comme «rupture des dominantes du monde réel» (1965: 172). Irène Bessière le distingue du merveilleux par son aspect «thétique», c’est-à-dire qu’«il pose la réalité de ce qu’il représente» (1974: 36). Pour Tzvetan Todorov (1970), la différenciation entre merveilleux et fantastique s’opère dans le rapport entre l’univers fictif et celui qui est supposé réel, ou probable.

Soumis par Melissa Goulet le 14/07/2015

Le roman policier contemporain comporte une large part métafictionnelle qui influe sur l'activité de lecture. Un auteur tel que Somoza effectue un retour aux sources en réinventant le roman policier classique, soit le roman à énigme, pour construire un jeu dans lequel le lecteur trouve sa part participative à un second niveau, où il serait encore plus actif. Qui plus est, la littérature contemporaine tente de transformer le rapport du lecteur au texte en l'incluant littéralement dans l'œuvre. C'est dire que le roman policier métafictionnel repose sur une structure orientée vers son lecteur. À partir du roman «La Caverne des idées», de José Carlos Somoza, nous verrons comment la métafiction, en tant que jeu sur les frontières fictionnelles, produit des effets de lectures qui poussent le lecteur à confondre réel et imaginaire, texte et hors-texte.

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