Who owns the words (1): William S. Burroughs/William Gibson Remix

Who owns the words (1): William S. Burroughs/William Gibson Remix

Soumis par Christophe Becker le 08/03/2013
Catégories: Esthétique

 

«Ideas or the lack of them can cause disease.» (Kurt Vonnegut)

William Ford Gibson est né à Conway en Caroline du Sud le 17 mars 1948. Ecrivain américain, émigré au Canada au moment de la guerre du Vietnam, il est connu à travers le monde pour ses textes de science-fiction, plus particulièrement pour son premier roman Neuromancer publié en 1984 dans la collection Ace Science Fiction Specials (Ace Books). Gibson est reconnu comme le père du mouvement «Cyberpunk», un mouvement littéraire qualifié de «sous-genre de la science fiction qui se caractérise par des antihéros contreculturels pris au piège d’un futur déshumanisé et high-tech» 1.

Parmi les figures qui vont inciter le jeune Gibson à embrasser la carrière de romancier, William S. Burroughs (1914 – 1997), membre fondateur de la Beat Generation avec Jack Kerouac et Allen Ginsberg. Or, si de nombreux critiques ou universitaires ont pu mentionner le rapport entre l’univers dystopique développé par Burroughs tout au long de sa carrière et le monde futuriste décrit par Gibson, ou sur le mouvement «Cyberpunk» au sens large, peu d’études reviennent sur l’influence de l’écriture de William Burroughs, sur le style de l’écrivain comme sur ses techniques les plus expérimentales, en particulier la technique du cut-up, sur l’écriture du jeune Gibson dans les années où celui-ci développait sa propre phraséologie.

Ce manque d’informations ou d’examen plus approfondi est d’autant plus dommageable que, comme nous proposons de l’étudier ici, William Gibson a su, tout au long de sa carrière et jusqu’à nos jours, accorder à William Burroughs, à sa figure d’auteur ou d’essayiste comme à son discours politique, voire philosophique, ou à ses stratégies d’écriture, un rôle tout à fait central qu’il nous reste à définir. Ce rôle, disons-le dès à présent, permettant de replacer Gibson non seulement comme le récipiendaire d’un héritage burroughsien, mais également comme le continuateur original d’un discours littéraire et plus largement artistique aussi riche que complexe.

Ainsi les hommages que rend Gibson à Burroughs par l’intermédiaire d’évocations de sa personne, de simples mentions de son nom ou de citations plus ou moins aisées à localiser. Le nombre de ces évocations, mentions et citations justifie a priori que l’on s’attarde à les relever et à les distinguer selon des critères que nous définirons plus loin. Leur fréquence justifie également qu’on interroge le rôle qu’elles jouent dans le travail d’écriture de Gibson. La diversité des formes et des occurrences de ces évocations, mentions et citations apparaît comme une invitation à explorer plus avant la façon dont l’écriture de Burroughs influe sur celle de ses successeurs.

Par «évocation de la personne de Burroughs», nous entendons l’action «d’appeler, de faire venir, de faire apparaître» 2 la personne de l’écrivain dans la narration. Par «mention», nous entendons le fait de citer le nom de Burroughs. Enfin, par le terme de «citation», nous entendons un «passage emprunté à un auteur», ici Burroughs, «qui peut faire autorité»3. En ce qui concerne les citations, nous distinguerons entre les citations de mots ou de phrases, les maximes et les demi-citations.

La personne de Burroughs est évoquée dans Pattern Recognition, où l’héroïne Cayce Pollard n’a comme souvenir de son père que quelques rares photographies, dont une où «ses amis le confondaient parfois avec William S. Burroughs plus jeune»4. Dans Spook Country, Gibson décrit le personnage du «vieil homme» («the old man») qui «ressemblait un peu à William Burroughs, le côté bohémien en moins (ou peut-être la méthadone) [sic]»5. Ce faisant il cite le nom de Burroughs tout en se référant au phénomène d’intoxication qui est l’un des thèmes principaux de ses romans depuis Junkie; la méthadone étant un produit de substitution administré aux drogués à l’héroïne, qui a été l’objet de toutes les critiques de Burroughs qui le considérait comme un moyen pour le gouvernement américain de contrôler les populations.

Le lecteur de Gibson qui saisit le nom «Burroughs» peut se renseigner sur l’écrivain, découvrir son œuvre ou approfondir le rapport entre les deux hommes en termes d’influence littéraire. En outre, la façon qu’a Gibson d’évoquer William Burroughs, non pas à travers des références plus ou moins précises à son œuvre écrite, mais à travers des renvois à son apparence physique ou à son passé de toxicomane, indique au lecteur que Gibson renvoie à l’individu, à ses souffrances et à son parcours, et signale que son rapport à Burroughs tient compte de l’expérience, du vécu de ce dernier, et de sa mythologie.

De même, dans Zero History, les déambulations du personnage de Milgrim rue «Git-le-Cœur [sic]» à Paris font écho au séjour de William Burroughs au Beat Hotel, à ses expérimentations sur bandes magnétiques, mais aussi au roman Naked Lunch achevé en ses murs6. Gibson confirme sa connaissance du parcours intellectuel et géographique de Burroughs. En outre, en faisant une référence claire à la librairie «Un Regard Moderne» tenue par Jacques Noël, spécialiste de Burroughs, l’auteur souligne qu’il fait partie d’un cercle d’admirateurs de l’écrivain américain, d’un cercle de «connaisseurs» souvent à la recherche de documents rares ou inédits7.

On peut observer dans les entretiens où William Gibson parle de son admiration pour Burroughs qu’il ne différencie pas toujours Burroughs l’auteur, de Burroughs la personne sociale. Ainsi, dans le documentaire de Mark Neale, No Maps for These Territories, Gibson explique vouloir «être comme William Burroughs» («to be like William Burroughs»8) sans pour autant mentionner son œuvre. En outre, Gibson affirme «avoir évité les opiacées du fait d’avoir lu Burroughs» («I was kept from the opiates by having read Burroughs») sachant que les textes de Burroughs qui traitaient de son addiction, comme Junky par exemple, étaient les plus volontiers autobiographiques.

Les mentions du nom «Burroughs» sont les plus simples à relever dans les textes de William Gibson puisqu’elles sont immédiatement identifiables. Le nom de «Burroughs» est mentionné dans «Rocket Radio» (Rolling Stone, juin 1989) et «Academy Leader» (1991) où Gibson mentionne le patronyme de Burroughs par le biais des «machines à calculer Burroughs» («Burroughs adding machines») inventées par le grand-père de l’écrivain. Dans ce cas, le lecteur qui connaît suffisamment l’histoire personnelle de Burroughs sait qu’il s’agit d’un renvoi indirect à l’écrivain et non pas à un simple homonyme.

Ces mentions peuvent amorcer deux comportements possibles chez le lecteur. Le premier, pour ceux qui ne connaissent pas Burroughs, ou qui le connaissent mal, est de se renseigner sur lui et, pourquoi pas, de découvrir son œuvre. Le second, pour ceux qui connaissent déjà Burroughs, est d’approfondir le rapport entre les deux hommes en termes d’influence littéraire. C’est ce travail, précisément, que nous proposons de faire ici.

Avant de nous pencher sur les occurences de passages tirés de textes de William Burroughs dans les romans de Gibson, il nous faut parler des cas où William Gibson cite un seul mot de William Burroughs. Ce mot n’a rien de particulier pour un lecteur qui ne connaît pas l’œuvre de Burroughs. Un lecteur familier reconnaîtra, lui, qu’il fait partie du lexique typiquement burroughsien.

Ainsi l’emploi que fait William Gibson du substantif «centipede» à trois reprises, dans Count Zero où il désigne un appareil chirurgical («he laid the centipede down the length of the open wound»9), puis dans Idoru où il désigne le symbole qui représente l’un des utilisateurs d’Internet («A huge centipede lay curled at its bottom, a thing the color of dead cuticle.»10). Or, le «centipede», ou arthropode semi-aquatique du Brésil, fait partie, avec les scorpions et les vautours, du «bestiaire favori» de William Burroughs comme le note Philippe Mikriammos11.

Le «centipede» endosse plusieurs rôles dans la diégèse burroughsienne. Il apparaît d’abord dans Junky où il renvoie aux hallucinations du drogué William Lee qui rêve «d’énormes centipèdes» dans les rues d’un «New York en ruines»12. Dans Naked Lunch, le mot renvoie à la drogue baptisée «Viande Noire» («Black Meat»13) et aux mutations de plusieurs personnages de Burroughs qui prennent progressivement la forme de l’insecte: «The Complete All American Deanxietixed Man» et le «Sender» dans Naked Lunch14, ou «Centipeter» dans Early Routines (1981) et Interzone (1987)15.

Dans les textes de Burroughs, le «centipede» est un acteur de la diégèse particulièrement important. Comme nous pouvons l’observer, Gibson ne lui fait pas jouer le même rôle dans la diégèse de ses propres romans. Son emploi du mot «centipede» apparaît comme l’évocation furtive d’une image typiquement burroughsienne, dépourvue ici de sa fonction diégétique originale.

Ces citations du mot «centipede» indiquent qu’il existe plusieurs niveaux de lecture des œuvres qui forment notre corpus. Elles divisent le public de Gibson en deux groupes: ceux qui relèvent tout ou partie de ces allusions, et les autres. Pour ce premier groupe, un lien à la limite de la connivence s’installe avec Gibson. Nous sommes dans le cas de l’usage moderniste de la citation: il s’agit d’inclure le lecteur dans une communauté d’érudits qui reconnaissent les citations, et lui donnent le sentiment d’appartenir via un savoir partagé à une famille intellectuelle.

Pour les autres, les citations que Gibson fait de Burroughs sont invisibles. Comme nous le disions précédemment, Gibson cite également des phrases ou des morceaux de phrases de Burroughs. Il lui emprunte par exemple l’expression qui constituera le titre de son article «God’s Little Toy» publié en juillet 2005 dans le magazine Wire. L’expression citée est entre guillemets dans l’article, et doit être attribuée à Burroughs, bien que la référence soit erronée et incomplète16. «God’s Little Toy» est l’un des textes de William Gibson qui se réfèrent le plus distinctement à la technique de cut-up burroughsien.

Nous appelons demi-citation une citation «inavouée». Elle témoigne du fait que tout discours se compose de «textes consommés»17, dont la source n’est pas toujours identifiable. Un lecteur familier des textes de Burroughs peut trouver un certain nombre de demi-citations de ce dernier dans les textes de Gibson. Celles-ci sont parfois difficiles à identifier. Le tableau suivant ne se veut, en aucun cas, exhaustif. Il a valeur d’exemple. Les éléments communs aux textes mis en regard sont surlignés en jaune et sont numérotés pour faciliter leur comparaison:

 

William Burroughs

William Gibson

(A1) The study of thinking machines teaches us more about the brain than we can learn by introspective methods. Western man is externalizing himself in the forms of gadgets. Ever pop coke in the mainline? You listen down into yourself after the shock. But C is electricity through the brain, and the C yen is of the brain alone a need without body and without feeling. The C-charged brain is a berserk pinball machine, flashing blue and pink lights in electric orgasm

 

 

 

 

 

Naked Lunch: The Restored Text,

op. cit., p. 22

(A2) Now she straddled him again, took his hand, and closed it over her, his thumb along the cleft of her buttocks, his fingers spread across the labia. As she began to lower herself, the images came pulsing back, the faces, fragments of neon arriving and receding. She slid down around him and his back arched convulsively. She rode him that way, impaling herself, slipping down on him again and again, until they both had come, his orgasm flaring blue in a timeless space, a vastness like the matrix, where the faces were shredded and blown away down hurricane corridors, and her inner thighs were strong and wet against his hips.

 

Neuromancer, op. cit., p. 33

(B1) A Near East Mugwump sits naked on a bar stool covered in pink silk. He licks warm honey from a crystal goblet with a long black tongue. His genitals are perfectly formed -- circumcised cock, black shiny pubic hairs. His lips are thin and purple-blue like the lips of a penis, his eyes blank with insect calm. The Mugwump has no liver, maintaining himself exclusive on sweets. Mugwump push a slender blond youth to a couch and strip him expertly.

"Stand up and turn around," he orders in telepathic pictographs. He ties the boy's hands behind him with a red silk cord. "Tonight we make it all the way."

"No, no!" screams the boy.

"Yes. Yes."

Cocks ejaculate in silent "yes." Mugwump part silk curtains, reveal a teak wood gallows against lighted screen of red Hint. Gallows is on a dais of Aztec mosaics.

 

Naked Lunch: The Restored Text,

op. cit., p. 63

(B2) "It'll work, Case. You got no idea, the kind of stuff Armitage has. Like he's gonna pay these nerve boys for fixing you with the program he's giving them to tell them how to do it. He'll put them three years ahead of the competition. You got any idea what that's worth?" She hooked thumbs in the belt loops of her leather jeans and rocked backward on the lacquered heels of cherry red cowboy boots. The narrow toes were sheathed in bright Mexican silver. The lenses were empty quicksilver, regarding him with an insect calm.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Neuromancer op. cit., pp. 29-30

(C1) Ali woke in a strange bed to find the proprietor standing over him, "Who the fuck are you and what are you doing in my apartment?"

 

The Ticket that Exploded, op. cit., p. 34

(C2) And one morning he woke in a strange bed, the Dutchman standing beside a window spilling tropical green and a sunlight that hurt his eyes.

 

Count Zero, op. cit., p. 10

(D1) When he moved an effluvia of mold drifted out of his clothes, a musty smell of deserted locker rooms.

 

 

Naked Lunch: The Restored Text,

op. cit., p. 44

(D2) A slight pressure differential was enough to tumble her out into a darkness that smelled old and sadly human, a smell like a long-abandoned locker room.

 

Count Zero op. cit., p. 270

 

Nous pouvons constater que Gibson fait des citations de quelques mots tout au plus. Le texte original de William Burroughs est soit cité tel quel («insect calm»; «woke in a strange bed»), soit légèrement modifié (le participe présent «flashing» est transformé en «flaring» par exemple; «deserted locker room» transformé en «long-abandonned locker room»).

Il n’y a pas de correspondance entre les diégèses des extraits (C1) et (C2). Nous observons néanmoins que la séquence de mots «in a strange bed» est tirée de la «section»18 éponyme dans The Ticket that Exploded (pages 32 à 42 de l’édition Grove Press), et que cette dernière est à part dans le roman, comme le souligne Burroughs lui-même dans l’avertissement («acknowledgment»). En effet, la section «In a Strange Bed», comme celle intitulée «The Black Fruit» (pages 85 à 95 de la même édition) ont été réalisées en collaboration avec Michael Portman de Londres19. En empruntant la séquence de mots «in a strange bed», William Gibson renvoie à un aspect bien particulier du travail d’écriture de William Burroughs. A la différence d’auteurs qui forment un tandem à part entière, seul le nom de William S. Burroughs apparaît sur la couverture de The Ticket that Exploded alors que Portman, mais aussi Brion Gysin, ont participé à des portions du texte final (Gysin a écrit la section «The Invisible Generation» qui clôt le roman pages 205 à 217). Gibson pointe du doigt le processus d’appropriation de mots et de séquences de mots de la part de Burroughs qui s’empare d’un matériau littéraire qui, au départ, n’est pas le sien, pour totalement se l’approprier, et met en lumière la façon dont un texte pluriel devient unique et homogène.

Les extraits (A1) (A2) et (B1) (B2) attirent également notre attention. (A1) est tiré d’un discours du Dr Benway qui expose ses théories sur diverses «procédures disciplinaires» («several forms of disciplinary procedures») appliquées à ses patients. Plus particulièrement, Benway explique comment l’étude des «machines pensantes» («thinking machines») lui a permis d’apprendre à «saturer le cerveau de ses patients» toxicomanes en leur infligeant des tortures, et en les plongeant dans un état de soumission totale. L’«orgasme électrique» mentionné ici renvoie aux sensations extrêmes que Benway envoie dans le cerveau de ses patients.

Le second passage (A2) correspond à la description de Case et Molly, les deux personnages principaux de Neuromancer, faisant l’amour. Ici l’orgasme est atteint par les deux personnages, Molly «empalée» («impaling herself») sur Case. Ce passage est d’autant plus notable que Gibson décrit rarement des couples dans ses textes. Burroughs et Gibson n’emploient pas ce mot d’«orgasme» dans le même contexte. Toutefois, comme le souligne Barbara Formis, docteure en Philosophie de l’Université Paris I, si la citation relève bien d’une «duplicité intéressante», c’est que celle-ci «répète, réintègre l’ancien dans un contexte nouveau, fait glisser le discours d’un auteur vers un autre, (…) et mélange la phrase provenant du passé avec la phrase présente»20.

Aussi, l’acte sexuel décrit par Gibson renvoie aux scènes de tortures épouvantables détaillées par le Dr Benway. L’orgasme que le narrateur dépeint comme un moment de véritable jouissance suspendu dans le temps et l’espace («his orgasm flaring blue in a timeless space») à la douleur, à la barbarie et à la domination potentielle. Gibson emploie la citation non pas pour faire de Burroughs une autorité, mais pour ouvrir une porte sur son univers cauchemardesque, et poser la question d’une correspondance thématique entre leurs diégèses respectives, et leurs processus de symbolisation.

L’extrait (B1) renvoie au viol d’un jeune homme par un Mugwump, une créature dont le fluide addictif produit par son pénis entraîne un processus d’intoxication chez ses victimes21. Le Mugwump est un personnage important de la diégèse burroughsienne, puisqu’il permet à l’auteur d’aborder le thème de la sexualité  du point de vue du phénomène d’intoxication. L’expression «insect calm» est ici associée au visage impassible du Mugwump au moment précédant le viol.

L’extrait (B2) correspond au moment où Molly accompagne Case dans une clinique de Chiba City pour faire réparer son système nerveux, et où le «cowboy» observe plus attentivement la jeune femme d’autant plus énigmatique qu’il ne peut jamais voir ses yeux. Ici, l’expression «insect calm» est associée à Molly, et plus particulièrement à ses yeux dissimulés derrière des implants qui réfléchissent la lumière alentour. L’usage de certains mots, chez Gibson, renvoient donc au contexte originel des romans de Burroughs. Pour reprendre les mots de Barbara Formis, il y a un glissement de discours entre l’extrait (B1) et (B2), qui permet au lecteur de voir sous un jour nouveau le personnage de Molly, sur lequel, à ce moment précis du roman, Gibson n’a donné presque aucune information. En effet, le regard de Molly réfléchit une scène de viol et de torture. Une scène apparemment anodine (B2) réverbère une scène violente et cauchemardesque (B1). Plus précisément, le rapport entre les extraits (B1) et (B2) renforce les correspondances apparues dans les extraits (A1) et (A2). Le personnage de Molly que le narrateur a précédemment décrit comme jouant un rôle actif se fait l’écho d’un personnage qui impose sa volonté aux autres par l’intermédiaire de «pictogrammes télépathiques» («telepathic pictographs») et prend plaisir à un acte barbare. L’emploi des mots «insect calm» peut être interprété comme une fenêtre ouverte sur la suite des événements dans le roman de William Gibson à un moment de la diégèse où Case se demande si Molly et son employeur Armitage comptent, ou non, respecter le contrat qu’ils lui ont proposé. Ces renvois au personnage burroughsien du Mugwump manipulateur annoncent le tour que Molly et Armitage vont effectivement jouer à Case en lui expliquant qu’il a été empoisonné à son insu et qu’il mourra s’il ne remplit pas sa mission22. Notons que l’emploi du verbe «empaler» pour décrire le rapport sexuel entre Case et Molly permet au narrateur de suggérer que le personnage de Molly est d’abord victime, ce qui souligne une fois de plus son ambiguïté.

L’intérêt de ces demi-citations se découvre dès lors plus efficacement. Le monde décrit par William Gibson est obscur, brouillé. Ici un lecteur qui connaît les textes de William Burroughs, suffisamment du moins pour pouvoir identifier ces demi-citations dans les textes de Gibson, voit surgir une contamination entre ce dernier et celui qu’il considère comme son modèle. Le texte de Burroughs agit à la façon d’un révélateur photographique, et fait remonter à la surface du texte des images jusqu’ici insoupçonnées. Ces images permettent d’anticiper sur le cours de la narration des romans de William Gibson, et ajoutent à la noirceur du monde décrit par ce dernier.

 

Bibliographie sélective

 

Ouvrages littéraires

William BURROUGHS, Junkie, Paris, Olympia Press, 1953. Nouvelle publication accompagnée d’une préface de Will SELF: Junky, London, Penguin, 2002. Nouvelle publication avec une introduction d’Oliver HARRIS et augmentée de textes inédits sous le titre Junky: The Definitive Text of Junk (50th Anniversary Edition), London, Penguin, 2003.

---. Naked Lunch, Paris, Olympia Press, 1959; New York, Grove Press, 1966. Réédité sous le titre Naked Lunch: The Restored Text, edited by James Grauerholz and Barry Miles, New York, Grove Press, 2004. Edition incluant une introduction de J. G. BALLARD.

---. The Ticket that ExplodedThe Ticket that Exploded, New York, Grove Press, 1987.

---. Interzone, London, Penguin, 1990.

---. The Adding Machine, London, Calder, 1985; New York, Arcade Publishing, 1985. Contient les essais «Les Voleurs» (pp. 19-21), «Civilian Defense» (pp. 81-86), «The Four Horsemen of the Apocalypse» (pp. 139-144).

---. The Job (avec Daniel ODIER), London, Penguin, 1989.

William GIBSON, Count Zero, London, HarperCollinsPublishers / Voyager, 1995.

---. Idoru, New York, London, Penguin Books, 1997.

---. All Tomorrow's Parties, London, Penguin, 2000.

---. Pattern Recognition, London, Penguin Books / Viking, 2003.

---. Spook Country, London, Penguin Books / Viking, 2007.

---. Zero History, New York, G.P. Putnam’s Sons, 2010.

Peter ORLOVSKY, Clean Asshole Poems & Smiling Vegetable Songs: Poems 1957-1977, San Francisco, City Lights Books, 1978.

 

Ouvrages critiques et historiques

Andrew M. BUTLER, Cyberpunk, Harpenden, Herts, Pocket Essentials, 2000.

Bernard DUPRIEZ, Gradus / Les Procédés littéraires, Paris, éditions 10/18, Département d’Univers poche, 1984.

Gérard-George LEMAIRE, Burroughs, Paris, éditions Artefact, 1986.

Philippe MIKRIAMMOS, William S. Burroughs, Paris, Seghers, 1975.

Ted MORGAN, Literary Outlaw: The Life and Times of William S. Burroughs, London, Pimlico, 1993.

Barry MILES, The Beat Hotel, Ginsberg, Burroughs & Corso in Paris, 1957-1963, London, Atlantic Books, 2001.

Paul M. SAMMONFuture Noir: The Making of Blade Runner, New York, HarperPrism, 1996.

 

Ouvrages collectifs

Storming the Reality Studio, A Casebook of Cyberpunk and Postmodern Science Fiction (Larry McCaffery editor), Durham & London, Duke University Press, 1991. Rassemble des textes sur et autour du «Cyberpunk», ainsi que des nouvelles et des extraits de romans, dont un extrait de Neuromancer de William GIBSON et un extrait de The Wild Boys de William S. BURROUGHS. Larry McCaffery note le lien entre mouvement «Cyberpunk» et la «Musique Industrielle» de Orridge sans toutefois aller plus loin dans son analyse.

Contient une introduction de Larry MCCAFFERY intitulée «Introduction: The Desert of the Real», les articles «Cutting Up: Cyberpunk, Punk Music, and Urban Decontextualizations» du même auteur, «Frothing the Synaptic Bath» de David PORUSH et «On Gibson and Cyberpunk SF» de Darko SUVIN. Contient également l’article «Cyberpunk 101: A Schematic Guide to Storming the Reality Studio—A quick list of the cultural artifacts that helped to shape cyberpunk ideology and aesthetics, along with books by the cyberpunks themselves, in roughly chronological order» de Richard KADREY & Larry MCCAFFERY qui dresse une liste de romans, de disques et de films «Cyberpunk».

 

Travaux universitaires

Noëlle BATT, L’Ecriture de William Burroughs, thèse de Doctorat de Troisième Cycle sous la direction de M. Pierre Dommergues, université de Paris VIII-Vincennes, 1975.

---. «Du Collage cubiste au cut-up burroughsien: la dimension performative du couple vitesse/énergie dans le texte littéraire», in Tangeance n° 55, septembre 1997, p. 114.

Christophe BECKER, L’Influence de William S. Burroughs dans l’œuvre de William Gibson et Genesis P-Orridge, thèse de Doctorat en Langues, Littératures et Civilisations des pays anglophones sous la direction de Mme Noëlle Batt, Université Paris VIII, 2010.

Ida BENSLIMA, Problématique du conditionnement dans l’œuvre de William Burroughs, thèse sous la direction de M. André Le Vot, 1978.

Benoît DELAUNE, Le Cut-Up chez William S. Burroughs: modèle plastique, Création Littéraire, thèse de Littérature générale et comparée sous la direction de M. Didier Plassard, université Rennes 2, 2003.

Serge GRUNBERG, Langage et silence dans l’œuvre de William S. Burroughsuniversité Paris Diderot - Paris 7, 1975.

John G. WATTERS, The Magical Universe of William S. Burroughs, thèse en Langue et Littérature des pays anglophones sous la direction de M. Jean-Claude Dupas et M. Oliver Harris, université de Lille III / université de Keele, 1999.

 

Articles accessibles sur Internet

Raymond FEDERMAN, «Before Postmodernism and After (part 2)». Article consultable à l’adresse

http://www.outsiderwriters.org/archives/2046

Barbara FORMIS, «La Citation, ou ce que le théâtre doit au langage (et à la philosophie)», 2005.

Article consultable à l’adresse

http://www.romanistik.info/pdf-1/citation-theatre.pdf

William GIBSON, «God’s Little Toys», in Wired, 13.7, San Francisco, Condé Nast Publications, 2005.

Article consultable à l’adresse

http://www.wired.com/wired/archive/13.07/gibson.html

 

Sites internet

Encyclopedia Britannica Online, site consultable à l’adresse

http://www.britannica.com/

 

Filmographie

Mark NEALE, No Maps for These Territories, 2000.

  • 1. Cyberpunk: «a science-fiction subgenre characterized by countercultural antiheroes trapped in a dehumanized, high-tech future», Encyclopedia Britannica Online, article consultable à l’adresse http://www.britannica.com/EBchecked/topic/147816/cyberpunk
  • 2. Dictionnaire de l'Académie française, 8e édition de 1932-1935.
  • 3. Cité dans Bernard DUPRIEZ, Gradus / Les Procédés littérairesop. cit., p. 115.
  • 4. «(…) the best she’d been able to do had been one that her friends had sometimes mistaken for the younger William S. Burroughs», William GIBSON, Pattern Recognition, London, Penguin Books / Viking, 2003, p. 186.
  • 5. «Hollis thought he looked a little like William Burroughs, minus the bohemian substrate (or perhaps the methadone). Like someone who’d be invited quail shooting with the vice-president, though too careful to get himself shot.», William GIBSON, Spook Country, London, Penguin Books / Viking, 2007. p. 294.
  • 6. William GIBSON, Zero History, New York, G.P. Putnam’s Sons, 2010, p. 150.
  • 7. «He saw a magical-looking bookshop, stock piled like a mad professor’s study in a film, and swerved, craving the escape into text. But these seemed not only comics, unable to provide his needed hit of words-in-row, but in French as well. Some of them, he saw, were the French kind, very literary-looking, but just as many seemed to be the ones where everyone looked something like the girl in the tea shop, slender and big-eyed», ibid.
  • 8. Mark NEALE, No Maps for These Territories.
  • 9. William GIBSON, Count Zeroop. cit., p. 83.
  • 10. William GIBSON, Idoru, New York, London, Penguin Books, 1997, p. 208.
  • 11. «Mille-pattes et scorpions: soit dit en passant, voilà dès Junkie le bestiaire favori de l’auteur [William Burroughs], si on y ajoute les vautours», Philippe MIKRIAMMOS, William S. Burroughsop. cit.op. cit., p. 37.
  • 12. «I closed my eyes and saw New York in ruins. Huge centipedes and scorpions crawled in and out of empty bars and cafeterias and drugstores on Forty-second Street», William BURROUGHS, Junky: The Definitive Text of Junk (50th Anniversary Edition), op. cit., p. 23.
  • 13. «Traffickers in the Black Meat, flesh of the giant aquatic black centipede—sometimes attaining a length of six feet—found in a lane of black rocks and iridescent, brown lagoons, exhibit paralyzed crustaceans in camouflage pockets of the Plaza visible only to the Meat Eaters.», William BURROUGHS, Naked Lunch: The Restored Textop. cit., p. 45.
  • 14. «Blast of trumpets: The Man is carried in naked by two Negro Bearers who drop him on the platform with bestial, sneering brutality.... The Man wriggles.... His flesh turns to viscid, transparent jelly that drifts away in green mist, unveiling a monster black centipede. Waves of unknown stench fill the room, searing the lungs, grabbing the stomach...»; «A telepathic sender has to send all the time. He can never receive, because if he receives that means someone else has feelings of his own could louse up his continuity. The sender has to send all the time, but he can't ever recharge himself by contact. Sooner or later he's got no feelings to send. You can't have feelings alone. Not alone like the Sender is alone—and you dig there can only be one Sender at one place-time.... Finally the screen goes dead.... The Sender has turned into a huge centipede.... So the workers come in on the beam and burn the centipede and elect a new Sender by consensus of the general will....», William BURROUGHS, Naked Lunch: The Restored Textop. cit., p. 87, et p. 137.
  • 15. «[He] was like a giant centipede, but terminated in human legs and lower abdomen. Sometimes he walked half erect, his centipede body swaying ahead of him. At other times, he crawled, dragging his human portion as an awkward burden. At first sight he looked like a giant, crippled centipede. He was known as Centipeter, because he was continually making sexual advances to anyone he could corner, and anyone who passed out was subject to wake up with Centipete in his bed», William BURROUGHS, Interzone, London, Penguin, 1990, p. 102.
  • 16. Gibson attribue le titre à Brion Gysin; il vient en réalité de Paul Bowles. Tout laisse à penser qu’il s’agit ici d’une simple erreur factuelle.
  • 17. Bernard DUPRIEZ, Gradus / Les Procédés Littérairesop. cit., p. 116.
  • 18. Nous utilisons les termes de Burroughs dans l’avertissement de The Ticket that Exploded où l’écrivain préfère parler de «section» plutôt que de «chapitre».
  • 19. «The sections entitled in a strange bed and the black fruit were written in collaboration with Mr. Michael Portman of London», William BURROUGHS, «Acknowledgment», The Ticket that Explodedop. cit. La page n’est pas numérotée et précède la page 1.
  • 20. Barbara FORMIS, «La Citation, ou ce que le théâtre doit au langage (et à la philosophie)», 2005. Article consultable à l’adresse http://www.romanistik.info/pdf-1/citation-theatre.pdf
  • 21. «These creatures secrete an addicting fluid from their erect penises which prolongs life by slowing metabolism. (In fact all longevity agents have proved addicting in exact ratio to their effectiveness in prolonging life.)», William BURROUGHS, Naked Lunch: The Restored Textop. cit., p. 46.
  • 22. Gibson emprunte ce ressort scénaristique au film de science-fiction Escape from New York de John Carpenter (1981), comme il le confirme à McCaffery dans Larry MCCAFFERY, «An Interview with William Gibson», in Storming the Reality Studio, A Casebook of Cyberpunk and Postmodern Science Fictionop. cit., p. 266.