Ultron avec Sade (1) ou Pourquoi les (super)méchants veulent-ils (inlassablement) détruire le monde?

Ultron avec Sade (1) ou Pourquoi les (super)méchants veulent-ils (inlassablement) détruire le monde?

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 22/06/2015
 
Don't know what I want
But I know how to get it
I wanna destroy passerby (Sex Pistols)

 

Détruire, disent-ils

C’est bien connu, tout supervilain qui se respecte, du Lord Business de Lego (2014) à Ultron dans le nouvel Avengers (2105), est tenté à un moment ou à un autre par l’idée de détruire le monde. Certes, il y a tous ceux qui veulent tout simplement (voire, oserait-on dire, tout bêtement) le conquérir, motif napoléonien cristallisé dans le roman populaire de l’âge bourgeois, notamment chez Jules Verne («Robur le Conquérant» aspirant à devenir le «Maître du monde» dans le roman éponyme de 1904), anticipant sur la théorie nietzschéenne de la «volonté de puissance1». Il s’agit là de l’ambivalence même de la figure mégalomaniaque (conquérir/détruire) qui illustre la dynamique entre possession et destruction de l’objet caractéristique du sadisme de la petite enfance tel qu’étudié par la psychanalyse (et notamment Karl Abraham).

Ainsi, la pulsion d’emprise (Bemächtigungstrieb) va caractériser le supervilain du type «rétentif anal»; d’où la complexité inouïe de ses plans, pur plaisir de «control freak» dont les complexes machineries à retardement sont l’emblème dérisoire –s’érigeant, à l’instar du Créateur newtonien dont il est le pitoyable usurpateur, en Grand Horloger éternellement faillible. La pulsion de destruction (Destruktionstrieb) va, quant à elle, incarner le pur instinct de mort du supervilain thanatique. Alors que pour la pure libido dominandi du Conquérant la destruction ne peut que jouer le rôle (limité) d’une menace qui intervient comme chantage (version dévoyée de l’Équilibre de la Terreur, dont la vogue fictionnelle coïncide avec l’expansion de la Game Theory au sein de la Guerre froide), le Destructeur est en rupture totale avec l’idée même du contrat social. Et par là même beaucoup plus «Unique» (au sens stirnerien). Et aussi, dans sa forme pure, bien plus rare en culture populaire.

Celle-ci va le plus souvent hésiter entre les deux modalités, fusionnant des traits des deux modèles dans ce qu’on peut appeler, suite à Robin Wood, des «textes incohérents» caractéristiques du confusionnisme idéologique qu’affectionne (ou dont témoigne) la culture populaire (Hood, 46). C’est ce qu’illustre de façon humoristique la réponse du (anti)héros de l’animation web Mastermind: World Conqueror à son Bourreau, qui s’interroge sur ce qu’ils sont en train de faire («Wait I thought we were conquering Earth!»): «Destroying is conquering. It's true - I looked it up”. À ces modèles s’ajoute, plus récemment, celui du supervilain qui se perçoit et se présente comme un Sauveur alors qu’il n’est de fait, pour ce qui concerne les héros et les lecteurs, qu’un simple Destructeur de plus (actualisation de l’ancienne figure anti-messianique de l’Antéchrist).

Hybris extrême de la révolte «contre la vie, contre le monde» (selon le titre de l’étude  de Houellebecq consacré à Lovecraft, grand chantre des Destructeurs de Mondes Qui Attendent Leur Tour), le réel appétit de destruction est unanimement représenté comme une forme de démence (quand il ne s’agit pas de pure «horreur cosmique»). Faille ultime de ce Moi hypertrophié, celle-ci mène à la chute inéluctable du mégalomane –qui s’était, en général, plutôt bien tiré jusque-là, tant qu’il s’en tenait aux modestes préparatifs de son apocalypse obsessive compulsive. 

Ce désaveu narratif et psychiatrique du projet destructeur (sommairement présenté dans les monologues plus ou moins délirants du supervilain au sommet de sa gloire, juste avant son effondrement tout aussi spectaculaire) le cantonne dans l’Altérité absolue qu’est, selon le schéma foucaultien, la Folie. Pourtant la question du pourquoi (tant de haine) reste un classique des forums geeks («ils pensent faire quoi après, ces cons?», lit-on le plus souvent2). Pour tenter d’y répondre (autrement que par le recours intradiégétique à la déraison) peut-être faut-il la reformuler du point de vue de la généalogie: d’où (leur) vient cette manie si peu pragmatique et, somme toute, fatale?

 

Sympathy for the Devil

La question (toujours fuyante) des origines nous confronte, au-delà de la vulgate psychiatrique du discours médico-disciplinaire bourgeois, à un horizon de sens théologique et métaphysique. À l’origine du supervilain on risque fort de trouver l’Adversaire suprême, c’est-à-dire Satan. Comme l’explique R. Muchembled dans sa magistrale Histoire du diable (2002), le discours sur Satan change de dimension au moment même où s’esquissent des théories nouvelles sur la souveraineté politique centralisée devant lesquelles cède lentement l’univers des relations féodales et vassaliques. Ainsi, dès le XIIe siècle  «la question de la souveraineté –sous l’espèce d’une rébellion visant à accéder au pouvoir absolu- apparaît au cœur de l’épisode inaugural de l’histoire du monde» (p. 35). Les signes de la puissance de Lucifer sont désormais très accentués, par sa taille supérieure aux autres démons, sa position assiste, parfois même le port d’une couronne, allant de pair avec une monstruosité de plus en plus affirmée et «l’évocation hallucinante d’un Enfer grouillant dont il occupe le centre, comme un roi sur son trône» (id). Des multiples représentations iconographiques attestent ainsi la souveraineté du Prince des Ténèbres, également mise en scène au théâtre (dans le Mystère de la Passion (1450) Roy Lucifer lance un mandement général à tous ses sujets qui obéissent promptement). Dès lors, «la toute-puissance de Satan évoque à la fois l’envers d’une souveraineté bien tempérée et la menace du complot maléfique que seul un pouvoir renforcé peut contrer» (id).

Devenu véritable antagoniste de Dieu au creuset de différentes traditions (dont les diverses vagues de manichéisme qui traversent l’Occident comme ailleurs), Satan en vient à incarner la «théorie du Mal centralisé» (Muchembled, 29) et hante, via l’Antéchrist, l’imaginaire millénariste. Dans les procès de sorcellerie, les textes insistent sur l’idée que se prépare la lutte finale entre Dieu et le Diable, qui lève une authentique armée formée de ses suppôts, les sorciers et sorcières liés indissolublement à lui par des pactes les plongeant dans l’anti-humanité la plus totale (cannibalisme, inceste, bestialité). Ainsi le Malleus Maleficarum (Marteau des sorcières), sorte de «livre officiel» de la Chasse aux Sorcières, ratifie le changement de paradigme vers la diabolisation de la sorcellerie, conçue comme une «super-secte» conspirationnelle dans le cadre millénariste de l’assaut satanique contre la fabrique même de la Création divine.

Comme l’écrit C. S. Mackay dans l’introduction à sa traduction du Malleus:

Certainly, the basic elements of this theory –sorcery, heresy and Satan’s attempt to undermine God’s world order– had existed since antiquity, as had the notion that Satan was involved to greater or lesser degree in both sorcery and heresy. What was new was the notion that sorcery by itself represented a special form of heresy that played an important part in Satan’s plans for the Final Days. This connection was already in existence in the early fifteenth century, but only one printed work (the Formicarius or Ant Hill of Johannes Nider) had discussed this notion, and then only tangentially and without drawing out the full implications. The Malleus takes this notion and fully argues it in terms of the cosmological interpretation of the world (that is, the understanding of the universe in terms of Christian theology) as propounded by Thomas Aquinas (2009, 33).

Cette idée de l’antagonisme diabolique non seulement envers le Créateur, mais envers le «monde» que celui-ci a créé (et dont le Diable est, ironiquement, le Prince –soumis toutefois, en dernière instance, à l’autorité divine dont il tente justement de se libérer) va connaître un important succès, malgré les doutes théologiques qu’il peut susciter (au risque de réveiller les vieilles hantises gnostiques à l’égard du «mauvais démiurge» et sa Création imparfaite). C’est ainsi qu’elle survivra à la grande panique de la Chasse aux Sorcières, voire au processus même de déchristianisation,

Plus que nul autre, le Satan miltonien éclipsera par son pathos rebelle la divinité despotique qui le condamne (“Here at least we shall be free; the Almighty hath not built here for his envy, will not drive us hence: Here we may reign secure, and in my choice to reign is worth ambition, though in Hell: Better to reign in Hell, than serve in Heaven…”, I, l. 57-62). Beaucoup de supervilains de comic book seront, de ce fait, résolument miltoniens. Outre les références évidentes du Lucifer de Gaiman (lassé de gouverner l’Enfer et d’être le bouc émissaire de l’humanité, il renoncera significativement à son poste) et de Hellblazer (Satan reprendra la place désertée par lui, étant le Premier des Anges Déchus), plusieurs personnages du D.C. Universe s’inscrivent dans son sillage comme le signale notre site fétiche Tv Tropes:

There's Neron, who ruled Hell for a while and, as the main villain of the Crisis Crossover Underworld Unleashed bought the souls of many supervillains, as well as killing the Rogues and Mongul to show how cool he is; Lord Satanus, who began as a human sorcerer yet grew powerful enough to kick Neron out; and his sister Blaze, who kicked him out in return. The most likely candidate to be the real deal is The Original Darkness, an Eldritch Abomination encountered by Swamp Thing, whose mere presence can kill several powerful sorcerers and whose fingernail couldn't be cracked by The Spectre. Finally, in the New 52 Lucifer appears as a villain in Demon Knights. In Batman RIP numerous characters imply or outright state that Simon Hurt is the Devil.3

Mais plus que nul autre, c’est peut-être Lex Luthor, confronté à cette figure quasi-divine qu’est l’Homme d’Acier, qui incarne le mieux le miltonisme pop, comme le signale «mightygodking» dans son blogue éponyme:

Luthor is unique –definitively the only great villain who is, by any reasonable standard, weaker than his archenemy. Remember, Superman isn’t just powerful –he’s also smart, and wise, and personable, and generally possessed of a huge number of admirable quality traits, and he has a ton of friends who are also for the most part more powerful than Luthor is (and who all hate Luthor too), and he has alien technology nobody else does, and a secret fortress, and a super-cousin, and a super-dog. Luthor doesn’t have any of that.(…) Other villains fight men. Luthor is, when you get down to brass tacks, a man trying to fight God. It should come as no surprise, then, that Luthor shares a number of personality traits with Satan in John Milton’s Paradise Lost. Able to inspire/charismatic? Check. Proud? Big check there. Narcissistic? Check. Selfish? Check. Unwilling to dignify his opponent by speaking of him plainly? Oh, check. (In Paradise Lost, Milton uses Satan’s arrogance to avoid the trap of having to describe God – Satan defines God in loose, etheral terms rather than speak in the plain specifics of which he’s capable. Sound like anybody? Hint: “the alien.”) Utterly self-confident? Check. Said self-confidence (mostly) justified? Again, check. Utterly obsessed with his enemy, who is only his enemy by choice? Oh my check”.4

L’univers Marvel n’est pas en reste en ce qui concerne le legs satanique, les deux compagnies fonctionnant, comme l’on sait, à la façon de concurrents à la recherche des bonnes formules (sur le plan de l’anthropologie de l’imaginaire) et de véritables Doubles, formant ainsi des sortes d’univers en miroir. Toutefois le sublime miltonien agit ici sous le signe de la trace évanescente, son ombre planant «in absentia»:

There's a number of demons in Marvel Comics, most famously Mephisto, who have at one point or another claimed to be Satan. Fear Itself reveals that Satan—the real Satan, not the other demons who occasionally pretend to be him—has been missing for so long that many demons believe he never existed in the first place. The demons in the Marvel 'verse hold meetings around Satan's throne. None of them dare claim it for themselves, for fear of being torn apart by the others or worse, provoking Satan to return. The real Lucifer (different from Satan) showed up in one Ghost Rider story claiming to be the one Johnny made a deal with and not Mephisto. He is one of several hell-lords, but unlike them cannot leave Hell on his own. He tricked Blaze into freeing him from hell to try and destroy the Earth, but quickly proved himself to be less then one hoped by being constantly outwitted by Blaze, who himself states he is something of an idiot. (Idem)

Il y aurait beaucoup à dire sur ces diverses réécritures du mythe miltonien allant de Preacher à Spawn, mais ce n’est pas tant la figure satanique elle-même qui nous intéresse que son apport au paradigme global «supervilainesque». Et celui-ci ne se fit pas tant de façon linéaire qu’à travers une série de transformations.

 

La «causalité diabolique»

Au-delà de l’imaginaire diabolique, c’est la mécanique de la «causalité diabolique» étudiée par Léon Poliakov dans son ouvrage éponyme (1980) qui va survivre au «désenchantement du monde» décrit par Max Weber et à la désaffection de la peur satanique qui s’ensuit. «En face des théodicées ces tentatives pour évacuer le Mal et de ce fait innocenter la divinité, Poliakov décèle des entreprises symétriques et inverses dont finalement la fonction sécurisante est la même», écrit E. Labrousse. «Ce qui est insupportable est cette présence du mal, consubstantielle expérience humaine, dont l’ubiquité lancinante nous voue une précarité qui est souvent éprouvée comme terrifiante. Le personnage de Satan et avant tout de ses suppôts permet de cerner adversaire ce qui est finalement profondément rassurant en dépit des pouvoirs gigantesques dont sont affublés le Démon et ses cohortes. Étiqueter et localiser le Mal par identification des méchants quelle brillante solution il est probablement plus essentiel de nous innocenter nous-mêmes (…) que d’innocenter Dieu le mal désormais ce sont les autres, il a cessé d’être anonyme, impersonnel, relatif (…) il a enfin pris un corps que l’on peut pour chasser, torturer, brûler vif, exécrer en toute bonne conscience…» (1981, 275).

Poliakov apporte plusieurs illustrations historiques de ce «mécanisme paralogique qui démonise et donc sur- et sous- humanise la fois un groupe humain fait de comploteurs pervers» (id). Satan travaillant dans ombre, ses auxiliaires humains sont donc régulièrement imaginés comme membres de sociétés secrètes, des purs conspirateurs. Poliakov étudie ainsi les principaux groupes humains qui ont joué le rôle de bouc émissaire dans l'histoire de l'Europe, en tant que fauteurs d'épidémies, de guerres, de révolutions et autres désastres. Les jésuites et la papauté pendant la Révolution anglaise, la Cour et les aristocrates, mais aussi les francs-maçons et les philosophes lors de la Révolution française, et les Juifs tout au long de l'histoire de l'Europe dans un rejet qui culmine dans la «solution finale» nazie.

Comme le démontre son collègue Norman Cohn dans Europe’s Inner Demons (1975), ces persécutions modernes vont se nourrir des mêmes schémas que les anciennes (des pogroms aux massacres de sorcières). Les Juifs bien sûr ont souvent été érigés en suppôts de Satan pour sanctifier toutes les persécutions dont ils ont été l’objet, mais le même mécanisme œuvra à l’encontre des francs-maçons autour du traumatisme de la Révolution française, jusqu’à former ce parfait composite fantasmagorique qu’est le «complot judéo-maçonique» si cher au franquisme espagnol et dont le spectre s’agite encore de nos jours sur le Net et ailleurs. Il est à ce titre intéressant de remarquer que, comme Hollywood, l’industrie du comic book, notamment superhéroïque, fut initialement une culture très marquée par l’apport des Juifs de la diaspora fuyant le traumatisme des pogroms, puis de l’extermination. En transférant aux supervilains de l’ombre cet imaginaire des comploteurs maléfiques dont ils furent eux-mêmes affublés, s’agissait-il de s’en affranchir par et dans la fiction (Superman s’érigeant en nouveau Golem protecteur de la communauté, selon l’hypothèse de M. Chabon5)?

Si les premiers supervilains restent, à l’instar de leurs doubles «solaires» que sont les superhéros, des figures isolées de surhomme (voire, comme on l’a déjà signalé, des illustrations dégradées de «l’Unique» stirnerien), ils opèrent à la tête de vastes organisations criminelles dont le but alterne, comme il se doit, entre volonté de conquérir le monde et visées destructrices. Par un juste retournement de l’imaginaire, ces supervilains vont souvent être, au fil de l’embrigadement militaire des comics états-uniens pendant la Deuxième Guerre mondiale, des emblèmes du nazisme. On pense bien évidemment à Red Skull ou le très explicite Captain Nazi, indigne rival du Captain Marvel, voire des créations éphémères telles que le Captain Swastika, véritables allégorisations de l’adversaire selon les codes de la propagande graphique qui peuvent facilement verser dans la caricature (pour preuve, l’improbable Super Nazi, petit cochon avec une moustache en brosse à dents tout ce qu’il y a de plus hitlérienne qui fut pour un temps la némésis du sympathique Super Rabbit). Mais les dérives raciales de savants fous tels que l’Ultra-Humanite s’inscrivent tout autant dans ce paradigme qui très significativement va survivre la chute de l’Axe pour former le socle du supervilanisme de la Guerre froide.

C’est au sein de cette dernière, alors que la hantise des cinquièmes colonnes et de l’invasion communiste s’empare de l’Amérique, que s’opère la collectivisation des supervilains. Ceux-ci passent de simples aspirants solitaires au titre de dictateurs planétaires à des vastes conglomérats en proie à d’obscurs complots techno-scientifiques selon le modèle de la «causalité diabolique». Après des premières tentatives de transition du supervilain solitaire vers le collectif (The Monster Society of Evil faisant figure de pionnière, dès 1943, réunie sous l’égide de Captain Nazi, suivie par The Injustice Society en 1947 et Villainy Inc en 1948), le modèle du nazi old school issu de la propagande de guerre Red Skull se retrouve (avec le tout aussi hitlérien Baron von Strucker) derrière la puissante organisation criminelle Hydra, dont le but est la domination mondiale (et la création d’un Nouvel Ordre mondial aux accents volontiers fascistes) à travers des activités terroristes et subversives continuellement contrées par le contre-espionnage du S.H.I.E.L.D.

Introduite dans le Strange Tales #135 d’août 1965 (deux ans après l’assassinat de Kennedy, source de la culture «conspiranoïaque» postmoderne), Hydra opérait un double renversement: elle transformait une iconographie traditionnellement antisémite (l’hydre du complot judaïque que l’on retrouve dans d’innombrables caricatures telles que celle-ci, s’attaquant au «traître» Dreyfus) en emblème du complot néo-nazi («Hail, Hydra! Immortal Hydra! We shall never be destroyed! Cut off a limb, and two more shall take its place! We serve none but the Master—as the world shall soon serve us! Hail Hydra!"), tout en superposant l’ancienne menace nazie à l’adversaire réel du moment (le Bloc communiste), marquant un jalon décisif dans la transformation des national-socialistes en purs «comic book vilains». Figure de la pure prolifération criminelle, Hydra connaîtra des multiples ramifications telles que son fournisseur attitré en armes eschatologiques (l’AIM), encore plus inquiétant et insaisissable.

DC rétorquera avec la très explicite Secret Society of Super Villains (SSoSV, aussi connue sous le nom générique de Secret Society, voire, englobant l’idée même de Gesellschaft  The Society). Fondée en 1976, en pleine onde expansive du scandale Watergate, nous y retrouvons les grandes égéries de la supervilenie classique telles que notre cher Ultra-Humanite, mais aussi Lex Luthor ou Darkseid. Puis, au grès de la dissolution de la Guerre froide et de la globalisation, on verra proliférer les multinationales menaçantes (Lexcorp, Roxxon) à peine distinguables des organisations directement maffieuses (Maggia, Intergang), nourrissant tout un imaginaire «conspiranoïaque» qui n’a fait que s’étendre depuis la mort de Kennedy jusqu’à X-Files et le 11 septembre. La collectivisation du Mal superlatif devient ainsi exponentielle, étendant son ombre sur l’ensemble des multivers de fiction superhéroïque; l’obsession conspirative de séries comme Planetary, Stormwatch ou Authority atteste ce nouveau paradigme du soupçon qui accompagne désormais nos sociétés de contrôle.

À SUIVRE : Ultron avec Sade (2) À l'ombre du Divin Marquis

Bibliographie

A. Gramsci, Letteratura e Vita Nazionale. III: Letteratura popolare, Turin: Einaudi, 1953

E. Labrousse. Compte rendu de Poliakov (Léon) La Causalité diabolique. Essai sur l'origine des persécutions. In: Archives de sciences sociales des religions. N. 52/2, 1981. pp. 275-276

C. S. Mackay, «Introduction» à Hammer of Witches, Cambridge University Press, 2009

R. Muchembled, Histoire du Diable, Seuil, Points, 2002

  • 1. On connaît, de par la vulgarisation qu'en a fait Umberto Eco, la théorie de Gramsci sur les «Origines populaires du surhomme», qui s'applique, en fait, autant aux «surhommes du Bien», Justiciers tels que Montecristo, qu'à ces «surhommes du Mal» qui en sont comme le reflet inversé (et le Double). «Chaque fois que l'on tombe sur quelque admirateur de Nietzsche il est opportun de se demander et de rechercher si ses conceptions «surhumaines», contre la morale conventionnelle, etc., sont purement d'origine nietzschéenne, c'est-à-dire sont le produit de l'élaboration d'une pensée qu'il faut situer dans la sphère de la «haute culture» , ou bien si elles ont des origines beaucoup plus modestes, et si elles ne sont pas, par exemple, liées à la littérature des romans-feuilletons. (Et Nietzsche lui-même n'a-t-il en rien été influencé par les romans-feuilletons français?) (…) Il semble de toute façon qu'on puisse affirmer qu'une grande partie de la soi-disant «surhumanité» nietzschéenne a simplement pour origine et pour modèle doctrinal non pas Zarathoustra, mais Le Comte de Monte-Cristo d'A. Dumas.» (Gramsci, 1953, pp. 122-124). Avec Robur, supervilain populaire et nietzschéen, la boucle est bouclée… pour les deux siècles à venir.
  • 2. Un exemple de cette question récurrente http://www.qalc.fr/question/Pourquoi-mechants-veulent-detruire-comptent-125130
  • 3. http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/Satan
  • 4. http://mightygodking.com/2008/08/18/on-luthor/
  • 5. «There was something about the golem which tied in with Superman and the superhero figure, the messianic figure who would redeem the suffering and helpless of the world. There was a Jewish element to all that, and the creators of all these golden age comic books, many of them were Jewish kids.» (entretien du 10 oct 2006 pour powells.com).