Star Wars et la refondation du Space Opera (8): Entre Dune et Star Trek

Star Wars et la refondation du Space Opera (8): Entre Dune et Star Trek

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 01/07/2020

 

Après avoir évoqué le tournant camp et parodique qui marqua une certaine carnavalisation des codes du space opera au sein des Swinging Sixties, il nous faut maintenant nous tourner vers les deux piliers de la transformation du genre pendant cette période de formation du jeune George Lucas.

Au milieu de la grande profusion de titres qui accompagna le boom général de la science-fiction, massivement acceptée par la contre-culture et progressivement légitimée dans le champ littéraire (l´acceptation dans la cinéphilie sera plus tardive, sauf pour ce qui est de la para-cinéphilie déjà captivée par les productions de série B), deux chefs-d´œuvre incontournables se dégagent de par leur traitement novateur du sous-genre. L´un restera malheureusement inconnu du monde anglo-saxon : La Plaie de Nathalie Henneberg (1964), livre flamboyant qui pousse à l´extrême les potentialités baroques du genre en y intégrant une poétique idiosyncratique nourrie des divers apports de la scène contre-culturelle française, allant des planches de Jean-Claude Forest aux récits envoûtants d´André Pieyre de Mandiargues. L´autre, paru une année après, constitue pour d´aucuns l´équivalent science-fictionnel du Seigneur des Anneaux (qui venait justement d´être réedité par Ballantine, provoquant un véritable raz-de-marée dans les littératures de l´imaginaire) et dénote aussi un certain goût pour la démesure ainsi que pour divers enjeux de la contre-culture (l´adaptation hélas avortée par Jodorowsky aurait pu d´ailleurs signer la concrétion filmique ultime de cette dernière).

Dune, de Frank Herbert, transcenda le cadre du « space opera » (on le cantonnerait tout aussi à tort dans le sous-genre planétaire, de par l´importance de la géopolitique globale et les tensions intergalactiques entre les diverses Maisons, les Bene Gesserit et les Guildes), réussissant un véritable livre-monde. À l´instar de Tolkien, mais par une démarche toute différente, Herbert dotait d´une grande cohérence le brassage des sources les plus disparates, allant des grandes œuvres canoniques de la haute culture (Shakespeare, les tragiques grecs, Dostoïevski, etc.) à la tradition pulp burrougshienne, de l´écologie (l´on sait comment le projet naquit d´un reportage autour des tentatives de stabiliser les dunes d´Oregon) à l´histoire (l´ombre des figures de T. E. Lawrence et de l´Imam Mohammed Ahmed al Mahdi plane sur le destin de Paul Atreides, mais aussi, voire surtout, celle d´Imam Shamyl, « le Lion du Dagestan » dont à maints égards il retrace le parcours, au fil du roman historique de Lesley Branch The Sabres of Paradise, paru en 1960), des sciences humaines (la « sémantique générale » d´Alfred Korzybski, l´anthropologie comparée de Frazer, etc.) à la religion (boudhisme zen, taoïsme, Coran).

Le syncrétisme de Flash Gordon atteignait ici une nouvelle dimension mythopoétique, signant à la fois la dissolution (ou du moins la problématisation) du schisme entre culture pop et culture légitime et la maturité de la science-fiction comme genre moderniste (parallèlement, le lectorat était non seulement en train de grandir mais aussi de changer de profil, délaissant les carrières technocratiques au profit des sciences humaines et de l´expérimentation contre-culturelle, basculant de la Weltanschauung de la « raison instrumentalisée » à celle de la contestation). L´on comprend dès lors qu´il ne pouvait qu´influencer Lucas, offrant le modèle de grande synthèse syncrétique qu´il allait lui-même entreprendre.

C´est ce vaste projet d´ensemble qui relie profondément les deux œuvres, au-delà de la quantité de motifs qui seront repris et transformés dans les films et dont les fans ont déjà largement dressé l´inventaire. Citons, entre autres, les échos nettement orientalistes de la planète Arrakis dans Tatooine[1], des fermiers d´humidité (les collecteurs de rosée) et les chars de sable des Jawas (« petit peuple » indigène) aux squelettes de vers géants et aux dangereux Hommes de sable armés de leurs fusils de fantasia maghrébine (proches des Touaregs ou Bédouins antagonistes de l´ordre colonial dans les fictions d´aventures du type Beau Geste, ce sont ici des antagonistes du héros et non ses adjuvants comme les Fremen, « hommes libres » promis à une djihad salvatrice). Mais aussi le Saarlac (nouveau Shai-Hulud ou ver de sable), les répulseurs, le fantasme de dévoration par une vagina dentata du Faucon Millénaire et de l´ornithoptère du Duc ou encore les mines d´épice de la planète Kessel (réduite à simple narcotique dans Star Wars, elle constituait le véritable McGuffin dans le premier traitement, tiré de La Forteresse cachée puisque la princesse persécutée transportait en guise de trésor de « l´épice aura », terme significatif qui renvoie à la véritable aura qui entoure la substance dans l´œuvre originale).

Plus importantes, les réminiscences des intrigues autour de l´Imperium (opposant les diverses Grandes Maisons nobles soumises à l´Empereur, la Guilde Spatiale qui détient le monopole des voyages spatiaux et la mystérieuse secte des Bene Gesserit, dont le nom même évoque les Jésuites, devenus dans la culture populaire depuis le XIXe siècle un emblème des « forces dans l´ombre » qui manipulent l´Histoire, imaginaire du complot dont les Révérendes Mères héritent[2]) marqueront celles de la prélogie (les conflits entre le Sénat, de plus en plus sous l´emprise de Palpatine, la Fédération du Commerce et l´Ordre des Jedis).  Le messianisme qui préside à la quête héroïque (au sens littéral, de par le poids de la figure islamique du Mahdi, chez Herbert; plus figuré –Luke comme dernier Jedi, donc dernier dépositaire de la Force- chez Lucas) sera aussi associé à une lignée maudite finalement rédimée au prix de lourds sacrifices (Luke et Leia fils de Vader, Paul et Alia petits-fils de Vladimir Harkonnen).

Tout aussi importants sont les divers pouvoirs des castes religieuses établies autour d´une même trifonctionnalité :  le Contrôle de l´esprit (« Jedi Mind Trick ») et la Voix des Bene Gesserit, les Jedi-Bendu de la première ébauche du scénario et le Prana-Bindu (entraînement et contrôle total de soi des Bene Gesserit, dont l´intertexte Jésuite ne peut qu´évoquer leur idéal d´obéissance absolue –le célèbre perinde ac cadaver[3]), l´apprentissage de la vision intérieure héritée dans les deux cas des Fulgurs, la Vision d´Obi-Wan qui apparaît à Luke agonisant sur Hoth, similaire à celle de Pardot Kynes visitant Liet-Kynes lorsque celui-ci trépasse dans le désert.

La liste pourrait continuer; Herbert lui-même affirma avoir relevé 37 similitudes et songea à créer, avec d´autres collègues, la « We’re Too Big to Sue George Lucas Society ». Synchronicité et signe du Zeitgeist, Alejandro Jodorowsky travailla à une adaptation du roman entre 1974 et 1976, au moment même où Lucas s´acharnait sur son scénario. Ironiquement, comme le souligne l´excellent documentaire de Frank Pavich Jodorowsky's Dune (2013), ce fut le storyboard monumental (comptant plus de 3000 dessins) de Jodorowsky et Moebius pour leur adaptation avortée qui, circulant entre les studios hollywoodiens, nourrit quantité d´idées qui allaient fleurir dans les films de science-fiction ultérieurs, dont Star Wars. En attendant l´éventuelle publication de ce Graal pop, l´on est réduits à constater les emprunts visuels évoqués par Pavich, en songeant à ce qu´aurait pu signifier le succès du film : la saga de Lucas aurait-elle perdu de sa pertinence, éclipsée par la folie baroque de son rival?

Outre les circonstances pour le moins rocambolesques du fiasco de Dune (ce ne serait pas le dernier, comme l´on sait), et tout aussi fascinante que nous semble, rétrospectivement, la réunion de Tangerine Dream, Gong, Pink Floyd, Magma, H. R. Giger, Moebius, Dan O'Bannon, Orson Welles, Gloria Swanson, David Carradine, Mick Jagger, Udo Kier, Salvador Dalí et sa muse trans Amanda Lear, l´on peut douter qu´un El Topo cosmique aurait pu avoir le même impact sur la culture pop planétaire que l´œuvre lucasienne. De fait, tout au long des Seventies, un divorce grandissant s´établit entre la contre-culture qu´incarnait Jodorowsky, devenue de plus en plus nostalgique des années glorieuses de la décennie précédente, et l´émergence du divertissement mainstream dont Star Wars deviendra la vive image.  Lucas allait lui-même en faire l´expérience avec l´échec de son premier long-métrage, nettement contre-culturel, THX-1138 (1971), échec dont allait justement jaillir, par réaction, le projet de sa célèbre saga.

 

Dune montrait la voie d´un renouvellement radical du genre, dont les extensions transmédiatiques étaient par ailleurs en train de signer des transformations profondes, tout en contribuant à l´essaimage de ses codes dans la sémiosphère. Si nous avons évoqué, avec Barbarella, une des voies singulières par lesquelles le 7e art s´empara du space opera (Forest devait par la suite signer une des grandes sagas bédéiques du genre, Les naufragés du temps, inaugurée en 1974), il faut signaler que la révolution des comic-books superhéroïques américains (la célèbre « Silver Age ») se fit en grande partie par l´incorporation des codes du space opera, que ce soit directement (le très fulgurien Green Lantern, Silver Surfer, Guardians of the Galaxy, les New Gods, etc.) soit indirectement, infléchissant les univers traditionnels du genre vers un certain cosmicisme que l´œuvre de Jack Kirby ne cessa d´explorer[4]. Là aussi, de Dr. Doom à Darkseid, ancêtres évidents de Darth Vader, en passant par la Source, ancêtre de la Force, l´influence sur Lucas montre à la fois l´écriture palimpsestique de la saga et la formation d´un véritable Zeitgeist de plus en plus marqué par la rencontre entre le merveilleux technologique et la quête d´un nouveau Sublime pop qui dépasse la clôture de la Nouvelle Frontière spatiale et la ruine des croyances religieuses instituées.

Mais c´est sans doute Star Trek qui, dès 1966, aura le plus contribué à la dissémination du space opera dans les foyers du Village global de l´âge spatial. Comme nous l´avons étudié dans un autre article, la série réinventait le genre dans le contexte géopolitique de la Détente de la Guerre Froide, anticipée symptomatiquement par l´Outer Space Treaty, ou encore «Treaty on Principles Governing the Activities of States in the Exploration and Use of Outer Space, including the Moon and Other Celestial Bodies», fondement du droit spatial international signé le 27 janvier 1967, quatre mois après la diffusion sur les ondes cathodiques du premier épisode. Les liens entre la série et la saga lucasienne sont, au-delà de l´opposition traditionnelle entre leurs fandoms respectifs, révélateurs, car chacune reprit les codes du genre de manière différente pour répondre à deux contextes historiques que, dans les deux cas, elle parvint à symboliser.

Si tout dans Star Trek (Original Series) renvoie au rêve de la Détente et à la nostalgie du mythe politique (et érotique) de Kennedy, la première trilogie de Star Wars allait préfigurer et accompagner l´ascension de l´Amérique reaganienne : dans les deux cas, il y a un effet d´anticipation d´un grand tournant de l´imaginaire national et global. Ironiquement, le début officiel de la Détente (1969) marqua la fin de la série créée par Gene Rodenberry, laissant un vide qu´allait combler, une décennie plus tard, alors que la Guerre Froide reprenait de plus belle, la saga de Lucas (suscitant une deuxième vie, sur grand écran, de sa rivale, l´année même où la guerre d´Afghanistan mettait fin au rêve d´apaisement).

Le jeu des différences est révélateur, à commencer par les spécificités évidentes des deux médias rivaux (la télévision « classique » imposant, de par la limitation de ses budgets et sa poétique propre, une esthétique de la retenue axée sur le dialogue et la rhétorique du psychologisme, aux antipodes du régime de spectacularité cinématographique) et des deux formats qui entraînent une opposition structurelle majeure entre le drame (le « soap opera » intergalactique) et l´épopée : le film épique étant souvent considéré comme un hypergenre en soi, qui va du péplum au film de guerre, en passant par le film catastrophe ou le western, l´on peut considérer que Star Wars réussit, en intégrant divers aspects de tous ceux-ci , à y faire entrer la science-fiction. À cela s´ajoute une opposition rythmique et stylistique très forte de ces univers : au hiératisme théâtral de l´un s´oppose la kinesis débridée de l´autre[5].

Pour ce qui est de l´imaginaire géopolitique qui domine les deux sagas, Star Trek s´articule autour de l´opposition entre la Fédération Unie des Planètes (ONU intergalactique) et son bras armé la Starfleet (OTAN travestie) et l´Empire Klingon (l´URSS comme Autre absolu) pour le contrôle de l´espace et la tutelle des planètes sous-développées (le Tiers Monde tiraillé par les luttes interposées entre les deux superpuissances)[6]. Dix ans plus tard, Star Wars oppose dans une guerre civile planétaire les rebelles encore fidèles à l´Ancienne République et l´Empire totalitaire qui y mit fin. Ce schéma délaisse l´analogie avec l´actualité internationale (les « current affairs ») en se tournant vers l´histoire et, in fine, vers le mythe. L´on verra comment se superposent progressivement, au fil de l´écriture du scénario, le spectre de l´ennemi intérieur (le fascisme) et celui de l´ennemi extérieur (que Reagan nommera « Empire du Mal »)

La politique de « containment » qui régit l´action de la Starfleet (et qui articule les différentes tensions de la série, allant du conflit à la négociation) est donc aux antipodes de la symbolique de la guerre totale qui traverse Star Wars (dont l´action est toute entière à l´agon épique).

Ces deux visions géopolitiques conditionnent toute une série de divergences. La Starfleet se positionne comme garant de l´Ordre Planétaire, menacé de toutes parts, tandis que les rebelles luttent contre la tyrannie pour restaurer un vieil ordre qui se présente comme démocratique (la profusion terminologique entre l´Alliance pour Restaurer la République, l´Alliance pour Restaurer la Liberté à la Galaxie, l´Alliance Rebelle, l´Alliance ou, tout simplement, la Rébellion montre le caractère quelque peu indéterminé du projet).

Comme la Révolution américaine qu´à bien des égards elle semble transposer et prolonger, la guerre de guérillas des Rebelles, sollicite, la coopération de marginaux et d´« outlaws », les célèbres privateers ou « pirates patriotes » [7]. Transformés, selon le trope habituel du genre, en « pirates de l´espace », ceux-ci sont représentés par le non moins célèbre tandem d´Han Solo et Chewie. Inversement, la Starfleet incarne une organisation disciplinaire institutionnelle (on serait presque tentés de dire avec Althusser un « appareil idéologique d´État ») qui tient du service diplomatique, de la police et des forces armées[8]. Ce serait là, selon Charlie J. Anders, la raison ultime de la suprématie mainstream de Star Wars, le mythe de la révolte étant devenu plus évocateur que le maintien de l´ordre[9].

D´où une différence majeure dans les rôles et les fonctions des personnages principaux, bien que l´on soit tenté de trouver une même tripartition de la fonction héroïque. Dans Star Trek celle-ci est toute entière reliée au professionnalisme de l´« Organization Man » théorisé par William H. Whyte (le nom même de l´Enterprise étant significatif)[10], avec Kirk occupant la position médiane entre le pathos empathique de Bones et la froide rationalité de Spock. Dans Star Wars, au contraire, c´est la vieille mythologie individualiste de la Frontière qui s´oppose à la standardisation impériale : le nom même d´Han Solo est significatif, et il devra apprendre, comme Shane et autres cowboys des westerns classiques, à devenir « solidaire » et non plus « solitaire », selon la célèbre dichotomie camusienne. Luke devra, pour récréer une communauté rompue (qui tient ici de la Gemeinschaft bien plus que de la Gesellschaft), accomplir sa propre quête héroïque campbellienne (« The Hero´s Journey »), apprenant à créer et réparer des liens (avec ses Mentors et ses adjuvants, mais aussi avec sa filiation). Léia est présentée à la fois comme objet (au sens proppien) de cette quête (selon le schéma mythique de la princesse délivrée) et comme co-sujet de celle-ci (de son rôle majeur dans la destruction de l´Étoile de la Mort à la révélation finale de leur gémellité). Représentant de la vieille caste dominante désormais pourchassée, Obi Wan est lui aussi coupé de sa communauté d´origine dont il cherche à garantir la survie.

Parallèlement, la géopolitique du « containment » et le caractère institutionnel de la Starfleet sollicitent et conditionnent la ruse de Kirk (assistée à la fois du froid calcul spockien et de la passion de Bones), héritière du culte de la « mètis » ulysséenne, tandis que les héros guerriers de Star Wars sont plutôt hantés par le spectre d´Achille (et sa colère, qui domine tout l´arc narratif d´Annakin dans la seconde trilogie). D´où aussi l´opposition frappante entre l´érotisme xénophile d´un part (fidèle à la tradition ulysséenne, il s´agit, en paraphrasant Clausewitz, de la « poursuite de la paix par d´autres moyens ») et le refoulement quelque peu puritain de l´autre[11].

Ethos organisationnel et « mètis » se conjuguent dans le culte de l´efficience technologique qui à maints égards caractérise Star Trek, débouchant sur une véritable mythologie barthésienne de la « technicité » (avec son jargon sans cesse parodié qui incorpore des éléments de « Hard Science fiction », faisant les délices des exegètes Trekkies). Inversement, la science est profondément ambivalente dans Star Wars : associée à la déshumanisation impériale et son hybris génocidaire (selon le vieux modèle frankeinstenien mobilisé par la contre-culture contre le complexe militaro-industriel), elle ne peut être bonne que quand elle est réduite à un savoir-faire pragmatique (d´où le culte, très états-unien, du « DIY » et du bricolag), opposant la technologie fauchée du Faucon Millénaire à la rigidité des chasseurs TIE[12].

Parallèlement, le « sublime technologique » (Perry Miller) est ici éclipsé par la sublimité de la Force, ancrant, comme on l´a vu, la saga à la fois du côté de la « science fantasy » (oxymore quelque peu bancal auquel on pourrait préférer celui de « fantasy futuriste ») et de la spiritualité New Age. À ce titre, l´opposition entre les deux sagas semble rejouer la conversation entre Roman Kroitor et le cybernéticien Warren S. McCulloch (The Living Machine, 1961), qui inspira, via Lipsett, la notion même de la Force. Et l´on comprend une des raisons du caractère irréconciliable des deux fandoms.

L´on pourrait continuer longuement, et une analyse comparative soutenue, sur le modèle des Vies parallèles plutarquiennes, des deux séries reste à faire (c´est une preuve des limites étroites d´un certain comparatisme que l´on ne s´intéresse qu´aux similitudes et influences entre des œuvres, alors qu´il y a tout un pan fascinant à explorer du côté des divergences). Globalement, on peut affirmer qu´à maints égards Star Wars fut conçu et évolua comme un anti-Star Trek, non pas tant au sens polémique, voire polémologique, d´une opposition frontale (la campagne de marketing du premier film fit appel au réseau fanique établi autour de la série depuis sa disparition et, dans un sens, celui-ci servit de modèle pour le culte qu´entraîna la saga) mais dans le fait qu´elle opta pour explorer les codes du space opera dans un sens totalement divergeant. Ce choix fut à la fois marqué par un impératif esthétique d´originalité (l´on pourrait faire appel ici à « l´anxiété de l´influence » théorisée par Harold Bloom dans son essai éponyme), un impératif générique (l´opposition de l´épopée au drame et du film épique au soap) et, last but not least, un impératif historique : l´Amérique et le monde de 1977 étaient, à bien des égards, aux antipodes des rêves de 1966.

 

 

Bibliographie principale citée :

Antonio Dominguez Leiva, « Where No Man Has Gone Before » : avatars de la xénophilie dans Star Trek TOS, in S. Hubier et E. Le Vagueresse, Gender et séries télévisées, Reims, PUR, 2016 

«Érotique de Star Wars (1): Du refoulement au Golden Bikini", popenstock.ca, 25/01/2016

H. W. McCurdy, Space and the American Imagination, Washington, Smithsonian Institution Press, 1997

J. W. Rinzler, The Making of Star Wars: The Definitive Story Behind the Original Film, Del Rey, 2007, éd. Kindle

 

 





[1] Dont le nom évoque de manière évidente celui de Tataouine, oasis du désert tunisien (le tournage s´étant par ailleurs en grande partie déroulé dans le sud de la Tunisie). Définie par Obbi-Wan comme une "misérable ruche d´ordure et de méchanceté" ("you will never find a more wretched hive of scum and villainy"), Tataouine représente tous les tropes de l´orientalisme déconstruits par Edward Said : « Tatooine is modeled on the otherwordliness of the Middle East (..) as a rural, impoverished, backwater planet (..) Even the "natives" of the fictional desert planet wear robes comparable to the traditional white Jallabiya worn by people in the Arabic and Middle Eastern world. The similarity of the costume signals to Western, white audiences that these indigenous people are to be feared" (Ali Sadek "Galactic Orientalism", in M. Schultz, éd., Postcolonial Star Wars: Essays on Empire and Rebellion in a Galaxy Far, Far Away, Cambridge Scholars, 2020, p. 58-9)

[2] Bien qu´Herbert ne fut pas élevé par les Jésuites, il eut à lutter contre l´influence catholique, incarnée par ses tantes irlandaises : « When he was a boy, eight of Dad's Irish Catholic aunts tried to force Catholicism on him, but he resisted. Instead, this became the genesis of the Bene Gesserit Sisterhood. This fictional organization would claim it did not believe in organized religion, but the sisters were spiritual nonetheless. Both my father and mother were like that as well” ("Afterword by Brian Herbert", in F. Herbert, Dune (Kindle ed.). Penguin Group. pp. 873–875)

[3] La locution remonte aux moines du désert de l´Antiquité tardive, mais elle est reprise par Inace de Loyola et depuis particulièrement associée à la Compagnie : « « Que chacun de ceux qui vivent sous l’obéissance se persuade qu'il doit se laisser mener et diriger par la divine Providence au moyen des Supérieurs, comme s’il était un cadavre [‘perinde ac si cadaver esse(n)t’] qui se laisse remuer et traiter comme on veut, ou comme le bâton d’un vieillard qui sert celui qui le manie où que ce dernier aille et quoi qu'il veuille faire. » (Constitutions de la Compagnie de Jésus, N°547, 1556).

[5] Dans une de ses rares références à Star Trek, Lucas signale comment la matrice de son idée originale fut une vision aux antipodes de l´esthétique de la série : « Because one of the key visions I had of the film when I started was of a dogfight in outer space with spaceships — two ships flying through space shooting each other. That was my original idea. I said, ‘I want to make that movie. I want to see that.’ In Star Trek it was always one ship sitting here and another ship sitting there, and they shot these little lasers and one of them disappeared. It wasn’t really a dogfight where they were racing around in space firing.” (Rinzler, 2007, p. 65 Kindle). On retrouve là encore la crarotopie lucasienne.

[6] « While the first season of Star Trek upheld the advocated disinterested scientific-exploratory mission, it quickly took on a thinly veiled allegory of Cold War politics in the second and third. The United Federation of Planets stood for the United Nations, Starfleet for NATO and the Klingons for the communist Soviets. The two opposing ideological blocs were determined as the Federation (America) against the Klingon Empire (Soviet Union). Klingons were represented unflatteringly in every aspect, and the Federation, in the form of Kirk, had to save the day each time by stopping Klingonism from spreading to all those little, underdeveloped planets (Third World countries). Romulons were a dangerous and mysterious race that could precipitate disaster by a complete alliance with the Klingons (read China and the Red Menace). Increasingly the Enterprise and Kirk were 'forced' to play the role of galaxy policemen” (Hannah Pok "To Boldly Go Where No Man Has Gone Before":Star Trek as a reflection of American Imperialism”)

[7] v. R. H. Patton, Patriot Pirates: The Privateer War for Freedom and Fortune in the American Revolution, Pantheon, 2008

[8] Ancien Marine, Rodenberry travailla à la paramilitarisation du L.A.P.D sous le commandement du moins polémique de William Parker, puis commença sa carrière à la télévision comme consulteur pour les multiples police procedurals qui contribuaient à la propagande policière.

[9]I can’t help wondering if this is one reason why Star Wars looms so much larger in the popular imagination than Star Trek: Because we always want to identify with the scrappy rebel against the evil empire. Even when we actually are the world’s main superpower, with unparalleled military and economic might, we Americans like to think of ourselves as still a ragged group of revolutionaries, fighting the American Revolution against the overbearing redcoats. Star Wars plays into our national fantasy of righteous underdoggery, while Star Trek is actually closer to reality. (Charlie J. Anders, "The Essential Difference Between Star Wars and Star Trek", Gizmodo, 1/21/2016). Si l´on considère le rôle de Rodenberry dans le L.A.P.D. et les « police procedurals » des années 50 on peut voir là un signe du changement d´époque, le libéralisme paternaliste laissant place à la contestation et la sociabilité hétérodirigée à l´individualisme  de la « Me Generation » qui n´a fait, depuis, qu´augmenter sa progression.

[10] Il est intéressant de signaler qu´au même moment le western adoptait comme nouveau principe structurant ce que Will Wright dénomme le « professional plot », où le cowboy solitaire laisse place à une équipe disparate mais unie (Sixguns and Society: A Structural Study of the Western, 1977, p. 85 sq.), ce qu´il associe justement à l´analyse de Wright sur l´hégémonie de « l´Organization Man » dans le champ social. L´on pourrait étendre la notion de « professional plot » à l´évolution d´autres genres dans cette même période, tels que le film de guerre, le « caper film » ou le film catastrophe.

[11]V. Antonio Dominguez Leiva, « Where No Man Has Gone Before » : avatars de la xénophilie dans Star Trek TOS, in S. Hubier et E. Le Vagueresse, Gender et séries télévisées, Reims, PUR, 2016 et «Érotique de Star Wars (1): Du refoulement au Golden Bikini", popenstock.ca, 25/01/2016

[12] « As portrayed in Star Wars, personal spacecraft technology is so simple that Solo can maintain and improve the Millennium Falcon himself (…). The character of Han Solo combines the bravado of a mercenary pilot with the technical skill of a garage mechanic, the latter recalling the « hot rodders » of the 1950s who worked to improve the performance of their own machines, stock automobiles whose mechanical alteration could vastly improve the capabilities of engine and drive train. The alterations permitted unlicensed drag racing and legendary flights from law enforcement authorities” (H. McCurdy, 1997, p. 196)