Star Wars et la refondation du Space Opera (7) : À l´ombre de l´Astrosex

Star Wars et la refondation du Space Opera (7) : À l´ombre de l´Astrosex

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 21/06/2020

Alors que Lucas continue à gribouiller compulsivement des « space soldiers » (titre de la nouvelle mouture télévisuelle des serials de Flash) au milieu de son initiation à l´âge adulte dans la scène contre-culturelle californienne, l´opprobre qui pesait sur le « space opera » ne fait que grandir, et ce, justement, dans le passage à la « maturité » de la science-fiction au contact de la contre-culture. L´on sait comment la « New Wave » se voulut une déconstruction totale des codes classiques des deux bords de l´Atlantique. “I think science fiction should turn its back on space, on interstellar travel, extra-terrestrial life forms, galactic wars and the overlap of these ideas that spreads across the margins of nine-tenths of magazine s-f … .”, écrivait  J. B. Ballard dans son manifeste pour New Worlds “Which Way to Inner Space?” (Mai 1962). Il illustrait cette même année ce « tournant intérieur » (inward turn) dont il devint une figure de proue par une nouvelle, “Cage of Sand”, où émerge un mythème obsessionnel de son œuvre, celui de l´astronaute mort comme dégradation ultime du mythe de la Nouvelle Frontière et de la mystique du Space Age, alors même que celle-ci était en pleine effervescence (et mutait vers ce que l´on pourrait dénommer le « Spaced (Out) Age » psychédélique).

Un an après, la culmination de la Space Race dans le premier alunissage humain, effectué par la mission Apollo 11, apporta un autre coup, paradoxalement, au « space opera ». Comme le signale Terry Bisson dans « Science Fiction and the Post-Apollo Blues », en faisant réalité le voyage spatial tant fantasmé par la science-fiction, et tout particulièrement par le sous-genre qui en faisait un de ces piliers incontournables , il l´extirpait de son pouvoir mythopoétique et provoquait un véritable traumatisme: “[t]he science was still there but the fiction was gone, and with it the myth[1]. L´on pourrait dire que la clôture de cet espace imaginaire rejouait celle de l´autre Frontière qui l´avait tant conditionné, s´y superposant. Mais le « tournant intérieur » promu par Ballard comme solution anticipée à cette démythification de l´espace extérieur (sur ses ruines mêmes) ne réussit pas à éclipser l´attrait séculaire du voyage cosmique.

Alors que tout un pan de la « hard science-fiction » allait s´intéresser aux nouvelles possibilités d´exploration de l´espace, et tandis que les circuits les plus légitimes du genre se tournaient vers l´expérimentation postmoderniste avec les multiples possibilités inexplorées de ce dernier, le « space opera » survécut comme dimension de plus en plus affranchie du réel, en accord avec l´ethos fun et décomplexé de la société de consommation des Sixties, mais aussi son réel appétit de « reenchantement du monde ». 

De fait, la réedition de la série des « Lensmen » d´E. E. Smith par Pyramid Press en 1965 est symptomatique, marquant la persistance de cet imaginaire, désormais perçu à la fois comme un héritage quelque peu rétromane et comme pur divertissement. Un an après, la saga fut classée en deuxième pour le prix Hugo spécial consacré à la "Best All-Times Series", qui alla à la trilogie de Fondation. Lucas découvrira ainsi cette saga, dont il s´inspirera (bien qu´il en ait peu proclamé l´influence[2]), par le même effet d´« achronie pop » qui marqua sa fascination pour Flash Gordon.

Outre le succès des rééditions, le space opera connut dans les Swinging Sixties un relatif engouement mais aussi une transformation. L´impact de la mission Apollo 11 vouait le genre soit à incorporer des éléments de la « Hard science-fiction » pour se rendre minimalement crédible (mais la « Hard S.F. » se définissait de plus en plus contre l´irréalisme et la puérilité des voyages intergalactiques, culminant dans leur déconstruction à la fin de la décennie par Kubrick et Clarke dans 2001 l´Odysée de l´espace, 1968), soit à plonger résolument dans le versant de la Fantasy qui l´avait hanté dès ses origines, ou enfin à se prélasser dans la parodie. Ces trois courants évoluèrent parallèlement, se croisant occasionnellement et livrant quelques chefs-d´œuvre.

Aux vieux roublards du genre (Beam Piper avec Space Viking, 1963, Jack Vance avec sa saga des Princes Démons inaugurée en 1964, Poul Anderson avec son James Bond de l´espace Dominic Flandry défenseur de l´Empire Terrien à partir de 1965, E. C. Tubb avec sa saga Dumarest commencée en 1967, Harness avec The Ring of Ritornel en 1968, année où Hamilton entreprend sa trilogie Starwolf) s´ajoutent des nouveaux venus (Barrington J. Bayley avec sa sombre vision de l´humanité conquérante comme Star Virus, 1964, repris aussitôt par William Burroughs dans Nova Express, Bertram Chandler avec sa saga « hornblowerienne » dévolue à John Grimes et entamée en 1964, Alexei Panshin avec ses Rites de Passage on ne peut plus générationnels de 1968). Non sans une certaine ironie, des tenants de la Nouvelle Vague s´exercent aussi à reinventer le sousgenre honni (le plus rétromane des Jeunes Turcs Michael Moorock avec The Sundered Worlds, 1965, Samuel Delany avec Empire Star et Babel 17, tous deux de 1965 et Nova, 1968, Silverberg avec Nightwings cette même année).

Parallèlement, toute une vague d´anthologies, telle Swordsmen in the Sky éditée par Donald A. Wollheim (1964), confirmait la consolidation du sous-genre ainsi que l´intérêt des lecteurs pour un héritage frappé d´obsolescence (la mauvaise qualité du papier qui donna son nom aux pulps les vouait à une disparition prématurée, renforcée par l´ostracisme auquel les condamnait le champ littéraire), sans oublier, bien entendu, la volonté marchande de rentabiliser un fonds de commerce auquel on donnait une seconde vie. L´effet de répertoire en était accru, ainsi que le vernis rétromane de cet imaginaire entre futuriste et vintage.

Mais comme son corollaire et rival, l´heroic fantasy, qui menace de lui dérober la faveur du public (dès lors qu´il a lui-même basculé de plus en plus dans la pure Fantasy), le genre se voit circonscrit à une série itérative de motifs. Pour s´en tenir au sabre laser dont nous avons esquissé une petite généalogie, son emploi dans le Wolfling de Dickson (1969) est à la fois dérivé de la tradition inaugurée par Hamilton et des combats de la « sword-and-sorcery ». Pour preuve « l´explication » qui élude toute référence scientifique :

« As Jim had discovered with Adok, fighting with the rods was very similar to fencing with sabers, provided they were sabers that changed lengths frequently and unexpectedly. The focal point of the fire put forth by the rod (that point at which the discharge was most destructive) was at the tip of an inner cone of pure white light, and this cone could be extended by the man holding the rod, at will, from a length of six inches to ten feet. This was the point at which the utmost power of the rod was exerted. Directly in counter, the point of the cone of fire in one rod could be blocked only by the point of the cone of fire in another. However, if the cone tip should miss its target and the opposing rod could project its cone tip into the stream of fire behind the other tip, the penetrative cone could be bent aside, so that the attacking cone could go on to strike its target. It was not just a matter of deflecting the stream of fire from the opponent’s rod, therefore, but of deflecting it with a portion of your own flame, which was stronger than that part of the opponent’s flame it encountered” (éd. Kindle, p.103).

De fait, la couverture originale du paperback, le mettant justement en valeur (ainsi que, comme bien souvent, l´anatomie hypervirile du héros), élide toute référence science-fictionnelle et pourrait parfaitement convenir à une des innombrables variations conaniennes de l´époque, tout comme celle de 1980 par Maelo Cintron[3]. Cela est d´autant plus significatif que l´illustration originale pour la publication en feuilleton dans Analog (janvier 69) était beaucoup plus marquée par le "sense of wonder" spécifiquement science-fictionnel, et le sabre, au repos, plus proche du gadget technologique (plus proche aussi de ceux de Lucas, lecteur du magazine), tenu par une créature extraterrestre quelque peu androgyne (et qui inspira peut-être le maquillage de Ziggy Stardust). À titre de comparaison, les éditions ultérieures, tout en gardant la référence au sabre iconique, insistent sur l´inscription de l´œuvre dans le genre du space opera, qu´elles gardent la référence au sabre ou s´en débarrassent.

Les batailles se font de plus en plus aérodynamiques, telles qu´illustrées par Virgil Finlay pour After Doomsday de Poul Anderson (1961), ou résolument « pop » telle cette case du

Captain Johner and the Aliens de Russ Mannings (1963), adaptation de First Contact" de Murray Leinster (1945), proche des jouets de Space pursuit (1969). Les scripts narratifs étant fortement établis, cela permet des séquences qui se veulent cinématographiques, tel cet assaut de vaisseau à travers l´hyperespace (novum moteur –au propre et au figuré- du genre depuis ses origines[4]) de la main du vétéran Poul Anderson :

Seeing that the pursuer kept shortening her distance, the pursued turned off their hyperdrive. Reverting to intrinsic sublight velocity, converter throttled down to minimal output, their ship became an infinitesimal speck in an effectively infinite space. The maneuver often works; after casting about futilely for a while, the enemy gives up and goes home. The Hebe G.B., though, was prepared. The known superlight vector, together with the instant of cutoff, gave her computers a rough idea of where the prey was. She continued to that volume of space and then hopped about in a well-designed search pattern, reverting to normal state at intervals to sample the neutrino haze which any nuclear engine emits. (…) On a lung and a half, the Terrestrial ship again overtook the foreigner (…) and tied his yacht to the larger hull with unshearable bands of force. (…) [Torrance] had never forced entry on a hostile craft before, but assumed it wasn't much different from burning his way into a derelict. (…) The last defense gave way. Torrance swallowed hard and shot a flashbeam into the interior. Darkness and vacuum met him. When he entered the hull, he floated, weightless; artificial gravity had been turned off. The crew was hiding someplace and… »[5].

 

Si les codes du genre étaient désormais partout reconnaissables, ils étaient le plus souvent dégradés en simples clichés. Des collections comme « Fleuve Noir Anticipation », en France ou « La Conquista del Espacio » en Espagne les déclinaient systématisaient à un rythme frénétique tandis qu´émergeait, poussant jusqu´au bout la logique industrielle des paperbacks, héritée des pulps, un véritable phénomène éditorial inégalé à ce jour : Perry Rhodan. Inaugurée en 1961, cette saga hebdomadaire qui continue à ce jour compte plus de 3000 fascicules, auxquels s´ajoutent des centaines de romans, totalisant plus de 300.000 pages et ayant vendu autour de deux milliards de copies. Les magnifiques couvertures de « Johnny » Bruck pour l´édition allemande et de George Wilson ou Gray Morrow pour l´édition américaine signent l´aggiornamento du legs iconographique des pulps et donnent une idée de l´univers délirant de cette excroissance tératologique du Space Age[6].

Cette systématisation portait en elle le risque de l´épuisement et, parallèlement, invitait à la parodie et la caricature de par son divorce total avec l´exploration réelle de l´espace en cours. C´est justement ce qu´entreprend avec succès Harry Harrison avec sa satire antimilitariste Bill, the Galactic Hero (1965), tournant en dérision les obsessions impérialistes et les connivences avec la propagande du complexe militaro-industriel du genre, ainsi que son fétichisme technologique. Cette même année Jack Vance, quant à lui, intitule Space Opera un roman qui s´amuse à littéraliser le terme, présentant une compagnie d´opéra qui traverse la galaxie cumulant les déboires. Plus picaresque que véritablement parodique, ce roman d´un des grands rénovateurs du genre montre une volonté de sortir hors de ses sentiers battus et explorer des nouvelles possibilités.

Fait symptomatique, Susan Sontag cite « the old Flash Gordon comics » dans le catalogue volontiers hétérotopique de ses célèbres « Notes on Camp » (1964). Et l´on comprend comment les vieux clichés du « space opera » ont pu devenir des exemples de ce qu´elle nomme le « camp naïf » : « In naïve, or pure, Camp, the essential element is seriousness, a seriousness that fails. Of course, not all seriousness that fails can be redeemed as Camp. Only that which has the proper mixture of the exaggerated, the fantastic, the passionate, and the naïve”. Mais le camp étant esentiellement ambivalent ("Camp is either completely naive or else wholly conscious (when one plays at being campy)”), il peut aussi basculer du côté de l´artifice : « The whole point of Camp is to dethrone the serious. Camp is playful, anti-serious. More precisely, Camp involves a new, more complex relation to "the serious." One can be serious about the frivolous, frivolous about the serious”. Et de là, sous l´égide de Bearsdley, Wilde et l´esthétique Décadente et queer, s´amuser à la perversion des codes, des valeurs ("Camp is a solvent of morality. It neutralizes moral indignation, sponsors playfulness") et des genres (au double sens du terme, les homosexuels ayant été à « l´avant-garde » du camp). 

L´on retrouve ces trois versants illustrés dans différentes œuvres de l´époque, allant du camp naïf de Gerry Anderson avec ses marionnettes cultes (Captain Scarlet and the Mysterons, 1967-8) au camp assumé (« Purple Priestess of the Mad Moon", retour mi- mélancolique, mi- amusé,  de Leigh Brackett en 1964 au genre qui l´avait consacrée, alors même que les missions Mariner démontraient l´inexistence de la vie dans ses deux planètes de prédilection, Vénus et Mars, auxquelles elle ne reviendrait plus jamais) ou volontiers queer : une décennie après les « Notes » de Sontag, le Rocky Horror Picture Show de Richard O´Brien commence par la chanson « Science-fiction double feature » qui célèbre, de façon à la fois lubrique et amusée, l´astronaute en short (« And Flash Gordon was there with silver underwear »).

Ce n´était pas la première fois que ce genre très masculiniste obsédé par la la conquête de l´espace et des autres planètes, la soumission de leurs femelles et la destruction par machines phalliques interposées des ennemis les plus visqueux se voyait déconstruit par son érotisation explicite. Sans être explicitement parodique, Barbarella transformait tous ces éléments en célébration entre amusée et émerveillée de ce que l´on nomma la Révolution sexuelle, des pages originales de Jean-Claude Forest (sérialisées en 1962) au célèbre film de Roger Vadim (1968).

À la croisée des trois variantes du camp, oscillant entre diverses traditions (d´Alex Raymond au post-surréalisme en passant par le pop art) et registres (du lyrisme à l´érotique en passant par le loufoque ou l´épique), Barbarella mérite d´être considéré un chef d´œuvre non seulement du 7e art mais du genre, qu´il renouvela à sa manière. Toutefois l´équilibre rare entre érotisme, parodie et poétique de l´émerveillement dépendait en grande partie de la dimension utopique qu´avait pris, à la suite des surréalistes, la libération du désir : le perpetuum mobile des aventures de Barbarella comme des traits qui la dessinent est cette conviction du pouvoir mythopoétique et transfigurateur de l´Éros.

Sans être aussi novatrice, l´adaptation cinématographique prit elle aussi valeur de symbole (et de manifeste camp). Entièrement dominée par le dispositif du « male gaze » que Laura Mulvey allait déconstruire dans son célèbre article « Visual Pleasure and Narrative Cinema » (1975), elle file avec humour la métaphore centrale de l´époque en forme d´intrigue de space opera. Barbarella doit localiser et éliminer le « rayon positronique » avec lequel le supervillain Dr. Durand Durand menace l´univers; pour cela elle devra se livrer à une pratique terrienne historiquement dépassée : faire (abondamment, mais hors-scène) l´amour afin d´éviter la guerre. S´ensuivent, sur le modèle du softcore satirique alors à la mode (le scénariste, Terry Southern, étant l´auteur du tout aussi célèbre Candy, adapté cette même année de tous les prodiges, 1968), « climaxant », si l´on peut dire, dans sa reconfiguration d´un véritable fantasme de la décennie, la machine à plaisir.

Les allusions à Wilhelm Reich sont évidentes dans la transfiguration futuriste de sa machine à Orgone comme le signale Christopher Turner dans son ouvrage dévolu à « l´Orgasmatron » :

The orgone energy accumulator offered a generation of seekers the opportunity to shed their repressions by climbing into a box, which turned out to serve as an apt symbol of their new imprisonment. In Roger Vadim’s Barbarella, released in 1968, the evil scientist Durand-Durand, who seems to be partly based on Reich, uses a form of orgone accumulator as an instrument of torture when he attempts, unsuccessfully, to kill Barbarella with pleasure”[7].

Sans être aussi novatrice, l´adaptation cinématographique prit elle aussi valeur de symbole (et de manifeste camp). Entièrement dominée par le dispositif du « male gaze » que Laura Mulvey allait déconstruire dans son célèbre article « Visual Pleasure and Narrative Cinema » (1975), elle file avec humour la métaphore centrale de l´époque en forme d´intrigue de space opera. Barbarella doit localiser et éliminer le « rayon positronique » avec lequel le supervilain Dr. Durand Durand menace l´univers; pour cela elle devra se livrer à une pratique terrienne historiquement dépassée : faire (abondamment, mais hors-scène) l´amour afin d´éviter la guerre. S´ensuivent, sur le modèle du softcore satirique alors à la mode (le scénariste, Terry Southern, étant l´auteur du tout aussi célèbre Candy, adapté cette même année de tous les prodiges, 1968), « climaxant », si l´on peut dire, dans sa reconfiguration d´un véritable fantasme de la décennie, la machine à plaisir.

Les allusions à Wilhelm Reich sont évidentes dans la transfiguration futuriste de sa machine à Orgone comme le signale Christopher Turner dans son ouvrage dévolu à « l´Orgasmatron » :

The orgone energy accumulator offered a generation of seekers the opportunity to shed their repressions by climbing into a box, which turned out to serve as an apt symbol of their new imprisonment. In Roger Vadim’s Barbarella, released in 1968, the evil scientist Durand-Durand, who seems to be partly based on Reich, uses a form of orgone accumulator as an instrument of torture when he attempts, unsuccessfully, to kill Barbarella with pleasure”[8].

Délaissant sa forme au profit d´un référent musical, psychédélisme pop oblige, la vision vadimienne, délibérément parodique et camp (abusant jusqu´à la distanciation ironique des tropes des vilains super-sadiques et décadents de la tradition des shudder pulps et des comics qui s´en inspirèrent), ne semble invoquer le Thanatos freudien que pour mieux le conjurer, célébrant le triomphe reichien d´Eros qu´incarne l´héroïne. Comme l´écrit Linda Williams dans sa fine analyse de la scène :

« “When we reach the crescendo you will die,” promises the villain. Big death, real death, is supposed to follow the excess—exsex— of the little death (petite mort) of orgasm. But the more frenetically Duran Duran plays the organ and the more the music reaches one crescendo after another, the more it becomes apparent that Barbarella can take whatever pleasures it offers. In the end, it is only the machine that dies, not Barbarella. “Theoretically,” as Sherfey put it, “a woman could go on having orgasms indefinitely.” In this scene a finite, masculine concept of sexual pleasure as climax and crescendo—the quintessentially French and male concept of orgasm as a kind of finite petite mort—comes up against the lessons of Kinsey, Masters and Johnson, and feminist sexological revisions of female sexual pleasure as potentially infinite. The more the machine tries to kill her with pleasure, the more Barbarella relaxes and enjoys. Soon the tubes feeding the sound into the cubicle shrink, and the connections smoke and burn. Yet another mad male scientist’s experiment has gone awry (…). This is one point in the film in which Barbarella/Fonda’s face—not the game of peekaboo with her seminaked body—counts. (…) Such is the first (American) face of female orgasm on the American screen.” (Williams, p.167-9)

La scène met non seulement en avant la dissolution du Thanatos par l´Eros mais aussi la destruction du technofétichisme sadique masculin (emblématique du space opera) par le plaisir féminin, ce qui, dans le contexte du Women´s Lib et des manifestations contre Vietnam, conciliait les deux luttes en une image à la fois humoristique, transgressive et militante[9].

Le rêve d´un Aufheben hégélien de Thanatos par l´émancipation de la libido (le célèbre slogan « faites l´amour, pas la guerre » dont Barbarella fait un véritable code de conduite) allait hélas déchanter à la fin de la décennie. Symptomatiquement, Lucas allait y répondre par les scènes extrêmement dépressives des masturbations sur hologramme dans sa riposte très marcusienne aux thèses barbarello-reichiennes qu´est THX 1138.

Les nombreuses héritières de cette héroïne sexuelle intersidérale n´auront plus ce mélange de naïveté et d´hardiesse qui venait en droit fil des libertines du XVIIIe (l´on songe entre autres à la Thérèse philosophe de Boyer d´Argens, 1748). Encadrées par les fantasmes virilistes de la culture geek à la Frank Frazetta elles peupleront encore les pages de Métal Hurlant (né en 1974) et ses multiples imitateurs, brillant parfois de leur ancien éclat, mais elles seront de plus en plus formatées selon les codes convenus de l´érotisme marchand, à moins qu´elles ne subissent les délires de plus en plus transgresseurs (et volontiers « psychopathologiques » selon le terme employé par Lo Duca dans son étude) des fumetti pour adultes d´Elvifrance[10].

Les parodies camp et sexy allaient aussi connaître une certaine vogue éphémère dans les « sleaze paperbacks », revisitant le rêve du voyage cosmique cher au Space Age à la lumière d´un autre type d´explorations tout aussi chères à cette époque. Des titres aujourd´huis prisés comme emblèmes d´un âge révolu (ironiquement ce qui passait pour le comble de la perversion étant devenu une sorte d´innocence perdue) s´enchaînèrent, tels que The Day The Universe Came ("A Sci-Fi Sex Tour de Farce" signé Ray Kalnen, 1968) avec son astronaute mutin entouré de playmates extraterrestresStarship Intercourse ("Doing It was their Duty aboard the...") par Lambert Wilhelm, avec ses couples (dont l´un lesbien) s´envoyant littéralement en l´air, Zero Gravity Swap ("The astronauts shared beaver-pie in the sky" d´un certain "Cal I. Pygaster") avec sa belle pin-up se dénudant devant un astronaute qui semble sortir d´une cabine de décompression, où se trouve, contre toute logique scientifique,  une autre dame en chemise de nuit à qui il fausse compagnie.

Nude in Orbit de Gene Cross reprend le fantasme du gigantisme sexuel illustré par Les Voyages de Gulliver et Baudelaire, le transposant dans l´espace où vogue une autre belle pin-up dans le plus simple appareil, dont un astronaute semble explorer le creux des seins, ayant quitté son phallique vaisseau en forme d´ampoule sans avoir, paraît-il, pris la précaution d´endosser sa combinaison spatiale. Quant à Those Sexy Saucer People d´Ian Hudson, variation on ne sait si ludique (de par le titre) ou anxiogène (de par l´image) du fantasme soucoupiste de l´abduction en vue d´expérimentations sexuelles, sa couverture présente un extraterrestre anthropomorphe (seules ses oreilles pointues et le teint rougeâtre de sa peau entièrement dénudée suggèrent sa condition) soutenant une éprouvette (que l´on suppose contenir sa semence) qu´il est sur le point d´injecter sur deux femmes affligées par leur sort. Pour ce qui est de l´accouplement xénophile de Fantasex ("Birds of a feather flock together"), de J. X. Williams, l´on ne sait si la reprise du vieux motif des hommes-oiseaux (déjà présent dans les verspertillos sélénites du Great Moon Hoax de 1835 et les Birdmen de Flash Gordon) relève d´une rencontre du quatrième type dans l´espace extérieur ou dans un quelconque royaume de fantaisie.

L´on pourrait continuer l´exploration de cette étonnante extension du territoire du space opera (avec des titres tout aussi étonnants que Martian Sexpot, Astrosex, Space Sex ou Outerspace Sex Orgy que je vous laisse le plaisir de découvrir par vous-mêmes sur le Web, de préférence au rythme de « Sex Club II -A Journey to an Outer Space Orgy » de Gregory T. Carlson). Les circonstances toutes aussi étonnantes qui marquèrent ces œuvres sont décrites par l´un de ses auteurs les plus stakhanovistes, le célèbre écrivain Robert Silverberg, auteur entre autres de plusieurs space operas d´importance (dont Nightwings, 1968, déjà cité), sous le titre humoristique « My life as a pornographer »[11].

Le cinéma de « sexploitation » allait lui aussi s´emparer de cet imaginaire intergalactique, à commencer par le "nudie cutie" de la désormais célèbre Doris Wishman Nude on the Moon (1961, "A truly different adventure to take you OUT OF THIS WORLD!"). Peu après la tentative par Lucas d´acquérir les droits d´adaptation du héros d´Alex Raymond et tandis qu´il travaille à sa future saga, Howard Ziehm et Michael Benveniste font paraître les aventures de Flesh Gordon (1974) dans la planète Porno, où il devra braver des monstres littéralement phalliques (les « Pénisaures », surprenamment fidèles à la tradition du stop-motion de Ray Harryhausen)[12], des Amazones saphiques entêtées à initier Dale Ardor à leur culte et les "robots violeurs" du très décadent (et camp) Empereur Wang, grand orchestrateur d´une éternelle orgie en l´honneur du Grand Dieu Porno et dont le plan maléfique consiste en réduire la Terre à une colossale partouze de par la force de son « rayon sexe ». Par la suite, avec le déclin du « softcore » au profit du hard, aux budgets et aux ambitions beaucoup plus limités, en quête davantage de « money shots » que de jeux métatextuels ou d´émerveillements, ce sous-genre se fera rare[13] avant la nouvelle vogue du parody porn qui s´attaquera même, comme on l´a analysé ailleurs dans ce dossier, à la saga de Lucas. Ce qui, de par l´obsession maniaque qui entoure le copyright de tout ce qui est starwarsien et son dégoût affiché envers ce type de détournement dès les premiers succès de sa création, n´a pu que le faire suprêmement enrager[14].

De fait la dérive camp (et érotique) du space opera sera ce contre quoi, à bien des égards, Star Wars réagira. Dès ses premiers pitchs, Lucas insiste sur le fait qu´il ne veut pas être camp[15]. Le retour à l´authenticité, thème promis à un grand avenir, se combine ici avec le rêve de « l´enfance récupérée », selon le titre de l´essai du philosophe espagnol Fernando Savater publié un an avant la sortie du premier Star Wars. Des grands jouets que seront les effets spéciaux révolutionnaires développés pour rendre sinon crédibles réellement immersives les « guerres des étoiles » aux millions de figurines qui feraient la fortune de l´empire Lucas et transposeraient son univers dans la vie quotidienne de millions de gamins sur la planète, il s´agissait de réenchanter le monde non plus, comme le rêvèrent les Romantiques et les Surréalistes à leur suite, en « changeant la vie » mais en retombant véritablement en enfance. Cela allait de pair, en toute logique, avec un refoulement de la sexualité[16].

Par une étrange dialectique qui aurait surpris le vieux Hegel, il aura donc fallu que le genre passe par Flesh Gordon et Astrosex pour qu´advienne Star Wars.

 

 

Bibliographie principale citée:

A. Domínguez Leiva, «Érotique de Star Wars (1): Du refoulement au Golden Bikini", popenstock.ca, 25/01/2016

S. Sontag, « Notes on camp », The Partisan Review, Décembre 1964

C. Taylor, How Star Wars Conquered the Universe, NY, Basic Books, 2014

J. A. Turnock, Plastic Reality: Special Effects, Technology, and the Emergence of 1970s Blockbuster Aesthetic, Columbia University Press, 2015

L. Williams, Screening Sex, Duke University Press, 2008




[1] Bisson, Terry. “Science Fiction and the Post-Apollo Blues.” The New York Review of Science Fiction 58 (1993): 1, p.9

[2] Les (nombreux) fans de Smith ne se tromperont pas; Necronomicon Press profitera de la sortie du film de Lucas pour republier un vieil entretien de l´auteur avec Thomas Sheridan en 1948 sous le nouveau titre E.E. "Doc" Smith, Father of Star Wars (1977).

[3] L´édition allemande va encore plus loin dans les échos aux célèbres illustrations de « sword and sorcery » par Frazzeta  frazzetisme conannien, réduisant l´arme à un triste sabre tout ce qu´il y a de plus banal.

[4]A term coined to describe the *space extended along a hypothetical extra dimension added to the three dimensions of conventional perception. It was introduced into science fiction by John W. *Campbell Jr. in Islands of Space (1931), in order to provide a jargon of apology permitting a spaceship to avoid the Einsteinian limitation on travelling faster than light (…). The possibility that shortcuts through interstellar space might be taken with the aid of some kind of topographical trickery was so useful in extending the scope of futuristic fiction to a galactic stage that it was taken up on a massive scale by other writers” (B. Stableford, Science Fiction and Science Fact. An Encyclopedia, Routledge, 2006, p. 238)

[5] « Hiding Place », 1961, The Book of Van Rijn, ebook, 2008, p.76

[6] On reste songeur devant une étrange émission de la télévision bavaroise que l´on suppose destinée aux insommiaques et/ou défoncés du Länder pour commémorer le 40e anniversaire anime les couvertures de Johnny Bruck au rythme d´Herbaliser, Skylash ou Bullitnuts (2001).

[7] C. Turner, Adventures in the Orgasmatron: How the Sexual Revolution Came to America, arrar, Straus, and Giroux, 2011. Éd. Kindle.

[8] C. Turner, Adventures in the Orgasmatron: How the Sexual Revolution Came to America, arrar, Straus, and Giroux, 2011. Éd. Kindle.

[9] « If the film carefully elides all views of heterosexual coitus as pelvic thrusting—more chastely, in fact, than American films of the same era—it does not elide the orgasm presumed the end point of sexual pleasure. Nor does it presume that this orgasm can be represented as a single climax. Rather, it is as an ongoing pleasure. In its own very sixties way, then, and in a way that will carry over in a much more serious mode into Fonda’s post-sixties film career, the future Hanoi Jane uses her orgasmic capacity to expose the warlike villain and his death machine as impotent and to celebrate herself as orgasmically triumphant. Make love, not war, indeed!” (id, p.169-170).

[10] "Manuel des confesseurs" et Krafft-Ebing en bandes dessinées: Essai sur les obsessions sexuelles a la lumiere des bulles contemporanine, Dominique Leroy, 2020

[11] Silverberg explique les raisons économiques de cette transformation de plusieurs écrivains de SF en pornographes: « I was 24 years old when I stumbled, much to my surprise, into a career of writing sex novels. I was then, as I am now, primarily known as a science-fiction writer. But in 1958, as a result of a behind-the-scenes convulsion in the magazine-distribution business, the whole s-f publishing world went belly up. A dozen or so magazines for which I had been writing regularly ceased publication overnight; and as for the tiny market for s-f novels (two paperback houses and one hardcover) it suddenly became so tight that unless you were one of the first-magnitude stars like Robert Heinlein or Isaac Asimov you were out of luck(“My life as a pornographer” repris sous le titre “I wrote 150 porno novels in five years”, Vice, 28 mai 2016). Par ailleurs, comme l´explique Earl Kemp, le fait que tant d´auteurs de S.F. se reconvertirent incita la création de l´étrange genre que l´on pourrait nommer "cosmosexuel": "When Harlan Ellison formed Nightstand Books for William Hamling in 1959, Hamling kept rigid control of the covers and the direction of his paperback books.His editors, as well as a number of his writers, all came from a common background of science fiction and fantasy. (…) And all the work at The Porno Factory was carried on within what could be described as a science fiction atmosphere. For many of these reasons, there was a constant attempt to insert some science fiction elements into some of the novels, or something at least a bit on the fantastic side" ("Wankering Through Time and Space").

[12] Ils étaient animés par une équipe de jeunes promesses des effets spéciaux promises à un bel avenir, formée de Mike Minor, Greg Jein, Rick Baker, Jim Danforth et Dave Allen.

[13] Signalons à titre d´exemple Sensual Encounters of Every Kind ("From the Outer Limits... To the Inner Depths!» 1978) ou Star Virgin ("An orgasmic explosion", 1979). Triste epilogue, le retour tardif de Ziehm à sa saga, suite à son statut de film culte, avec le décevant Flesh Gordon Meets the Cosmic Cheerleaders (1990). 

[14] Chris Taylor évoque une anecdote révélatrice: “The word has come down from George Lucas himself,” wrote Maureen Garrett, director of the official Star Wars fan club, “that Star Wars pornography is unquestionably unacceptable.” Garrett cited the “damage done to the wholesomeness associated with the Star Wars saga.” Lippincott learned that Lucas was in earnest about this when he returned from a press tour of Japan with Mark Hamill and brought some Star Wars pornographic manga back for the boss as a joke. Lucas hit the roof, demanding the makers be sued. There were no grounds: the copyright for Star Wars had not yet been registered in Japan because it hadn’t been released there yet. But Lippincott never heard the end of it. “I really learned to watch it with George,” he said. It was a lesson many others would learn in time” (2014., p. 241).

[15]When invoking cinema precedent, he described Star Wars as “a classic sort of genre picture, sci fi plus action adventure.”More specifically, he called it “2001 and James Bond combined—super fantasy, capes and swords and laser guns and spaceships shooting each other, all that sort of stuff. But it’s not camp. It’s meant to be an exciting actionadventure film.”The distinction is important. Star Wars would not be a Barbarella-style campy romp (per Vadim, 1968) with the associated cheaplooking effects. It would evoke the childlike innocence, excitement, and pace of those precedents, but transform them into the ambitious, artistic “visual filmmaking” of 2001” (J. A. Turnock, 2015, p. 148)