Star Wars et la refondation du Space Opera (14) : L´Œdipe et son Ombre (contre-attaquent)

Star Wars et la refondation du Space Opera (14) : L´Œdipe et son Ombre (contre-attaquent)

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 16/09/2020

 

Suite au succès colossal du premier volet et au regain phénoménal d´intérêt pour le space opera[1], Lucas reprend son rêve sériel en faisant justement appel à l´une des reines incontestables du genre, Leigh Brackett. Dès leurs premières conversations, l´ouverture du film est établie : une planète de glace sur le modèle de Frigia, le royaume de la reine Fria dans Flash Gordon (frigidité onomastique contestée par ses ardeurs et sa tenue pour le moins légère), un monstre des neiges (écho du mythe populaire du Yéti, dont une énième variation nanaresque venait de sortir : Yeti - Il gigante del 20° secolo, 1977) et des lézards géants comme montures (trope introduit par les créatures antédiluviennes des Horibs dans le Pellucidar d´E. R. Burroughs, illustrées notamment par Frazzetta)[2] qui acquerront des cornes de bouc et un faciès dragonesque dans le film (bien qu´ils restent décrits dans la xénoencylopédie fanique comme « non-sentient lizards native to the snowy plains of Hoth »[3]). D´emblée, le ton est donné : le palimpseste pulp est désormais pleinement assumé.

Le modèle du serial aussi, plus rigoureux encore que dans le premier, avec l´enchaînement et l´entrelacement frénétiques des péripéties au sein de grandes séquences d´action : l´attaque du wampa, sa mise à mort par Luke, la rescousse par Han (en rejouant une séquence du Dersu Uzala, 1975, nouvel hommage au maître Kurosawa), leur rentrée au camp alors que les AT-AT Walkers l´attaquent et la fuite à bord du Faucon ne font que constituer une sorte de préambule à la course-poursuite des amis de Luke tandis que celui-ci poursuit son initiation de la main de son Muppet (référence assumée) Donjuanesque (au sens castanédien et non moliéresque). La trahison de Lando dans la ville aérienne (encore une référence à la création d´Alex Raymond et à son adaptation en serial) et le piège tendu à Luke se succèdent, enchaînant duels, supplices, évasions et retournements de situations jusqu´au cliffhanger final, reprise (à ce jour jamais créditée par Lucas) d´une planche de la célèbre saga culte de de Jean-Claude Mézières et Pierre Christin, Valérian et Laureline (L'Empire des mille planètes, 1971). Outre l´incarcération dans un bloc analogue à la carbonite, l´on reconnaît plusieurs détails frappants dont le casque métallique du chef des Connaisseurs (qui cache des visages carbonisés, annonçant celui d´Anakin retrouvé à la fin de la trilogie) et le baiser des protagonistes (qui ici succède à la délivrance du héros). Esthétique postmoderne de l´allusion ou simple plagiat, comme le dénonceront les auteurs? (Le retour du Jedi récidivera, reprenant dans ses premières séquences des éléments de Le pays sans étoile, 1972[4]).

Cette ouverture finale en suspens était par ailleurs une reprise risquée, dans le contexte de la production cinématographique, de l´économie narrative sérielle. La position ambigüe du film comme « séquelle » (à un moment où l´industrie s´en méfiait énormément, de par le modèle hégémonique des récits auto-concluants –et les échecs cuisants de plusieurs suites) est ainsi poussée à l´extrême, instaurant de facto la notion de trilogie.

Parallèlement, l´alternance rythmique entre les séquences d´action et les scènes où évoluent les relations entre les personnages est ici renforcée par la tension entre le réalisateur, le vétéran Irvin Kershner, connu surtout pour ses comédies dramatiques, et Lucas, à la fois coscénariste et producteur. La volonté d´explorer les émotions de l´un et la passion de la vitesse de l´autre se combinent en un rare équilibre qui explique pourquoi le film reste le préféré de tant de fans. Si les scènes d´intimité (notamment la romance entre Han et Leia, placée dès l´affiche à l´ombre du célèbre blockbuster avant la lettre –et modèle avoué par Lucas- Gone With The Wind, 1939) connectaient avec le processus de « psychologisation » que Christopher Lasch était en train de déconstruire dans The Culture of Narcissism: American Life in an Age of Diminishing Expectations (1979), la crarotopie lucasienne alimentait un goût de l´accélération qui allait bientôt trouver son expansion dans le médium émergent des jeux vidéo.

Les références hybrides du premier volet s´enrichissent, englobées dans le cadre essentiellement composite du space opera : le western (avec le chasseur de primes Boba Fett, dont le succès colossal de la figurine déclenchera un véritable culte, montrant la prégnance du modèle du « cowboy de l´espace » que Tucker et Galaxy avaient cru enterrer), le film de cape et d´épée (l´iconographie de Lando, héritière des spadassins d´Alex Raymond ou Leigh Brackett, le duel épique), le film de guerre (ici autant aérien que terrestre, avec les assauts des Panzers sur le front de l´Est comme référence à laquelle se superpose, paradoxalement, le « fantôme sémiotique » de Vietnam[5]) et la comédie romantique (le triangle atteint ici son point maximal, avant d´être résolu par le tabou de l´inceste), auquel on peut ajouter le film d´arts martiaux alors à la mode (l´entraînement de Luke), tandis que la tension entre « gravitas » et légèreté se rapproche plus que jamais de la superproduction épique.

Mais l´évolution la plus marquante est celle des deux piliers que sont le monomythe (ce qu´en fait Lucas, comme on l´a déjà étudié) et la Force. Le premier est marqué par le tournant oedipien, véritable point d´inflexion de la saga (et source mythopoétique de la prélogie). Beaucoup d´encre a coulé autour du moment exact où ce renversement total de situation est paru sans réussir à l´établir positivement. Mais là, au fond n´est pas l´essentiel. La généalogie de l´œuvre lucasienne nous a montré la complexité labyrinthique du « roman familial » qu´elle essayait de stabiliser. La bipartition entre le père absent du héros et son double surpuissant « adoré » qu´est le Jedi s´est progressivement complexifié, jusqu´à la disparition du premier et sa substitution par un « mauvais père », Dark Father, qui élimine le second et dont Lucas semble dénier jusqu´au bout l´évident caractère symbolique compris dans son nom. Tel Œdipe, l´auteur lui-même semble avoir redouté la vérité jusqu´à la déclaration solennelle et tragique du personnage (ironiquement, les acteurs concernés ne le sauront, eux aussi, qu´au moment du tournage –pour Mark Hamill- et à la sortie en salle pour David Browse –dont le dialogue était doublé par James Earl Jones).

Tous les jeunes enfants peuvent, un jour ou l´autre, scinder l´image du père ou de la mère, en mettant d´un côté les aspects bienveillants et de l´autre les aspects menaçants », écrit Bruno Bettelheim dans sa Psychanalyse du conte de fées (1976) –que Lucas dit par ailleurs avoir lu-, ce qui permet de l´aimer et de le haïr sans se sentir trop coupable (1999 p. 107-8). C´est la bipartition qui s´opère dans le premier volet entre Ben Kenobi, le bon père, et Darth Vader que Luke devra affronter à la fin de chaque épisode, par deux fois au sabre laser… Le symbolisme sexuel évident rejoint ici le cycle folklorique de Jack analysé par Bettelheim, où le héros obtient un bâton magique qu´il peut animer par la formule magique « debout et frappe » qui « évoque des associations phalliques » et lui permet de « tenir tête à son père qui, jusqu´alors le dominait » (id, p. 279). 

Mais, dans un sens, le conflit œdipien, qui en vient à former le mythe central de la trilogie puis de l´agencement avec la prélogie, est non seulement second dans la création de l´œuvre mais comme le résultat même du dévoilement (ou de la construction) de celle-ci, le secret caché de sa cohérence interne. D´où les incessantes hésitations autour du « roman familial » au fil de ses reconfigurations à chaque réécriture. Toujours il y était question de pères absents, de pères de substitution dotés de pouvoirs surnaturels qu´ils conféraient à leurs fils électifs, de pères tués ou persécutés par des puissants antagonistes. La fin de Vader dans le troisième volet de la trilogie était préfigurée dans le sacrifice du bon père Kane Skywalker, mais sans le dramatisme de la transformation du mauvais père en bon qui fera tout le succès mythopoétique de la saga.

Ce mythe fondateur (qui est aussi, selon le modèle freudien, un « complexe » déterminant de la configuration psychique) n´était donc pas un point de départ, mais le déploiement d´une logique en grande partie inconsciente de l´œuvre (pour reprendre la distinction entre le vieux fantasme de la psychanalyse de l´auteur et l´« inconscient du texte » étudié par Jean Bellemin-Noël [6]). Qu´il se soit imposé à l´auteur ne relève pas seulement d´un coup de génie scénaristique mais d´une nécessité intérieure.

C´est en corrigeant le draft présenté par Leigh Brackett que l´étincelle a surgie a contrario. Symptomatiquement, celui-ci présentait une variante hamlétienne du conflit œdipien (selon l´analyse d´Ernest Jones dans Hamlet and Oedipus, 1949, suite aux commentaires de Freud dans L´interprétation des rêves, 1899). Cette apparition fantomatique du Père a sans doute servi de catalyseur pour la résolution du conflit à l´œuvre dans l´œuvre lucasienne : à ce modèle (qui est, on le sait, celui de la paralysie : le Père demande vengeance, le Fils ne peut se résoudre à éliminer celui qui a pris sa place comme il l´a lui-même désiré, ce qui le voue à l´inaction mélancolique) va s´opposer celui, beaucoup plus énergétique (et hollywoodien), de l´affrontement et, in fine, celui, campbéllien, de la réconciliation (repoussée à juste titre jusqu´à la conclusion dramatique de la trilogie).

Le tournant (qui ne figure pas dans la première correction lucasienne) s´est probablement opéré à partir de la scène de confrontation, qui en est aussi une de Tentation. C´est alors que la tradition mélodramatique de l´agnition[7] a pu mener à la conclusion inévitable : l´argument ultime de Vader pour que Luke rejoigne la Force c´est le dévoilement du nœud œdipien (réactivant par ailleurs un autre trope du roman populaire, sympathiquement résumé par TV Tropes comme « We Can Rule Together »). Par là, Lucas allait surclasser toutes les agnitions populaires précédentes en une phrase aux tonalités bibliques automatiquement vouée au statut culte (« No, I am your father »).

L´Œdipe lucasien est-il la clé cachée de l´œuvre ou bien sa « lettre volée »? Outre l´évidence du nom, qui a tout d´un lapsus, l´on sait le poids qu´a eu la psychanalyse dans le cinéma hollywoodien et la culture mainstream états-unienne (qu´il suffise d´évoquer le succès des films majeurs de Woody Allen, strictement contemporains de la saga). Le « complexe d´Œdipe » était donc une notion non seulement entièrement familière mais redevenue polémique, non pas tant à cause de l´attaque de Deleuze et Guattari, qui venait juste d´être traduite en anglais (1977), mais de la remise en question féministe du modèle freudien. L´utilisation de l´Œdipe lukien (l´homophonie entre le héros et l´auteur prenant ici tout son sens) a pu d´ailleurs être perçu comme une tentative de refondation, l´emblème éclatant du grand retour en force du patriarcat qu´instaure la saga, devançant encore une fois la révolution conservatrice et s´opposant au « gender trouble » introduit par la contre-culture[8].

Autre symptôme, dès le moment où l´œuvre trouve la résolution de « son » Œdipe, sa création s´accélère : contrairement aux affres laborieux des années d´écriture du premier, le scénario est bouclé en un mois. C´est que le film, la trilogie, et la saga ont enfin trouvé leur cohérence.

Now a much simpler and more dynamic history was written”, écrit Kaminski. “Obi Wan and Father Skywalker were master-student, Skywalker fell to the darkside, battled his former master and was horribly wounded before being resurrected as Darth Vader. This seemingly simple change would have enormous consequences for the rest of the series. With this change in character and story, the Star Wars series would irrevocably shift from the Flash Gordon-type “Serial” style to a more epic Dune-type “Saga,” from a storybook-like tale of good versus evil to a complicated chronicle of temptation and redemption. With the second draft of Empire Strikes Back, George Lucas created the basis for the Star Wars Saga" (Kaminski, op. cit., p.168)

D´où le changement du sous-titre initialement prévu d´Épisode II en Épisode IV : l´idée de la prélogie était désormais établie, telle que Lucas l´expliquera en 1980 au magazine Time :

“For years the universe was governed by a republic, which was regulated by the order of Jedi Knight who bore a vague resemblance to Japanese Samurai warriors. But eventually the citizens of the republic ‘didn't care enough to elect competent officials,’ says Lucas the historian, and so their government collapsed. A sorcerer, a bad counterpart of Yoda, blocked all opposition and declared himself Emperor. He was not seen in Star Wars: Episode IV, but he makes a brief appearance in The Empire Strikes Back. The Emperor subverts Darth Vader to his side, and together he and Vader betray the otherKnights, nearly all of whom are killed in their trap. Ben Kenobi escapes, and after a fierce struggle he does such injury to Vader that forever after Vader must wear a mask and that noisy life-support system. The fall of the republic and the rise of the empire will form the first of Lucas' three trilogies.” (Time, 19 mai 1980)

L´Empereur devient dès lors un personnage essentiel, dans un nouveau triangle qui le relie à son serviteur et au fils de celui-ci, antagoniste qu´il convoite pour le gagner au « côté obscur ». Par là il permet une certaine ambivalence à Vader, tiraillé entre sa soumission (qui, du modèle initial de l´obéissance aveugle du samurai est passée à une pathologie de la hiérarchie quasi-sado-masochiste, selon le modèle établi par la « nazixploitation » et ses prolongements chez Visconti, Bob Fosse, Caviani et Pasolini) et sa relation avec son fils (à qui il propose de trahir et remplacer l´Empereur).

Outre sa fonctionnalité actantielle, l´Empereur introduit une nouvelle dimension à la fantasmagorie du Pouvoir. Né à l´ombre de « Tricky Dicky » Nixon, qui était présente dans les premiers scénarios depuis le scandale Watergate et plus amplement détaillée dans le prologue à la novélisation par l´auteur de space operas Alan Dean Foster (1976) [9], il était initialement l´emblème du cauchemar américain tant craint par la contre-culture : la transformation de la République en dictature. Disparu du premier film (ainsi que les aspects les plus militants des premières versions du scénario), son apparition en pleine période Carter, en grande partie bâtie contre le souvenir de Nixon, perd de sa virulence et permet sa transformation fantastique, confirmée par son statut d´hologramme fantasmagorique qui écrase littéralement Vader de sa présence.

« Cette entrée en scène est digne d’admiration, c’est une trouvaille cinématographique reposant sur une technique inconnue qui permet de vaincre le temps et l’espace », écrivent Hugues Paris et Hubert Stoecklin. « Plus inquiétant que si on le voyait vraiment, il est à la fois énorme en tant qu’hologramme, tout proche et extrêmement lointain, irréel et pourtant si menaçant avec sa capacité à deviner les choses, comme une instance inconsciente provoquant un sentiment d’inquiétante étrangeté, fascinant. (…) En agissant immatériellement, il prend une dimension maléfique symbolique encore plus évidente. Il est à l’intérieur de l’esprit de Vador dont il peut prendre possession en tout temps et tout lieu »[10].

De la corruption politique on passe à la pure monstruosité physique et morale, emblème absolu du Mal pour un Empire qui lui est lui aussi entièrement dévolu. Réduplication de l´Ombre junguienne déjà représentée visuellement par Vader, mais devant le surpasser en horreur en tant que son Maître, l´Empereur (on ne connaîtra son nom, Palpatine, que dans la prélogie) est l´envers monstrueux de l´archétype du Vieux Sage (représenté par Yoda). Il reprend, à plus d´un titre la figure tolkiennienne du Roi Sorcier d´Angmar (certains fans s´amusant à les opposer dans des combats spéculatifs), tandis que son aspect initial le rapproche de la mutation iconographique de l´extraterrestre introduite par les Grey Aliens lors du battage médiatique de l´abduction de Barney et Betty Hill (dont le best-seller The Interrupted Journey, 1966) et popularisées par Spielberg dans Close Encounters of the Third Kind, où ils sont toutefois bienveillants (1977).

Sa bure de moine le rend d´autant plus inquiétant, dans la lignée des figures encapuchonnées des « shudder pulps », qui marquaient la radicalisation de l´imaginaire gothique anticatholique (et dont la continuité exemplaire est montrée par les couvertures du Thrilling Detective de décembre 1931, le célèbre Weird Tales de septembre 1934, illustrant une des grandes nouvelles du cycle hyperboréen de Robert E. Howard et le Web Terror Stories d´août 1962).

Le processus d´irréalisation des références au totalitarisme nazi se parachève et l´opposition manichéenne, voire quasi-gnostique, se solidifie. Parallèlement, le détail du crâne brûlé de Vader ajoute à la monstrification (alors que paradoxalement, il permet aussi son humanisation à l´intérieur de son armature mécanique). Cela contribue à un changement de ton qui annonce l´assombrissement de la prélogie, dont le chromatisme du film rendra compte, passant des étendues glaciales (antithèse délibérée avec les dunes herbertiennes du premier) aux froides structures de la Cité aérienne (et paradoxalement minière). Par un curieux chassé-croisé dont la saga sera traversée, l´on semble revenir ici (toutes proportions gardées) au Nouvel Hollywood dont le premier film s´était tant éloigné.

« With all of these transformations, the film was becoming a totally different animal, offering a story that was very much opposed to the original film—the wise-cracking ensemble cast was split apart and separated, the lovable duo of R2-D2 and C-3P0 were broken up, Han got the girl instead of Luke, bouncy humour was replaced with troubled brooding, the Emperor became a Force-using sorcerer, Obi Wan became a questionable liar, Darth Vader seemingly controlled the universe and was revealed to be Luke’s father, morality and ethical philosophy were explored, and the film ended on a downer.Such unconventional deviations cumulatively had built a series that was drifting apart from the intentions of Star Wars [1977] and with these new elements re-writing the storyline, the Star Wars series as we know it had begun to take shape” (Kaminski, op. cit., p.181)

Parallèlement, la notion de la Force est bien davantage explorée, à travers la figure de Yoda, en tout point antithétique à l´Empereur malgré leur vieil âge et leurs bures (plutôt orientales pour l´un, face aux sinistres connotations monacales de l´autre). Créature composite aux traits difficilement définissables (la référence amphibienne du scénario ayant été abandonnée, bien que son air de famille avec le célèbre Muppet Kermit the Frog soit resté), dont l´espèce même restera inconnue dans la xénoencyclopédie canonique, Yoda se situe à la croisée des traditions légendaires des lutins et de leur réécriture extraterrestre, telle qu´étudiée par Michel Meurger[11]. « Par son physique, bien sûr, il renvoie à toute la tradition des contes et légendes populaires, ou des contes de fées. Il semble une résurgence de la figure du gnome, du farfadet ou du lutin, bref, d´un de ces représentants du « petit peuple » habitant les racines du folklore européen », écrit Laurent Aknin. « Yoda joue le rôle classique du lutin : il fouille dans les affaires [de Luke], lui dérobe quelques objets, s´agite, le saoule de paroles ; tout ceci afin de mettre sa patience à l´épreuve » (2015, 195-6). Mais, « little green man », il évoque aussi l´imaginaire des « nabots hydrocéphales aux oreilles pointues » qu´étaient les Martiens des premiers pulps (tels qu´illustrés par exemple, dans « The Foreign Legion of Mars », paru dans Amazing Stories de mai 1939). Voici l´autopsie d´un d´entre eux, tiré de The Conquerors de D. H. Keller (1929) :

« Son cerveau est très volumineux. Il ne s´agit pas d´un cas d´hydrocéphalie, mais d´un accroissement du tissu cérébral qui le dotait d´un cerveau deux fois plus lourd que celui de notre intellectuel contemporain. Les pieds sont très petits, les muscles des jambes quasi-atrophiés. Cependant, ses mains sont très volumineuses, et les muscles des doigts extrêmement développés (…) Il apparaît que le système nerveux en liaison avec l´organe optique est hautement organisé. La mâchoire inférieure est réduite et les dents pratiquement inexistantes. Ce détail ne témoigne nullement de la caducité du sujet. Les dents ne sont pas progressivement tombée; en fait, le sujet n´en eut jamais beaucoup. Quant aux organes sexuels, ils sont pratiquement inexistants »[12].

L´on ne sait si l´anatomie intime de Yoda correspond en tout point à cette description mais l´on voit l´importance du trope, abondamment véhiculé par les illustrations. Or, là aussi, comme pour les lutins, la figure est prise à contre-pied. En effet, tel que l´explique Meurger, « la peinture de l´avorton au grand cerveau se charge de connotations anti-scientifiques, anti-technologiques, voire anti-intellectuelles Sa tête trop volumineuse par rapport au corps rétréci symbolise la suprématie maladive de la froide cérébralité sur les sentiments » (1995, p.106). Yoda, Maître Zen, ne représente pas l´hypertrophie de la Raison instrumentalisée, mais bien la Sagesse perdue par celle-ci (là aussi, sa retraite dans la planète primordiale Dagobah, d´une Nature luxuriante qui est peut-être un Éden que nous ne pouvons comprendre, s´oppose à l´environnement technologique où trône l´Empereur).

L´on a énormément écrit sur Yoda et la Force, ainsi que les sources possibles de ses proverbes. L´influence bouddhiste de Kasdan (coscénariste) et Kershner aurait marqué le net infléchissement vers les koan zen, tandis que Lucas aurait apporté les éléments les plus défamiliarisants (dont l´anastrophe syntaxique). Toutes les influences déjà citées (le Don Juan de Castaneda, Lipsett, etc.) sont enfin synthétisées dans le contexte d´une initiation qui combine l´étonnement philosophique, la prophétie (obscure, selon la tradition), les galipettes et la télékinésie « psionique », sans oublier la plongée dans l´inconscient.

Le trope millénaire de la caverne est ici à la croisée des rites d´initiation et de la descente dans les tréfonds de la psyché. La scène n´est pas sans rappeler un des moments fondateurs de la psychologie des profondeurs junguienne :

« Je me trouvais dans une maison à deux étages, inconnue de moi. C'était « ma » maison. J'étais à l'étage supérieur. (…). J'allais d'une pièce dans une autre, me disant : je dois maintenant explorer la maison entière ! J'arrivai à une lourde porte, je l'ouvris. Derrière je découvris un escalier de pierre conduisant à la cave. (…) Là encore se trouvait un escalier fait d'étroites marches de pierre, qui conduisait dans la profondeur. Je le descendis et parvins dans une grotte rocheuse, basse. Dans l'épaisse poussière qui recouvrait le sol étaient des ossements, des débris de vases, sortes de vestiges d'une civilisation primitive. Je découvris deux crânes humains, probablement très vieux, à moitié désagrégés. — Puis je me réveillai. Ce qui intéressa surtout Freud dans ce rêve, c'étaient les deux crânes. Il en reparlait continuellement et me suggéra de découvrir en moi dans leur contexte un « désir » éventuel. Que pensais-je des crânes ? De qui provenaient-ils ? Naturellement je savais fort bien où il voulait en venir : de secrets désirs de mort y seraient cachés. « A vrai dire qu'attend-il ? », pensai-je en moi-même. De qui dois-je souhaiter la mort ? Je ressentais de violentes résistances contre une telle interprétation ; je soupçonnais aussi la vraie signification du rêve. (…) Il était clair que la maison représentait une sorte d'image de la psyché, autrement dit de ma situation consciente d'alors, avec des compléments encore inconscients. La conscience était caractérisée par la salle de séjour (…). Au rez-de-chaussée, commençait déjà l'inconscient. Plus je descendais dans la profondeur, plus tout devenait étrange et obscur. Dans la grotte je découvris des restes d'une civilisation primitive, autrement dit le monde de l'homme primitif en moi ; ce monde ne pouvait guère être atteint ou éclairé par la conscience. L'âme primitive de l'homme confine à la vie de l'âme animale, de même que les grottes des temps primitifs furent le plus souvent habitées par des animaux, avant que les hommes ne s'en emparassent pour eux-mêmes. (…) Par ce rêve, je soupçonnais pour la première fois l'existence d'un a priori collectif de la psyché personnelle, a priori que je considérai d'abord comme étant des vestiges de modes fonctionnels antérieurs. Ce n'est que plus tard, lorsque se multiplièrent mes expériences et que se consolida mon savoir, que je reconnus que ces modes fonctionnels étaient des formes de l'instinct, des archétypes »[13].

Là encore, il n´est pas nécessaire que Lucas ait lu ce passage (bien que son intérêt pour Campbell n´ait pu que l´aiguillonner vers Jung, dont l´influence était aussi importante, à travers sa collaboratrice et disciple Marie-Louise von Frantz, dans l´analyse des contes[14]) pour que les deux descentes dans la grotte entrent en résonance. Ce que Luke y rencontre, on le sait, c´est la préfiguration (ou remémoration?) obscure de son conflit œdipien et l´angoisse qu´il suscite, la décapitation symbolique du Père (dont le masque et l´armure lui confèrent un aspect convenu de Phallus) résultant dans la vision de sa propre tête coupée. Si l´on ne peut réduire systématiquement, comme sembla le suggérer Freud, la décollation à un simple déplacement de la castration[15], elle entre ici en résonance avec le cycle des mains coupées (celle de Luke deviendra une prothèse, celle, machinale, du Père marquera son humanisation et rédemption finale) qui semblent aussi renvoyer à une même hantise. Mais au-delà de la signification sexuelle freudienne, quelque-chose d´autre, plus archétypal, semble aussi en jeu : le combat avec l´Ombre, emblématisé dans la figure majeure du « côté obscur de la force », comme épiphanie et début du travail d´introversion[16]. C´est cette « descente en soi-même » qui le confronte à la vraie nature de la tentation de la Force (devenir ce qu´est devenu son père-machine) qui lui permettra, in fine, de dominer l´Ombre en lui puis sa projection extériorisée: dans une bipartition symbolique, l´Ombre paternelle ramenée à la lumière détruit celle, sans rachat ni individuation possible, incarnée dans l´Empereur.

La lecture junguienne n´est pas, plus que celle freudienne, la clé ultime de l´œuvre, mais constitue un autre aspect du vaste travail syncrétique qui s´opère sur les tropes des genres populaires –ici le space opera ayant franchement basculé dans le domaine de la Fantasy. Là aussi, le deuxième volet marque une nette maturation du modèle initial.

Le contraste, renforcé par le montage alterné, entre cet espace de retraite chtonien et marécageux, qui en est aussi un de l´inconscient, et les sombres ordalies de la ville des nuages, marquées par les trahisons, l´appât du gain et la cruauté reprend l´opposition bouddhiste entre la souffrance du monde du désir et de l´attachement et la méditation qui permet de passer du monde du mental pur à celui de l´esprit informel.

Mais, face à cette tentation orientale (déjà dénoncée chez Schopenhauer par Nietzsche), Luke décide d´avorter son instruction pour revenir dans le monde de la praxis, animé par la philia ou amour fraternel, valeur qui permettra, paradoxalement, de dépasser son initiation (lorsque Luke reviendra la finir, dans le troisième volet, ce sera pour voir s´éteindre le Maître après avoir corroboré à la fois l´achèvement et l´inachèvement de celle-ci). Par ailleurs, l´on sent que la véritable initiation eut lieu dans la grotte, ce qui permet à Luke de confronter l´Ombre de celui qu´il découvre être son Père et de connecter enfin avec son anima, venue le délivrer de sa Croix inversée.

Cette scène, outre les inévitables connotations christiques (mais aussi, de par la deuxième référence au Pendu du Tarot dans le film, initiatiques[17]), est à l´image du récit lui-même qui reste singulièrement suspendu : l´agnition œdipienne ouvre toute une série de possibilités autour d´un des scripts fondateurs de la tradition occidentale (et, pour les freudiens, de tout psychisme) tandis que l´initiation de Luke reste à parfaire et que le sort de Han, littéralement en suspens entre la vie et la mort, demeure incertain[18].

Curieusement, Lucas rejoignait à nouveau le Zeigeist d´une Amérique au tournant : Empire sortira quatre mois avant le début des élections qui allaient définitivement clore la parenthèse contre-culturelle et consacrer la révolution conservatrice reaganienne. Alors que le premier sembler anticiper ce tournant, le deuxième le met comme en suspens. Ce ne serait pas la dernière fois que la saga allait à la fois converger et diverger de l´évolution sociopolitique du pays.

 

Le pari (colossal) de Lucas était gagné. La réinvention du space opera entamée dans le premier film est ici parachevée, maintenant un difficile équilibre entre d´une part la redondance jouissive, propre à la poétique de la fiction populaire[19], des enjeux, des thèmes et des motifs, mais aussi de la structure[20] et de toutes les composantes du style et de l´autre, leur intensification et approfondissement, allant parfois jusqu´à leur problématisation[21]. Dans ce sens, le film prenait le contre-pied de l´infantilisation du spectateur propre au premier (une autre conséquence de l´irruption manifeste du conflit œdipien?) et semblait rejouer le passage du space opera archaïque à celui, moderne, de Vance ou Harness.

Une partie de la critique fut sensible à cette réussite : si le Washington Post reprenait l´opprobre traditionnel envers le genre dans un éloge paradoxal qui avait tout d´un blâme (« a good junk movie »)[22], Pauline Kael, très sévère envers le premier (et carrément outrée par le troisième), en fit l´éloge[23], tandis que le britannique Alan Jones écrivait :

« Director Irvin Kershner's imaginative supervision of George Lucas's brainchild gives this second part of the first Star Wars trilogy a truly epic dimension, adding a mature, philosophical aspect to the nonstop barrage of brilliant special effects. Events take place all over the universe - Darth Vader sends Imperial troops to crush the rebels on the ice planet Hoth, while Luke Skywalker searches out Jedi master Yoda for further instruction in the mysterious ways of "the Force" - and the much-loved characters are developed in intriguing ways. Kershner darkens the imagery of Lucas's vibrant, futuristic fairy tale and deepens its narrative with provocative plot strands, giving this sequel a cynical, harder edge that lifts it above the serial roots of its predecessor” (Radio Times)

Le public suivit mais, malgré le battage médiatique incomparablement plus intense que le précédent, il fit 100 million de dollars de moins, le prix à payer, sans doute pour le passage de « l´idéologie de la consolation » à la problématisation. Bon nombre de fans, toutefois, ne s´y trompèrent pas, qui reconnurent les qualités couronnant la refondation lucasienne du space opera et qui allaient conférer au film un statut culte à l´intérieur du culte général warsien[24].

 

 

Bibliographie principale citée :

U. Eco, De Superman au Surhomme, Grasset, 2012

P. Kael, 5001 Nights at the Movies, Picador, 1991 [1982]

M. Kaminski, The Secret History of Star Wars, ebook, 2008

C. Taylor, How Star Wars Conquered the Universe, NY, Basic Books, 2014




[1] “Star Wars was the catalyst for finally breaking this growing subculture into the mainstream, partially coinciding with its rising popularity but, even more significantly, helping audiences become more familiar with the subject matter through Star Wars’ mainstream accessibly. In the aftermath of Star Wars, virtually every record album cover featured fantasy and sci-fi art (even disco funk group Earth Wind and Fire’s 1977 All ‘N All album), psychedelic rock band Jefferson Airplane changed their name to Jefferson Starship and took up synthesizers (and appeared on the 1978 Star Wars Holiday Special), and the mass of sci-fi/fantasy material that had been brewing before Star Wars’ release finally came out, such as the feature film adaptations of Superman, Star Trek The Motion Picture, Lord of the Rings and Flash Gordon” (Kaminski, p.213)

[2] Il s´agit une des premières images notées par Lucas, selon son procédé intuitif initial. Peut-être un souvenir induit par le choix de la planète de glace, combinant la faune de l´épisode "The Ice Kingdom of Mongo" de Raymond (1939-40) : les lézards des neiges (simples antagonistes) employés comme les oiseaux des neiges (qui servent de monture).

[4] Pour un relevé complet des « emprunts » de la saga de Lucas à celle de Mézières et Christin v. le dossier réuni et mis en ligne par Stéphane Faucourt

[5] Pour la création des AT-AT, Joe Johnston s´inspira d´un véhicule conçu par General Electric en 1968 pour une éventuelle utilisation au Vietnam: un tank à quatre pattes. "Intentionally or otherwise, Lucas and Johnson were continuing the analogy between the Empire´s fight against the rebellion and America´s fight in Vietnam", (C. Taylor, op. cit., p. 301, éd. Kindle)

[6] J. Bellemin-Noël, Vers l'inconscient du texte, PUF, Quadrige, 1996. Outre le fait que la psychanalyse de Lucas (qui semble à la fois avoir réussi sa révolte contre le père et son dépassement dans la sphère même qui était la sienne, le business) ne pourrait, comme le signalait déjà Freud à propos des premières tentatives d´application de sa méthode à la critique littéraire et artistique, être faite avec succès à travers ses œuvres, elle n´est d´un intérêt que très relatif par rapport au rôle pris dans ces œuvres par ce conflit psychanalytique majeur.

[7] Reconnaissance, selon les termes d´Umberto Eco, « de deux ou plusieurs personnes, soit réciproque (« Tu es mon père ! », « Tu es mon fils ! ») soit monodirectionnelle (« Tu es l'assassin de mon fils ! », ou bien « Regarde-moi ! Je suis Edmond Dantès ! ») » (U. Eco, 2012 p.28)

[8] Selon la thèse, entre autres, de S. Aronstein (« Not Exactly a Knight: Arthurian Narrative and Recuperative Politics in the Indiana Jones Trilogy», Cinema Journal, vol.34, n. 4, été 1995, p. 3-30), les films du Reaganite Entertainment se caractérisent par la nostalgie de l´autorité et par le désir de réinstaller le héros blanc et mâle dans une position privilégiée. Son analyse du projet lucasien d´Indiana Jones peut facilement se transposer à Star Wars: « America has failed because it has lost its religious and familial (read patriarchal) values, and its strength will be recovered only in an individual rediscovery of these traditions and a return to both transcendent and human fathers. In the end, (…) it, like all of Lucas and Spielberg's films, is the tale of be- nevolent fathers and good sons and the search for the "true Father" (…) the father who will heal the rift between human fathers and sons and allow them to ride off together” (id., p.25).

[9] « Like the greatest of trees, able to withstand any external attack, the Republic was rotted from within though the danger was not visible from outside. Aided and abetted by restless, power-hungry individuals within the government, and the massive organs of commerce, the ambitious Senator Palpatine caused himself to be elected President of the Republic. He promised to unite the disaffected among the people and to restore the remembered glory of the Republic. Once secure in office he declared himself Emperor, shutting himself away from the populace. Soon he was controlled by the very assistants and boot-lickers he had appointed to high office, and the cries of the people for justice did not reach his ears. Having exterminated through treachery and deception the Jedi Knights, guardians of justicein the galaxy, the Imperial governors and bureaucrats prepared to institute a reign of terror among the disheartened worlds of the galaxy. Many used the imperial forces and the name of the increasingly isolated Emperor to further their own personal ambitions. But a small number of systems rebelled at these new outrages. Declaring themselves opposed to the New Order they began the great battle to restore the Republic... From the First Saga Journal of the Whills” (G. Lucas (A. D. Foster), Star Wars, Ballantine, 1976, Star Wars, p.1-2)

 

[10] H.Paris et H. Stoecklin, Star Wars au risqué de la psychanalyse, ERES, 2012, p.80

[11] Alien abduction. L'enlèvement extraterrestre : de la fiction à la croyance, Encrage, 1995

[12] Science Wonder Stories, déc. 1929, p. 393.

[13] C. G. Jung, Ma vie. Souvenirs, rêves et pensées, Gallimard, 1970, p.186-9

[14] Son Shadow and evil in fairy tales, notamment, sorti n 1974, n´aurait pu qu´intéresser Lucas.

[15] Je me permets de renvoyer à ma thèse, publiée (en version extrêmement synthétique, hélas) sous le titre Décapitations, du culte des crânes au cinéma gore, PUF, 2005

[16] “Pour Jung, la confrontation avec l´Ombre constitue l´étape première et nécessaire de toute démarche de connaissance authentique de soi, et donc de tout travail analytique. Elle est toujours un temps d´effroi pour le sujet, effroi provoqué par le choc de la découverte de contenus insoupçonnés, inquiétants et incontrôlables à l´intérieur de sa propre âme. A la suite des alchimistes qui parlaient de mortificatio, Jung évoque la dimension de mort consentie qu´il y a dans cette confrontation de l´individu avec son inconscient. (...) La prise de conscience [de la persona], concomitante au surgissement de l´Ombre, enclenche le processus d´introversion " (H. Vuillet, Thomas Mann, ou, Les métamorphoses d'Hermès, PUPS, 2007, p. 84-5)

[17] La première étant, bien entendu, celle où il tente de faire léviter les pierres. La vulgate symbolique du douzième atout est résumée par Wikipedia : « [Le Pendu] est le symbole d'une initiation passive, mystique. Le corps est inactif, impuissant, car l'âme libérée fuit dès lors la réalité de la matière. (…). Très grande est sa force, non plus exercée par les muscles mais par le pouvoir occulte de son âme qui a dépassé la phase initiatique. Le pendu symbolise l'abnégation, le désintérêt pour les choses de ce monde, l'altruisme, le sacrifice, le renversement de la situation actuelle grâce à une décision personnelle, des idéaux atteints, la libération par le sacrifice » (art. Le Pendu)

[18] À l´origine il s´agissait là d´une astuce de scénario, Harrison Ford ayant manifesté son intention de ne pas renouveler son contrat pour un troisième film. Lucas, toujours pragmatique, parait ainsi à cette éventualité, ayant par ailleurs introduit un éventuel substitut dans le schéma actantiel, son ancien compagnon Lando. « Han’s fate at the end of Empire Strikes Back was ambiguous, so if Ford turned down the third film he could be killed off—the final scene of Empire Strikes Back is set up so that Lando could take over the Han Solo role, with him not only piloting the Millennium Falcon but wearing Solo’s trademark costume. He was poised to replace Han Solo. And if Ford accepted, Han could be saved in a daring rescue sequence. “Look at what’s happening to Harrison,” Hamill said to Alan Arnold in 1979. “He wasn’t sure if he wanted to repeat his role as Solo, and he’s not at all committed to do a third one. So George has left him in limbo in this one. As Lando Calrissian says after Han is hauled up from the carbon-freezing chamber: ‘He’s in a state of perfect hibernation.’ So George has given himself an option.” (Kaminski, op.cit., p.192). Là encore on a un parfait exemple des contingences du médium se transformant en moteur mythopoétique.

[19] Le roman populaire, explique U. Eco, “ jouera d'itérations continuelles, afin de procurer au public le plaisir régressif du retour à l'attendu, et il dénaturera, en les réduisant à des clichés, les solutions autrement créatives de la littérature précédente. Mais ce faisant, il déploiera une telle énergie, il libérera un tel bonheur, sinon inventif du moins combinatoire, qu'il proposera une jouissance qu'il serait hypocrite de nier : il représente en effet la fabula à l'état pur, sans scrupule et libre de tensions problématiques. Il faut reconnaître que la joie de la consolation répond à des exigences profondes, sinon de notre esprit du moins de notre système nerveux » (op. cit., p.19).

[20] Ironiquement, la reprise de la grammaire des serials et son enchaînement constant de sequences d´action se double ici d´une sorte de miroir inverse: “Key events in Star Wars include Luke Skywalker (Mark Hamill) being knocked unconscious by a wilderness alien; Princess Leia (Carrie Fisher) being captured by Darth Vader (Dave Prowse’s body paired with James Earl Jones’s voice); Luke learning about the Force from a Jedi master in a remote cave; a lightsaber duel that ends badly for the good guys; a ‘scoundrel’ abandoning the Rebels before having a change of heart; and a protracted battle between the ranks of the Rebel Alliance and the heavily armed Empire. Switch around the order of those events, and you’ve got The Empire Strikes Back” (N. Barber, "Why The Empire Strikes Back is overrated, Culture, 30 avril 2020)

[21] Dans celle-ci, opposée à la reconnaissance populaire, « la catharsis démêle le nœud de l'histoire mais ne réconcilie pas le spectateur avec lui-même : au contraire, c'est précisément le dénouement de l'histoire qui le trouble. Sa lecture achevée, le lecteur se trouve confronté à une série d'interrogations sans réponse. (…) À la fin de Crime et Châtiment, nous avons réglé nos comptes avec l'histoire mais non avec les problèmes

que celle-ci a suscités. Cela se produit car la séquence factuelle s'est enchevêtrée aux dimensions psychologique et idéologique, à travers la fonction continuellement ambiguïsante du discours, qui, au lieu de démêler les nœuds, les complique et les rend lourds d'interprétations contradictoires » (Eco, id, p.18)

[22]To call The Empire Strikes Back a good junk movie is no insult: There is enough bad junk around. And surely we’re getting over the snobbery of pretending that it is undemocratic to recognize any hierarchy of culture, as if both low and high can’t be appreciated, often be the same people. But when light entertainment is done well, someone is bound to make extravagant and unsupportable claims for its being great art. You will hear that this sequel to Star Wars is part of a vast new mythology, as if it were the Oresteia. Its originator, George Lucas, has revealed that the two pictures are actually parts four and five of a nine-part sage, as if audiences will some day receive the total the way devotees now go to Seattle for a week of immersion in Wagner’s complete Ring Cycle. Nonsense. This is no monumental artistic work, but a science-fiction movie done more snappily than most, including its own predecessor. (…) It has no original vision of the future, which is depicted as a pastiche of other junk-culture formulae, such as the western, the costume epic and the Would War II movie. Its specialty is "special effects" or visual tricks, some of which are playful, imaginative and impressive, but others of which have become space-movie clichés. But the total effect is fast and attractive and occasionally amusing. Like a good hot dog, that's something of an achievement in a field where unpalatable junk is the rule” (Judith Martin, Washington Post, 23 mai 1980). Outre les clichés habituels de la critique de la « low culture » (maniés toutefois avec esprit) remarquons l´ironie involontaire de la prédiction, maintenant que les orchestres symphoniques font le plein en reprenant la musique de John Williams.

[23]"You can feel the love of movie magic that went into its cascading imagery. George Lucas kept the first movie hopping by cutting it into short, choppy scenes; Irvin Kershner (...), joining his own kinks and obsessions to Lucas´s, gave Empire a splendiferousness that may even have transcended what Lucas had in his mind. (..) The characters in this fairy-tale cliff-hanger show more depth of feeling (...) and scenes linger in the mind: the light playing on Darth Vader’s gleaming surfaces as this metal man, who’s like a giant armored insect, fills the screen; Han Solo saving Luke’s life on the ice planet Hoth by slashing open a snow camel and warming him inside; Luke’s hand being lopped off, and his seemingly endless fall through space; Chewbacca, the Wookiee, yowling in grief or in comic fear (…), the big-eared green elf Yoda, with shining ancient eyes, who pontifically instructs Luke in how to grow up wise”  P. Kael, 1991 [1982], p.217-8

[24]It’s 40 years this month since The Empire Strikes Back wa-s released, and for most of that time the second film in the Star Wars series has been enshrined as the best: the darkest, the most complex, the most mature. Directed by Irvin Kershner, it’s the Star Wars episode with the highest score from critics on Rotten Tomatoes (94%) and from viewers on Imdb (8.7), and the one that is said to elevate the saga as a whole. “It is because of the emotions stirred in Empire,” wrote Roger Ebert in the Chicago Sun-Times when the film was re-released in 1997, “that the entire series takes on a mythic quality that resonates back to the first and ahead to the third. This is the heart.” (N. Barber, id, ibid)