La Pontiac GTO : légitimation de l'obsolescence par le hip

La Pontiac GTO : légitimation de l'obsolescence par le hip

Soumis par Mélilot de Repentigny le 12/02/2013

 

Alienated by the conformity and hypocrisy of mass society? We got a car for you!

Incarnation du possible affront au système, le couple de Bonnie et Clyde se fait rapidement élever au statut de mythe national dans les années 1930. L’œuvre cinématographique d’Arthur Penn (1967) repopularise les deux gangsters américains qui deviennent les héros d’une jeunesse portée par une idéologie contre-culturelle. Le film louangé et critiqué se pose à cheval entre art et divertissement, incarnant de fait maints paradoxes de la culture de masse.

La contre-culture apporte dès les années 1960 de nouvelles ressources aux industries publicitaires à la recherche de moyens efficaces pour justifier l’obsolescence programmée et l’interminable variation des styles et designs. Au milieu des années 1960, la créativité publicitaire se fusionne totalement à l’iconographie contre-culturelle dans la promotion d’un nouveau type de consommation, le hip consumerism. Les publicités prônent désormais le culte du non-organization man par la récupération de symboles et de héros aux antipodes de l’idéologie puritaine. À l’instar d’une jeunesse américaine révoltée, les admans rejettent la normativité au profit de la marginalité. C’est ainsi que Pontiac en vient à faire la promotion de sa nouvelle GTO par la récupération des mythiques Bonnie et Clyde, hips jeunes gangsters. 

Bonnie et Clyde à Hollywood

Suite à l’abolition du Code Hays, Hollywood tente d’attirer dans les années 1960 un jeune public révolté face aux contraintes de la société de consommation en résolvant le conflit entre un nouvel activisme de gauche duquel émane un désir de renouveau et la culture mainstream américaine aux conventions restrictives. Évoquant une esthétique visuelle ainsi qu’un éthos existentiel propre à celui prôné par la Nouvelle Vague française, le film Bonnie & Clyde d’Arthur Penn s’insère dans un mouvement de renouveau artistique refusant le simple artifice cinématographique typiquement hollywoodien procurant confort et divertissement par un violent renversement des conventions classiques. À la fois acclamé et critiqué, le film remporte un énorme succès au box-office.

Un an après la sortie de Bonnie & Clyde, Pontiac fait une publicité pour sa nouvelle GTO en récupérant un motif narratif récurent du film de Penn: braquage de banque, vol de voiture et fuite. Plus encore, la publicité reprend carrément le rythme filmique et musical, les décors ainsi que le jeu d’acteurs.

La voiture dans le film de Penn est sans contredit l’élément clef de la diégèse. L’union du couple mythique tient sa source dans la séquence d’ouverture où Clyde vole la voiture de la mère de Bonnie. De leur premier gateway car, la flathead Ford, à la Dodge Standard Six, puis la Packard et jusqu’au death car, la Ford Sedan, Bonnie et Clyde, fuyant les forces policières, parcourent l’Amérique grâce à leurs multiples emprunts et vols d’automobiles. L’objet de mobilité s’offre à eux sans contrainte, leur permettant de poursuivre leur quête à vive allure, vers leur fatale destinée.

Le rythme effréné du banjo accompagne les fuites et poursuites en voiture. La bande sonore de bluegrass évoque l’euphorie procurée par l’absence de loi contraignante au fil du voyage. Le son du banjo souligne l’essence naturelle et libre du couple, profondément «différente» de l’éthos de l’Américain moyen. La chanson thème de l’œuvre, «Foggy Mountain Breakdown» (composée par Earl Scruggs en 1949), devient, suite au succès de Bonnie & Clyde, un hit populaire qui contribue à l’élévation du bluegrass au statut de musique populaire et même de convention dramatique au cinéma, à la télévision et en publicité (Neil V. Rosenberg, 1983).

Portés par la révolution créative en cours sur Madison Avenue, les publicistes œuvrant pour Pontiac s’appuient sur le succès du film de Penn pour produire la campagne publicitaire télévisée de la GTO. Dans cette publicité, la musique rythmée du banjo rappelle les poursuites en voiture du film de Penn dans une atmosphère légère et comique, résolvant ainsi l’ambivalence symbolique de la voiture, à la fois objet de consommation purement industriel et moyen d’échappatoire de la société de consommation vers une nature libre et intacte.

 

La rébellion automobile

Une nouvelle latitude dans les possibilités de représentations publicitaires s’amorce au début des années 1960. Les citoyens américains sont de plus en plus distants et cyniques par rapport aux publicités et les compagnies recherchent divers moyens de déjouer les attentes et appréhensions du public. On déconstruit alors totalement les conventions établies dans le milieu publicitaire dans une profonde contradiction des études de marché des années 1950. Pour contrer le scepticisme des récepteurs, on le récupère et l’insère au sein des campagnes.

La bonne publicité est désormais synonyme de rébellion, de différence et de la recherche avant-gardiste du nouveau par des admans archétypiques du non-organization man. La société de consommation n’exige donc plus la conformité de ses acteurs, mais bien une interminable rébellion contre ce que fait tout le monde, dans une sorte d’individualisme romantique exacerbé. Ce mouvement au sein du monde publicitaire est majeur chez les compagnies  de constructeurs automobiles.

Symbole ambigu, la voiture incarne dès le début du XXe siècle l’ultime conformisme fordien de l’organization man moderne et la soi-disant normalisation exigée par la société de consommation autant qu’elle représente la libération d’une jeunesse en soif de renouveau. De fait, l’avènement de la civilisation de l’automobile engendre à la fois un discours de conformité contraignante et un discours de liberté euphorisante.

Permettant sans aucun doute un renforcement de l’autonomie de l’individu, la voiture acquiert de nouvelles significations au cours des années 1950 et 60 en littérature et au cinéma. La génération beat réinvente de fait la route américaine et sa frontière dans ses dérives automobiles. Dans On The Road (1957), la liberté qu’offre la voiture permet à ses usagers l’accession à une mobilité sans limites, où le conducteur régit ses propres lois dans un déplacement frénétique lié à une crise existentielle donnant soif d’expériences nouvelles.

Au cinéma, le road movie met en scène des personnages incompatibles avec les règles conservatrices et normatives du mode de vie prôné par leur société contemporaine. Intimement liés à l’objet de consommation de prédilection de l’Amérique, les personnages du road movie se détachent de la sédentarisation de la modernité en fuyant les suburbs. Le road movie permet l’affirmation de la voiture comme pur moyen de mobilité et donc d’échappatoire par rapport aux contraintes sociales. Expression chez les jeunes d’un «malaise dans la culture», la fuite en voiture permet la rébellion, la protestation et la résistance.

 

La Pontiac GTO, Hip Muscle Car

Entre les années 1950 et 1960, les publicités des grandes compagnies de constructeurs automobiles changent drastiquement leurs représentations pour se lier davantage aux canons contre-culturels de la jeunesse américaine. Pour les participants de la contre-culture et leurs admirateurs, le changement au sein du monde publicitaire constitue un pur et simple mouvement de co-optation, c’est-à-dire un effort effréné du capitalisme pour diluer dans le consumérisme les significations des nouvelles revendications sociales (Joseph Heath et Andrew Potter, 2004). Mais la révolution créative sur Madison Avenue découle davantage d’une volonté des admans de suivre la tendance populaire, voyant dans la contre-culture l’expression idéale d’une nouvelle conception de la consommation. La promotion du hip et du cool constitue désormais le meilleur moyen de justifier la rapide obsolescence des styles.

Même si la jeunesse ne constitue qu’un faible pourcentage d’acheteurs, les constructeurs automobiles orientent leurs images vers l’iconographie du jeune marginal. La représentation de la jeunesse et de sa nouvelle attitude rebelle devient dans les publicités de voitures une symbolique quasi hégémonique alors que disparaît presque totalement le leitmotiv puritain de la famille américaine idéalisée. Le motif de la jeunesse ne s’adresse pas nécessairement aux jeunes, mais à tout individu désirant se rebeller contre l’ennui de la société de masse par l’affirmation de son coolness.

La transformation des publicités d’Oldsmobile adoptant le slogan de «Youngsmobile» en 1968 est représentative du changement dans l’industrie. La Youngsmobile promeut la résistance à l’aliénante conformité supposément exigée par la société. Dodge lance quant à elle la «Dodge Rebellion», une joyeuse révolte contre le malaise social, sous des slogans comme «Rise Up», «Break away from the everyday» et «Move away from the crowd» (Thomas Frank, 1997).

Récupérant les personnages mythiques, les costumes et la musique du film d’Arthur Penn, la publicité de la Pontiac GTO lie rébellion et consommation dans une célébration du hip consumerism, désormais nouveau paradigme d’une consommation présentée comme «déviante».

Bonnie et Clyde sont hip. Ils sont amoureux, jeunes et beaux, ils ont du style, ils sont francs, directs, charismatiques et, à l’instar de la jeunesse révoltée des années 1960, ils contestent l’idéologie capitaliste et marchande de leur époque. Le rejet d’un consumérisme oppressif est repris avec succès dans cette publicité s’associant à la transgression des normes exercée par Arthur Penn dans son populaire Bonnie & Clyde. Les rebelles mythiques optent d’abord pour une Pontiac Firebird, puis pour une Pontiac station wagon, établissant le fait que Pontiac est le getaway car de prédilection des hors-la-loi américains, auxquels le spectateur est encouragé à s’identifier: «If you’re particular about the car you drive, there’s a particular kind of Pontiac for you» (Thomas Frank, 1997).

La Pontiac GTO, première muscle car de Pontiac, s’affirme comme moyen de résoudre la tension engendrée par la profonde insatisfaction des êtres marginaux cloisonnés dans le cadre d’une société de consommation contraignante. Ainsi, la nouvelle voiture de Pontiac ne se destine pas à une masse homogène, mais à tout individu branché s’objectant à un certain establishment normatif.

Choisie par les hips Bonnie et Clyde, la Pontiac GTO est le getaway car de prédilection pour s’évader de la linéarité conventionnelle des suburbs. Le spectateur se projetant dans ces cools gangsters se perçoit lui aussi comme un outsider, qui, pour faire un pied de nez à la société de consommation, n’a qu’à affirmer sa résistance à l’idéologie marchande en s’achetant lui aussi le nouveau hip muscle car de Pontiac.

 

Conclusion

Hantée par le règne de «l’homme au complet gris», la jeunesse des années 1950 et 1960 voit dans la voiture une possibilité d’émancipation par rapport aux contraintes sociales. Les populaires fictions sur la route nourrissent non seulement l’idéologie contre-culturelle, mais fournissent aussi de nouveaux outils aux industries publicitaires. Apparaît donc à cette époque une multiplication de styles hétérogènes dans un nouveau culte de la différence se faisant baume contre un establishment pragmatique et étouffant.

L’un des problèmes les plus difficiles auquel fait face le système marchand au cours des années 1960 est le même qu’aujourd’hui: l’industrie doit trouver les moyens de déjouer le cynisme du consommateur face à la société de masse. Évidemment, la révolution anticonformiste ne constitue pas une véritable révolte contre le consumérisme ni contre l’industrie publicitaire. Ainsi, au cours des années 1960, toute compagnie se revendique comme dégoûtée et aliénée par la société de consommation (Thomas Frank, 1997). Pour certains, comme Volks et le blue jean, cela implique l’adoption d’un style immuable. Mais les trois grands constructeurs automobiles américains ne tentent aucunement d’éviter l’obsolescence programmée du design, ils recherchent plutôt les moyens de la légitimer. Ainsi, pour Pontiac comme pour la Peacock Revolution, cela signifie la promotion d’un hip en constante métamorphose permettant au consommateur de se démarquer illusoirement de la masse.

 

Bibliographie

Frank, Thomas, The Conquest of Cool: Business Culture, Counterculture, and the Rise of Hip Consumerism, Presses de l’université de Chicago, Chicago, 1997, 287 p.

Heath, Joseph et Potter, Andrew, The Rebel Sell. Why the culture can’t be jammed, Harper Collins, Toronto, 2004, 374 p.

Penn, Arthur (Réal.), Bonnie & Clyde, Warner Bros., Etats-Unis, 1967, 111 min.

Rosenberg, Neil V., «Image and Stereotype: Bluegrass Soundtracks», American Music, Vol. 1, Num. 3, 1983, [En ligne] http://www.jstor.org.proxy.bibliotheques.uqam.ca:2048/stable/3051790.