L’Histoire sans fin de Michael Ende: les contraintes imposées au personnage changeant de monde diégétique

L’Histoire sans fin de Michael Ende: les contraintes imposées au personnage changeant de monde diégétique

Soumis par Marie-Ève Bolduc le 20/07/2015

 

Dans L’Histoire sans fin de Michael Ende, le jeune Bastien est aspiré dans le monde fictionnel alors qu’il lit les aventures d’Atréju, un guerrier chargé de trouver un remède à la maladie de la Petite Impératrice du Pays Fantastique. Bastien guérit la Souveraine et est récompensé par des qualités auxquelles il aspirait. Il réintègre son univers d’origine après avoir fait de nombreuses erreurs ayant failli lui coûter la raison. Ce roman présente deux mondes parallèles: un premier niveau diégétique  –considéré comme la réalité– et une métadiégèse –qui représente l’univers imaginaire. La relation entre ces deux mondes comporte des contraintes, auxquelles est exposé le personnage subissant un transfert d’univers. Ces restrictions sont en grande partie liées au décalage entre les propriétés des êtres de la diégèse et de la métadiégèse. Dans son chapitre «Structures de mondes»  de Lector in fabula, Umberto Eco soutient que:

Pour définir un monde possible […] nous devons spécifier: (I) une famille d’individus actuels […]; (II) une famille de propriétés […] attribuées aux individus; (III) une «spécification d’essentialité» pour chaque propriété d’individu, d’après laquelle on peut établir si une propriété lui est essentielle ou pas; (IV) des relations entre propriétés (par exemple des relations d’implicitation). (Eco, 1985: 182)

Les quatre points que définit Eco me seront utiles pour établir les contraintes auxquelles est confronté Bastien. J’identifierai les individus dont le décalage des propriétés a un effet sur la relation entre les diégèses, et les propriétés en question. Je préciserai également le type de ces caractéristiques. Eco en reconnaît trois: accidentelles, nécessaires et essentielles. Alors que les propriétés accidentelles ont peu d’importance sur le déroulement de l’histoire, les structuralement nécessaires, aussi nommées «S-nécessaires», sont le moteur du récit; elles mènent d’un événement à l’autre et les faits seraient différents sans leur actualisation. Quant aux propriétés essentielles, elles sont stables, représentant la nature même de l’individu et sont sous-entendues par les caractéristiques S-nécessaires.1 Nous traiterons aussi des relations entre les propriétés, ce qu’Umberto Eco considère comme la quatrième étape de la définition d’un monde possible. Nous commencerons par poser les bases du rapport entre les deux diégèses, pour ensuite identifier les contraintes qui découlent de ce rapport.

Dans sa quête pour trouver un remède à la maladie de la Petite Impératrice, Atréju apprend d’un oracle deux propriétés essentielles aux individus de son monde fictionnel:

Nous ne sommes que des personnages
dans le livre où l’on nous a créés.
Rien que des rêves, des spectres, des images,
incapables de rien inventer.
Créer du neuf, nul ne s’y entend
parmi nous […].
Mais hors des frontières de notre domaine
vit un peuple, la race humaine,
qui jouit justement de cette faveur.
2(Ende, 1979: 132)

Les êtres du Pays Fantastique ont donc la propriété d’être fictifs. Ils sont nés de l’imagination des humains, individus de la diégèse qui, eux, sont réels. L’opposition réel/fictif est étroitement liée aux capacités des gens habitant chaque monde. Les êtres réels sont dotés de la capacité d’imagination, alors que les personnages, étant le fruit de la créativité humaine, sont incapables de concevoir quelque chose de neuf. Ces caractéristiques ne sont pas nécessaires, car elles ne posent en elles-mêmes aucune problématique pouvant être résolue par des actions des personnages principaux. Toutefois, elles constituent le fondement des individus des deux diégèses et sont à l’origine des propriétés structuralement nécessaires qui instaureront une dépendance vitale entre ces univers. Elles sont donc essentielles.

Le Pays Fantastique est gouverné par la Petite Impératrice, un personnage existant depuis toujours et dont «[l]a mort aurait en même temps signifié l[a] fin [de] tous [les habitants de la métadiégèse]» (Ende, 1979: 43). Elle représente donc une propriété essentielle des êtres imaginaires. «Son existence ne se mesure pas en temps, […] mais en noms. […] [E]lle en a déjà eu beaucoup. Mais ils sont tous oubliés» (Ende, 1979: 75). Le début du récit nous apprend une caractéristique S-nécessaire de la Petite Impératrice: elle est malade et a besoin d’un nouveau nom pour retrouver la santé, car «[c]’est seulement leur nom véritable qui donne aux êtres et aux choses leur réalité» (Ende, 1979: 201). Le texte présente la désignation comme une propriété essentielle à tout être vivant et à tout objet. La Souveraine a besoin d’un nouveau nom lorsque tous les habitants de son monde ont oublié sa précédente désignation, ce qui l’en prive. Or, puisque les personnages sont incapables de créer, la Petite Impératrice doit s’en remettre aux humains. «C’est à eux que fut consenti/ le pouvoir de donner des noms./ À la Petite Impératrice, ils ont/ de tout temps conféré la vie»2 (Ende, 1979: 132). La Souveraine du Pays Fantastique est la personnification de la dépendance des individus de cette diégèse envers leurs créateurs. Si elle ne bénéficie pas d’une nouvelle désignation lorsqu’elle en a besoin, son monde se détruit et ses habitants également. L’oracle ajoute: «Désormais pourtant nous vivons sans eux,/ ils ne savent plus trop comment nous sommes,/ le chemin vers nous, ils l’ont oublié.» (Ende, 1979: 132) Cette propriété des êtres humains est nécessaire. Ils doivent se rendre dans le monde imaginaire pour le renouveler, le recréer. Mais leur ignorance envers le Pays Fantastique et la manière de s’y rendre retarde le processus d’assignation du nouveau nom de la Petite Impératrice. Petit à petit apparaissent dans ce monde des portions de néant qui aspirent le paysage et tout personnage s’en tenant trop près. Cette dépendance à la créativité des humains et la méconnaissance de ces derniers de l’univers fictionnel sont des propriétés structuralement nécessaires, car elles sont à la base du récit de L’Histoire sans fin, comme nous le verrons bientôt.

Les portions de néant ne représentent pas un danger uniquement pour le Pays Fantastique. Elles affaiblissent aussi graduellement le monde réel, dans un cercle vicieux risquant de conduire à la destruction des deux diégèses. Le néant est la porte d’entrée des êtres fictifs vers la réalité. Mais alors que les humains se rendant dans le monde imaginaire y gardent leur forme initiale, il n’en est pas de même pour les personnages faisant le voyage inverse.

Ils deviennent des idées folles dans les têtes des hommes, des idées qui font qu’ils ont peur, là où il n’y a en réalité rien à craindre, des idées qui leur font convoiter des choses qui les rendent malades, des idées qui les font désespérer alors qu’il n’y a aucune raison de le faire. (Ende, 1979: 170)

Puisqu’ils sont des êtres relevant du mental, les individus du deuxième niveau diégétique restent dans le domaine de l’imaginaire lors de leur transfert dans le monde réel; ils ne prennent pas de forme concrète. Mais ils ne sont pas à leur place, ne devraient pas franchir la frontière. Les humains ne peuvent les reconnaître et les désignent comme des mensonges. Les personnages deviennent des illusions qui briment la santé mentale des individus du monde réel et leur donnent la conviction que le Pays Fantastique n’existe pas. Il s’agit d’une propriété S-nécessaire, car elle est à l’origine de la problématique du récit. Plus les êtres fictifs sont engloutis par le néant, moins les humains croient en la métadiégèse et moins cette dernière a de chances d’être sauvée. Les deux mondes possibles sont donc dans une relation d'interdépendance, car le premier doit veiller au renouvellement du second, sinon la destruction de ce dernier entraînera l’anéantissement de l’autre.

Bastien est choisi par le Pays Fantastique pour être son sauveur. Le garçon est plus compétent que la majorité des humains pour cette tâche. Ayant une imagination débordante, il passe beaucoup de temps à «[s]’invente[r] des histoires [et] [s]’imaginer des noms et des mots qui n’existent pas» (Ende, 1979: 12). Si n’importe quel individu du monde réel peut donner un nouveau nom à la Petite Impératrice, Bastien est surqualifié pour la tâche. Le personnage principal est aussi désigné parce qu’il est plus réceptif que de nombreux humains à l’acceptation de l’existence du Pays Fantastique. Le monde fictionnel a besoin de quelqu’un capable de croire en lui et d’admettre qu’il y est réclamé. Or, Bastien «n’avait jamais pu se faire à l’idée que la vie soit aussi grise et indifférente, aussi dépourvue de mystère et de féerie» (Ende, 1979: 173). La créativité de l’enfant est une propriété accidentelle, puisque le texte reconnaît que tout homme peut donner un nouveau nom à la Petite Impératrice. C’est plutôt la réceptivité du garçon envers le Pays Fantastique qui est nécessaire au récit, car elle permet le transfert d’univers.

Ayant choisi son sauveur, le monde fictionnel l’appelle à lui et le charme pour s’assurer d’être entendu. Dans la librairie où il se réfugie pour fuir les enfants de sa classe, Bastien remarque L’Histoire Sans Fin, que consultait le propriétaire de l’établissement: «C’[est] comme si de ce livre émanait une sorte de force magnétique qui l’attirait irrésistiblement» (Ende, 1979: 13). Le garçon «touch[e] le livre  –et au même instant, il sent […] au fond de lui comme un déclic, comme si un piège venait de se refermer» (Ende, 1979: 13). Ne pouvant plus maintenant quitter le commerce sans le roman, il le subtilise et s’enfuit. Lorsqu’il repense à cet événement une fois caché avec son butin, il lui apparaît comme une évidence «qu’il était venu [dans la librairie] uniquement à cause de ce livre, qui l’avait en quelque sorte appelé, de quelque mystérieuse façon» (Ende, 1979: 15). Bastien est donc contraint de partir avec L’Histoire Sans Fin pour en faire la lecture. Il est choisi pour venir en aide au Pays Fantastique. L’étau se referme graduellement sur lui alors qu’il découvre le récit et s’attache à Atréju. Lorsque ce dernier traverse un miroir perméable dans lequel il voit Bastien au lieu de son reflet, il prend l’enfant humain avec lui, le forçant à le suivre dans ses aventures. Atréju arrivé chez la Petite Impératrice, celle-ci lui révèle: «Qu’il le sache ou non, [Bastien] appartient déjà à l’Histoire Sans Fin. Maintenant, il n’a plus la possibilité ni le droit de se dédire.» (Ende, 1979: 203) Par le charme que le Pays Fantastique exerce volontairement sur lui et par son propre intérêt envers le roman qui lui est présenté, le héros se trouve obligé au transfert de monde pour sauver la métadiégèse.

Après que Bastien ait nommé la Petite Impératrice «Enfant-Lune», celle-ci lui demande de recréer son monde. Elle lui dit: « –Le Pays Fantastique renaîtra de tes désirs, mon Bastien. […]/ “À combien de désirs ai-je droit? [demande-t-il.]/  –Autant que tu voudras  –plus il y en aura, mieux cela vaudra, mon Bastien. Le Pays Fantastique s’en trouvera d’autant plus riche et varié.» (Ende, 1979: 228) Le deuxième niveau diégétique se renouvelle donc par les souhaits des humains qui lui rendent visite. En le quittant, la Petite Impératrice laisse au garçon «AURYN, […] [son collier et] emblème […], qui fai[t] de celui qui le port[e] son ambassadeur. L’Enfant-Lune lui […] laiss[e] son pouvoir sur tous les êtres et les choses du Pays Fantastique» (Ende, 1979: 234). Le héros se trouve doté de grandes possibilités et est obligé de recréer le Pays Fantastique par ses souhaits. Ces contraintes sont plutôt des privilèges, car Bastien peut obtenir tout ce qu’il désire.

Dès que le garçon conçoit mentalement un vœu, le processus menant à son accomplissement s’engage, le Pays Fantastique configurant une région ou une situation qui lui offrira ce qu’il veut. Bastien souhaitant voir la Petite Impératrice alors qu’ils sont tous deux plongés dans les ténèbres, une forêt phosphorescente commence à croître. Voulant ensuite obtenir la force, d’immenses arbres se mettent à pousser dans cette forêt; l’enfant doit se frayer un chemin et réussit à plier les énormes troncs sans aucune difficulté. Il est ici question d’une propriété de la métadiégèse, pas uniquement de ses individus. Cette caractéristique est structuralement nécessaire, car les situations auxquelles est confronté le protagoniste sont étroitement liées à ces transformations, qui ont une grande importance dans le développement du récit. Un autre désir amène Bastien dans le palais du lion Graograman. L’animal, répondant aux questions de l’enfant, dit exister et attendre sa venue depuis toujours. Le héros est perplexe:

Tout cela est si singulier, conclut-il, un désir me vient à l’esprit et chaque fois il se passe aussitôt quelque chose qui s’y rapporte et qui l’exauce. Ce n’est pas le fruit de mon imagination, tu sais. J’en serais incapable. Jamais je n’aurais pu inventer les différentes plantes nocturnes de Perelin. Ou les couleurs de Goab  –ou toi! […] Et pourtant, tout n’existe qu’à partir du moment où j’ai éprouvé un désir. (Ende, 1979: 263)

Au Pays Fantastique, «[u]ne histoire peut être récente et cependant parler d’époques très reculées. Le passé naît avec elle» (Ende, 1979: 264). Ainsi, ce que crée Bastien par ses désirs existe depuis toujours à partir du moment où il l’a créé. Cette propriété essentielle de l’univers fictionnel est présentée à plusieurs reprises dans le texte, mais a une importance moindre sur le déroulement de l’histoire. Elle contribue seulement à augmenter la reconnaissance que reçoit Bastien, lorsqu’il se retrouve dans une situation où il est attendu depuis des années.

Le héros désire obtenir la beauté, la force, le courage, etc. L’acquisition de ces nouvelles caractéristiques suit toujours le même modèle. Bastien conçoit d’abord le désir, puis vit une situation par laquelle il confirme son obtention du trait voulu. Après une période de satisfaction plutôt brève, le garçon souhaite être doté d’un autre trait. Il en est ainsi après qu’il ait obtenu une belle apparence.

[S]a joie d’être beau se métamorphos[e] en quelque chose de différent: c’[est] comme si sa beauté allait de soi. Non pas qu’il en [est] moins heureux, mais il a […] l’impression qu’il en a […] toujours été ainsi.Il y a […] à cela une raison que Bastien ne comprendra […] que plus tard, beaucoup plus tard, et dont il n’a […] pas encore la moindre idée. C’est qu’en échange de la beauté qui lui a […] été accordée, il a […] dû oublier peu à peu qu’il avait jadis été gros et qu’il avait eu les jambes torses. (Ende, 1979: 236)

Les pouvoirs accordés par la Petite Impératrice sont donc à double tranchant. Pour chaque souhait réalisé, le protagoniste perd un souvenir de son monde. Mais il doit suivre le chemin de ses désirs afin de trouver son «Vœu véritable», qui le ramènera dans le monde des hommes. Or, l’emblème de l’Enfant-Lune «donne [à Bastien] le chemin e[n] [lui] enl[evant] en même temps le but» (Ende, 1979: 236). Réaliser ses désirs l’un après l’autre conduit effectivement l’enfant vers son souhait le plus profond, donc vers la diégèse, mais lui enlève aussi l’intention de retrouver son ancienne vie, car il s’en souvient de moins en moins. Bastien est dans une situation délicate, car il est nécessaire qu’il exauce ses désirs pour retrouver son monde, mais qu’il perd en même temps ses souvenirs et son envie de retourner dans la diégèse. Les pertes de mémoire et la nécessité de découvrir son «Vœu véritable» sont des propriétés S-nécessaires. En acquérant des qualités et perdant son passé, Bastien devient autre et est de plus en plus imbu de lui-même, ce qui l’amène à causer plusieurs torts aux habitants du Pays Fantastique. Croyant que son souhait le plus important est de devenir Petit Empereur, il tente d’usurper le pouvoir de l’Enfant-Lune, ce qui cause la mort de plusieurs personnes et le rapproche de la folie.

Après qu’Atréju ait fait échouer sa cérémonie de couronnement, Bastien se retrouve dans la Ville des Anciens Empereurs, dont les habitants semblent tous atteints de folie. Là-bas, le héros fait la connaissance du gardien de la ville, qui l’informe que les gens autour de lui viennent tous du monde réel:

[…] De tout temps il y a eu des hommes qui n’ont pas retrouvé le chemin de leur monde, expliqu[e] Argax. Au début ils ne le voulaient pas, et maintenant… disons qu’ils ne le peuvent plus.”Bastien v[oit] une petite fille qui fai[t] les plus grands efforts pour pousser un landau de poupée qui a[…] des roues carrées.“Pourquoi ne le peuvent-ils plus? demand[e]-t-il.–Il faudrait qu’ils le désirent. Mais ils ne désirent plus rien. Ils ont appliqué leur dernier désir à quelque chose d’autre. […] Tu ne peux avoir de désirs qu’aussi longtemps que tu te souviens de ton monde. Ceux d’ici ont dépensé tous leurs souvenirs. Et qui n’a pas de passé n’a pas non plus d’avenir. […] (Ende, 1979: 426-427)

Bastien apprend aussi que tous les résidents de la ville ont voulu être empereurs du Pays Fantastique. Ceux qui ont réussi à être couronnés ont soudainement perdu tous leurs souvenirs. Argax dit qu’«on ne peut tout de même pas se servir du pouvoir de la Petite Impératrice justement pour lui prendre le pouvoir» (Ende, 1979: 428). La folie qui atteint les humains amnésiques est une propriété nécessaire, car c’est confronté à cette réalité que Bastien change radicalement la nature de ses désirs et atteint l’humilité nécessaire à son salut.

La Souveraine de l’univers fictionnel a déjà dit à Atréju:

Tous ceux qui ont séjourné parmi nous ont vécu quelque chose qu’ils ne pouvaient vivre qu’ici et quand ils sont retournés chez eux ils n’étaient plus les mêmes. Ils avaient appris à voir, parce qu’ils nous avaient vus sous notre forme véritable. Si bien qu’ils étaient aussi capables de voir leur propre monde et leurs congénères avec d’autres yeux. Là où ils n’avaient aperçu autrefois que quotidienneté, ils découvraient maintenant merveilles et mystères. (Ende, 1979: 199)

Cependant, les gardiens de la frontière diégétique «interdisent que quoi que ce soit franchisse le seuil du Pays Fantastique. Aussi Bastien doit-il rendre tout ce que la Petite Impératrice lui a offert» (Ende, 1979: 484). Avant de réintégrer son monde, l’enfant perd donc tous les attributs lui ayant été donnés par AURYN. Mais il ramène quelque chose qu’il ne pouvait obtenir que dans la métadiégèse: la véritable capacité d’aimer, qui constitue son «Vœu véritable». Cette faculté change la perception du monde de Bastien. Elle teinte sa vision des autres, de lui-même et de la vie en général. Grâce à elle, il s’accepte enfin avec ses qualités et ses défauts et se rapproche de son père, avec qui il avait jadis peu de contact. Le protagoniste pourra communiquer aux gens autour de lui cette capacité d’émerveillement qui leur ouvrira la porte vers le Pays Fantastique, permettant aux deux univers de rester en santé. Cette propriété des personnages ayant subi un transfert de monde est accidentelle, car elle n’est actualisée que dans la situation finale du récit. Elle permet seulement d’expliciter l’interdépendance entre les deux univers. L'Histoire sans fin présente deux univers en relation de co-dépendance. Bastien se voit obligé d'intégrer le Pays Fantastique pour veiller au bien-être de celui-ci, mais s'aventurer dans un monde étranger comporte d'importants risques d'aliénation. Sortir sain d'esprit d'une telle expérience rend toutefois le héros apte à voir le monde différemment du reste des être humains.

 

Bibliographie

ECO, Umberto. 1985. «8. Structures de mondes.» In Lector in fabula: le rôle du lecteur, ou, la coopération interprétative dans les textes narratifs. Paris: Grasset, «Le livre de poche. Biblio ess­ais», n°4098, p.157-225.

ENDE, Michael. 1979. L’Histoire sans fin. Paris: Stock, «Le Livre de Poche». 497p.

PRONOVOST, Geneviève. 2003. «Le problème des propriétés nécessaires.» In «Analyse des niveaux de coopération textuelle dans La petite marchande de prose de Daniel Pennac», mémoire de maîtrise. Trois-Rivières: Département de lettres, Université du Québec à Trois-Rivières, p.35-38. En ligne. 

 
 

 

  • 1. Pour simplifier les propos d’Umberto Eco, je me suis aidée du mémoire Analyse des niveaux de coopération textuelle dans La petite marchande de prose de Daniel Pennac de Geneviève Pronovost.
  • 2. a. b. Le passage est en italique dans le roman.