L´extension du domaine de la lutte néolibérale: Squid Game ou l´Homo Ludens sadien (2)

L´extension du domaine de la lutte néolibérale: Squid Game ou l´Homo Ludens sadien (2)

Soumis par Antonio Dominguez Leiva le 12/10/2021

 

Corrélat inquiétant de la servitude volontaire des participants, la logique des bourreaux du Jeu du Calmar ressemble quant à elle à un détournement des sombres kapos de l´univers concentrationnaire. Initialement recrutés parmi les criminels de droit commun pour contrôler les autres prisonniers, les Kapos tenaient une place ambigüe entre victime, collaborateur et bourreau ; traités en « sous-hommes » par les administrateurs des camps, ils devaient faire preuve d´une parfaite brutalité à l´égard des autres prisonniers s´ils ne voulaient pas retomber dans leur rang[1]. En se pliant à toutes les basses besognes que les SS leur exigeaient de faire (allant du tabassage à la crémation des cadavres), non seulement ils évitaient le sort monstrueux de autres mais ils étaient récompensés par des privilèges : « Ils recevaient une meilleure nourriture, de meilleurs vêtements et un meilleur logement. Portant un brassard distinctif affichant leur statut, ils étaient épargnés des travaux forcés et des traitements sévères. (…) Les Kapos avaient un accès plus facile aux activités florissantes du marché noir et aux affaires de corruption. Plus important encore, le pouvoir et les privilèges leur promettaient une chance de survie, à condition qu'ils répondent aux attentes de leurs maîtres SS »[2]

On reconnaît là les parallélismes avec l´agissement des bourreaux du Jeu du Calmar, autant dans leur parfaite soumission aux ordres du mystérieux « Front Man » (dans un cycle qui va de la surveillance à l´exécution sommaire des perdants et leur crémation) que dans le sinistre trafic d´organes dans le sous-sol pour arrondir leur salaire. Dans le contexte plus spécifiquement coréen, c´est sous l´occupation Japonaise que des phénomènes similaires se produisirent, mis en lumière depuis 2005 par la Commission de vérité sur la mobilisation forcée sous l'impérialisme japonais et le Comité présidentiel pour l'inspection des collaborations pour l'impérialisme japonais[3]. Moins connues en Occident, l´ombre des atrocités nippones, dont les affreuses expérimentations de l´Unité 731 (où plusieurs Coréens périrent après leur utilisation comme cobayes humains), exerce encore une grande emprise sur l´imaginaire des anciens territoires occupés. On retrouve là la double dimension, locale et globale, qui a permis le succès planétaire de la série.

Singeant ces dynamiques historiques, leur servitude volontaire est donc tout aussi malsaine et problématique que celle de leurs victimes (l´écho de la célèbre expérience de Stanford en 1971 vient à l´esprit[4]). Tentant de combler l´énigme qui les constitue en tant que pure menace, plusieurs fans ont émis diverses hypothèses sur leur « fonctionnement » (soit le choix entre devenir participant ou bourreau s´opère lors du recrutement –en choisissant de manière aléatoire l´enveloppe bleue ou rouge[5]- soit il s´agit d´anciens participants endurcis par leurs anciennes épreuves, à l´instar du frère de Hwang Jun-ho[6]). Ce que la série suggère c´est qu´ils sont tout autant des perdants du système, l´autre visage de sa totale férocité.

Le hiératisme des bourreaux ainsi que leur inflexible violence en fait des parfaites machines en accord avec les autres rouages de ce microcosme mortifère (poupée, guillotine, pont piégé, four crématoire, issue de secours bourrée d´explosifs). Ils se présentent de ce fait comme l´incarnation impersonnelle des règles du Jeu, éliminant automatiquement les perdants (et libérant les participants d´une partie de leur culpabilité, selon la casuistique perverse déjà signalée).

La violence du détournement des jeux d´enfant coréens en est renforcée. Il s´agit là d´une autre spécificité de la série face à ses prédécesseurs. Dès le titre lui-même, le Jeu du Calmar s´oppose aux Jeux de la Faim de par sa référence faussement bon enfant. Ce jeu coréen populaire dans les années 70 et 80 ouvre et clôt la première saison de la série, passant de la nostalgie (accentuée par le blanc et noir et le ton élégiaque du narrateur) à l´horreur. Toutes les épreuves opèrent cette même juxtaposition entre deux sentiments (voire, selon les termes de Raymond Williams, deux « structures de sentiment ») particulièrement caractéristiques de notre hypermodernité. Le contraste de la violence résolument gore et du cadre à mi-chemin entre le parc thématique et le jardin d´enfance en est saisissant, perversion radicale de l´innocence (et transformation de l´Éden en cercle de l´Enfer –comme le comprend Deok-su lorsqu´il affirme : « Nous sommes en Enfer. Et il n´y a pas de règles en Enfer »)[7]

Tentés par l´évocation nostalgique d´un temps meilleur et horrifiés par un présent qui fait peur, le public d´une planète dévastée par une pandémie sidérante ne peut que s´identifier à cette structure oxymorique (c´est encore là une des raisons de son succès colossal). L´horreur du présent ne peut que s´infiltrer dans le passé, le contaminant tout entier. La fusion de nostalgie et atrocité est particulièrement accentuée lors du jeu de billes, inscrit dans une reconstitution miniaturisée d´une Corée pastorale à jamais révolue[8]. L´on sait qu´il s´agit là d´un parfait simulacre par lequel Oh Il-nam vise à retrouver pour un instant son enfance. Dupeur dupé par son propre artifice, l´on ne sait s´il est sincère lors de son épiphanie proustienne, d´autant qu´il vient de feindre parfaitement sa maladie mentale (tour de force du vénérable acteur O yeong-su) afin de piéger Seong Gi-hun. De fait, il s´agit d´ une des scènes les plus complexes de la série : s´il piège Seong c´est pour que celui-ci aille jusqu´au bout de sa dégradation; il fonctionne ainsi comme un Tentateur. À moins que, dans la logique du Jeu, il ne soit en train de parfaire son entraînement pour qu´il soit en mesure d´y survivre.

De même, quand il lui donne sa bille, on pense initialement qu´il s´agit d´un sacrifice plein d´abnégation, pardonnant la trahison de Seong et laissant la voie libre pour que la jeune génération puisse continuer à vivre (écho des débats de société contemporains sur la place des aînés, en Corée et ailleurs). Mais à la relecture, sachant ce qu´il en est véritablement, on comprend qu´il est en train de le tromper à nouveau, lui ouvrant la voie vers la victoire au prix d´une atroce culpabilité. La fan theory qui veut qu´il soit en fait son père est séduisante[9], mais il s´agit d´une paternité pour le moins ambigüe (et étonnamment freudienne). Selon le modèle du « Dieu mourant » établi jadis par l´anthropologue James G. Frazer dans Le Rameau d´Or (1890) –et repris par Freud dans son paradigme oedipien- , il pourrait s´agir de le remplacer lui-même à la tête du Jeu (ce qui expliquerait leur confrontation finale).

Le contraste entre l´univers enfantin et l´horreur cauchemardesque s´étend par ailleurs au traitement des cadavres. Ceux-ci passent de l´abattoir à des cercueils emballés avec des rubans roses comme des cadeaux d´anniversaire avant d´être incinérés (et pour certains d´entre eux vidés de leurs organes). Pour le directeur d´art Chae Kyung Sun il s´agit là de l´extension du complexe démiurgique de l´organisateur du Jeu : « I think I focused on the mind of the person who came up with the game. I imagined he’d think he gave the contestants a chance as if he’s a god…This is my gift to you. Even your bodies being disposed in the incinerator is a show of my mercy”[10]. De la même manière que le Front Man dit leur donner une chance en orchestrant leur élimination systématique, la parodie de service funèbre feint d´effacer le traitement totalement obscène des corps, de leur brutale élimination à leur éventuelle profanation.

On retrouve là l´emprise absolue du pouvoir souverain sur la « vie nue », pour reprendre les célèbres termes d´Agamben déployés dans son Homo Sacer (1998). Que cette emprise prenne la forme d´une offrande peut alors se lire comme un détournement de la logique archaïque du sacrifice qui présidait autant aux jeux mortels des Aztèques que des Romains. Le Jeu injecterait ainsi du sacré dans un sacrifice tout à fait profane pour le simple amusement de ses commanditaires, variation néolibérale des anciennes formes du pouvoir souverain.

Enfin, dans le contexte pandémique, la vue de ces cercueils ne va pas sans réactiver d´autres connotations. Nous avons étudié ailleurs comment les images des victimes ont été occultées, escamotées par toute une stratégie d´évitement qui radicalise le « tabou » sur la mort diagnostiqué par les anthropologues dans nos sociétés postmodernes[11]. Ces cercueils typiquement « kawai » (qui pourraient par ailleurs servir de « product placement » pour la célèbre girls band de K-Pop Blackpink) semblent prolonger cette stratégie d´évitement, alors que l´horreur gore des tueries nous restitue justement l´atrocité de la vieille Danse Macabre issue de la Peste Noire.  

Passons maintenant à un autre aspect crucial de toute cette violence et, partant, de la série qui la distingue tout aussi radicalement de ses modèles. Dans Hunger Games, comme l´on sait, la violence gladiatoriale est amplifiée par la médiatisation de la « mort spectacle » au sein d´une surveillance panoptique généralisée, signe de la tyrannie orwellienne qui sévit. Les combats de l´arène sont observés à distance par une télé-vision bien plus englobante que le médium éponyme, rendu progressivement obsolète par les nouvelles technologies panoptiques, et de fait renforcée par toute une série de dispositifs visuels qui incarnent le rêve de surveillance totalisatrice (voire totalitaire) qui caractérise nos sociétés de l´écran (devenues à Panem une véritable société-écran).

La téléréalité était à l´origine même du projet de Collins : «Je passais d'un show de téléréalité à un reportage sur la guerre quand les images se sont brouillées dans ma tête», affirme Suzanne Collins. «J'ai vu des jeunes gens faire des choses inouïes pour de l'argent et d'autres en train de disputer une véritable guerre. Il y a un frisson de voyeurisme à voir des gens se faire humilier ou souffrir que je trouve très dérangeant. Cela désensibilise le public. Du coup, quand ils sont témoins d'une véritable tragédie -via les informations-, ça n'a pas l'impact que ça devrait avoir» (L’Express).

Cette épiphanie heuristique se présente comme un pur moment critique de désaliénation par mise à distance du processus même de réception, le zapping. La collusion de la téléréalité (on peut aisément imaginer ici toute une lignée d’émissions qui annoncent les Jeux de la Faim, du Sasuke nippon à la franchise globalisée de Survivor) et de la guerre néo-impériale d’Irak (qui, contrairement à celle de Vietnam, n’a pas été télévisée, le «complexe militaro-médiatico-industriel» ayant compris que l’étalage des cadavres, nationaux ou ennemis, avait un pouvoir ingérable de démoralisation) devient «l’eurêka» mythique de la création de l’univers de fiction. L´arène y radicalise dès lors ce double versant, le sacrifice générationnel des jeunes et la logique panoptique de la téléréalité.

La référence à la téléréalité est différente dans Le jeu du calmar : certes, les caméras de surveillance sont omniprésentes dans ce Panoptique mortifère et les épreuves semblent renvoyer à des classiques du genre des jeux télévisés tels que le Takeshi´s Castle (1986-1990). Toute l´île, espace privilégié de la téléréalité (outre L´île aux tentations, A. P. Davis en énumère 9 autres), est transformée en un environnement contrôlé. Par ailleurs les décors résolument artificiels des épreuves fonctionnent comme des plateaux d´émissions télé (notamment le quartier reconstitué de l´enfance d´Oh Il-nam), tandis que les autres installations (dortoirs des participants et des bourreaux, espaces les reliant) sont soumises au regard panoptique des opérateurs. La référence aux escaliers d´Escher constitue alors un labyrinthe néobaroque autoréférentiel[12], tout comme les peintures sur les murs qui tracent les différentes épreuves, progressivement dévoilées tandis que les lits superposés des victimes disparaissent.

Toutefois, il ne s´agit pas, comme à Panem, de diffuser urbi et orbi le spectacle de la violence. Seuls quelques privilégiés auront accès à ce regard panoptique, introduisant une autre symbolique tout à fait distincte. L´on passe ainsi d´une version horrifique de la Société du Spectacle au régime plus pervers du secret et du complot. Les écrans des dénommés VIPS ne renvoient pas au médium tant décrié de la télévision comme dans Hunger Games mais au « home cinema » privatisé et aux circuits clandestins de la pédophilie et des snuff movies[13].  Parallèlement, la logique totalitaire de la propagande disparaît ici au profit de la pure jouissance des super-riches.

Nous sommes passés, entre la crise de 2008 et la pandémie de 2020, à l´hégémonie du nouveau paradigme complotiste. Celui-ci ne se réduit pas à ce qu´il est convenu de désigner (et délégitimer) comme tel, soit le conglomérat protéen des théories du complot les plus diverses qui trouvent sur le Web leur parfait véhicule « mémétique ». Il envahit des pans beaucoup plus étendus du discours social au gré des divers populismes, allant de la dénonciation du « 1% » coupable de toutes les inégalités sociales à celle du « grand remplacement » des populations. Dans nos fictions aussi la figure du complot est absolument envahissante; qu´il suffise d´évoquer la prolifération récente des conspiracy thrillers tel que recensée dans la liste éponyme sur Wikipedia.

Le Jeu du Calmar met en scène un complot dont l´invraisemblance (comment faire disparaître des centaines de personnes chaque année –depuis au moins 1999, si l´on en croit les archives inspectées par le policier infiltré Hwang Jun-ho- sans que l´on soit dans une véritable dictature?[14]) ne nuit pas à son pouvoir symbolique. L´idée que des cohortes de laissés-pour-compte soient sacrifiés pour le plaisir d´une stricte minorité de super-riches (le célèbre « 1% ») prend toute sa force dans le contexte de l´écart croissant entre ces derniers et l´ensemble des classes moyennes et populaires paupérisées qui caractérise le nouveau millénaire. Les bien nommés VIPS sont à l´image de ceux qui dans la vie réelle s´achètent des îles privées (comme celle où s´effectue le Jeu) et se placent largement au-dessus de la loi, que ce soit en plaçant leurs capitaux dans des paradis fiscaux (la sortie de la série coïncidant avec le scandale des Pandora Papers), en soudoyant la Justice voire en se livrant à des actions directement criminelles dans une relative impunité. Le cas de la célèbre « île pédophile » où Jeffrey Epstein et son réseau de complices se livrèrent à leurs crimes loin des regards indiscrets vient inévitablement à l´esprit.  

L´idée que les super-riches se prêtent à d´atroces perversions n´a rien de nouveau, que l´on y voit le signe du pouvoir des Illuminati (voire des reptiliens cannibales) ou tout simplement des affreux phallocrates enclins à toutes les turpitudes. Nous retrouvons là une vieille figure, celle des libertins criminels sadiens. Radicalisant l´image des aristocrates décadents dénoncés par les révolutionnaires français dans toute une série de pamphlets qui alliaient rhétorique jacobine, caricature grotesque et pornographie, Sade inventa une nouvelle espèce de « vilains » romanesques promise à un radieux avenir[15]. De la féroce Clairwill au parricide incestueux Saint-Fond qui ourdit un complot malthusien pour supprimer la moitié de la population française, en passant par le chirurgien Rodin amateur de vivisections humaines, le chimiste Almani (autre préfigurateur du «savant fou») ou  Minski, "l’ogre des Apennins", le Divin Marquis pousse jusqu’au bout les figures modernes du Mal, plus angoissantes encore que tout ce que l’imaginaire démonologique avait pu postuler auparavant.

La jouissance par les libertins du spectacle des pauvres sacrifiés articule comme l´on sait toute la dramaturgie des 120 Journées de Sodome (1785). Il y a du reste fort à parier que la célèbre (et polémique) adaptation par Pasolini (1975) soit une des sources non reconnues du Jeu du Calmar, notamment en ce qui concerne la cruauté froide des exécutions et la radicale séparation entre les victimes et les bourreaux, voire la perversité sexuelle des VIPS.

Un détail révélateur est d´ailleurs spécifiquement sadien : celui des meubles vivants. Ce fétiche est comme l´on sait inauguré dans le fameux épisode de l'ogre Minski, dont le salon est exclusivement meublé de femmes nues, dans l'Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice (1799)[16]. Signe de la domination totale et littérale de la « vie nue », cet épisode est repris directement dans le décor de la salle où les VIPS assistent aux dernières épreuves[17]. La fornicophilie y va d´ailleurs de pair, comme chez Sade, avec l´exploitation sexuelle des serviteurs; toutefois la flexisexualité transgressive des libertins sadéens se réduit ici à une vision de l´homosexualité qui hérite de maint cliché homophobe[18]. Les masques animaux signalent leur caractère bestial de prédateurs tout en renvoyant à une autre fiction sadéenne devenue culte, l´Eyes Wide Shut de Kubrick (1999) et son orgie sacrificielle.

Le sacrifice des membres du Tiers État par les dominants (aristocrates et ploutocrates bourgeois confondus) qui parcourt l´ensemble de l´œuvre du Marquis est associé directement aux jeux de gladiateurs dans un passage de Juliette, où les libertins se délectent de voir les paysans s´entretuer pour une cocagne (dont la cagnotte de la série serait un lointain avatar) :

« Si vous ne connaissez pas ce spectacle, nous dit le Roi dès que le chocolat fut pris, vous allez le trouver bien barbare. C’est ainsi que nous les aimons, sire, répondis-je ; et j’avoue qu’il y a longtemps que je voudrais en France, ou de semblables jeux, ou des gladiateurs : on n’entretient l’énergie d’une nation que par des spectacles de sang ; celle qui ne les adopte pas s´amollit. (…) Je suis parfaitement de cet avis, dit Ferdinand ; je voudrais renouveler ici les combats d’hommes contre des animaux, et même ceux d’homme à homme. J’y travaille » (VI, 1797, 1-2)

Il s´agit là d´une reprise de la défense que Sade fait des joutes gladiatoriales dans son pamphlet révolutionnaire « Français, encore un effort si vous voulez être Républicains »[19]. Or ce discours qui se veut vertueux (et qui préfigure étonnamment l´éloge de la guerre par Ruskin un siècle plus tard[20]) ne fait ici que légitimer la jouissance cruelle du pouvoir souverain des libertins :

« La vie de tous ces gueux-là, dit Charlotte, doit-elle être comptée pour quelque chose, quand il s’agit de nos plaisirs ? Si nous avons le droit de les faire égorger pour nos intérêts, nous devons également l’avoir pour nos voluptés. Allons belles dames, nous dit Ferdinand, donnez vos ordres : en raison du plus ou moins de rigueur, du plus ou moins de police que je mets à la célébration de ces orgies, je puis faire tuer six cents hommes de plus ou de moins : prescrivez-moi donc ce que vous désirez à cet égard… Le pis… le pis, répondit Clairwil ; plus vous ferez égorger de ces coquins, et plus vous nous amuserez » (id, 2).

Le sacrifice est d´abord animal[21]. Puis, dans la frénésie du pillage, la foule s´entretue, provoquant la jouissance littérale des libertins :

« Cette effrayante scène, qui me donna l’idée d’une meute de chiens à la curée, finit toujours plus ou moins tragiquement, parce qu’on se dispute… qu’on veut avoir… empêcher son voisin de prendre ; et qu’à Naples, ce n’est jamais qu’à coups de couteaux que de pareilles discussions se terminent. Mais cette fois, d’après nos desirs, par les soins cruels de Ferdinand, quand le théâtre fut chargé, quand on crut qu’il pouvait bien y avoir sept ou huit cents hommes dessus, tout-à-coup il s’enfonce, et plus de quatre cents personnes sont écrasées… Ah ! foutre, s’écria Clairwil, en tombant pâmée sur un sopha… Eh ! mes amis, vous ne m’aviez pas prévenue, je meurs ; et la putain appelant la Riccia, fouts-moi, mon ange, fouts-moi, lui dit-elle ; je décharge ; de mes jours je n’ai rien vu qui m’ait fait autant de plaisir. Nous rentrâmes ; les fenêtres et les portes se fermèrent, et la plus délicieuse de toutes les scènes de lubricité s’exécuta, pour ainsi dire, sur les cendres des malheureux, sacrifiés par cette scélératesse » (id, 4-5).

Le Jeu du Calmar, comme la culture populaire de masse dans son ensemble depuis le XIXe siècle, se trouve dans une curieuse position à l´égard du legs sadien, soit entièrement placé «à l’ombre du Divin Marquis» tout en n’osant pas l’avouer (et déterrer la logique «terroriste» du texte original)[22]. C’est ce que nous avons appelé, ailleurs, le règne du Sadopop. Ses libertins ne poussent pas l´outrance jusqu´à s´ébattre jouissant de la mort d´autrui ou, comme dans plusieurs films d´horreur nettement sadiens, mettre eux-mêmes la main à la pâte (on pense évidemment à la trilogie Hostel, 2005-2011). Toutefois, à l´instar des esthètes du crime du château de Silling et d´ailleurs, ils commentent languissamment le massacre, rivalisant de vulgarité et de fausse érudition (discutant ainsi, à propos de la vengeance de Han Mi-nyeo, l´attribution de la célèbre citation « hell hath no fury like a woman scorned" –tirée non pas de William Shakespeare comme l´on croit parfois à tort mais de The Mourning Bride de William Congreve, 1697).

Leur morgue fonctionne comme un habitus de classe et leur vision de ceux qu´ils considèrent comme des « perdants » est aussi impitoyable que l´ancienne idéologie des « Untermensch ». Les élites de la mondialisation néolibérale retrouvent ainsi, ou s´approprient, les vieux réflexes aristocratiques. Il est troublant de lire sous la plume d´un « éminent Victorien » tel que John Ruskin (à nouveau ici totalement sadien) que  « l'humanité [est] divisée, dès l'origine, en deux « races; l'une de travailleurs, l'autre de joueurs », ceux-ci étant « fièrement oisifs, et réclamant, de ce fait, une perpétuelle récréation, où ils utilisent les ordres productifs et laborieux, en partie comme leur troupeau, en partie comme leurs marionnettes ou leurs pions dans le jeu de la mort » (cit in J. Huizinga, 1951, 173).

On reconnaît là le paradigme de la vague contemporaine de fictions que l´on peut dire d´ « horreur néolibérale », où la dynamique de l´exploitation capitaliste est littéralement monstrifiée. Squid Game s´inscrit ainsi clairement dans une vaste mouvance qui va de la saga The Purge à You´re Next en passant par des œuvres telles que Get Out, High-Rise, Snowpiercer, Stoker ou Velvet Buzzsaw[23]. L´expression la plus crue de ce paradigme sadien reste, symptomatiquement, le trope de la chasse à l´homme issu du célèbre film Les chasses du comte Zaroff (E. B. Schoedsack et I. Pichel, 1932) que nous avons étudié dans ce même dossier[24]. C´est là l´autre grand versant du sous-genre des jeux mortels où s´inscrit Squid Game, illustré dans des œuvres récentes telles que You´re Next (Adam Wingard, 2011) Ready or Not (Bettinelli-Olpin et T. Gillett, 2019) ou The Hunt (Craig Zobel, 2020)

Le déni du fonds sadien dans Squid Game s´étend à celui du spectateur lui-même qui, bien qu´il partage le voyeurisme de ces libertins criminels (son point de vue coïncidant avec celui de ces autres spectateurs à l´intérieur de la fiction, dans une parfaite mise en abyme des écrans), justifie et légitime sa complaisance à l´égard de la violence et la souffrance représentées dans la série par le pacte de fiction (ce n´est qu´une série). Nul ne s´avouera appartenir au même camp que ces monstres, tout en partageant leur plaisir, ce qui, en jugeant par le succès phénoménal de la série, en dit long sur « l´ombre du Divin Marquis » qui s´étend sur nos représentations (la plupart de ses scènes de violence n´auraient d´ailleurs pas pu être montrées dans une production « mainstream » il y a deux décennies[25]).

« The show is encouraging its audience to do much the same thing as the much-loathed spectators”, écrit Daniel D´Addario, pour qui le traitement totalement caricatural des VIPS provient justement de la nécessité de dresser une barrière contre le malaise spectatorial de se confronter à son propre voyeurisme (à l´opposé du Salò de Pasolini, par exemple): « It´s telling that the show feels the need to push this hard to insist that the people who’d watch the Squid Game for entertainment are so much more morally degraded than people who’d, say, simply watch “Squid Game” for entertainment. (…) There’s a having-it-both-ways insistence that a culture that could create violence is inherently sick and deranged, while playing out a wildly overstated version of sick derangement in a manner designed to be maximally tense and amusing.”[26]

 Notre identification consciente va, bien évidemment, au camp des victimes, dont les choix lancinants mettent à l´épreuve notre empathie et notre sens moral (chacun se demandant jusqu´où il aurait été dans cette situation), mais notre position de spectateur nous rapproche inévitablement de leurs maîtres. D´autant que leur attitude est très proche de celle des fans compilant sur Youtube le « killcount » de la série (comme de tant d´autres) ou des commentateurs sur leur feed et autres réseaux sociaux (et l´on peut supposer que dans maintes viewing parties privées). Qui plus est, ce type de spectature détachée et décalée (second degré, cynisme, humour noir) ne s´applique pas seulement à notre rapport à la fiction mais plus profondément à notre attitude générale de téléspectateurs blasés face à « la misère du monde ».

Du coup la jouissance spectatoriale relève d´une dynamique complexe, à la fois se délectant de la représentation de la violence et prenant parti pour ses victimes : “in enjoying gruesomeness while also tut-tutting at a system that would create such gruesomeness and rooting for its takedown, that viewer is experiencing a double pleasure, a sense of enjoying a show while also perching above it that ends up being the most complicated thing about Squid Game”[27]. L´incident quelque peu cocasse par lequel une femme s´est retrouvée inondée d´appels téléphoniques du fait que son numéro correspond avec celui des organisateurs du Jeu dans la série en dit long sur cette ambivalence, ainsi que la recréation des jeux par le Centre culturel coréen à Abu Dhabi ou les premiers phénomènes d´imitation qui ont provoqué la peur des « copycats » dans les écoles.

Certes, Hunger Games présentait aussi son lot d´aristocrates décadents mais, Young Adult Fiction oblige, le legs sadien y était encore bien plus occulté et le spectateur implicite ne saurait aucunement s´y associer. Le contraste moralisé et moralisateur entre les opprimés faméliques des Districts et les riches «fashionistas» hyperconsommateurs du Capitole était absolu, emblématisé par le style ladygagaesque de la maîtresse de cérémonie qui présidait au tirage au sort des «tributs» adolescents. Plus qu´au libertinage criminel des monstres sadiens, l´on songe au règne de l'«homo festivus» dénoncé par le regretté philosophe Philippe Muray, le citoyen moyen de la posthistoire livré à la surconsommation, la quête de l'éternelle jeunesse et les jeux de téléréalité[28].

Les riches habitants du Capitole sont en effet une caricature de l’hédonisme décomplexé et agressif des possédants, mutation des yuppies reaganiens en purs parasites de la génération Y. Masse ridicule entièrement dominée par les affects que nourrissent les médias tout-puissants, elle accueille les «tributs» avec un engouement hystérique sans jamais réfléchir au tragique de leur situation. Rien de tel chez les VIPS du Jeu du Calmar qui, s´ils sont tout aussi ridicules sous leurs accoutrements sinistres, se moquent cruellement des souffrances des participants. Le système des paris diffère aussi entre les deux fictions : totalement généralisé dans la population et contrôlé par le Capitole dans Hunger Games il prolonge la métaphore de la Société du Spectacle totalitaire. Introduits depuis le 10e Jeu de la Faim, les paris s´alignent sur le modèle des paris sportifs et plus spécifiquement ceux de la NFL et de la Super Bowl (événement auquel les Jeux sont à plus d´un titre associés)[29]. Quant aux VIPS c´est un système secret qui prolonge leur jouissance cruelle; par ailleurs leur addiction au Jeu rejoint ironiquement le comportement de certaines victimes telles que Gi-hun, brouillant la frontière entre les perdants et les dominants.

Si les deux œuvres présentent une vision dégradée du 1% dénoncé par le mouvement Occupy Wall Street, Hunger Games invoque plutôt le spectre de la Décadence romaine more hollywoodiensis (l´onomastique même renvoyant aux patriciens romains: Cinna, Octavia, Flavius, etc.) tandis que Le Jeu du Calmar semble projeter cette Décadence sur l´élite (blanche) de la mondialisation. Bien que l´orchestrateur du Jeu soit coréen, il y a un certain spectre néocolonial dans le fait que ses principaux destinataires soient des « clients » (ou des actionnaires, voire des propriétaires) Blancs. L´on apprend par ailleurs que le Jeu est lui-même mondialisé, la version coréenne ayant été la préférée cette année (ce qui ouvre bien entendu la possibilité d´autres localisations pour d´autres saisons, voire de spin-offs internationaux).

Au-delà de la similitude superficielle entre les deux séries, marquée par leurs sources communes et leur inscription dans un sous-genre en mutation, on voit donc s´opposer toute une série d´éléments, allant de la servitude volontaire à la logique de la violence, du statut du spectacle à celui de ses spectateurs et la jouissance qu´il implique.

Enfin, autre différence majeure entre les deux sagas, l´héroïsme messianique de Katniss s´oppose à la survie sans grande gloire d´un antihéros sans (grandes) qualités. Contre la violence professionnalisée des adolescents soldats que sont les Careers, et contre l’existence factice des téléspectateurs du Capitole, masse indifférente à la misère et la souffrance tragique sur laquelle repose leur abondance, « Katniss incarne l’authenticité et les vraies valeurs américaines, à commencer par le «bon» individualisme de la véritable «gagnante», légitimée par une «destinée manifeste» que tous les autres personnages reconnaissent peu à peu »[30]. Rien de tel chez Seong Gi-hun, parfait « loser » et ludopathe pathétique qui n´hésite pas à voler sa pauvre mère, poltron maladroit qui peine à passer les premières épreuves du Jeu. C´est son endettement chronique qui l´oblige à y participer, et non, comme Katniss, un sens de sacrifice pour protéger un être cher.

Du coup, il devient non pas un idéal mais l´emblème d´une humanité moyenne et faillible (le Tout-homme ou Everyman des anciens mystères médiévaux). Selon la double visée de la série, locale et globale, il incarne à la fois la crise de la dette des jeunes générations coréennes[31] et la crise de la nouvelle « dettocratie » néolibérale. De la même manière que l´Amérique paupérisée et dictatoriale des Hunger Games reflétait les hantises de la Grande Récession, les hordes des endettés choisissant de s´entretuer (sous couvert de suivre les règles du Jeu) renvoie aux ultimes conséquences de cette crise, treize ans plus tard.

Cela va de pair avec une opposition radicale à l´esthétique du blockbuster d´action épique affichée par l´adaptation de la trilogie de Collins, le ton beaucoup plus sombre du « K-drama » nous plongeant plutôt au cœur de l´horreur sociale, incarnée autant par les exécutions sommaires des perdants que par les dilemmes angoissants des gagnants.

Symptomatiquement, c´est le caractère de Sae-byeok qui semble parée des attributs non seulement de la femme guerrière (et de l´agente secrète, de par sa défection de la Corée du Nord) mais de la fonction héroïque de la Quête : face à la passivité des autres participants, dont Gi-hun, elle sait rester éveillée dans la voiture, infiltrer un couteau dans le dortoir, explorer les tréfonds du labyrinthe. Maints spectateurs s´attendaient, sinon à son triomphe du moins à sa survie, voire peut-être son union rédemptrice avec Gi-hun. La frustration de cet horizon d´attente peut être lu à la lumière du féminisme (caractère plus patriarcal de la série sud-coréenne face à l´« empowerment » de l´héroïne de Collins) ou bien de la misanthropie plus générale de l´œuvre, qui met à mal l´idée traditionnelle de l´héroïsme autant que la possibilité de l´amour.

Contrairement au triangle amoureux qui, selon les codes habituels de la romance, tiraille Katniss entre deux modèles d´hommes qui lui sont tout aussi devoués, les seules histoires d´amour dans Le Jeu du Calmar sont soit tragiques (le mari qui se suicide après l´assassinat de sa femme), soit dégradées (l´échange de sexe pour protection de Mi-nyeo avec le caïd Deok-su, lequel la trahit, provoquant sa vengeance suicidaire) ou avortées (Gi-hun et Sae-byeok, voire Sae-byeok et Ji-yeong).

L´arc narratif de Katniss accompagne tout en la dépassant la célèbre « journée du héros » campbéllien; cumulant la fonction de guerrière avec celle de la protectrice virginale (des plus faibles, puis de tous les dominés), elle connaît une évolution glorieuse jusqu´à son apothéose épique où la « fille de feu » devient l´héroïne de la Révolution, puis sauve son « peuple » des travers de celle-ci. Le parcours de Gi-hun, a contrario, passe par une extrême dégradation (il ment au vieux 001 lors de la scène déjà évoquée des billes) avant de confronter ses propres démons. Ceux-ci renvoient explicitement à la lutte sociale : le seul « flash-back » qui nous livre un indice sur son passé nous le montre assistant passivement à la mise à mort par un policier d´un de ses camarades lors d´une grève syndicale (référence codée à celle de SsangYong Motor en 2009).

Il se pourrait que sa déchéance soit le fruit de cette expérience de son impuissance face à l´inhumanité du système. Rejouant cette expérience sous la forme exponentielle du Jeu, Gi-hun aboutit à une progressive rédemption marquée par sa renonciation au prix pour sauver in extremis son ami d´enfance. Mais ce dernier préférant se suicider ((sorte de bushido dégradé qui signe l´impossibilité de revenir à une quelconque normalité après avoir si profondément renié de sa propre humanité), le triomphe final devient une sorte d´échec.

Contrairement à la résolution finale des conflits dans Hunger Games, et la refondation de la Nation au sein de la famille, la fin du Jeu du Calmar est profondément dysphorique. Seul survivant du jeu de massacre, incapable, de par le traumatisme engendré par ce dernier, de jouir en toute tranquillité de son prix, Gi-hun est un être à nouveau brisé. Mais quelque chose a changé (ce dont son relookage en star de la K-Pop se veut le symbole): non seulement il pose des gestes réparateurs (faisant sortir le frère de Sae-byeok de l'orphelinat et donnant à la mère de Sang-woo sa part du prix), mais il est prêt à rejoindre sa fille, signe de son accès à la fonction paternelle (et du retour de la Loi du Père?).

Sa confrontation finale avec celui qui se dévoile être l´organisateur du Jeu est elle aussi significative. Le vieux Il-nam se confesse à lui, expliquant le Jeu à la manière sadienne : c´est l´ennui profond des privilégiés qui l´engendre. Et c´est la volonté de revivre des émotions profondes –tant de son retour en enfance (les jeux fonctionnant en quelque sorte comme l´acting out de sa régression sénile, extension de son paysage mental intérieur) que de la confrontation avec la mort- qui l´a poussé à être, cette fois-ci, lui-même un participant. Il veut alors justifier, à l´orée de son trépas, l´horreur de ses actes, la relativisant, à la manière des libertins de Sade, par celle de la condition humaine : c´est ainsi qu´il propose son dernier pari à son interlocuteur (qui est peut-être son fils, ou du moins le substitut de celui-ci). Si personne ne sauve l´indigent d´une mort certaine sous la neige, il aura gagné : l´horreur du Jeu n´est pas pire que celle de la Société elle-même. La victoire in extremis de Gi-hun (qui toutefois ne fait rien pour aider lui-même le sans-abri) est celle de la confiance dans l´Homme face à la misanthropie. Et elle signe la défaite ultime, ontologique autant que morale, de Il-nam.  

Quant au Jeu lui-même, il continue de plus belle, comme le montre la scène de recrutement dans le métro. En décidant de recontacter les organisateurs, afin de dévoiler leur identité, il se pourrait que Gin-hu amorce une quête plus héroïque, voire que, à l´instar de Katniss, il réussisse à détruire le système monstrueux de ce cauchemar néolibéral. Mais d´ici là, et malgré la fan theory qui voudrait, faisant fi du caractère dystopique (et post-apocalyptique) de Hunger Games, faire cohabiter les deux sagas dans une même diégèse[32], ces deux univers restent antithétiques. Deux symptômes et deux moments d´une même crise et d´une même horreur, celle, baptisée jadis par Viviane Forrester d´« horreur économique » (1996). Concept autrefois décrié, le voici régner sur tous les petits écrans de la planète, si ce n´est sur toutes nos vies.




[2] Id, ibid

[4] Souvent adapté en fiction, de La Gabbia (Carlo Tuzii, 1977) à The Stanford Prison Experiment (K. Patrick Alvarez, 2015) en passant par Das Experiment (Oliver Hirschbiegel, 2001) et son remake états-unien The Experiment (Paul Scheuring, 2010)

[5] Il était inévitable que la fan theory établisse un parallélisme avec les célèbres pilules de The Matrix, illustrant encore une fois « le démon de l´analogie » qui lui tient souvent lieu d´herméneutique : https://www.latintimes.com/squid-game-latest-update-and-rumors-did-season-one-take-page-out-matrix-488608

[6] Il semble invraisemblable que les gagnants, devenus milliardaires, voudraient être traités comme des larbins et accomplir les basses besognes de ces bourreaux.

[7]The cheery, pastel-hued aesthetic of the various game setups might suggest that the competition is all sunshine and rainbows, but (…) brace yourself for an endless conveyer belt of blood-soaked killings and body horror from the first episode: everything from stabbings and shootings to a particularly stomach-churning sequence involving organ harvesting. Still, the most devastating parts of the series are the emotional cruelties and betrayals the contestants inflict on each other, as anyone who’s watched the episode with the marble game can attest” (Liam Hess, "Why is Everyone Talking About Squid Game?", 4 oct. 2021)

[8] Il faudrait situer précisément les enjeux sociopolitiques de cette nostalgie : est-ce l´évocation d´une Corée d´avant la guerre (1950-1953), soit celle de la toute petite enfance du personnage? Ou bien celle du miracle économique (connu sous le nom du « miracle de la rivière Han ») ? C´est de celle-ci dont la majorité des spectateurs sud-coréens peuvent avoir la nostalgie face à l´escalade des tensions avec la Corée du Nord et la croissance exponentielle de l´endettement. Au niveau du public occidental, ce sentiment est lui aussi partagé à l´égard de la période de croissance désormais révolue par la Grande Récession de 2008 et la pandémie.

[9] Appuyée entre autres par cette même scène, les deux personnages reconnaissant dans le même décor le paysage de leur enfance. V. Peter Mutuc "Squid Game: The Old Man is Gi-Hun´s Father-Theory Explained", 9 oct 2021

[12]The most direct borrowing from art is the trippy series of staircases through which the contestants are herded between games: many viewers will have noticed the similarity to M.C. Escher’s lithograph Relativity (1953), which the director Hwang Dong-hyuk has acknowledged was an influence. All pastel-hued, the surreal structure makes a brilliant visual centrepiece in this dystopian nightmare of a show”. https://www.apollo-magazine.com/squid-game-netflix-game-escher/

[13] V. Antonio Dominguez Leiva et Simon Laperrière, Snuff Movies : Naissance d'une légende urbaine, Dijon, Murmure, 2013

[14] Est-ce là encore le spectre de l´autre Corée planant sur le quotidien des spectateurs sud-coréens?

[16] « Les meubles que vous voyez ici, nous dit notre hôte, sont vivans ; tous vont marcher au moindre signe ; Minski fait ce signe, et la table s’avance ; elle était dans un coin de la salle, elle vient se placer au milieu ; cinq fauteuils se rangent également autour ; deux lustres descendent du plafond, et planent au milieu de la table. Cette mécanique est simple, dit le géant, en nous faisant observer de près, la composition de ces meubles. Vous voyez que cette table, ces lustres, ces fauteuils, ne sont composés que de grouppes de filles, artistement arrangés » (1797, III, 329)

[17] Signalons ici un aspect métatextuel troublant: “One YouTuber, who was offered a statue role she declined, revealed how much money she would have made. In addition to full accommodations, meals, and pick-up services, the recruiter offered to pay her 5,000,000 KRW ($4243 USD) for three days of work” (S. Lyons, “10 Things You Might Not Know About “Squid Game” (But Really Should)”, Koreaboo, 4 oct. 2021)

[19] « Quel peuple fut à la fois plus grand et plus cruel que les Romains […] ? Le spectacle des gladiateurs soutint son courage, elle devenait guerrière par l’habitude de se faire un jeu du meurtre, douze ou quinze cents victimes journalières remplissaient l’arène du cirque, et là les femmes, plus cruelles que les hommes, osaient exiger que les mourants tombassent avec grâce et se dessinassent encore sous les convulsions de la mort » (Sade, Œuvres, Paris, Gallimard, coll. “Bibliothèque de la pléiade”, 1995, vol. III, p. 148)

[20] « Je trouve que toutes les grandes nations ont puisé dans la guerre, toute la vérité de leur parole et la vigueur de leur pensée; qu'elles ont été nourries dans la guerre, et gâtées par la paix; instruites par la guerre, et trompées par la paix; exercées par la guerre, et trahies par la paix; -en un mot, qu'elles sont nées dans la guerre et ont expiré dans la paix » (cit in J. Huizinga, Homo Ludens, 1951, 173).

[21] « Sur un grand échafaud, (…) sont inhumainement crucifiés des oies, des poules, des dindons, qui, suspendus tout en vie et seulement attachés par un clou, amusent le peuple par leurs mouvemens convulsifs » (op cit, 3). On voit par-là que le spectacle de la cruauté n´est pas privatif des aristocrates mais bien, pour Sade, quelque chose d´inhérent à la nature humaine.

[22] C´est là la logique étudiée par Mario Praz dans sa Somme inégalée La chair, la mort et le diable dans la littérature du XIXe siècle - Le romantisme noir (1930).

[25] Le réalisateur explique d´ailleurs que le scénario fut jugé intournable lors de ses premières démarches auprès des producteurs en 2009. Une certaine polémique s´élève d´ailleurs autour du traitement de la violence dans la série

[27] Id, ibid

[29] On trouve une vision assez détaillé du système de paris sur les Hunger Games dans le wiki de la franchise éponyme https://thehungergames.fandom.com/wiki/Betting