Katniss Everdeen: une héroïne atypique qui défie le sort

Katniss Everdeen: une héroïne atypique qui défie le sort

Soumis par Julie Levasseur le 06/07/2020

 

Prenant place dans une Amérique du Nord post-apocalyptique où des adolescent-e-s sont tiré-e-s au sort pour s'affronter jusqu'à la mort dans un tournoi télévisé, la trilogie Hunger Games (2008-2010) de Suzanne Collins a eu l'effet d'une bombe dans le paysage littéraire mondial. La série s'est vendue à plus de 300 000 exemplaires au Québec seulement (Bornais, 2013), un succès relancé par chacune de ses adaptations cinématographiques et qui n'est pas sans rappeler les sagas Harry Potter (J. K. Rowling, 1997-2007) ou Twilight (Stephenie Meyer, 2005-2008) qui l'ont précédée. À mi-chemin entre l'œuvre ouverte et l'oeuvre fermée, Hunger Games fait partie de ces récits qui renouvellent le scénario-motif des productions de grande consommation. La franchise rejoint ainsi « les succès les plus importants et les moins prévisibles du marché du livre » tels que caractérisés par les chercheurs en littérature populaire Jacques Lemieux et Denis Saint-Jacques (260-261), notamment grâce à sa protagoniste atypique. Figure phare d'une lignée d'héroïnes « jeunes et ingouvernables » (Demeule, 2016) qui ont pris d'assaut la culture populaire depuis le tournant du 21e siècle, Katniss Everdeen se caractérise par sa facture réaliste et non stéréotypée ainsi que son parcours narratif ambivalent. Son analyse permet de mieux comprendre la résonnance de la série chez le lectorat contemporain, car « [d]'une certaine façon, toute histoire est histoire des personnages.» (Reuter: 44) La trilogie de Collins pourrait être considérée comme un best-seller féminin, dans la mesure où elle répond d'entrée de jeu aux critères de « l’origine auctoriale féminine» et de «la mise en scène de protagonistes féminines» établis par Gaëlle Jeannesson (19) dans son mémoire de maîtrise sur le sujet. Toutefois, la catégorisation n'est plus aussi nette lorsque l'on considère le troisième et dernier élément: « le lectorat féminin, le fait que le livre est lu par un public de femmes» (19) ou de filles. Car s'il est vrai qu'une majorité des entrées sur les forums virtuels portant sur la série proviennent de lectrices (Hartmann, 2012), il n'en demeure pas moins que « [t]he quick pace, strong characters and blood sport […] helped attract a robust male readership», comme l’ont fait remarquer Rachel Dodes et John Jurgensen (2012) dans le Wall Street Journal à la sortie du premier film. Par conséquent, nous tiendrons compte du rapport que Hunger Games, en particulier le premier tome homonyme, entretient à la fois avec le corpus des best-sellers «généraux» et ceux considérés comme spécifiquement «féminins».

Ni surhomme, ni superwoman

Le portrait sémantique de Katniss est propre aux protagonistes des romans de grande consommation contemporains en raison du réalisme qui l'éloigne de la figure rhétorique du surhomme. En effet, ce type de personnage canonique est construit de façon manichéenne à partir de stéréotypes et de lieux communs. Défini par Umberto Eco à partir des héros feuilletonesques, le surhomme se présente comme « un personnage aux qualités exceptionnelles qui dévoile les injustices du monde et tente de les réparer par des actes de justice privé […], mais il n'en devient pas pour autant un prophète de la lutte des classes […] et n'aspire donc pas à la subversion de l'ordre social.» (121) De manière similaire, le mythe de la superwoman observé par la chercheuse féministe Resa L. Dudovitz « shows readers that women can accede to positions of greater power without radically changing the larger social order.» (14)

Au contraire, l'héroïne de Hunger Games deviendra le symbole de la révolte contre la tyrannie du Capitole, le gouvernement central de la nation de Panem. Comme l'ont observé Denis Saint-Jacques et ses collègues dans leur étude des best-sellers québécois, « le protagoniste individuel, rarement isolé, dispose habituellement d’adjuvants qui lui donnent le statut d’un leader» (234-235); il intervient «à la fois en dehors du commun et [comme] représentant d’une communauté.» (235) Katniss s'est d'abord démarquée en se portant volontaire pour remplacer sa sœur qui avait été désignée comme « tribut» féminin aux Jeux de la faim, un acte de bravoure rarement vu auparavant. La protagoniste remarque: «je ne pensais pas compter dans le district Douze. Mais il s'est produit un changement quand je me suis avancée pour prendre la place de Prim, et on dirait désormais que je suis devenue quelqu'un de précieux» (HG: 30[1]); la foule lui adresse alors «[u]n geste de remerciement, d'admiration, d'adieu à ceux que l'on aime.» (HG: 30) Katniss peut ensuite compter sur l'aide de Peeta Mellark, le tribut masculin de son district, ainsi que de leurs «coachs» Haymitch Abernathy et Effie Trinket, en plus de toute l'équipe qui contribue à la préparation pour les Jeux. Une fois dans l'arène, cependant, un-e seul-e pourra survivre et c'est sur Katniss que se concentrent tous les espoirs – même ceux de la mère de Peeta (« C’est une survivante, celle-là», HG: 96).

À la suite d'une modification des règles des Jeux, les deux tributs du district Douze s'allient pour gagner ensemble. Si le surhomme « n’obéi[t] jamais qu'à sa propre vocation » (Eco: 113), Katniss a déjà sauvé sa sœur d'une mort certaine et élabore maintenant sa stratégie en tenant compte de la survie de Peeta. C'est ainsi qu'à la fin du tournoi elle réussit à « forcer la main » des Juges et à «les tourne[r] en ridicule» (HG: 365) en bluffant une double tentative de suicide, ce qui déclenche la colère du Capitole de même qu’une insurrection à travers Panem. La protagoniste entame alors «la partie la plus dangereuse des Hunger Games » (HG: 367), qui consiste à faire croire au public – et surtout au président Snow – que son acte de rébellion n'était dû qu'à sa « passion éperdue » (HG: 371) pour son coéquipier. La peur de Katniss face aux répercussions de sa victoire subversive (« tous ceux que j'aime et que je connais […] pourraient en pâtir », HG: 366) et son incompréhension de ses propres sentiments par rapport à Peeta (« C’est trop compliqué », HG: 366) participent d'ailleurs de son humanisation en comparaison avec le surhomme «robotisé» et manichéen. L'héroïne est problématique en ce sens qu'elle est marquée par une ambivalence et des remises en question (Lukács, 1989), témoignant de son évolution au fil de la série. Par conséquent, comme l’explique Jennifer Lynn Barnes dans une anthologie critique dédiée à la trilogie, «Katniss isn't the kind of hero we're used to seeing in fiction. She reacts more than she acts, she doesn't want to be a leader, and […] [s]he limps across the finish line when we're used to seeing heroes racing; she eases into a quiet, steady love instead of falling fast and hard» (17). Bref, la non-extraordinaireté de la protagoniste la place dans une classe à part.

Non seulement Katniss se démarque des clichés paralittéraires en ce qui a trait aux personnages canoniques, mais elle brouille également les stéréotypes de genre. Les notations indicielles contribuent dès les premières pages à l'instituer comme la pourvoyeuse de sa famille – un rôle traditionnellement masculin – depuis le décès de son père. Alors âgée de douze ans, la jeune fille a commencé à chasser en compagnie de son partenaire Gale afin de nourrir « les enfants», c'est-à-dire leurs frères et sœurs, «[auxquels] on peut ajouter nos mères, aussi, car comment se débrouilleraient-elles sans nous? Qui nourrirait toutes ces bouches affamées? » (HG: 15). Leurs expéditions sont particulièrement dangereuses, puisque « pénétrer dans les bois est illégal et que le braconnage est puni de la façon la plus sévère » (HG: 11). Katniss reprend dans un contexte extrême les attributs des protagonistes de best-seller féminin « d’abord caractérisées par leur liberté, leur confiance en elles, leur esprit d'indépendance et d'initiative » (Jeannesson: 5). Ce portrait qualificatif se retrouve d'autant plus exacerbé par sa participation aux Jeux de la faim et à la rébellion qui s'en suit.

Comme les héroïnes analysées par Jeannesson, Katniss s'est vu imposer le rôle de «la petite fille modèle » lorsqu'elle était enfant, faisant en sorte qu'elle « s’emploie […] ensuite à tenter de de répondre aux attentes [...], de devenir autant que possible docile, soumise, pieuse et obéissante » (46). En effet, celle qui sera plus tard surnommée la « fille du feu » (HG: 73) raconte:

Quand j'étais plus petite, je terrorisais ma mère par mes propos sur le district Douze, sur les gens qui dirigent nos vies de puis le Capitole […]. J'ai fini par comprendre que cela ne nous attirerait que des ennuis. J'ai appris à tenir ma langue, à montrer en permanence un masque d'indifférence afin que personne ne puisse jamais deviner mes pensées. (HG: 12)

Bien qu'il soit avant tout motivé par le cadre référentiel de la dictature répressive, ce conditionnement reflète les valeurs symboliques associées aux femmes dans la société comme dans la littérature. La sociologue Nathalie Heinich, dans son ouvrage États de femmes: l'identité féminine dans la fiction occidentale, note que « [l]a passivité sied aux filles: c'est même un trait identitaire, un paramètre constitutif de la féminité en tant qu'elle se différencie de la virilité, l'un des supports fondamentaux de l'asymétrie [entre les sexes] » (53). Cependant, contrairement au cas des best-sellers féminins dont les personnages « renonce[nt] à [leur] propre violence, à [leur] indépendance, à elle[s]-même[s]» (Jeannesson: 46), Katniss ne présente qu'une obéissance de surface et continue de transgresser les codes imposés.

 Son ingouvernabilité, par «sa témérité, son caractère fort et son esprit indépendant, voire farouche » (Demeule, 2016), l'inscrit dès lors parmi les héroïnes que Sherrie A. Inness (2004: 7) décrit comme «tough», c'est-à-dire des personnages féminins qui

do not graciously accept their places in society. […] [P]opular culture's tough women […] offer insights into how women are fighting to escape conventional gender role expectations that, in the past, have kept them from being aggressive, whether in real life or the media.

Pendant les Jeux, Katniss se montre une guerrière redoutable, capable de déjouer, combattre et même tuer – en situation de légitime défense, devons-nous préciser – les adversaires qui la menacent. Elle se distancie néanmoins de la sérialité des tough women, car sa présentation «as impossible or nearly impossible to defeat» (Inness, 1998: 8) est discutable: sans l'aide de Peeta qui «a trompé les carrières à [son] sujet, monté la garde toute la nuit […], affronté Cato pour [lui] permettre de fuir» (HG: 371), ou encore de Thresh[2] qui abat le tribut dont elle est à la merci et lui laisse la vie sauve (HG: 294-296), Katniss n'aurait peut-être pas remporté la victoire. Loin de signifier qu'elle n'a pas « the stamina to endure when physically weaker women might fail» ni «the tight emotional and physical control that has been traditionally associated with men, not women», pour reprendre les critères établis par Inness (1998: 13), ces moments de relative impuissance contribuent à son portrait réaliste et non rhétorique.

De cette façon, « [p]arce qu’elle dégage à la fois une force brute, et en même temps témoigne d’une confiance en soi assez précaire, d’une vulnérabilité loin de la super-héroïne classique, les lectrices […] peuvent s’identifier à Katniss et poursuivre une quête identitaire constructive » à ses côtés, comme le remarque la chercheuse en littérature Fanie Demeule (2016) dans son article phare sur la figure de la femme ingouvernable. Il s'agit d'un espace liminal à partir duquel «the female protagonists of contemporary young adult dystopias […] seek to understand their places in the world, to claim their identities, and to live their lives on their own terms», et ce, tout en contribuant à rendre «their societies more egalitarian, more progressive, and, ultimately, more free » (Day, Green-Barteet et Montz: 3). La présentation sémantique de Katniss est alors à mettre en relation avec sa trajectoire narrative, qui rejoint «la conquête de l'autonomie» (Saint-Jacques et al.: 238) des romans de grande consommation.

Le parcours d'une survivante

Oscillant entre la répétition et l'innovation, chaque volet de la trilogie Hunger Games s'articule autour du « scénario motif» (Saint-Jacques, 1994: 225) qui constitue la trame de fond de la majorité des best-sellers. Celui-ci comporte sept motifs:

1. Un personnage vit dans une situation d’équilibre euphorique.

2. Apparaissent des difficultés graves mettant en jeu sa survie ou sa liberté.

3. Le protagoniste résiste à l’adversité et se prépare avec détermination à renverser la situation […].

4. Il subit un échec d’ordre affectif.

5. Il parvient au succès.

6. Il connaît un rétablissement d’ordre affectif.

7. Il prend la parole pour narrer sa propre aventure. (228)

Il convient de noter que « seuls les quatre motifs centraux (2 à 5) sont nécessaires à la réalisation du modèle; ils forment en pratique un schème stable que les autres motifs complètent ou non» (Saint-Jacques et al.: 228), ce qui permet aux productions de conserver un caractère inédit. Dans l'œuvre analysée, Katniss connaît une situation initiale précaire mais tout de même stable, jusqu'à ce que sa vie bascule le jour de la Moisson des Jeux, où sa survie sera évidemment en péril. La lutte pour la victoire « polarise toutes ses énergies » (Saint-Jacques et al.: 226), puis elle triomphe grâce à son intelligence et à sa détermination. Dans l'intervalle, l'héroïne connaît une peine affective causée par le meurtre de son alliée Rue, ce qui la pousse à commettre un premier acte ouvertement subversif à l'encontre du système: elle rend hommage à la jeune fille et à leur humanité commune en recouvrant sa dépouille de fleurs, afin de « défier le Capitole, le faire se sentir coupable, lui montrer que, quoi qu'il nous fasse ou nous oblige à faire, il reste en chacun de nous une part qui lui échappe.» (HG: 242) Katniss ne se remettra jamais complètement de cette perte; au contraire, les morts qu'elle pleure ne feront que s'accumuler au fil des tomes. Comme le souligne Barnes, «[s]he survives – and that leaves her doing the hardest thing in the world: living in it once so many of the ones that she loves are gone.» (25) Le motif de l'échec affectif indique alors que «la réussite du héros [ou de l'héroïne] est à ce prix » (Saint-Jacques et al.: 229). Signe de ses nombreux deuils, Katniss rédige à la fin du dernier tome « [u]n ouvrage dans lequel consigner tout ce qu'on ne peut pas confier aveuglément à la mémoire[,] […] tous les détails qu'il serait criminel d'oublier» (Collins, 2011: 412), afin de conserver le souvenir des disparu‑e-s.

Mais les émotions associées au deuil ne sont pas les seules à occuper le cœur de Katniss: le dilemme « Peeta ou Gale » prend une place grandissante à mesure que la série avance, bien que celle-ci ne puisse en aucun cas y être réduite. Simplement, Hunger Games n'échappe pas à la tendance des « récits fortement marqués comme féminins […] [à] mett[re] en jeu une forte charge de sentiment amoureux » (Saint-Jacques et al.: 238). Cela dit, dans les best-sellers de/pour femmes, « le récit fondamental de succès subordonne structurellement l’ordre affectif à celui de la réussite sociale personnelle de survie […] comme dans les oeuvres à héros masculins » (238). Le cas à l'étude, où des vies sont menacées au-delà du triangle amoureux, prouve que la « notion de survie, mais aussi (et surtout) la façon particulière dont elle est modalisée est beaucoup plus pertinente pour aborder les best-sellers féminins » (Jeannesson: 37). C'est là que les qualités « tough » de Katniss interviennent, puisque « [l]es héroïnes [de ces productions] ne se limitent pas à vivre des expériences (amoureuses, personnelles) hors de l'ordinaire. Elles surmontent les difficultés qui se présentent au lieu d'être détruites par elles comme le seraient des héroïnes d'œuvres canoniques » (Jeannesson: 85). Il n'y a pas à dire, la fille du feu devenue (co)vainqueresse des 74e Jeux de la faim, puis meneuse de la révolte, représente bien plus qu'une « oie blanche égarée par l'amour» (HG: 366).

Dans Hunger Games comme dans les best-sellers féminins, l'intrigue romantique devient « le chaînon subordonné d’un ensemble plus grand» (Saint-Jacques et al.: 239), puisque «[l]e monde que l'ensemble de ces romans mettent en scène n'a rien d'idyllique ; la recherche du bonheur y obtient des succès tout relatifs quand ce n'est un échec définitif.» (Saint-Jacques, Des Rivières et Savoie: 122) L'épilogue de la trilogie laisse un goût doux-amer: Katniss et Peeta ont fondé une famille et, si certaines analyses y voient une idéologie de consolation toute patriarcale et hétéronormative[3], il s'agit néanmoins d'une fin ouverte dont l'«état d'équilibre […] reste fragile, sujet à bouleversements.» (Jeannesson: 94) Vingt ans après la chute du Capitole, l'héroïne reste traumatisée:

Mes enfants, qui ne savent pas qu'ils jouent sur un cimetière. Peeta dit que tout ira bien. […] Mais un jour, il faudra bien leur parler de mes cauchemars. D'où ils me viennent. Pourquoi ils ne s'effaceront jamais complètement. Je leur apprendrai comment je survis. Je leur dirai que certains matins, je n'ose plus me réjouir de rien de peur qu'on me l'enlève. (Collins, 2011: 416)

Comme le souligne Leah Wilson dans l’introduction à son anthologie, «[t]he world is better than it was, but there are hints that this improvement is only temporary – that the kind of inhumanity we saw in the districts under Capitol rule is the true status quo, and that the current peace is ephemeral, precious» (vii). L'histoire amène le lecteur ou la lectrice à réfléchir, à se poser des questions sur sa propre situation: « At least we’re thinking about politics, and the future », résume une adolescente interviewée par la journaliste Amanda Craig (2012). Précisément, le genre de la dystopie propose «la description d'un monde futur qui a mal tourné à partir de l'exacerbation nocive d'un trait de notre société », selon la définition de Gérard Klein (204) dans le Dictionnaire des utopies. Par sa métaphore épistémologique alliant totalitarisme et société du spectacle, la trilogie de Collins met en cause les idéologies contemporaines[4].

En définitive, la quête de Katniss lui « apporte enseignements et acquis, mais sans déboucher sur une solution figée et définitive.» (Jeannesson: 90) La protagoniste réussit à se reconstruire peu à peu en dépit de ses blessures tant physiques que psychologiques, rejoignant le type d'héroïne best-seller « qui survit, […] qui grandit, qui fait courageusement son chemin et apprend à s'entourer de ceux qui lui font du bien.» (Savoie: 33) Après le feu de la rébellion, Katniss ne cherche qu'à mener une vie tranquille. Contrairement à ce à quoi l'on pourrait s'attendre, «she hasn't come into her own or risen like a phoenix from the ashes for some triumphant moment that give us a sense of satisfaction with how far our protagonist has come » (Barnes: 17). En cela, elle conserve son caractère ambivalent et atypique, réaliste plutôt que canonique. Hunger Games se réapproprie le scénario motif des productions de grande consommation pour l'adapter au genre de la dystopie sous le signe de l'empowerment féminin et de la justice sociale. En tant que « sujet individuel agissant », la célèbre archère du district Douze « prend la tête de son groupe social d’appartenance, […] refuse le passé et le présent au nom d’un avenir à construire, se déplace à travers le monde et organise toute son action pour la transformation de ses conditions d’existence » (Saint-Jacques et al.: 256). À la fois présentée comme « tough » et humanisée, l'héroïne s'inscrit dans la vague contemporaine des jeunes protagonistes féminines qui « may also be understood as representations of contradictions, of strength and weakness, of resistance and acquiescence, and, perhaps especially, of hope and despair.» (Day, Green-Barteet et Montz: 4) Considérant le cynisme et l'individualisme qui gangrènent actuellement les générations adultes, il ne faut pas s'étonner qu'un groupe d'adolescent-e-s mène la révolution contre la corruption et la violence dans la vraie vie aussi[5].

Bibliographie

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[1] Par souci de concision, le sigle HG est employé tout au long de cet article pour désigner le premier tome de la trilogie Hunger Games (Collins, 2009).

[2] À noter que les deux tributs «protecteurs» sont de sexe masculin. Si les héroïnes tough «do not need men to rescue them from peril» (Inness, 2004: 7), ce n'est pas le cas de Katniss ici.

[3] Cf. Broad (2013), Linstrom (2014) et Thaller (2016). Au contraire, June Pulliam, à partir des théories de Michel Foucault sur le pouvoir, argumente qu'au lieu de succomber avec résignation au schème du mariage et de la maternité, le choix de Katniss «might be the result of deeper and often invisible forces that have been molding [her] all her life. » (171) Exploitée et aliénée par le Capitole dès l'enfance, la protagoniste n'aurait pas les moyens de savoir si elle aime réellement Peeta ou si elle a plutôt intériorisé certaines normes qui contribuent à son oppression. Elle aurait donc choisi la meilleure option en fonction de ce qu'elle pense ressentir, ce que l'on peut difficilement lui reprocher.

[4] Cf. Dominguez Leiva (2012).

[5] Cf. Taylor (2018) sur les liens entre la trilogie Hunger Games et les jeunes Américain-e-s militant pour le contrôle des armes à feu aux États-Unis. D’un point de vue plus général, le mouvement étudiant pour la justice climatique soulève un constat similaire quant à l’engagement des adolescent-e-s et jeunes adultes pour « réveiller » leurs aîné-e-s, comme en témoigne au Québec un récent article de L’actualité à propos de cette «génération au front» (Boule, 2019).