Délire schizophrénique du double manichéen

Délire schizophrénique du double manichéen

Soumis par Sarah Grenier-Millette le 09/09/2013

 

Jack l’Éventreur et Sherlock Holmes: ces deux noms ont marqué l’imaginaire populaire des Britanniques au tournant du XIXe siècle, et non sans raison. L’un, meurtrier sanguinaire ayant réellement terrorisé la population miséreuse de l’East End londonien; l’autre, grand génie fictif de l’art de la déduction et passé maître dans la résolution d’énigmes tordues: les deux personnages ont écrit une page de l’Histoire de leurs exploits. Pourtant contemporains –d’une certaine manière– ils ne se sont jamais, à leur époque, affrontés en terrain littéraire. Plusieurs auteurs, bien après sir Arthur Conan Doyle, ont cherché à réunir ces géants du milieu de la criminalité du XIXe siècle. Parmi ces écrivains, René Réouven a tenté sa plume à l’exercice, mais d’une tout autre manière que n’a pu le faire Michael Dibdin, pour citer un exemple parmi le lot, en publiant son Ultime défi de Sherlock Holmes. En effet, dans Élémentaire mon cher Holmes!, Réouven ne fait pas intervenir les personnages fictifs de Conan Doyle –soit Sherlock Holmes et John Watson– dans un combat contre l’Éventreur, mais il crée plutôt une fiction joignant les inspirations historiques de ces deux protagonistes qui ont fait vibrer les lecteurs du Strand Magazine pendant près de vingt ans, ainsi que les évènements liés aux meurtres de Whitechapel. En fait, le projet de Réouven est plus imposant encore. Alliant double manichéen et délire schizophrénique, Élémentaire mon cher Holmes! fait état d’un jeu de miroirs opposant et entremêlant référents historiques et référents intertextuels.

Selon la structure classique du roman à énigme, Élémentaire mon cher Holmes! se présente sous la forme d’un récit à rebours. Celui-ci s’offre pourtant au lecteur d’une manière moins conventionnelle que le voudrait la coutume, se déconstruisant en quatre enquêtes enchâssées. C’est alors, pour le lecteur, un travail de reconstruction qui s’entame, une reconstruction à rebours de la vie et du parcours d’un manuscrit perdu de Robert Louis Stevenson. Le récit commence justement en 1885 au moment où Stevenson, au réveil d’un sommeil fiévreux, écrit ce qui sera la première version L’Étrange cas du Dr. Jeckyll. Or, lorsque Mme Stevenson lit le texte brut, elle supplie son mari de ne pas le publier tant les horreurs décrites y sont troublantes. L’écrivain, incertain, envoie plutôt son manuscrit à Édimbourg, faisant croire à sa femme que les pages maudites ont péri dans les braises du foyer.

Ce n’est que plus tard, en 1892, que le fantôme du manuscrit refait son apparition, alors qu’Alfred Wood, militaire invalide vivant en pension à Londres, rencontre un certain Symeson qui dit enquêter sur le cas sordide des prostituées empoisonnées. Au terme de leur enquête, les deux hommes découvrent le meurtrier, le Dr. Cream, colocataire de Wood. Cream, en dernière volonté, remet à Wood l’écrit maudit de Stevenson en lui confiant à la fois les origines de sa folie meurtrière, mais aussi les démons que le texte révèle,  lui faisant promettre de ne jamais lire roman, ni de le remettre à Symeson, qui d’ailleurs disparaît dans la brume.  Fidèle à sa logique, le récit à rebours s’enchaîne sur le récit de Cream, se déroulant un an plus tôt, en 1891, dans une Amérique violente, contrastant avec l’univers sobre de la première partie du roman. Cream, voulant se venger d’une ancienne connaissance poussée à la prostitution, se lance sur les traces du monstre du Jersey City, un égorgeur de prostituées. Il découvre alors Séverin Klosowski, barbier de profession, qui, lui livrant le récit inédit de Stevenson, lui offre sa confession et le secret de l’acquisition de ce manuscrit volé à Jack l’Éventreur lui-même, dans le sombre Londres de 1888. En effet, interrompant l’Éventreur dans la dissection du corps d’Elizabeth Stride, Klosowski s’est trouvé possesseur de la clé d’une chambre louée par le meurtrier. Dans la chambre, il dérobe l’ouvrage de Stevenson. Déchiffrant le document, Klosowski poursuit l’œuvre de l’Éventreur en tuant Mary Jane Kelly et Alice Mac Kenzie. Voulant fuir ses instincts de tueur qu’il associe –à tort– à Londres, Klosowski s’embarque pour l’Amérique. Avant de partir, il retourne à la pension qui hébergeait l’Éventreur un an plus tôt, afin de remettre la clé à la logeuse. Celle-ci, incidemment, lui révèle le nom de son ancien locataire: M. Symeson.

Finalement, presque vingt ans après sa collaboration avec Symeson, Alfred Wood, devenu secrétaire personnel de sir Arthur Conan Doyle, avoue à ce dernier le secret qui lui pèse: ses déductions sur l’identité de l’Éventreur de l’East End. Ses révélations sont favorisées par la mort de Joseph Bell, alias Symeson. Le roman se clôt sur la disparition du manuscrit damné, volé par le chauffeur intérimaire de Conan Doyle, un certain Jules Bonnot, qui deviendra un anarchiste notoire en France.

Ainsi, plusieurs mystères se développent autour du manuscrit de Robert Louis Stevenson –cette première version, vierge de toute censure, de L’Étrange cas du Dr. Jeckyll. La lecture de cette fiction engendre chez les personnages de Réouven un désir de perversion sadique. L’esprit démoniaque d’Edward Hyde semble s’emparer du lecteur détenteur du manuscrit inédit. Réouven retrace donc la chaîne de ces hommes possédés par la fièvre du meurtre, cet assouvissement d’un fantasme pervers, cette révélation d’un inconscient de violence. Au fil des pages, Élémentaire mon cher Holmes! offre trois univers distincts. La première partie –ainsi que l’épilogue– présentent un univers plus holmésien. Les crimes sur lesquels enquêtent Symeson et Wood sont plus sobres, beaucoup moins sanglants puisqu’il s’agit de meurtres par empoisonnement. La deuxième partie du roman révèle un monde de violence sauvage propre au pays encore jeune qu’offre le continent américain du XIXsiècle, monde où se développe le récit de vengeance de Cream. La troisième partie livre un univers très sombre, celui où règne la terreur de l’East End, l’Éventreur. Séverin Klosowski entraîne le lecteur dans un monde de pauvreté, de prostitution, mais aussi de la dure réalité d’une population immigrante et des préjugés discriminatoires de la société.

Si chaque enquête, concentrée en une partie du roman, se clôt par la révélation de l’identité d’un meurtrier, l’enquête de Klosowski laisse pourtant un voile sur le masque identitaire de l’Éventreur de l’East End, identité révélée par Alfred Wood dans l’épilogue. L’intrigue principale du roman s’énonce donc en énigme posée au lecteur, à savoir le visage de l’Éventreur. En effet, ce mystère plane sur tout le roman, étant l’énigme la plus éloignée dans le temps, soit en 1888 lors des meurtres de Whitechapel, et la dernière résolue, en 1911, à la mort de Joseph Bell. Les autres assassins que sont Cream et Klosowski se révèlent n’être alors que les palimpsestes d’une histoire antérieure, celle de Jack l’Éventreur, fils illégitime –dans un sens– d’Edward Hyde. L’énigme posée au lecteur par Réouven est alors résolue par une récolte d’indices, dispersés à travers quatre récits: le prologue, l’enquête de Symeson, l’enquête de Cream et celle de Klosowski. Dans l’épilogue, Alfred Wood accomplit le même travail que le lecteur dans son processus de lecture: le rapprochement entre l’identité de l’Éventreur de l’East End et le nom du Dr. Joseph Bell. Le mystère, pourtant, s’il peut sembler résolu, n’est pas confirmé; Bell n’ayant jamais été arrêté et ne pouvant révéler son monstre intérieur par le biais de la confession, comme le firent Cream et l’égorgeur de Jersey City.

Dans un ordre d’idées similaire, il est, dans l’intérêt de cet article, de rappeler ce motif récurrent du récit policier qu’est la présence d’une figure antagoniste au détective. Comme l’expliquent Boileau-Narcejac, «les passions qui mènent l’assassin, [le détective] les possède aussi, mais elles se sont sublimées et transformées en tics inoffensifs. Il est aussi génial que son adversaire, aussi mécanique que lui, aussi étranger que possible au lecteur» [Boileau-Narcejac: 71-72]. La Némésis est, notamment, introduite comme tension dramatique dans plusieurs récits policiers. Ainsi, Edgar Allan Poe, dans «La lettre volée» [Poe: 59], fait opposer à son détective, Auguste Dupin, un frère ennemi, doté d’une force d’esprit équivalente à la sienne, un certain D. Ce qui est frappant, dans Élémentaire mon cher Holmes!, c’est non seulement ce rapport manichéen, mais surtout sa présentation. Réouven propose la thématique d’un combat interne de forces d’esprits opposées, sorte de délire schizophrénique des personnages. Cette antithèse est créée par la lecture du premier agent intertextuel: le manuscrit de L’Étrange cas du Dr. Jeckyll de Robert Louis Stevenson. Le modèle des vices d’Edward Hyde devient alors le catalyseur de l’esprit de perversion qui naît chez Bell, Cream et Klosowski. À ce propos, Fanny Stevenson dira:

Votre Dr. Jeckyll a recours à l’alchimie, mais le véritable maléfice, le voilà: ce manuscrit, plus pernicieux que toutes les drogues, parce que, grâce à votre talent, il révèle et flatte les pires perversions… Lautréamont lui-même en aurait été horrifié! Les âmes inquiètes, déjà tentées par le Mal, y trouveront un chant de l’abjection, un appel à la dépravation la plus totale, la plus débridée… L’hymne du Diable, Robert! Je vous en supplie, je vous en conjure, prenez garde aux démons que vous allez réveiller. [Réouven: 709] 

Le double manichéen des figures de Jeckyll et de Hyde offre une problématique digne d’intérêt dans la présentation de Jack l’Éventreur: celle du monstre intérieur, du double schizophrène. S’inscrivant dans une optique plus symbolique, la figure du monstre rappelle les propos tenus par le Dr. Neill (Cream) au sujet de l’Éventreur:

Ses meurtres spectaculaires, où l’horreur prenait valeur de symbole, ont réussi à ouvrir les yeux de l’opinion publique sur l’indicible misère de ces créatures [prostituées]. C’est là son mérite essentiel. […] [L’]Éventreur fait prendre conscience à la bourgeoisie repue de l’enfer qui bouillonne à sa porte! [Réouven: 719-720] 

Or, le monstre, comme symbole, porte tous ces signes. Il évoque le rite de passage, de régénérescence: il faut dévorer le vieux pour donner du nouveau. La monstruosité –voire l’horreur des meurtres de Jack l’Éventreur– est une révolution, une «transformation radicale de l’homme, pour le rendre apte à vivre dans un monde nouveau» [Chevalier, 1982: 644-645], dans un nouveau siècle, pour reprendre cette phrase prêtée à Jack l’Éventreur par les studios d’Hollywood: «People will look back and I say I gave birth to the twentieth century» [Hughes, 2001]. Le monstre rappelle aussi la lutte constante entre l’homme et ses démons. «Aussi, chaque homme comporte-t-il son propre monstre, avec lequel il doit constamment lutter» [Chevalier: 645], maxime exploitée par Réouven, mais aussi, avant lui, par Stevenson. L’homme vit en rapports étroits avec son double opposé ou tout simplement avec un double aux instincts magnifiés, amplifiés. Cette coexistence crée un conflit intérieur et personnel dans la compréhension du monde extérieur qui se trouve, par les yeux du double, déformé. D’ailleurs, cette lutte constante, dont la victoire de l’homme sur ses démons est souvent impossible, se conclut habituellement, dans les écrits littéraires, par une destruction des deux esprits –le protagoniste et sa Némésis interne– dans un geste de sacrifice du protagoniste lui-même. Le monstre est aussi la «forme hideuse d’un désir perverti» [Chevalier: 645], comme l’exprime Fanny Stevenson dans sa tirade citée plus haut.

D’autre part, René Réouven exploite le point aveugle des récits de Sherlock Holmes en faisant de Joseph Bell, inspiration avouée du personnage de Sherlock Holmes, l’Éventreur de l’East End. Réouven fait d’ailleurs du clin d’œil au silence littéraire de Conan Doyle à propos des meurtres de Whitechapel. Quant à Conan Doyle, qui possédait pourtant là un sujet en or, il s’est bien gardé d’imaginer une rencontre entre son super-détective et ce super-meurtrier qu’était l’Éventreur. Parbleu! Il a craint que sa clientèle ne s’en offusque: il aurait bien fallu évoquer le monde de la prostitution. [Réouven: 720]

Plaçant ces mots dans la bouche de Neill, connu comme un personnage excentrique, Réouven insère un discours social dans une époque victorienne plutôt dissimulatrice de ses maux. En effet, Neill souligne le fait que plusieurs auteurs populaires de l’époque passaient sous silence les conditions déplorables des bas-fonds de Londres et de la prostitution. Dans le cas de Conan Doyle, comme le dit Claude Caron, l’auteur du cycle holmésien véhicule à travers ses nouvelles une idéologie impérialiste et «son regard est celui d’un homme pour qui les valeurs bourgeoises constituent le fondement de la société et sa meilleure chance de survie» [Caron: 3]. Il allait donc à contresens de présenter un monde de dépravation et de misère tel que celui de l’East End londonien.

Ceci introduit le deuxième agent intertextuel en cause dans la création du double Bell/L’Éventreur: le couple manichéen composé de Sherlock Holmes et du Professeur Moriarty, présenté dans l’épilogue comme miroir du premier couple. Alfred Wood, en expliquant à Conan Doyle le raisonnement qui le pousse à associer l’Éventreur à Bell, fait l’analogie entre les évènements –soit la réception d’une lettre de Stevenson accusant probablement la double personnalité de Bell– et la publication du Dernier problème.

À défaut de preuves, sir, les présomptions ne manquent pas. Énumérons-les. D’abord, vous n’avez jamais imaginé une rencontre entre Sherlock Holmes et Jack l’Éventreur. C’était pourtant un thème en or, bien fait pour tenter votre plume. Ensuite, toute votre correspondance avec Bell a été détruite… lors d’un accident (Wood avait délibérément insisté sur les derniers mots). Il y a enfin le fait que pour tuer Holmes, vous avez inventé le personnage de Moriarty, complètement inconnu jusqu’alors. Vous le faites littéralement surgir des ténèbres, déjà tout armé d’un grand passé criminel. Or, qui est Moriarty? Justement une intelligence prodigieuse vouée au mal comme celle d’Holmes est vouée au bien; un double noir d’Holmes, sa caricature inversée, sa face cachée. Ainsi que Jeckyll et Hyde, Holmes et Moriarty sont le même homme vu sous des éclairages différents, ce qui, par parenthèse, est tout à fait conforme à l’esprit du livre de Stevenson. D’ailleurs, comme Jeckyll et Hyde, ne meurent-ils pas ensemble, de façon plus que symbolique? [Réouven: 921]

Wood présente ainsi les doubles fondateurs de la révélation du nom de Jack l’Éventreur et de la relation schizophrénique des figures: l’homme possède deux visages. La mort d’un homme est le seul remède au mal qu’engendre son monstre intérieur. Klosowski, même délivré du manuscrit, continuera à tuer; il sera pendu, tout comme Cream. Holmes entraînera Moriarty dans le gouffre des chutes de Reichenbach, Jeckyll et Hyde mourront ensemble et la mort de Bell scellera le secret identitaire de l’Éventreur.

De plus, René Réouven construit sa fiction à partir de référents historiques sans cesse mis en regard de certains référents fictifs, de manière à créer un jeu de miroir. La postface de Réouven, pouvant sembler anodine, révèle la stratégie de l’auteur à vouloir ancrer son récit –qu’il avoue pourtant imaginaire– dans une optique où le pastiche ne sert qu’à créer un effet de réalisme. Cette postface, malgré l’aveu d’un texte fictif, fait presque état d’arguments d’autorité afin d’authentifier la fiction, à la manière des canards qui relataient des faits divers. En effet, comme Marianne Closson l’explique dans L’imaginaire démoniaque en France (1550-1650), les canardiers du XVIIe siècle utilisaient un procédé similaire afin d’authentifier leurs récits fictifs. Cette technique du canardier consistait à reprendre un arrêt judiciaire –le compte rendu d’un procès par exemple– qui ne disait presque rien, et à raconter une histoire avec des personnages basés sur l’acte juridique. Le jeu était alors de faire croire que l’arrêt qui avait inspiré le récit légitimait ce dernier. [Closson: 287-288] Réouven met en contexte fictif bon nombre de personnages réels: Wood fut le secrétaire de sir Arthur Conan Doyle, Cream était un suspect dans l’affaire des meurtres de Whitechapel et Joseph Bell était un éminent chirurgien de l’université d’Édimbourg. Réouven transforme aussi deux auteurs reconnus –Stevenson et Conan Doyle– en protagonistes de son récit.

Un autre point est digne de mention dans l’optique du jeu des miroirs: les personnages de Symeson et de Wood sont sans cesse comparés aux personnages nés de la plume de Conan Doyle. Neill Cream relève d’ailleurs dans la première partie du roman les ressemblances entre Wood et Watson et les coïncidences entre la rencontre de Wood et de Conan Doyle et les modifications apportées au personnage du Dr. Watson d’Une étude en rouge au Signe des quatre. Neill identifie alors Wood comme étant l’inspiration directe de Watson, tout comme Bell le fut pour Holmes. Ces ressemblances sont accentuées par l’apparition aux côtés de Wood de Symeson –pseudonyme de Bell– qui affiche les mêmes caractéristiques que Sherlock Holmes. Se cachant sous de multiples déguisements –dont celui d’un Symeson fictif– Bell se complait dans un spectacle de la pensée déductive afin d’impressionner Wood qui lui sert de contrepoids. Si Neill relève les similitudes entre Wood et Watson, Wood fera de semblables remarques à Symeson en le comparant à Holmes. Il est cocasse d’ailleurs que Réouven utilise ce procédé déjà utilisé par Conan Doyle –dans Une étude en rouge et dans La boite en carton– alors que Watson y compare Sherlock Holmes à Auguste Dupin, son ancêtre littéraire, le détective d’Edgar Allan Poe. Achevant la comparaison entre ses personnages et ceux de Conan Doyle, Réouven écrit: «Wood crut avoir compris. “J’ai bouleversé la hiérarchie de ses personnages, songea-t-il amèrement. Sherlock Holmes démasqué par Watson, voilà qui est contraire à l’esprit des choses et constitue une manière de sacrilège littéraire!”» [Réouven: 922-923]. Il va sans dire que ce constant jeu de miroir crée une symbiose des référents historiques et des référents littéraires, amplifiant cet effet d’authenticité du récit exprimé plus haut.

Élémentaire mon cher Holmes!, récit policier racontant, à rebours, le parcours d’un roman fantastique inédit de Robert Louis Stevenson, présente deux thématiques associées au double. Développant la lutte constante de plusieurs personnages –tous infectés par l’appel à la violence suscité par la lecture du manuscrit de Stevenson– contre une Némésis intériorisée de conception manichéenne, Réouven crée un jeu de miroir entre ses protagonistes et certains personnages de sources intertextuelles. D’ailleurs, le roman de Réouven mêle les multiples enquêtes policières à un contexte pouvant être perçu comme étant surnaturel –soit le pouvoir du livre damné sur ses lecteurs– phénomène propre au récit fantastique. Par ce mariage du genre policier et du genre fantastique, Réouven n’a-t-il pas tenté de réconcilier les frères jumeaux ennemis de la littérature du XIXsiècle qu’étaient ces deux types de fiction, opposés alors par leurs idéologies divergentes à l’égard du positivisme?

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

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Denis MELLIER (dir. publ.). 1999. Sherlock Holmes et le signe de la fiction. Fontenay/Saint-Cloud: ENS Éditions, 199 p.

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René RÉOUVEN. 2002. «Élémentaire mon cher Holmes!», Histoires secrètes de Sherlock Holmes: Celles que Watson a évoquées sans les raconter. Celles que Watson n’a jamais osé évoquer. Paris: Denoël: Folio Policier, p. 693-930

Yves REUTER. 2009. Le roman policier. Paris: Armand Colin, 128 p.

Richard SAINT-GELAIS. 2007. La fiction, suites et variations. Québec: Nota bene, 372 p.

 

FILMOGRAPHIE

 

Albert HUGHES et Allen HUGHES. 2001. From Hell. Etats-Unis, 122 min.