De la fourrure à la laine: symbolique du médium dans Rabbits Were Used to Prove d'AOo

Rabbits Were Used to Prove - AOO - 1999

De la fourrure à la laine: symbolique du médium dans Rabbits Were Used to Prove d'AOo

Soumis par Marianne Cloutier le 06/04/2012

 

Dans le cadre de cette présentation, Marianne Cloutier propose une brève analyse de Rabbits Were Used to Prove (1999) du duo français Art Orienté Objet, où le lapin -point central de l’oeuvre- opère un passage de l’esthétique à l’éthique qui permet de questionner les liens entre faits et imaginaire scientifiques, soulignant tout à la fois les rapports complexes que notre société entretient avec l’animal, figure par excellence de l’altérité.

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Marianne Cloutier - De la fourrure à la laine, par LaboratoireNT2

AOo, c’est Art Orienté Objet, un duo d’artistes français formé par Marion Laval Jeantet et Benoit Mangin. Depuis leurs débuts en 1991, ils ont travaillé autant l’installation, que la vidéo, la photo, la performance et le design d’objets semi-vivants par biais des biotechnologies. Leurs oeuvres traduisent un intérêt pour la biologie, l’écologie, l’éthologie et l’ethnologie,  le point nodal de leur travail étant l’étude des formes et des comportements du vivant. L’animal -figure par excellence de l’altérité- occupe depuis le début une place marquante au sein de leur imaginaire, devenant souvent une réflexion sur nos propres comportements et agissements.

Le choix du médium ou du média artistique n’est jamais innocent. Dans l’oeuvre que je vous présente aujourd’hui, la charge symbolique repose principalement sur la provenance et l’historique des matériaux qui la constituent. Le lapin naturalisé, figure centrale du projet Rabbits Were Used to Prove, rappelle l’art de la taxidermie où l’animal est présenté comme trophée. Mais contrairement aux sujets habituels, ici, la  position et la disposition ne miment pas la vie : le lapin a bel et bien été  « restauré mais non ressuscité.1» Dans son corps vidé, les organes ont été remplacés par d’autres, méticuleusement tricotés par les artistes. La fourrure et la laine appellent le toucher, mais la vitrine impose une distance au spectateur et rappelle l’étrangeté ou la « douce monstruosité2» de ce qui est donné à voir.
Le lapin, étendu sur le dos, organes gisants, n’est que réminiscence de son passé : la bête est en fait un « déchet » de laboratoire, récupéré par les artistes après avoir servi de cobaye scientifique. Le titre - Rabbits Were Used to Prove – rappelle que comme des milliers d’autres, il a été l’outil des laborantins, servant à démontrer, à prouver une théorie, à tester l’efficacité d’un traitement ou d’un produit. Cloué à sa planche, il devient figure christique, sacrifié pour la recherche et le bien de l’humanité... Quant à la laine utilisée pour reconstruire ses organes, elle provient de la célèbre Dolly, (non pas la star du country, mais celle du clonage reproductif). En galerie, la laine teinte et filée qui forme les organes s’évade de la cage de verre pour aller se rattacher aux murs, où elle se transforme en écritures,  traces des  utilisations passées et présentes des animaux en recherche : rats auxquels on a implanté des tumeurs cancéreuses, chimpanzés volontairement infectés par le VIH, etc. L’oeuvre est présentée en parallèle à une vidéo mi documentaire - mi-fiction intitulée Clonie, filmée à l’Institut Cochin de Génétique Moléculaire de Paris. Y interviennent le généticien et essayiste Axel Kahn, qui pose la complexité des expérimentations sur le clonage et ses applications, ainsi qu’une jeune laborantine confrontée par son travail à des questionnements existentiels. Art Orienté objet y propose un discours traduisant une fascination pour les manipulations génétiques - qui pourraient mener à un éventuel clonage humain -  et laisse la parole au public qui y est interrogé (et dont les réactions sont vivement négatives).

Le dispositif de Rabbits Were Used to Prove, permet un passage du poétique au politique, de l’esthétique à l’éthique, qui cherche clairement à susciter une prise de conscience individuelle et une réflexion sur l’expérimentation scientifique. Tout est mis en place pour provoquer l’empathie du spectateur envers l’animal et questionner nos rapports à cet Autre. Comme le poursuivra Eduardo Kac à peine un ans après avec les polémiques déclenchées par Alba (qu’Éric Lint vous présentera tout de suite après) Art Orienté objet pose déjà ici la question des futurs possibles des biotechnologies et des types d’interactions que nous entretiendrons avec ces êtres liminaux et inusités créés par les technosciences.

  • 1. Juliana Engberg citée dans Marion Laval-Jeantet et Benoit Mangin. 2003. Art Orienté objet 1991-2002. Paris : CQFD, p. 145.
  • 2. Ibid.