De la fanfiction au dildo: les cinquante produits dérivés de Christian Grey

De la fanfiction au dildo: les cinquante produits dérivés de Christian Grey

Soumis par Stéphanie Roussel et Megan Bédard le 09/02/2015
Catégories: Erotisme, Littérature

 

Alors que la trilogie d'Erika Leonard James, dont Cinquante Nuances de Grey est le premier volet, a battu des records de vente dès sa publication1, d'aucuns se demandent la source d'un si grand succès; certains allant même jusqu'à octroyer à Anastasia Steele le titre de la pire narratrice de l'histoire de la littérature. Trop vulgaires, trop insipides, trop sentimentaux ou trop stéréotypés: peu de chroniqueurs ou d'analystes ont vanté les qualités littéraires de ces romans. Il semble pourtant qu'ils soient à l'origine de l'expansion commerciale d'un nouveau genre littéraire, le «mommy porn». Depuis la parution du premier volet de la trilogie, les publications érotico-sentimentales s'entassent dans les rayons des librairies (et en sortent – fait rare dans le monde littéraire actuel) 2.

La popularité de ces nouveaux récits, dont l'hybridation générique semble nouvelle, est encouragée par une mise en marché de l'identité érotique des œuvres littéraires (ce qui par conséquent laisse dans l'ombre un pan tout aussi essentiel pour analyser le texte d'Erika Leonard James). L'analyse narratologique peut nous permettre de faire ressortir de quelle façon s'articule les récurrentes génériques des récits érotiques et sentimentaux à l'intérieur d'une même œuvre. Il serait alors possible de dégager comment s'opère la transformation du texte (para)littéraire en fable consumériste qui raconte la métamorphose des personnages en objets de consommation ou en consommateur.

D'autre part, ce n'est plus un secret: la précarité financière régnant dans le domaine du livre– conséquence de sa marchandisation− pousse une grande partie des éditeurs et des libraires à privilégier la recherche des succès commerciaux3. Ceux-ci développent différentes stratégies afin de capter rapidement l’attention d’un lectorat large et diversifié, notamment par l'intermédiaire des médias populaires. Pour qu'un livre puisse devenir un best-seller, il faut qu'on l'ait initialement distingué des lots de nouveautés. Nous semblons toutefois avoir franchi un nouveau cap dans la marchandisation du livre avec un phénomène culturel comme Cinquante Nuances de Grey. La concentration de l'attention sur un même produit littéraire, soit la trilogie d'Erika Leonard James, dépasserait la traditionnelle recherche de profits générés par sa vente, son succès financier étant garant d'une autre valeur commerciale, celle d'être une surface publicitaire efficace. La valorisation de l'expérimentation sexuelle au sein du couple hétéronormatif par Cinquante Nuances de Grey participe de diverses stratégies commerciales, dont la mise en marché de produits dérivés.

Nous tenterons donc de dégager comment la trilogie, autant sur le plan narratif que commercial, établit des liens entre société de consommation et sexualité. Les personnages de la trilogie se divisant selon une dichotomie qui place, d'un côté, les personnages-objets s'opposant aux personnages consommateurs, c'est en analysant l'interaction et l'évolution de la relation entre ces personnages (plus précisément entre Anastasia et Christian) que nous pourrons mettre en lumière comment sexualité et consommation sont intrinsèquement liées tout au long des récits. En dégageant les constantes narratologiques génériques des Cinquante Nuances de Grey, nous tenterons quelques hypothèses sur les raisons de son succès sur le plan commercial. L'hybridation érotico-sentimentale, dont la caractéristique la plus évidente est une double initiation des personnages, valoriserait en ce sens l'expérimentation sexuelle au sein du couple hétéronormatif en vue d'une mise en marché de produits dérivés.

 

Fusion-acquisition: la formation du couple par l'alliance érotico-consumériste

Dans Cinquante Nuances de Grey, relation sexuelle et consommation vont de pair. Ce duo est inséparable, autant à travers les champs lexicaux (de l'érotisme et de l'industrie) qu'au sein du développement narratif du roman d'Erika Leonard James. Le sexe s'y propose comme une entreprise, gérée évidemment par le self-made-man millionnaire Christian Grey. L'on y consomme des objets et des êtres qui deviendront, à travers un processus d'association lexical, eux aussi des objets. S'y divisent de cette manière ce que nous avons identifié comme étant deux types de personnages distincts: les personnages-consommateurs et les personnages-objets (qui sont, soit dit en passant, toujours féminins). Les deuxièmes sont produites en série tels des androïdes au physique semblable: les blondes anonymes qui travaillent pour Christian Grey se voient octroyer des numéros par Anastasia Steele, la narratrice, alors que les amantes de Grey sont toutes brunes et soumises. Ana appartient en partie à cette catégorie d'objets consommés par le principal personnage-consommateur, Grey4. Il affirme son identité de consommateur dès le début du roman lorsqu'il dit: «Je n'ai pas de philosophie en tant que telle. Peut-être un principe directeur, celui de Carnegie: “'Tout homme qui acquiert la capacité de prendre pleine possession de son propre esprit peut prendre possession de tout ce à quoi il estime avoir droit.”'5» Il acquiesce lorsqu'Ana lui demande si «cela [fait de lui] un consommateur compulsif6.» En plus, la polysémie du terme «possession», qui signifie à la fois une possession matérielle et, majoritairement dans les textes littéraires (érotiques), l'accomplissement de l'acte sexuel, est un exemple du rapprochement lexical entre la sexualité et l'industrie.

La prise de possession de ces personnages-objets, notamment par la signature d'un contrat – document reproduit au onzième chapitre –, place sans équivoque la relation sexuelle (élément parmi d'autres puisque le contrat spécifie aussi des ententes au sujet de la nutrition, de l'hygiène, des clauses de confidentialité, etc.) sous le signe de l'industrie. «Il parle de cette histoire comme s'il s'agissait d'une opération de fusion-acquisition. Je ne suis pas une entreprise, merde7!» Le terme de «fusion-acquisition», qui revient à deux autres reprises dans le texte pour parler de la relation entre les deux protagonistes, fait encore une fois référence entre cette alliance érotico-consumériste. La fusion érotique des êtres dans la relation sexuelle est liée à une fusion industrielle8 par la signature d'un contrat, auxquelles s'ajoute l'acquisition des êtres par la soumission aux exigences du même contrat. De cette façon, Ana devient un objet de consommation qui s'acquiert à travers la relation sexuelle contractuelle. À cela s'ajoute l'idée que la sexualité sadomasochiste en elle même invite à la consommation: Grey possède une «salle de jeux» pleine de cordes, cravaches et sex toys en tout genre. La sexualité de Grey est, de cette façon, essentiellement consumériste en plus de prostituer Ana, d'une certaine manière, en lui offrant des cadeaux dans le but d'obtenir une sexualité qui lui est satisfaisante: «Une voiture, un téléphone, un ordinateur... une nouvelle garde-robe, et puis quoi encore? Un appart, et je serai vraiment sa poule en bonne et due forme. Pute9 En désirant la transformer comme il le désire, il s'agit moins d'une prostitution de son corps que de son «identité» de consommatrice.

Jean Baudrillard, dans son ouvrage De la Séduction, oppose la production associée au masculin et à la pornographie – au «plus vrai que vrai9» –, à la séduction, quant à elle, associée au féminin et à l'érotisme – au simulacre et à la «manipulation des signes sexuels10». La place prédominante accordée aux vêtements dans Cinquante Nuances de Grey est symptomatique de l'alliance entre sexualité et consommation puisque le vêtement devient objet de séduction. Il cache les corps et permet de rythmer les ébats sexuels (durant la première scène, le déshabillage des protagonistes est décrit sur quatre pages): «Il retire mon autre chaussure et ma chaussette, puis se lève et me dépouille complètement de mon jean avant de me détailler, allongée sur son lit en soutien-gorge et en petite culotte11.» La relation sexuelle, qu'elle soit de nature tendre («sexe-vanille» selon l'expression de Christian Grey) ou sadomasochiste, est ritualisée par des objets de consommation, par les vêtements ou les sex toys. Thierry Hoquet12 soutient en ce sens que «le SM, le bondage, par leurs aspects ritualisés, par l’établissement d’une règle arbitraire, se rangent dans ce qu’on peut appeler, toujours d’après Baudrillard qui a Sade en tête, «la perversion» ou la séduction, plutôt que le sexe13.» Dans les séances sadomasochistes, le vêtement devient un accessoire: Christian Grey utilise par exemple le chandail d'Ana pour lui bander les yeux, et sa cravate argentée devient un symbole de leur désir et de leur rôle sexuel. Pièce vestimentaire se rapportant à l'homme d'affaires, la cravate en soie (qui figure aussi sur la couverture du premier tome de la trilogie) sert à immobiliser Ana dans les jeux sexuels14. De cette manière, la sexualité et l'industrie sont, en plus d'être liés au plan lexical, associés à travers les objets de consommation eux-mêmes qui, comme un terme polysémique, s'emploient de plusieurs manières.

Il s'agirait alors moins de pornographie, au sens où Baudrillard la définit, que d'un érotisme qui se ritualise par une consommation (des êtres et des objets). Parallèlement, le vêtement ponctue l'évolution sexuelle de la narratrice: elle troque ses jeans15 et sa garde-robe achetée au Wal-Mart et au Old Navy pour des robes, des minijupes et des talons hauts. Ces changements vestimentaires, en plus de stéréotyper la féminité, suggèrent sa volonté nouvelle d'être attirante, de contrôler le regard de l'autre et en particulier de l'homme (si l'on considère la logique hétéronormative qui domine le récit et valorise la formation d'un couple productif, nous y reviendrons). C'est là tout le paradoxe du roman: Ana se soumet aux fantasmes de Grey afin de le posséder dans l'amour. Ce tour de force est rendu possible notamment par l'hybridation de deux formes narratives dont la tradition et l'héritage s'ancrent dans la culture de masse bien avant le dix-neuvième siècle.

 

Initiation(s) bigénérique(s): l'érotico-sentimental comme moteur narratif antiérotique

Le caractère initiatique de Cinquante Nuances de Grey, joint à l'entreprise de séduction, peut nous amener à croire qu'il s'agit d'un récit érotique, tel que Dominique Maingueneau le définit dans La Littérature pornographique: «Ce schéma élémentaire peut correspondre à deux cas de figure distincts: d'une part les initiations où l'acteur passe de l'ignorance à une activité sexuelle complète, d'autre part celles où le héros passe d'une activité sexuelle décevante à une activité épanouie16.» Nous assistons bien, à travers la narration autodiégétique, à l'initiation sexuelle d'Ana, non seulement vers une sexualité «complète» et «épanouie», mais aussi vers une sexualité qu'on pourrait qualifier de «marginale», c'est-à-dire le sadomasochisme. Sa virginité initiale et l'absence totale de désir sexuel précédant la rencontre avec Christian (ce qui nous vaudra quelques commentaires dignes d'une adolescente qui expérimente la puberté et se pose des questions sur «ce qui se passe dans son corps»). À la manière de nombreuses héroïnes de roman érotiques comme l'Eugénie de La Philosophie dans le boudoir du Marquis de Sade, Ana passera du statut de fille virginale sans désir à une femme ouverte à plusieurs formes de sexualité (dont le BDSM, quoique peu abordé en comparaison de son apologie publicitaire). L'apparition d'une instance narrative qui rédige ses commentaires en italique au fil de la narration intérieure d'Ana, c'est-à-dire la «déesse intérieure», est symptomatique de l'accomplissement de cette initiation sexuelle. La Déesse Intérieure, à la manière d'un petit démon (ou d'un petit ange?) métaphorique juché sur l'épaule de la narratrice, pousse Ana à succomber à ses désirs pour Christian tout en exprimant (d'une manière complètement farfelue, soit dit en passant) par des danses exotiques (salsa, samba et merengue sont à l'honneur) l'excitation sexuelle de la protagoniste.

Or, une fois la narratrice ainsi initiée, une perversion du schéma narratif érotique classique s'opère au fil de l'évolution du récit. Ni roman érotique ni roman sentimental, Cinquante Nuances de Grey joue sur cette hybridation générique, construisant de cette façon une double initiation qui est, dans un premier temps, typiquement érotique et, dans un second temps, antiérotique ou sentimental. Dans un ouvrage intitulé La Relation Amoureuse: Analyse sociologique du roman sentimental moderne, Bruno Péquignot décortique les composantes formelles et narratives du roman sentimental, du type Harlequin, dans lequel il relève certaines récurrences à travers les époques: la présence d'un tiers17, une amie par exemple, l'évocation du passé des personnages composé de «fantômes que le nouvel amour va devoir balayer (ce qui sera plus ou moins facile) pour pouvoir s'épanouir18», le mariage ou la promesse de mariage19. C'est notamment par l'intermédiaire d'un tiers que la rencontre, moment crucial du récit20, s'opère et ce, par l'absence du personnage de l'«amie». En effet, c'est parce que son amie Katherine Kavanagh ne pouvait interviewer le fameux Christian Grey qu'Ana, qui la remplaçait, a pu le rencontrer. L'autre composante du roman sentimental présente dans la trilogie est, curieusement, ce qui sert à l'initiation érotique d'Ana, c'est-à-dire l'expérience sexuelle de Christian21. L'homme aux multiples amantes et à la sexualité peu commune, après avoir ouvert sa protégée à la vie érotique, devra dans les Cinquante Nuances quitter son ancienne vie afin de devenir un mari aimant à la fin de la trilogie. Nous voyons donc que le roman d'Erika Leonard James correspond autant à ces composantes narratives qu'à celles du roman érotique22. À cela s'ajoute une autre composante essentielle qui permet l'hybridation générique du roman, c'est-à-dire des descriptions de rapports sexuels qui y occupent une place tout aussi importante que la construction de la sphère amoureuse.

Le récit alterne ce que Maingueneau nomme les «scènes», c'est-à-dire le moment «[e]ntre la mise en présence des partenaires sexuels et l'orgasme23» masculin (puisqu'Ana, en tant que bonne protagoniste de roman érotique peut jouir à répétition), et le récit sentimental. En d'autres termes, les «scènes» érotiques sont encadrées par le récit sentimental, ce dernier acquérant une importance que le récit érotique classique n'a pas. Dans le roman érotique, «[l]'économie du récit est en effet minée par la primauté accordée aux scènes. Les péripéties de l'intrigue ne sont qu'un prétexte pour introduire ces scènes que le lecteur est en droit d'attendre24Cinquante Nuances de Grey ne correspond pas tout à fait à ce schéma narratif, puisqu'une intrigue amoureuse se développe dans ces moments de pauses aménagées pour le lecteur du récit érotique, rejoignant ainsi le genre sentimental. Péquignot explique que «[l]e roman sentimental commence où s'achève le roman libertin, l'un est une initiation féminine pour l'essentiel […], l'autre est exclusivement masculine25.» C'est par cette initiation sentimentale qu'Ana, véritable sujet du roman, puisqu'elle en est la narratrice, peut s'extraire de son statut de personnage-objet consommé par Grey. L'initiation sentimentale de l'homme devient alors antiérotique: Christian Grey est amené à passer d'une pratique sexuelle «libertine» à des rapports sexuels plus «normaux» tels que vécus au sein du couple hétéronormatif. Au désir sadique initial du personnage se substituera un désir amoureux envers l'héroïne. Selon Péquignot,

dans le roman sentimental, le parcours libertin est supposé passé et n'y est présent que sous forme de restes (pour le héros toutes les femmes sont frivoles comme celle qu'il a connue dans ce parcours justement […]), mais ici vécu et décrit par l'héroïne qui justement devra imposer à son partenaire une contre-initiation le faisant passer de cette position de mépris à une position de respect et d'amour10.

Si les tendances sadomasochistes de Grey apparaissent comme une déviance mentale, symptôme d'un traumatisme juvénile, il reste nécessaire de l'en guérir pour que le couple puisse se former. À la toute fin de la trilogie s'insère un passage où l'on peut relire la première rencontre des protagonistes à travers les yeux de Grey qui a déjà envie de «la tirer de son siège pour la mettre à plat ventre sur mes cuisses et lui flanquer une bonne fessée, avant de lui attacher les mains derrière le dos pour la baiser sur [son] bureau26.» Christian Grey est alors à la recherche d'une nouvelle «soumise» et souhaite imposer ce rôle à la narratrice par l'initiation érotique. Le pouvoir magique de l'amour virginal d'Ana lui permet toutefois à la fois d'affirmer son identité et de «guérir» Christian Grey de ces pulsions sadiques et dominatrices.

Dans le même ordre d'idée, Gilles Lipovetsky conçoit la relation amoureuse au sein de l'hypermodernité comme étant ce qui

permet de réaliser l'une des aspirations les plus profondes des êtres: être reconnu comme une subjectivité inéchangeable. […] Bonheur d'être distingué, désiré, adoré pour soi-même: si l'expérience amoureuse bénéficie toujours d'une telle aura c'est qu'elle est inséparable des charmes du miroir narcissique, qu'elle flatte l'Ego de chacun, valorisé ou espérant être valorisé en tant que personne singulière. En vigueur chez les hommes comme chez les femmes, cette attente prend un relief plus marqué chez celles-ci, lesquelles ont particulièrement à cœur de ne pas faire figure d'objets sexuels interchangeables27.

C'est là la quête d'Ana: une quête de reconnaissance et d'affirmation de soi en vue de s'émanciper du statut de personnage-objet dans lequel Grey tente de la confiner. D'abord objectivée lors de sa défloraison et de ses premiers rapports sexuels, elle réussit ensuite, grâce au sentiment amoureux, à s'élever au statut de personnage-consommateur. De cette façon, toujours selon Péquignot, «le roman sentimental serait alors la mise en scène des représentations collectives du désir et de l'amour, inscrite dans une répétition (qui n'est pas qu'industrielle); c'est le lieu particulier de l'exhibition et de la production d'un sujet “énamouré”28.» Dans Cinquante Nuances de Grey, le récit sentimental l'emporte ultimement au plan narratif sur le récit érotique, puisque le roman s'achève sur un mariage et une vie de famille. Du reste, la scène érotique de l'épilogue montre que sur le plan sexuel, les personnages établissent un compromis entre sadomasochisme et tendresse amoureuse. Le public cible du roman étant principalement féminin, il est logique qu'il adhère facilement, par identification, à cette conclusion sentimentale.

 

Jouir à l'ère de la marchandisation sexuelle

Or, la campagne de marketing a, quant à elle, davantage centré son attention sur l'érotisme du texte et particulièrement sur la sexualité sadomasochiste29 qui est considérée dans le schéma initiatique sentimental comme une sexualité déviante. Nous pourrions en conclure que l'aspect érotique de Cinquante Nuances de Grey sert à attirer l'attention du plus grand nombre dans l'arène médiatique tandis que le scénario du roman sentimental vise à capter l'attention du lectorat une fois le roman ouvert. Ce serait sans doute une conclusion juste, mais partielle. Les romans d'Erika Leonard James semblent bien davantage instrumentaliser les désirs engendrés par l'hybridation érotico-sentimentale dans le but de transformer le roman en tant que produit (ou œuvre littéraire) indépendant en une vitrine publicitaire. Ils ne se réduiraient pas à une simple histoire à succès, mais participeraient d'un marketing expérientiel régi par un désir de jouissance et de divertissement.

La publicité produite par Amazon pour mousser la vente de la version électronique de Cinquante Nuances de Grey explicite bien ce phénomène30. Le lecteur modèle présenté est une femme, mère de famille, issue de la classe moyenne. Sa famille souhaite lui faire plaisir en lui offrant  par surprise  divers produits ménagers ou de soins de beauté. Elle la surprend cependant dans des circonstances qui ne sont pas celles échues à la mère traditionnelle: la lectrice est au lit, dans le bain ou dans la salle de lavage en train d'avoir du plaisir sexuel. Les activités prévisionnelles associées habituellement à la lecture de best-sellers, comme le bain, subissent un déplacement: l'évasion du quotidien et du monde du travail, recherchée à travers ce type de lecture, n'est plus seulement liée à la détente, mais bien à la jouissance. De même, les produits de consommation de la femme au foyer sont récupérés à des fins sexuelles (gant de vaisselle, sécheuse), c'est-à-dire que le quotidien de la mère stéréotypée est, dans cette publicité, érotisé. La lecture de Cinquante Nuances de Grey s'accompagne d'autres objets qui permettent l'achèvement du plaisir  et, plus encore, participe à la commercialisation du livre électronique, puisque celui-ci permet de concilier la vie familiale et les plaisirs «interdits»: les enfants ne peuvent dès lors plus savoir la nature des lectures maternelles. L'achat ne mène, ici, plus à une reconnaissance sociale  comme c'était le cas pour l'automobile, par exemple,  mais à un plaisir personnel.

Selon Gilles Lipovetsky, l'achat n'a plus la même valeur sociale que dans les années soixante-dix,

[…] l'heure est [plutôt] à la théâtralisation des points de vente, aux animations diverses, au «markéting expérientiel» ayant pour but de créer une ambiance de convivialité et de désirs, d'introduire du plaisir dans la fréquentation des lieux de vente. Tandis que les experts anglo-saxons parlent de fun shopping, les centres commerciaux et les magasins nouvelle tendance se proposent de «réenchanter» les gestes et les lieux d'achat, de «transformer les zones de temps contraint en zones de plaisir31.

Le produit ne doit plus seulement permettre une distinction sociale, il doit être présenté dans un environnement propice à créer l'envie chez le consommateur, à le mettre dans de bonnes dispositions de réception. Patrick Le Lay, ancien président-directeur général de TF1, entend, en ce sens, la télévision comme un intermédiaire entre la publicité et le consommateur: «Nos émissions ont pour vocation de [...] rendre [le cerveau du téléspectateur] disponible: c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible32.» Penser les modalités de captation de l'attention du potentiel consommateur est partie prenante de la commercialisation d'un produit33. La franchise Cinquante Nuances de Grey prolonge cette logique en offrant des romans qui prennent la forme d'objets consommés et d'une proposition à consommer; ils sont divertissement et publicité. L'attention qui y est investie est à la fois volontaire, captive et attractive33: le lecteur a choisi de consommer Cinquante Nuances de Grey (attention volontaire), mais sa lecture lui impose l'énumération des qualités de différents produits (attention captive) qui lui promettent des plaisirs majoritairement érotiques (attention attractive).

Depuis la libération sexuelle des corps et grâce au développement des technologies d'information et de communication, les images pornographiques sont de plus en plus accessibles, à toute heure du jour et de la nuit, et elles sont aussi toujours plus hard34 35. Les possibilités offertes par l'industrie du sexe apparaissent nombreuses et originales. Malgré cela, les pratiques sexuelles au sein des couples restent conventionnelles, voire négligées:

Les faits sont éloquents. La fréquence des rapports sexuels a peu changé depuis le début des années 1970, les couples qui ont plus de cinq ans d'ancienneté déclar[e]nt une dizaine de rapports mensuels. Et le temps qui leur ait consacré – autour de vingt-cinq minutes en moyenne; entre cinq et dix minutes pour 25 % des couples […]36.

Les gens préfèrent généralement la proximité émotionnelle aux one-nights. De même, le boucan entourant l'hypersexualisation des adolescents, suggérant des conduites sexuelles débridées en bas âge, est plus alarmiste que fondé: on ne recense ni exacerbation des activités sexuelles ni diminution significative de l'âge du premier rapport sexuel ces dernières années, du moins au Québec et au Canada37.

Ce que l'iconosphère de la pornographie propose ne correspond pas à la vie quotidienne de tout un chacun: «Dans une société qui ne cesse de rendre un culte à l'idéal amoureux et dans laquelle la “vraie vieˮ est associée à ce que l'on goûte à deux, la relation stable et exclusive constitue toujours une fin idéale38.» Les couples sont ainsi très peu touchés par l'industrie du sexe, préférant l'amour et la stabilité au libertinage, ce qui explique que les livres plus transgressifs et pornographiques ne soient en règle générale pas des succès commerciaux; les lecteurs ne réussissent pas à s'identifier à ce genre de sexualité mécanique et sans dimension affective. Si «l'érotisme est un mode de représentation de la sexualité compatible, dans certaines limites, avec les valeurs que revendique la société[,] [...][c]e n'est pas le cas de la pornographie, qui ne masque pas ses tendances sexuelles agressives39». Le caractère érotico-sentimental de Cinquante Nuances de Grey, en faisant correspondre l'exploration sexuelle – évidemment, sans que les transgressions soient outrageantes –à l'idéal amoureux, invite le destinataire à réinterpréter sa sexualité dans un nouveau cadre: le roman abolit la dichotomie entre recherche de nouvelles expériences sexuelles et couple stable.

Le sexe se rapporte, dans Cinquante Nuances de Grey, à une économie de marché, dominée évidemment par le self-made-man millionnaire Christian Grey, en ce qu'il met en scène la consommation d'objets et d'êtres humains, comme nous l'avons vu en première partie. Les deux personnages se découvrent et s'allient dans la consommation d'objets: menottes, cravates, thés noirs, boules de geisha, bons vins, voiture sécuritaire, jolies robes moulantes et talons hauts.

La marque, qui sert de faire-valoir à la richesse et à la position sociale de Grey, est omniprésente tout au long de la trilogie. Christian Grey offre à Anastasia de multiples cadeaux, allant de produits Apple, dont le design et les propriétés technologiques sont célébrés, à une voiture de marque Audi, dont les qualités sécuritaires sont inégalables (et la banquette arrière propice à faire l'amour). Chaque produit consommé par les personnages est décortiqué selon ses mérites et ses attributs. Tous les éléments du livre peuvent de cette façon être récupérés commercialement, et ce phénomène va jusqu'à la production d'une compilation musicale des différents morceaux cités. Plus encore, et aussi plus efficacement, le «mommy porn» promeut l'industrie du sexe à une part de marché qui était jusqu'alors encore peu encline à consommer ses produits. Pour Marie-Anne Paveau, «à la curiosité envers des pratiques en général dissimulées et confidentielles, s'ajoute pour les lecteurs l'intérêt de cette normalisation, qui peut autoriser leur propre pratique d'une sexualité “épicée”40». Le roman bascule alors du statut de produit de consommation à celui de publicité vendue (!).

 

Le roman comme publicité: des origines (para)littéraires pour un succès commercial

Le succès de la trilogie d'Erika Leonard James n'est pas dû au hasard: il a été programmé commercialement. Cinquante Nuances de Grey est initialement une fanfiction du succès littéraire mondial Twilight et s'inscrit, de ce fait, dès sa conception, dans la logique du best-seller. Ce roman nait d'un refus de clôturer l'espace littéraire –dans le cas présent, l'univers de Bella et d'Edward. L'attachement émotionnel (ou l'adhésion) à l'univers de Twilight, tout comme la frustration due à l'inactivation de son potentiel érotique41, trouve sa satisfaction dans son prolongement littéraire. La création d'un nouveau produit réactive le plaisir en comblant une partie des fantasmes inassouvis. Alors que la fanfiction peut être considérée comme un genre web littéraire depuis quelques années, la publication de Cinquante Nuances de Grey vient commercialiser cette pratique, développant par la même occasion de nouvelles stratégies publicitaires, où les fantasmes jamais totalement comblés42 commandent toujours la consommation de nouveaux produits: seulement en terme de littérature, les publications inspirées de Cinquante Nuances de Grey ne cessent de se multiplier: 80 Notes de jaune, 100 Facettes de M. Diamonds, 50 Nuances de Mr Darcy, 50 Nuances de Gay, etc.

Dans Cinquante Nuances de Grey, la psychologie des personnages est très peu développée43. Tout comme pour leur apparence physique, le roman s'en tient aux quelques informations essentielles au déroulement du récit44. Les personnages tiennent lieu de surfaces de projection, ou de figures, servant l'ancrage du destinataire dans le schéma narratif. Par leur intermédiaire, le lecteur accède à l'univers érotique sadomasochiste, tout en étant réconforté par la sphère sentimentale45. La romance (et sa fabula préfabriquée46) sert alors de voie d'accès à une sexualité plus «débridée», et cette logique rejoint celle de l'hyperconsommation au sens où elle consiste, pour Lipovetsky, en «la mobilisation de la banalité marchande, en vue de l'intensité vécue et de la nouveauté émotionnelle47». Anastasia est attirée par les propositions dites – à l'intérieur du roman – perverses de Grey, mais elle appréhende l'inconnu, à l'instar du public cible de la trilogie d'Erika Leonard James. Le personnage masculin rassure alors Anastasia, lui expliquant les potentialités de jouissance et de plaisir inhérentes à cette initiation sexuelle:

- Pour le fisting, d'accord, on laisse tomber. En revanche, j'aimerais vraiment t'enculer, Anastasia. Mais ça peut attendre. En plus, ça ne s'improvise pas, ricane-t-il. Ton cul doit être préparé.
- Préparé?
- Oh oui. Soigneusement. Crois-moi, la pénétration anale peut être très agréable. Mais si on essaie et que tu n'aimes pas ça, on ne le refera pas48.
 

Ces précisions ne prennent cependant de la valeur pour Anastasia que lorsqu'elle est convaincue de la sincérité des sentiments de Grey. Elle refuse que cette domination sexuelle soit synonyme de mépris; elle rejette par conséquent le statut de personnage-objet. Pour que l'exploration sexuelle puisse avoir lieu, elle doit être accompagnée d'une valorisation des partenaires à l'intérieur d'une relation amoureuse hétéronormative.

À l'instar de la publicité soft-porn (Calvin Klein et American Apparel en sont des exemples) le texte présente des figures idéales à réinvestir dans l'achat49. La publicité s'appuie sur une sémiologie et une rhétorique, tout en visant l'adhésion à ce qu'elle propose de la part de ses destinataires. Certains genres littéraires – le roman à thèse, par exemple – travaillent aussi ce processus d'adhésion, et ce, très efficacement puisque le lecteur entretient une relation de longue durée avec l’œuvre, qu'il s'immerge dans son histoire et qu'il s'identifie (très souvent) à ses personnages-figures50. C'est en grande partie le caractère superficiel des livres de James qui permet l'identification du plus grand nombre à la sexualité, quoiqu’«anormale», d'Anastasia et de Grey.

Christian Grey est viril, séduisant et mystérieux. Il est riche et confiant, et tout son corps appelle au plaisir sexuel – par contre, il y a toujours une retenue dans ses gestes, il ne s'abandonne pas à ses fantasmes les plus pervers. Anastasia Steele, pour sa part, est belle, jeune, et son rapport à la sexualité est loin d'être vulgaire; au contraire, elle trouve les épanchements amoureux de son amie Katherine Kavanagh trop publics et obscènes. Figure érotisée plutôt que pornographique, son caractère effacé rappelle

le corps des mannequins [qui] n'est plus objet de désir, mais objet fonctionnel, forum de signes où la mode et l'érotique se mêlent. Ce n'est plus une synthèse de gestes, même si la photographie de mode déploie tout son art à recréer du gestuel et du naturel par un processus de simulation, ce n'est plus à proprement parler un corps, mais une forme51.

Les personnages deviennent des formes exemplaires et, puisque les scènes ne basculent jamais explicitement dans le pornographique52, en d'autres mots puisqu'elles ne font que suggérer le plaisir sexuel, appelant ainsi à la masturbation (sans toutefois permettre elles-mêmes son terme), les désirs de chacun peuvent s'y greffer sans contraintes53. Cette trilogie propose des virtualités érotiques à actualiser à l'extérieur du texte: elle devient une promesse de coït après des pages de stimulation et d'excitation, qui pourra être comblée par le geste de l'achat.

Le couple consommation-sexualité s'articule sur trois niveaux qui sont le texte, l'objet et le paratexte (ce dernier niveau incluant les produits dérivés et les fanfictions). Le sexe consommé inscrit les personnages dans une logique marchande: Christian Grey tente de restreindre Anastasia au seul statut de produit de consommation – phénomène qui serait possible à travers l'initiation sexuelle typique au récit érotique –, mais celle-ci cherche à s'émanciper et à s'affirmer en tant qu'être unique au cours de sa seconde initiation sentimentale, comme nous l'avons vu en deuxième partie. C'est, en partie, l'alternance entre ces deux schémas initiatiques, sexuel et amoureux, qui soutient l'articulation des conventions génériques à la base du succès commercial de Cinquante Nuances de Grey. Alors que le destinataire s'amourache des personnages et de leur romance «épicée» durant la lecture, il est initialement attiré par tout le boucan commercial autour du caractère érotique et sadomasochiste du roman. Le livre en tant qu'objet s'inscrit dans une logique marchande, et sa popularité est le résultat d'un travail de communication et de marketing. La trilogie d'Erika Leonard James contribue à l'expansion du genre hybride de la romance érotique tout en étant une vitrine publicitaire pour toutes les marques énumérées et commentées par les personnages et pour la production de produits dérivés.

L'ambivalence générique du récit vient réconcilier l'opposition éternelle entre amour et sexe, et ce compromis érotico-sentimental a favorisé, voire assuré, le succès de la trilogie. Les relations sexuelles sadomasochistes restent assez soft et convenues et elles sont circonscrites par l'intrigue amoureuse. Les descriptions de ces scènes ne permettent pas l'atteinte de la jouissance, et Cinquante Nuances de Grey se rapproche, en cela, de la publicité, tous deux suggérant plutôt quelque chose d'autre à consommer, dans «cette combinaison de deux logiques hétérogènes (course à l'estime / course au plaisir) 54». Par les rapprochements lexicaux entre la consommation et la sexualité, le texte crée des personnages-consommateurs (d'abord Christian, puis Ana à travers son émancipation sentimentale) s'apparentant à des coquilles vides qui appellent à l'identification mimétique du lecteur. Cette identification se fait par l'intermédiaire du fantasme sexuel et du fantasme vendu par la publicité55. À cela s'ajoute des vides qui appellent à être comblés extralittérairement, et l'histoire de ces romans n'apparaît finalement qu'être une excuse à la vente de lubrifiant et sex toys en tous genres. Le personnage de Christian Grey devient une marque commercialisable, tels Mickey ou Tintin. La gamme de produits de cette nouvelle franchise s'inscrit dans une commercialisation de la sexualité (obsession de l'orgasme et de la performance, recherche d'expériences nouvelles) qui semblait jusqu'alors épargner la moyenne des couples. Avec Cinquante Nuances de Grey et l'arrivée du «mommy porn», le couple est investi par la marchandisation du sexe grâce à ce trait d'union entre romantisme et sexualité exploratoire: une sexualité épanouie au sein d'un couple heureux, voilà le nouvel idéal que les lecteurs de romances érotiques cherchent à atteindre à travers leur consommation.

 

Bibliographie

 

Corpus primaire

James, E. L., Cinquante Nuances de Grey, Paris, JC Lattès, 2012, 551 p.

James, E. L., Cinquante Nuances plus sombres, Paris, JC Lattès, 2013, 594 p.

James, E. L., Cinquante Nuances plus claires, Paris, JC Lattès, 2013, 594 p.

 

Corpus secondaire

 

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Corniault, Daniel, Introduction à l'étude de l'image publicitaire, Nancy, Centre régional de recherche et de documentation pédagogiques, 1972, 75 p.

Eco, Umberto, Lector in fabula ou la Coopération interprétative dans les textes narratifs, Paris, Grasset, 1985, 315 p.

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Roussel, Stéphanie, «Discours publicitaire: reprise, construction et fortification»,Pop-en-stock, [en ligne] http://popenstock.ca/dossier/article/dobsession-au-meth-project-en-passa... (page consultée le 18 novembre 2014).

 

  • 1. Sur la quatrième de couverture de la traduction du premier tome de la trilogie, on peut lire: «Cinquante nuances de Grey, premier tome de la fameuse trilogie Fifty Shades, est le roman le plus vendu au monde en 2012.» (E. L. James, Cinquante Nuances de Grey, Paris, JC Lattès, 2012, 551 p.)
  • 2. Beaucoup de librairies ont dû réorganiser leurs rayons depuis le succès de Cinquante Nuances de Grey et la popularisation de la «mommy porn». Si la littérature érotique était souvent initialement diffuse à travers les rayons «littérature étrangère» et «littérature québécoise» et ne devait rassembler que quelques œuvres de Sade et des publications de Québécor Média, un rayon spécialisé s'est dorénavant ajouté à ceux de la science-fiction et du roman policier afin de regrouper le nombre toujours grandissant de parutions à tendance érotique dans beaucoup de librairies.
  • 3. Notons cependant que «succès commerciaux» ne signifie pas nécessairement «pauvreté littéraire».
  • 4. Elle s'en dégagera toutefois au fil du récit en réclamant, elle aussi, le titre de personnage-consommateur. Nous verrons pourquoi et comment cette volonté d'émancipation change l'orientation générique du récit.
  • 5. E. L. James, op. cit., p. 19.
  • 6. Ibid., p. 20.
  • 7. Ibid., p. 250.
  • 8. Il s'agit, encore une fois, d'un terme polysémique.
  • 9. a. b. Ibid., p. 518.
  • 10. a. b. Idem.
  • 11. E. L. James, op. cit., p. 131.
  • 12. Thierry Hoquet critique toutefois la dichotomie pornographie/érotisme amenée par Baudrillard: il voit principalement l'érotisme et la pornographie comme deux «type de rapports non-procréatifs, et peut-être simplement récréatifs» (Hoquet, op. cit.,  p. 8.) hors de l'ordre hétérosexuel: «Baudrillard restreint abusivement la pornographie à l’éjaculation et manque la multiplicité de ses formes. La pornographie a englobé la “'perversion”', en s’étendant au-delà de la “'loi naturelle du sexe”': “'les couvents, les sociétés secrètes, les châteaux de Sade”', “'les vœux, les rites, les interminables protocoles sadiens”' sont partie prenante d’une pornographie qui recherche les plaisirs non visibles» (Thierry Hoquet, op. cit., p. 13.)
  • 13. Thierry Hoquet, op. cit., p. 13.
  • 14. Il vous est possible de vous procurer cette cravate, dans le but de pimenter votre couple, sur plusieurs sites internet, dont: http://www.rueducommerce.fr/m/ps/mpid:MP-3F84EM11177734#!moid:MO-3F84EM19196648 (page consultée le 15 février 2014).
  • 15. Emblème du peuple, de la majorité. Cela rappelle cette image merveilleuse qu'écrivit Gilles Pellerin dans l'une de ses nouvelles: «La majorité en jeans».
  • 16. Dominique Maingueneau, La Littérature pornographique, Paris, Armand Colin, 2007, p. 50.
  • 17. Bruno Péquignot, La Relation amoureuse: Analyse sociologique du roman sentimental moderne, Paris, L'Harmattan, 1991, p. 18.
  • 18. Idem.
  • 19. Ibid., p. 17-18.
  • 20. Cette scène est si importante qu'elle sera notamment reprise, et publiée comme ajout à la fin du dernier tome, du point de vue de Christian Grey.
  • 21. Ajoutons que la noirceur du passé de Christian fait ponctuellement retour dans l'analyse et l'enquête (par la narratrice) de l'origine des attitudes nocives du personnage qui se rapprochent souvent de la violence conjugale. Telle une archéologue de la psychologie humaine, elle fait ressortir que les conséquences d'une relation houleuse avec la mère pousse Christian à faire du mal aux femmes.
  • 22. Il n'est pas très important de définir s'il s'agit avant tout d'un récit sentimental ou érotique puisque c'est l'hybridation générique qui fait de ce roman un objet de consommation dont le potentiel de vente est exponentiel.
  • 23. Dominic Maingueneau, op. cit., p. 45.
  • 24. Ibid., p. 51.
  • 25. Bruno Péquignot, op. cit., p. 161.
  • 26. E. L. James, Cinquante Nuances plus claires, Paris, JC Lattès, 2013, p. 580.
  • 27. Gilles Lipovetsky, Le Bonheur paradoxal, Paris, Gallimard, 2009, p. 279-280.
  • 28. Bruno Péquignot, op. cit., p. 41-42.
  • 29. La page Wikipédia anglaise du roman mentionne notamment que le roman «is notable for its explicitly erotic scenes featuring elements of sexual practices involving bondage/discipline, dominance/submission, and sadism/masochism (BDSM).» (http://en.wikipedia.org/wiki/Fifty_Shades_of_Grey (page consultée le 15 février 2014).) alors que la narratrice remplace certaines occurrences du mot «vagin» ou «sexe féminin» par «là», toujours en italique. Il est alors difficile de parler de sexualité explicite sans avoir des réserves.
  • 30. Amazon, «Funny Amazon Mother's Day Commercial “50 Shades of Greyˮ», YouTube, [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=sCSfPHLbEDU (page consultée le 3 décembre 2014).
  • 31. Gilles Lipovetsky, op. cit., p. 73.
  • 32. Patrick Le Lay cité par Étienne Balmer, Les radios commerciales et la programmation musicale en France: économie de la culture, Paris, L'Harmattan, 2005, p. 43.
  • 33. a. b. Voir Georg Franck, «Le Capitalisme mental», Multitudes, no 54, 2013, p. 199-213.
  • 34. Quelques exemples: Pornhub rend disponibles des milliers de vidéos pornographiques professionnels et amateurs; le RealTouch permet de vivre sensoriellement ce que des actrices pornos offrent à voir dans des centaines de vidéos préenregistrées, voire en simultané; Brent Scott diffuse sur insex.com, entre 1997 et 2005, des vidéos de bondage et de sadomasochisme extrêmes, etc.
  • 35. Voir la revue N/A, Porn Studies, Routledge, vol. 1 (4), 2014, [en ligne] http://www.tandfonline.com/loi/rprn20 (page consultée le 16 novembre 2014).
  • 36. Gilles Lipovetsky, op. cit., 276.
  • 37. Martin Blais, Sarah Raymond, Hélène Manseau et Joanne Otis, «La sexualité des jeunes Québécois et Canadiens: regard critique sur le concept d'“hypersexualisationˮ», Globe: revue internationale d'études québécoises, vol. 12, no 2, 2009, p. 23-46.
  • 38. Gilles Lipovetsky, op. cit., p. 279.
  • 39. Dominique Maingueneau, op. cit., p. 27.
  • 40. Marie-Anne Paveau, «Les Cheveux rebelles de Christian Grey. Cinquante nuances de mom porn», La pensée du discours, [en ligne] URL: http://penseedudiscours.hypotheses.org/11194, (page consultée le 15 novembre 2014).
  • 41. Sur le sujet, voir le dossier «Érotique du vampire» sur http://popenstock.ca/dossier/erotique-du-vampire (page consultée le 15 novembre 2014).
  • 42. Cela pourrait s'approcher du phénomène de la lecture boulimique associé à la littérature sérielle, mais, ici, les désirs inassouvis poussent surtout à la consommation de produits extralittéraires.
  • 43. Alors que le titre laisse entendre qu'il y aura une décortication de la psychologie de Grey en cinquante nuances.
  • 44. Ce qui est tout de même étonnant pour une trilogie qui s'étend sur plus de mille pages où le moindre repas est détaillé.
  • 45. Marc Docel, producteur de films pornographiques, soutient d'ailleurs qu'«[i]l est clair que le roman s'adresse d'abord à un public féminin qui n'a jamais pratiqué ce genre de lecture. C'est un hymne à la jouissance pour femmes frustrées, dirons-nous. Une sorte de conte de fées vaguement sadomaso, qui invite à se familiariser avec certaines pratiques sexuelles». (Marc Docel cité Marie-Anne Paveau, op. cit.)
  • 46. Umberto Eco, Lector in fabula ou la Coopération interprétative dans les textes narratifs, Paris, Grasset, 1985, 315 p.
  • 47. Gilles Lipovetsky, op. cit., p. 76.
  • 48. E. L. James, op. cit., p. 278.
  • 49. Daniel Corniault, Introduction à l'étude de l'image publicitaire, Nancy, Centre régional de recherche et de documentation pédagogiques, 1972, p. 35.
  • 50. En ce sens, Gilles Lipovetsky explique que «[…] la publicité hypermoderne cherche moins à célébrer le produit qu'à innover, émouvoir, distraire, rajeunir l'image, interpeller le consommateur. L'objectif n'est plus de diriger mécaniquement ou psychologiquement un consommateur ravalé au rang d'objet, mais d'établir une relation de connivence, jouer avec le public, lui faire partager un système de valeurs, créer une proximité émotionnelle ou un lien de complicité.» (Gilles Lipovetsky, op. cit., p. 203.)
  • 51. Jean Baudrillard, La Société de consommation, Paris, Gallimard, 1991 [1970], p. 208.
  • 52. Elles sont même, à bien des égards, plus fades que maints romans Harlequin osés.
  • 53. Voir Stéphanie Roussel, «Discours publicitaire: reprise, construction et fortification», Pop-en-stock, [en ligne http://popenstock.ca/dossier/article/dobsession-au-meth-project-en-passa... (page consultée le 18 novembre 2014).
  • 54. Gilles Lipovetsky, op. cit., p. 42.
  • 55. On ne saurait trop rappeler que la lecture de romans populaires n'est pas aussi aliénante que le pensent de nombreux universitaires: l'univers d'évasion mis en scène s'oppose toujours à une réalité banale. Le fantasme ne reste toujours qu'une représentation imaginaire.