Banksy vs. Jonnystyle: Jamming With Culture (2)

Banksy vs. Jonnystyle: Jamming With Culture (2)

Soumis par Mélilot de Repentigny le 27/09/2013
Catégories: Esthétique

 

RÉFLEXIVITÉ MÉDIATIQUE

Banksy et Jonnystyle usent tous deux d’humour ironique dans leur satire des industries médiatiques. L’ambivalence de l’humour ironique est présente chez The Simpsons autant que dans les œuvres des deux graffeurs. Selon Linda Hutcheon, l’art postmoderne, hautement réflexif, critique et questionne ses formes de représentations médiatiques sans toutefois prétendre opérer à l’extérieur de celles-ci1.

C’est ainsi que la série The Simpsons critique les institutions dont elle fait partie: la subversion s’exerce dans le constant dépassement des possibilités de représentations au petit écran.

Propre à une idéologie contre-culturelle prégnante au sein de la culture de masse depuis les années 1960, The Simpsons conteste les hégémonies et industries culturelles. Engageant la réflexion chez son auditoire, c’est la manière dont est représentée la contestation qui en fait une œuvre créative et innovatrice.

Dans le générique, tous vaquent à leur occupation stéréotypique – travail, épicerie et école – avant de se précipiter sur le canapé familial pour le prime time. Divers plans et travellings impossibles plongent d’emblée le spectateur dans un univers aux possibilités infinies. En effet, la représentation animée permet aux producteurs de l’émission de créer images et mouvements incompatibles avec la réalité filmique usant de vrais acteurs, décors et caméras. Longtemps associés – et souvent encore aujourd’hui – à un univers enfantin et donc sans conséquence directe sur le discours social, le cartoon et ses artistes usent de leurs possibilités infinies de représentations pour remettre en question plusieurs aspects du monde contemporain.

Évoquant certainement une idéologie contre-culturelle, l’émission du prime time propose à ses auditeurs des remises en question quant à la production, la consommation et les représentations de la culture populaire de masse. Suite au déferlement d’objets dérivés sur le marché, The Simpsons se fait accuser d’avoir été co-optée par le système – en d’autres mots, d’être des «vendus» 2. Pourtant, jamais les créateurs, scripteurs ou producteurs de l’émission n’ont prétendu œuvrer à l’extérieur du système décrié. Les commentaires sur le rôle et l’impact des médias dans The Simpsons ne tiennent ni du culture jam, ni de la transgression totale, puisqu’en aucun cas la série ne «bloque» (ni ne propose de le faire) le cours de la culture américaine, au contraire, elle s’y nourrit et en fait partie entière.

Le culture jam relève selon Joseph Heath et Andrew Potter, auteurs de The Rebel Sell, d’un mythe contre-culturel au pragmatisme utopique3. Au contraire de ce concept voulant bloquer le cours de la culture, le sitcom animé créé par Matt Groening est totalement imprégné de la culture populaire américaine et y rend fréquemment hommage.

Inextricablement liée aux développements technologiques, l’animation présente depuis ses débuts divers dépassements des représentations fixes de l’univers médiatique en se commentant elle-même. Plusieurs créateurs de dessins animés vont à l’encontre des représentations simplistes et utopiques de Disney, se situant dans la mouvance du rejet d’un certain «caractère coercitif» (La Dialectique de la Raison, p. 130) prégnant dans la culture de masse et critiqué entre autres par l’École de Francfort.

C’est par l’utilisation d’éléments issus de l’imaginaire collectif médiatique que The Simpsons élabore ses commentaires sur le mode de vie proposé par la société de consommation américaine. Par ses commentaires réflexifs, les producteurs de The Simpsons refusent de satisfaire le seul besoin de divertissement du public et poussent le spectateur à repenser sa relation aux représentations du monde médiatique.

En 1990, l’auditoire-cible du prime time n’est plus nécessairement défini par la famille, mais plutôt par une diversité de spectateurs de différents âges regardant simultanément (et non plus nécessairement ensemble). Puisque l’audience de masse est si lucrative, le prime time constitue la plage horaire la plus importante pour les réseaux télévisés. Les émissions qui y sont présentées servent principalement à attirer et fidéliser les spectateurs au réseau.  De fait, The Simpsons, comme toute émission télédiffusée, est totalement déterminée par ses possibles retombées économiques. La critique qu’exercent les scripteurs quant au monde médiatique se fait donc d’une manière paradoxale. C’est d’ailleurs ce que critique Jonnystyle dans son violent rejet du petit écran.

Le culture jam, concept de blocage et de trahison du système capitaliste, ne peut fonctionner dans l’analyse de la culture populaire. Il lui est effectivement impossible de bloquer le cours de la culture, en étant partie prenante. C’est pourquoi Moritz Fink, dans son analyse du remix clip de Jonnystyle, propose une réactualisation de la définition de culture jam. Puisque les œuvres parodiques à la diffusion de masse se font davantage avec l’œuvre antérieure que contre celle-ci, le culture jam consisterait moins un rejet de la culture populaire qu’une créative réappropriation permettant sa remise en question dans un jam avec la culture4.

Le générique signé Banksy élabore une satire des médias et de leur production dans un style métafictionnel propre à la série. Il est ambivalent de par son usage de la télévision impliquant la légitimation de l’objet critiqué. La récupération parodique de Jonnystyle, quant à elle, rejette violemment le petit écran et son industrie, mais ne porte aucun regard sur son propre usage médiatique.

Alors que le générique de Banksy est élaboré dans un style humoristique propre à l’émission The Simpsons, le clip de Jonnystyle, tentant une critique de la télévision et sa marchandisation, ne porte aucun commentaire réflexif. La réflexivité est assurément la pierre angulaire de la série. Les commentaires métafictionnels permettent l’efficacité de la critique dans une inclusion de l’émetteur dans la satire sociale, mais Jonnystyle évite de s’inclure lui-même dans sa remise en question des technologies médiatiques. Le graffeur français évite peut-être l’idéologie capitaliste de l’industrie du broadcast, mais le succès de son clip repose directement sur l’œuvre de Matt Groening et sa popularité qui eux, en sont directement issus.

Pire, en désirant rejeter la logique capitaliste télévisuelle, il s’insère du même coup dans la prolifération rhizhomatique du monde YouTube, sorte d’hyper télévision du 2.0 dérivée du zapping extrême. Tel que l’énonce dans une entrevue Alex Juhasz, professeure d’études médiatiques, YouTube reprend la logique de l’abrutissant divertissement de la télévision et, par son classement des vidéos selon leur popularité, reproduit les mêmes logiques de célébrité que les industries du broadcast5. Finalement, le condensé transmédiatique YouTube n’échappe pas à la logique mercantile  de la télévision, étant tout autant régi par le marché publicitaire.

Naomi Klein écrit sur Twitter suite à la diffusion de l’épisode MoneyBart: «I’ve seen Banksy’s Simpsons thing. It’s brilliant. Still, can’t help but despair at capitalism’s ability to absorb all critiques6».

Pourtant, élaborée par des artistes œuvrant à l’intérieur du système, la critique ne se fait pas absorber par le capitalisme: elle en fait partie. La preuve? Banksy, Jonnystyle et les scripteurs de The Simpsons œuvrent librement à la critique de la société contemporaine en diffusant massivement des créations artistiques qui remettent en question les idéologies et représentations des industries culturelles et médiatiques.

Tel que l’énonce Thomas Frank dans The Conquest of Cool, la télévision déjoue et évite la critique extérieure en s’insérant elle-même dans un univers ironique7. Les auditeurs ne sont pas tous naïfs et passifs: ils sont avides de remises en question et de commentaires critiques sur leur environnement médiatique. Le cartoon du prime time et sa réflexivité répondent donc au besoin croissant des téléspectateurs de questionner la production des représentations de la culture populaire.

 

CONCLUSION

The Simpsons pose divers commentaires sur la production, la réception et les représentations des industries culturelles en invitant ses auditeurs à une réflexion passant principalement par l’ironie. L’ambivalence de la critique des industries culturelles par un puissant trademark capitaliste engendre maints commentaires désobligeants à l’endroit de l’émission et de ses producteurs.

Banksy, suite à son succès viral, reçoit aussi des critiques semblables. C’est d’ailleurs l’accusation que porte Jonnystyle à l’endroit de son homologue anglais: représenté en Mr Burns, Banksy devient un «méchant» symbole capitaliste.

Jonnystyle n’échappe pas, lui non plus, à la logique décriée. Il cherche lui aussi l’accession à la célébrité: le graffeur, malgré sa critique de la télévision et du trademark, ne se contente pas du street art, mais mousse sa popularité par la promotion de ses créations via le web.

Le graffiti, de par sa valorisation du nom et du logo ne constituerait-il pas une certaine forme de branding? Et la vente de t-shirt de l’artiste français ne l’entraînerait-elle pas lui aussi dans une logique capitaliste de récupération de l’art comme objet de consommation? Ces accusations de mercantilisme, improductives, pourraient s’accumuler à l’infini et à l’endroit de tous.

L’idée d’un art alternatif produit et distribué à grande échelle tout en demeurant à l’extérieur du système capitaliste est hautement utopique puisque, tel qu’énoncé par Heath et Potter dans The Rebell Sell, «even if envy and status obsession were purely an artifact of the capitalist system, there is often no way to opt-out8».  

 

 

BIBLIOGRAPHIE

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CORPUS ANALYSÉ

_____, «Black Widower», The Simpsons, Saison 3, Épisode 21, 9 avril 1992.

_____, «Itchy & Scratchy: The Movie», The Simpsons, Saison 4, Épisode 6, 3 novembre 1992.

_____, «Sideshow Bob’s Last Gleaming», The Simpsons, Saison 7, Épisode 9, 26 novembre 1995.

_____, «Moneybart», The Simpsons, Saison 22, Épisode 3,10 octobre 2010.

Banksy (réal.), Exit through the gift shop, Paranoid Pictures, Royaume-Uni, 2010, 87 min.

Jonnystyle, Détournement du générique de Banksy, 2010, En ligne: http://www.youtube.com/watch?v=WUwV3brLbYI, Page consultée le 30 novembre 2012.

 

  • 1. Linda Hutcheon, The Politics of Postmodernism, Op. Cit., p. 25.
  • 2. Chris Turner, Planet Simpson, How a Cartoon Masterpiece Documented an Era and Defined a GenerationOp. Cit., p. 439.
  • 3. Joseph Heath et Andrew Potter, The Rebel Sell. Why the culture can’t be jammed, Harper Collins, 2004, p. 8.
  • 4. Moritz Fink, «Digital Detournement: Jamming (With) The Simpsons-Banksy Intro, Jonnystyle», Confessions of an Aca-Fan: The Official Weblog of Henry Jenkins, 2012, En ligne: http://henryjenkins.org/2012/10/digital-detournement-jamming-with-the-simpsons-banksy-intro-jonnystyle.html#_ftnref1, Page consultée le 30 novembre 2012.
  • 5. Alex Juhasz citée par Henry Jenkins dans « Learning from YouTube, An Interview With Alex Juhasz», Confessions of an Aca-Fan: The Official Weblog of Henry Jenkins 2008, En ligne: http://henryjenkins.org/2008/02/learning_from_youtube_an_inter.html, Page consultée le 30 novembre 2012.
  • 6. Melanie Klein citée par  Colin Horgan dans «Banksy’s Simpsons opening: a failed cultural critique?», Art Threat, 2010, En ligne: http://artthreat.net/2010/10/banksy-simpsons/, Page consultée le 30 novembre 2012.
  • 7. Thomas Frank, The Conquest of Cool: Business Culture, Counterculture, and the rise of Hip ConsumerismOp. Cit., p. 276.
  • 8. Joseph Heath et Andrew Potter, The Rebel Sell. Why the culture can’t be jammedOp. Cit., p. 117.