De l'existence d'une littérature rock

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De l'existence d'une littérature rock

Soumis par Aurélien Bécue le 03/05/2012
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Du bruit dans la littérature

Une musique rock se fit entendre, des guitares électriques, des paroles, et le garçon commença à se tortiller en mesure. Tamina le regardait avec répugnance: cet enfant se déhanchait avec des mouvements coquets d’adultes qu’elle trouvait obscènes. Elle baissa les yeux pour ne pas le voir. À ce moment, le garçon mit le son plus fort et commença à chantonner. Au bout d’un instant, quand Tamina releva les yeux sur lui, il lui demanda:
-Pourquoi tu ne chantes pas?
-Je ne connais pas cette chanson.
-Comment ça, tu ne la connais pas? C’est une chanson que tout le monde connaît.[1]
 

Si l’époque actuelle se singularise comme une civilisation du bruit, une civilisation (trop) sonore, nombreux sont les penseurs contemporains qui stigmatisent ce tout-sonore – plus encore que ce tout-musical. Le rock[2] est, en ce sens, le parangon manifeste de cette société bruyante, omniprésente et dominante. Cité en épigraphe, l’extrait du Livre du rire et de l’oubli de Milan Kundera condense parfaitement les différentes caractéristiques dont l’affublent de nombreux écrivains: obscénité, fiction de l’universalité, musique adolescente et écoute nécessairement trop bruyante. Seulement, ces préjugés sont l’apanage d’écrivains mélomanes «classiques», au sens où leur mélomanie est inclinée de manière exclusive vers la musique classique ou savante. Parmi eux, on pourrait citer notamment Milan Kundera, Pascal Quignard ou Richard Millet[3] et, sans déployer une analyse poussée de leur système de pensée musico-littéraire, on proposera simplement de questionner leur posture anti-rock. Celle-ci s’articule en effet avec une association privilégiée et exclusive entre musique classique et littérature. Cette affinité prétendument élective induit dès lors la permanence d’une haute culture ou culture savante qui s’opposerait à la culture populaire. De fait, la littérature consacrée au rock – et bien souvent le consacrant – deviendrait selon ces préceptes une paralittérature, reconduisant the Great Divide[4] entre «haute» et «basse» culture.

Cependant, à l’instar de la musicologie qui, par l’intermédiaire de l’ouvrage dirigé par Jean-Jacques Nattiez, Musiques, une encyclopédie pour le XXIe siècle[5], essaie d’appréhender son propre objet dans son unité, il s’agira de proposer à la littérature «mélomane» une analyse nouvelle d’un de ses pans longtemps ignoré. De fait, au-delà de la multiplicité des productions littéraires fascinées par le rock (à la fois charmées et effrayées), sera envisagée la possibilité d’un espace littéraire, au croisement du rock et de la littérature. On tentera donc par une mise en perspective de ces postures anti-rock de caractériser les liens intimes entre rock et littérature et même de manifester la littérature rock en faisant apparaître, outre un possible corpus, les «valeurs» qu’elle prend en charge, les mythes, thèmes et motifs récurrents dont elle recèle et les genres, formes et styles qu’elle adopte.

 

Les préjugés des écrivains mélomanes «classiques»: posture  «anti-rock» et «musicalisation» de la culture

Symbole de l’occupation américaine, «divertissement»[6] et «défoulement»[7], musique adolescentine de l’«idylle rock»[8] chez Kundera, et facteur dévoyant le «sentiment de la langue» chez Millet, le rock est pour ces écrivains français la bande-son manifeste de l’invasion anglo-saxonne (Millet et Quignard) et de l’ère du «tout culturel»[9]. Ainsi, leurs écrits de fiction comme leurs essais témoignent d’une posture anti-rock qui apparaît plus en filigrane dans ces derniers. Elle se manifeste dans les «romans»[10] au travers de différents procédés: caractérisation des personnages, inclinaison logogène[11] de la narration ou objets symboliques construisant l’espace romanesque. Dans le texte de Kundera par exemple, le rock est la musique «éternelle» participant d’une sexualité libérée qui accompagne Tamina jusqu’à la mort:

L’histoire de la musique est mortelle, mais l’idiotie des guitares est éternelle. Aujourd’hui la musique est retournée à son état initial. C’est l’état d’après la dernière interrogation, l’état d’après l’histoire.[12]

Le premier argument de cette posture «anti-rock» fait donc de celui-ci une musique d’avant et d’après l’histoire, une musique hors de l’histoire, rompant avec toute visée historiciste et téléologique de l’évolution musicale. À ces préjugés sont souvent associées les idées de sauvagerie, d’affaiblissement de l’art et d’une musique primitive façonnant «une tribu des premiers âges»[13]. C’est également dans L’Occupation américaine, l’objet de l’affrontement générationnel entre Patrick Carrion et son père, entre deux visions de la musique et de l’art:

-Cette musique était un divertissement. Tu en feras autant que tu voudras pendant les grandes vacances.
-Je ne suis pas d’accord, mon père. La musique n’est en aucun cas un divertissement.
-Un défoulement, si tu préfères. Ce n’est même pas agréable. Ce n’est même pas joli. 
Patrick haussa la voix: «Dieu merci!»[14]
 

Défoulement, divertissement, jugement de valeur esthétique sont les catégories à propos desquelles s’opposent père et fils façonnant le deuxième argument de cette posture: le rock n’appartient pas à la culture, il est un simple divertissement. Mais, bien plus qu’un conflit de générations, conflit structurel du rock, ce dialogue souligne la façon dont des arguments identiques sont employés par les détracteurs comme par les amateurs du rock. En effet, ces idées d’exutoire et de refus de toute réduction esthétisante sont au cœur même des définitions originelles du rock et sont ici mises dans la bouche du père incrédule face à la fascination de son fils. Et ceci témoigne de la façon dont la langue commune semble se déliter. En outre, la langue anglaise s’immisce au cœur même du texte comme pour mieux signifier cette «occupation» non seulement culturelle, mais également langagière. La question de la langue est d’ailleurs au cœur des écrits de Richard Millet, pour qui «l’anglo-américain» est devenu le «modèle fantasmatique»[15] de toutes les langues et par-là même du français. Apparaît ainsi un troisième argument: le rock est un des vecteurs majeurs[16] de ce modèle envahissant.

Ainsi, cette posture balaie de multiples facettes de la musique rock. Elle met en cause sa fausse universalité, sa propension au défoulement et à la vulgarité, mais aussi la propagation d’une langue envahissante. On peut d’ores et déjà amorcer une réponse à ces arguments. En effet, faire du rock une musique hors de l’histoire, c’est passer outre l’histoire complexe de son évolution musicale qui s’est constituée et continue de se constituer dans une effervescence créative marquée par l’allégeance et la rupture à des modèles préexistants. Ainsi, le rock est constamment travaillé par cette dynamique historicisante. Et si le rock se proclame encore comme pur divertissement, c’est bien souvent dans une démarche bien consciente d’un refus de l’intellectualité ou plutôt du sérieux qui apparaît parfois paradoxalement mise à mal par son attrait pour des références à la littérature ou à l’art[17].

Cependant, les préjugés de ces écrivains mélomanes, se cristallisent avant tout autour d’un quatrième argument: celui d’un bruit, qui se propage telle une onde dans la vie de leurs personnages, dans l’espace textuel ou plus largement dans la société.

 

Pour une défense et illustration de la littérature rock

Cette représentation du rock en tant que musique bruyante et sauvage renvoie à deux postulats. Le premier est issu d’un système de valeurs privilégiant une «haute culture» –hantée par son déclin – et donc une «grande littérature». Depuis T.S. Eliot et ses Notes pour une définition de la culture, s’entremêlent les méandres d’une réflexion menée d’un côté par les travaux des Cultural Studies[18] appliquant des concepts littéraires à la sociologie et de l’autre par les défenseurs d’une «haute culture» condamnant le «tout culturel». Musicalement cette question du système de valeurs reste marquée par une dichotomie entre haut et bas, auxquels on peut substituer art et divertissement, authentique et artificiel et, dans le cas du rock, alternatif et mainstream[19]. Et, malgré la propagation des discours postmodernistes remettant en cause cette polarité et les travaux de Simon Frith sur la valeur, cette vision du rock comme divertissement ou «sous-culture» demeure bien souvent.

Cette problématique de la hiérarchie des valeurs artistiques issue des travaux d’Adorno et constitutive de notre modernité ne saurait être résolue ici. Mais, par le croisement de différents travaux[20], émerge l’hypothèse d’une issue possible de cette structure hiérarchisée entre deux pôles antithétiques. C’est en cela que le terme «middlebrow» notamment employé par Perry Meisel dans The Myth of Popular Culture installe une perspective nouvelle dans ce qu’il nomme «The Battle of the Brows: A History of High and Low»[21]. Ainsi, sans vouloir annihiler la question de la valeur esthétique et la frontière entre art et divertissement se déploie un espace mouvant où peuvent parfois se conjuguer logique du divertissement et références à la culture «sérieuse»[22]. C’est en ce sens – et ce sera le dernier mot sur cette épineuse question – que l’ouvrage de Lawrence W. Levine a explicité la fin d’une culture partagée américaine depuis le XIXe siècle, fantasme réel brisé par la constitution des hiérarchies culturelles au tournant du siècle.

Le second postulat – conséquent à ce questionnement – est travaillé par la crainte exacerbée d’une musicalisation voire d’une bruyance de la société qui viendrait détruire le règne du verbe sacré, saccager le bruissement de la langue[23]. Et les trois écrivains mélomanes précédemment évoqués ne sont pas les seuls à s’interroger sur cette tendance à la musicalisation de la société, au sens où le rock et la pop envahiraient l’espace de pensée et d’expression. On trouverait par exemple chez Georges Steiner une critique de cette musicalisation de la culture:

Les faits qui déterminent cette «musicalisation» de notre culture, ce transfert de l’œil à l’oreille du savoir et du sens historique (car bien peu d’auditeurs, même sérieux, peuvent déchiffrer la partition), sont relativement évidents.[24]

Mais, plus que la crainte d’une musicalisation – paradoxale pour tous ces écrivains mélomanes – c’est le refus de céder la place au bruit et à la stridence du rock qui se perçoit:

L’île retentit des cris d’une chanson et d’un vacarme de guitares électriques. Un magnétophone est posé par terre sur le terrain de jeu devant le dortoir.[25]

D’autres penseurs (Meschonnic, Steiner) ont mis en avant leur crainte d’une surdité due à une écoute trop forte qui apparaît même pouvoir modéliser le cheminement de la pensée[26]. Seulement, on pourrait envisager comme le propose Peter Szendy dans Ecoute, une histoire de nos oreilles[27]les différents régimes d’écoutes, caractérisés par Adorno, non pas sous le signe de l’antagonisme, mais sous celui d’une association. En effet, Szendy, dans son histoire de l’écoute engendrée par l’existence trop méconnue d’un «savoir écouter», rappelle la typologie adornienne des attitudes d’écoutes[28] soumise au présupposé de l’œuvre. On trouverait ainsi trois attitudes d’auditeurs: «l’expert», «le bon auditeur» et «l’auditeur diverti». Il montre, grâce au Don Giovanni de Mozart, que «les œuvres mettent en scène des écoutes concurrentes» et que «cet opéra nous fait entendre plusieurs écoutes»[29]. Ainsi est singularisée la possibilité d’une écoute lacunaire, flottante, divertie, sans que l’on soit contraint, sous l’égide de l’œuvre, «ou bien [de] tout entendre […] ou bien [de] ne rien entendre.»

De la même façon que Peter Szendy s’intéresse à la cohabitation de ces régimes antagonistes d’écoute, on s’interrogera donc sur la possibilité d’une littérature qui ne favoriserait pas uniquement une  haute écoute ou écoute sérieuse. On ne souhaiterait surtout pas laisser entendre que l’écoute du rock ne peut être sérieuse et attentive, mais bien que la littérature serait métaphoriquement douée des plusieurs écoutes concurrentes que présente Szendy.

Et cette hypothèse d’un nouvel hypotexte musical à la littérature impliquerait donc bien de mettre en perspective l’association élective entre la musique savante et la littérature. Cette préférence originelle est donc liée, on l’a vu, au haut coefficient de valeur esthétique dont est dotée la musique savante. Cependant, d’une part, cette question de la valeur reste éminemment problématique[30], et, d’autre part, on pourrait trouver à l’intérieur de chaque genre artistique une échelle de valeurs interne fortement polarisée. C’est ce qu’a parfaitement noté Georges Steiner lorsqu’il expose l’idée d’une «métaculture» propre à chaque genre ou sous-genre musical: 

Cependant, […] nous avons affaire à un mode de connaissance, à un ensemble de repères assez larges et dynamiques pour constituer une «métaculture». […] Le folk et le pop, le rock et la «trad. music» ont chacun leur histoire et leur cycle de légendes. […] Ils font le compte de leurs vieux maîtres et de leurs rebelles, de leurs félons et de leurs grands-prêtres. Tout comme la culture classique, le monde du jazz ou du rock’n’roll a des degrés d’initiation qui vont de l’empathie vague au novice – niveau latin du cadran solaire – à l’érudition sans complaisance du scoliaste. [31]

Il est donc possible d’appréhender une hybridation féconde de la littérature avec le rock, d’entendre la possibilité d’une concurrence de différentes écoutes de la littérature. À l’image du roman de Don DeLillo, Great Jones Street[32], pénétré de façon aiguë par le bruit de la ville et les échos de la musique, le rock se propage dans la sphère littéraire. Alors, contrastant avec l’intimité soulignée précédemment entre musique classique et littérature, on se proposera paradoxalement d’envisager le bruit de la musique rock comme un motif résonant avec acuité dans le texte littéraire.

Ainsi, cette image du bruit peut se concevoir sous une triple perspective: le bruit au travers de la matérialité du son et de la musique dans le texte, le bruit comme résonance d’un imaginaire musical et culturel et enfin – engendrée par les deux premières – le bruit comme processus parasitant puis revitalisant la littérature. Les deux premières considérations font écho aux différentes études musico-littéraires réalisées sur les autres genres de littérature mélomane (classique et jazz, notamment). La dernière envisage l’appropriation du rock, à la fois dans sa transposition dans le texte et dans le déplacement de la sphère littéraire, au-delà des genres canoniques du roman voire de l’essai. En faisant apparaître un système de correspondances et de référentialité, à partir de différents supports textuels, on envisagera le bruit comme un motif introduisant une réflexion axiologique articulant rock et littérature. En effet, alors même que le rock est décrié par une partie des écrivains «classiques», le motif du bruit permettra de retourner cet argument pour l’élever au rang de paradigme modélisateur.

 

Unité de la musicologie, unité des études musico-littéraires: définition d’un champ d’études

Après avoir entendu et même écouté[33] ces partis-pris hostiles au rock, qui le confinent dans la culture populaire, on se proposera au contraire d’envisager une intimité profonde du rock et de la littérature renversant ces postulats. C’est à ce titre que l’on mentionnera les perspectives unificatrices de la conclusion de Musiques, une encyclopédie pour le XXIe siècle[34], ouvrage dirigé par Jean-Jacques Nattiez. Plaidant pour une unité nouvelle de la musicologie face à son objet[35], cet ouvrage ouvrirait par analogie le chemin vers une unité des études musico-littéraires. En effet, à la différence des pays anglo-saxons, les études musico-littéraires françaises semblent implicitement reconduire les postulats précédemment évoqués en héritant d’une esthétique qui valorise à la fois la complexité musicale et un haut coefficient de «littérarité». L’article «Littérature et musique» d’Elisabeth Rallo Ditche du «livre blanc» de la SFLGC[36] s’inscrit dans cette perspective et omet d’ailleurs de souligner le peu d’analyses confrontant littérature et musique «populaire». Faisant le bilan de ce champ, l’article restreint les frontières des travaux musico-littéraires à l’articulation littérature et musique classique ou sérieuse alors même qu’il invite à «une exploration des domaines littéraires et musicaux hors d’Europe»[37].

On ferait donc face à une absence redoublée: l’objet de la recherche est occulté et ce vide lui-même n’est pas interrogé. Confrontée à cette double omission, la «littérature rock» ne peut exister et se prévaloir d’aucun fondement théorique. C’est peut-être cette vacuité qui donne de fait tant de force aux critiques des écrivains mélomanes fustigeant le rock. Bien qu’il existe des études ponctuelles[38], aucune étude transversale et synthétique n’analyse cette notion (trop) souvent employée. Ainsi, il est nécessaire d’esquisser un panorama critique des œuvres et des auteurs multiples qui appartiennent à ce vaste espace mouvant ou qui sont catégorisés comme tels. Il ne s’agira évidemment pas de se lancer dans une typologie exhaustive, mais plutôt de rappeler brièvement les caractéristiques de ces différentes composantes: les romans sur fond de culture rock, les écrits des critiques rock, les écrits des artistes rock, les «classiques» de la bibliothèque rock.

En premier lieu, on trouvera des romans influencés par le rock, ayant bien souvent une vision euphorique de celui-ci et participant même inconsciemment à sa réévaluation. Ainsi toute une génération contemporaine d’écrivains – et pas exclusivement anglo-saxonne – est fortement marquée par cette musique. Le rock est le thème de l’œuvre, participe de la trame du récit, se trouve au centre du décor en créant une atmosphère et se forge une place dans le quotidien des personnages à l’image de High Fidelity ou Juliet, Naked de Nick Hornby ou encore de The Dwarves Of Death de Jonathan Coe. Hormis ces deux romans, on pourrait citer parmi d’autres le Great Jones Street de Don DeLillo, Less Than Zero de Bret Easton Ellis, The Ground Beneath Her Feet de Salman Rushdie, Heroes de Ray Loriga, Little Heroes de Norman Spinrad[39] et Un jeune homme trop gros, d’Eugène Savitzkaya.

Le second ensemble est celui des écrits des critiques rock, appartenant, pour la plupart, à la sphère journalistique. Critiques de disques, de groupes et de concerts, souvent assez libres, ce sous-genre de la critique rock est désormais mieux connu[40]. La proximité et la porosité entre la critique rock et les mouvements du New Journalism[41]  ainsi que du journalisme gonzo[42] illustrent l’aspect littéraire de ces chroniques. Cependant, ce qui s’avère ici marquant, c’est la manière dont certaines de ces chroniques débordent de leur cadre journalistique pour entrer dans un processus de publication littéraire. On pense ici aux écrits de Lester Bangs publiés à titre posthume dans deux grands recueils[43], au Hellfire de Nick Tosches ou encore à The Dark Stuff de Nick Kent[44]. De la même façon, certains critiques rock verront leur activité journalistique dériver vers une production romanesque à l’instar de Nick Tosches ou de Chuck Klosterman.

Le troisième ensemble est celui des écrits des artistes rock. On peut envisager leur travail d’écriture en appréhendant aussi bien leurs textes de chansons que leurs publications littéraires. En effet, nombreux sont ceux qui, outre leur exercice de parolier, se sont lancés dans des travaux d’écriture strictement littéraires: Bob Dylan, Jim Morrisson, Lou Reed, Patti Smith, John Lennon et Leonard Cohen (lui-même reconnu comme écrivain avant d’être reconnu comme song-writer).

Enfin, il apparaît nécessaire de constituer une dernière catégorie d’œuvres, celle des œuvres antérieures à la naissance du rock, qui semblent matricielles à la fois du mouvement rock et de sa littérature. De Rimbaud à la beat generation, de William Blake à Aldous Huxley, on trouverait parmi ces auteurs toutes les références majeures employées à la fois par les musiciens et par les écrivains. Même si ce dernier ensemble apparaît bien arbitraire, il est nécessaire en ce sens qu’il fonde un réseau intertextuel des classiques du rock, auxquels les textes littéraires et les paroles de chansons se réfèrent sans cesse.

On ne prendra désormais, par souci de rapidité, que quelques exemples manifestes de ce corpus très vaste. Cependant, face au «polymorphisme»[45] de cet ensemble, on proposera des pistes convergentes de lecture à la fois formelles et thématiques, stylistiques et axiologiques.

 

Traits esthétiques, thèmes et figures d’une littérature rock: quelques pistes pour une poétique à venir

Traits d’écriture: jeux intertextuels, oralité, passage du fragmentaire au monumental

Dans la plupart des textes consacrés au rock, le premier temps de cette hybridité de l’écriture[46] peut naître de la réinscription référencée du rock dans le texte sous diverses formes. Elle réside dans le recours à la référence ou à la citation d’un album, d’une chanson ou de paroles (épigraphe, dédicace, insertion dans le corps du texte ou dans un dialogue, titre ou encore allusion)[47]. Seulement, pour les textes qui écartent cette dimension référentielle – dominante pour une majorité de romans et d’essais – on a pu observer différentes correspondances stylistiques. En effet, dans ce corpus étendu et protéiforme, les transgressions lexicales, l’écriture par compilation et des convergences syntaxiques fondent une esthétique commune se déployant au-delà des questions génériques et linguistiques.

La collection et les listes sont le symbole de l’amateurisme, voire de la fascination exacerbée pour le rock – à l’instar des protagonistes de High Fidelity. De fait, les textes font la part belle à ce penchant pour l’énumération, pour la liste, pour l’accumulation de références au rock. Le rock se caractérise également par sa simplicité et son efficacité dues à l’aspect percutant, provocateur, voire vulgaire, de ses formules. Il serait possible de se lancer dans une étude linguistique approfondie, pour montrer ce penchant pour la grivoiserie, la vulgarité et la provocation au travers des essais de Bangs ou des écrits d’Hunter S. Thompson. Cette propension à l’invective est souvent associée à l’emploi de néologismes, visant à décrédibiliser un académisme pompeux ou une cible préférentielle de ces railleries acerbes et violentes, dont on a ici tiré trois exemples des chroniques de Bangs: «electro-technocratic prolixity»[48], «some codifying crypto-academic»[49], «Dylan’s demonology»[50].

Enfin, la rupture syntaxique apparaît être une structure manifeste de cet espace littéraire. Caractéristique de l’écriture bangsienne ou thompsonnienne, elle se singularise par la capacité de la phrase à s’achever ou à renverser tout son système sémantique dans un retournement final. Est également manifeste une tendance à l’oralité, que l’on retrouve parfaitement dans les invectives, les apostrophes, ou même la multiplicité des phrases nominales dont recèlent les textes. Ces ruptures, achevant bien souvent une phrase assez brève, sont également enrichies d’une multitude de digressions et d’incises. En outre, de nombreux textes marquent cette rupture en cherchant à modifier la puissance du texte par le passage à la typographie majuscule afin d’illustrer ainsi une augmentation sonore. Cette rupture typographique peut d’ailleurs être signifiante du point de vue de la musique, comme lorsque Lester Bangs laisse un blanc ([…]) dans l’extrait suivant pour définir le punk. Et on voit bien comment l’essence de la musique, en proie à la fulgurance et la radicalité cherche à se faire une place par tous les moyens possible dans le texte littéraire:

Okay, you tell me what punk rock is – in this space […] See, I told you so. Oh, but I’ll show you the roots of punk.[51]

Paradoxalement, devant sa propre désinvolture, la syntaxe peut également tendre vers une simplicité de l’énonciation, ne cherchant pas à s’expliciter, recouvrant alors une dimension poétique. Que ce soit, par exemple les classements chez Hornby, les chroniques chez Dylan et Bangs ou même les micro-récits chez Loriga, on note bien une tendance manifeste à faire, dans l’écriture consacrée au rock, le parti-pris du fragmentaire.

Ce rejet d’une totalité signifiante est également la marque de la chronique ponctuelle du journaliste, qui ne fait pas le projet d’une œuvre, mais qui finit par publier un recueil, par recomposer différents fragments. Si le refus du projet n’est pas spécifique à l’écriture consacrée au rock, il prend ici une tournure générique qui mérite d’être interrogée. En effet, de nombreux romans, autofictions, essais romancés, pouvant être intégrés à cet espace littéraire, sont originellement issus d’articles, chroniques, comptes-rendus journalistiques. Or, la manière dont ces articles se répondent, se poursuivent ou s’entraînent, engendre bien souvent la parution d’un recueil – somme de ces écrits journalistiques – ou d’une œuvre reconfigurée et réécrite pour se parer d’une cohérence et d’une unité nouvelle.

Ce constat induit une double réflexion sur le statut de l’œuvre. La liberté de la forme journalistique initialement choisie fait bien souvent place à un travail de composition, à un geste plus littéraire de production et de parution d’une œuvre entière. La forme journalistique semble être débordée par la multiplicité, la profusion des articles et des écrits qui finissent par donner à l’œuvre une dimension labyrinthique qu’il est nécessaire de retravailler. Ainsi, le refus initial d’un projet d’écriture se trouve finalement contredit par l’écriture qui tend à se nourrir elle-même et à entraîner son auteur vers une forme plus cohérente et plus littéraire. Ce propos originellement journalistique, qui n’ose s’affirmer comme un roman, repose ainsi d’une autre façon, la question d’une posture de l’écrivain. Elle fait aussi écho au mouvement du New Journalism, et à la multiplicité des figures de l’écrivain-journaliste aux États-Unis, à partir des années 1970, Tom Wolfe, Hunter S. Thompson et Lester Bangs en tête.

 

Figures et thèmes

Outre les deux invariants que sont la représentation des concerts et l’emploi de figures typiques (l’adolescent, la rock star, le musicien, l’érudit ou l’ancien nostalgique), les textes intègrent des thématiques qui accompagnent, recroisent, développent ou condensent les marques musicales présentes dans la narration ou dans le discours. Le premier de ces invariants thématiques serait un penchant à la révolte et à la révolution[52]. La mélancolie et la solitude s’imposent comme des thèmes récurrents. On voit bien comment le personnage, et ce d’autant plus dans le cas de la rock star, peut s’installer dans une solitude à la fois protectrice des affres de la gloire et destructrice de son environnement social. La solitude est ici une de ces formes de la marginalité dans la mise en avant d’un esprit rock, d’une attitude, marquée par le sexe et la drogue, qui se veut transgressive et libératrice, simplificatrice et ambitieuse. Ce primat de l’attitude et de l’esprit est très présent dans la détermination de la communauté (idéale ou sociale). La thématique permanente de la fête, marquée par l’excès, fonde en un sens la communauté, à partir de ce mode de vie alternatif. Enfin, négation et nihilisme irriguent la pensée des personnages dans ce refus des codes, des normes politiques, sociales et culturelles.

Car, si le rock a souvent été qualifié de musique révoltée voire révolutionnaire, cette réduction ne peut plus être aucunement valide. En effet, dès l’origine – les premiers rock’n’rollers des années 1950 – et surtout dans la remise en cause violente des sixties par les groupes du début des années 1970 jusqu’à l’explosion punk, c’est le refus du sérieux et de la norme qui semble guider le mouvement rock. Et ce n’est pas le refus d’une norme caractérisée et idéologisée, mais le refus mouvant de toute généralisation et de banalisation qui est prépondérant. Cette désinvolture, marquée par le recours récurrent à l’ironie et au cynisme, est une des tonalités préférées des écrivains, romanciers comme critiques. Les personnages romanesques en sont ainsi empreints et sont pour la plupart des figures de losers –parfois magnifiques.

Le versant romanesque de cette désinvolture ne se condense pas simplement dans la figure des losers. Il est aussi présent dans le parti-pris des écrivains de proposer un aspect fragmenté de leurs œuvres: fragmentation du récit, fragmentation des personnages (aspect presque schizophrène de certains). Cette dernière – se rapprochant des théories de la postmodernité de Lyotard ou Freitag – se couple donc parfaitement avec ce refus de la totalité, de la linéarité et de la possibilité d’une lecture globale de l’œuvre. Ainsi, cette distanciation ironique du sérieux, ce rire et ce refus de la totalité proposent par le brouillage des catégories (esthétiques, narratologiques, culturelles, poétiques) une piste de recherche importante. On ne saurait que trop insister sur cette dimension quasi-ludique de l’écriture en rappelant que pour les premiers critiques rock, la critique est un divertissement[53].

 

Entre continuité et rupture. Vers une légitimation de la littérature rock

Ce refus de la norme est en perpétuelle construction, si bien que le rock lui-même ne peut pas se retrancher mécaniquement dans une posture de «valeur-refuge»: d’une part, sa dénomination est trop large pour lui assurer une réelle identité et, d’autre part, figer sa représentation conduirait à le dénaturer. On est donc bien dans la mise en scène d’une marginalité, proposant son éthique alternative et ses valeurs identitaires, mais qui s’inscrit dans une dynamique de remise en cause perpétuelle de ses propres modèles, pour ne faire résider comme unique principe que le refus de l’institutionnalisation ou de l’académisation.

Si le rock exerce une fascination sur les écrivains, c’est parce qu’il se construit au travers de mythes et de représentations symboliques qui sont indissociables de cette musique. Écrire (sur) le rock nécessitera donc de se confronter à ses topoï, en les représentant fidèlement, en les réinvestissant de manière plus distanciée voire en les détruisant. Seulement, cette appropriation d’une mythologie propre à la musique pourra être contrebalancée par une volonté de projeter le rock sur des mythes proprement littéraires. On voit donc bien comment, autour de cette question de l’imaginaire, s’articule dans ces textes un jeu d’échanges entre mythes littéraires et «mythes musicaux»[54]. L’écrivain a donc le pouvoir de participer à la fondation de cette mythologie, à l’instar des autres littératures mélomanes.

En outre, d’autres éléments plaident pour cette continuité entre les littératures mélomanes: la composition romanesque et le système des personnages ainsi que la double inclination méloforme et logogène de l’objet rock. Cependant, la question de la généricité permet de s’interroger davantage sur la continuité entre cette littérature consacrée au rock et les autres littératures mélomanes[55]. En effet, différents sous-genres classiques tels que le roman mélomane, le roman du musicien, le roman initiatique, la biographie de musicien, le roman noir, la science-fiction ou encore la chronique journalistique semblent être transposés dans l’univers du rock avec diverses nuances et modulations. Ainsi, la rupture immédiatement associée à l’adjectif rock serait bien plus fantasmée que réelle.

Au regard de tous ces sous-genres romanesques se distingue donc bien la multiplicité des genres réinvestis par l’écriture consacrée au rock. Dans chacun de ces genres, le rock apparaît comme un rouage essentiel de l’intrigue, mais ne propose pas une rupture avec le cadre générique préexistant. Ainsi, il devient un des éléments majeurs de la composition romanesque, sans bousculer de sa présence le modèle choisi inconsciemment ou volontairement par l’auteur, modèle qui se conjugue souvent avec l’attirance pour le roman du musicien. Seulement, si cette multiplicité des genres est problématique quant à la modélisation de la «littérature rock», un «sous-genre rock idéal» pourrait prendre la forme de la chronique.

Dans les sciences de l’information, on parle de bruit à l’égard de réponses non pertinentes proposées par le système d’interrogation de la base de données. On a tenté de montrer qu’il pouvait ici modéliser un espace pertinent de recherche des études musico-littéraires. Deux écueils restent inhérents à cet exercice. Il a été difficile, dans ce cadre, de suffisamment historiciser et territorialiser le rock et le corpus littéraire que l’on a mis en évidence. Il fallait également éviter de fixer la dynamique de cette recherche en cours en arrêtant dès à présent des pistes d’investigations.

 

D’une littérature mélomane rock: bruit assourdissant ou résonance féconde

Ainsi, affinant la dialectique entre littérarisation du rock et influence électrique sur la littérature, ce motif du bruit[56] paraît propre à unifier les grands questionnements poétiques, axiologiques et esthétiques, à partir de cette «méta-recherche» sur l’existence et la pertinence de la notion de littérature rock. Cependant, alors même que ce champ –encore ignoré voire contesté– nécessite une réflexion sur les possibilités mêmes de son existence, on a cherché à briser les grandes associations historiques entre grande musique et grande littérature d’un côté et musique populaire et paralittérature de l’autre. Sans fantasmer la marginalité du rock face à un prétendu académisme littéraire, on a tenté de dévoiler sa résonance féconde dans la littérature en vue d’une proposition d’élargissement et d’unification du corpus musico-littéraire au sein des études comparatistes.

 

Aurélien Bécue

Université Rennes 2-Haute Bretagne

 


[1] KUNDERA Milan, Le Livre du rire et de l’oubli, Paris, Gallimard, 1984, 241.

[2] Le rock sera ici compris dans son plus ample dénomination, depuis le rock’n’roll des années 1950 jusqu’à la pop actuelle. On sera malgré tout parfaitement conscient de cette immensité du champ musical couvert, qui pourra difficilement être plus historicisée dans ce cadre.

[3] On en restera ici de manière restrictive à ces trois auteurs, mais d’autres pourraient être envisagés (Burguess).

[4] LINBERG, Ulf; GUODMUNDSSON, Gestur; MICHELSEN, Morten; WEISETHAUNET Hans, Rock Criticism from the Beginning, Amusers, Bruisers & Cool-Headed Cruisers, New York, Peter Lang, 2005, 25.

[5] Ss. dir. NATTIEZ Jean-Jacques, Musiques, une encyclopédie pour le XXIe siècle, L’unité de la musique (volume 5), Paris, Actes Sud, 2007

[6] QUIGNARD Pascal, L’occupation américaine, Paris, Seuil, 1994, 150.

[7] Ibid.

[8] Ce terme est utilisé pour désigner la sixième partie du Livre du rire et de l’oubli, moment où l’héroïne Tamina se retrouve prisonnière de l’île des enfants.KUNDERA Milan, Le Livre du rire et de l’oubliop.cit., p.241-272.

[9] MILLET Richard, Le sentiment de la langue, Paris, La Table ronde, 1993, p.267. «La civilisation américaine entassait un si grand nombre de gadgets périmés que la déesse de ce monde lui paraissait commencer à ressembler […] à un grand entrepôt de carcasses de voitures et d’instruments dépareillés […]. Les âmes étaient en effet devenues […] des pauvres collages d’apparences, de comics, de séquences de films, de pochettes de disques, de réclames.» QUIGNARD Pascal, L’occupation américaineop.cit., p.120-121.

[10] On évitera le terme «roman» au vu du statut complexe et ambigu de la généricité des écrits de Milan Kundera.

[11] Pour définir l’inclinaison logogène on citera ici Timothée Picard, caractérisant le modèle des trois inclinaisons romanesques définies par Frédéric Sounac: «La première des trois types d’inclinations évoquées, qualifiée de «logogène», rend compte des œuvres dans lesquelles le propos et la fable peuvent évoquer la musique, mais sans que cela n’engage à proprement parler le style et la forme de l’œuvre. […] La deuxième inclination, «mélogène», répond à un désir de «musicaliser» la langue par le biais des assonances, des allitérations, du travail rythmique, des effets de répétition, etc. […] la troisième inclination, dite «méloforme», consiste à vouloir adapter à la littérature un procédé compositionnel propre à la musique: fugue et contrepoint, leitmotiv, thème et variation, série dodécaphonique, etc. » PICARD Timothée, Musique et indicible dans l’imaginaire européen: proposition de synthèse, http://www.vox-poetica.com/sflgc/biblio/ picard.html, page consultée le 22/10/2010.

[12] KUNDERA Milan, Le Livre du rire et de l’oubliop.cit., p.258.

[13] QUIGNARD Pascal, L’occupation américaine, op.cit., p.52.

[14] Ibid. p.149-150.

[15] MILLET Richard, Le sentiment de la langue, op.cit., p.212.

[16] Ibid., p.279-286.

[17] On ne saurait ici revenir sur les jeux d’échanges multiples entre le rock et les sphères artistiques et culturelles, mais on renverra par exemple au Lipstick Traces (parmi ses multiples ouvrages) de Greil Marcus, qui s’intéresse aux liens symboliques entre les avant-gardes du début du XXe siècle (le futurisme, DADA, les surréalistes, situationnistes et autres lettristes) et l’explosion punk. MARCUS Greil, Lipstick Traces, Une histoire secrète du vingtième siècle, (A secret history of the twentieth century), Paris, Editions Allia, 1999 (1989). On pourrait également citer deux ouvrages qui mettent en avant les recyclages littéraires opérés par la musique (et notamment par le rock):MALFETTES Stéphane, Les mots distordus, ce que les musiques actuelles font de la littérature, Paris, Éditions Mélanie Sétéun, 2000SS et URY-PETESCH Jean-Philippe (dir.), L’intertextualité lyrique, Recyclages littéraires et cinématographiques opérés par la chanson, Rosières-en-Haye, Camion Blanc, 2010

[18] On trouvera avec l’ouvrage de Dick Hebdige la meilleure illustration de cette appréhension des «sous-cultures» jeunes: HEBDIGE Dick, Sous-culture, le sens du style (Subculture. The Meaning of Style), Paris, La Découverte, 2008

[19] Cf. MARTEL Frédéric, Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, Paris, Flammarion, 2010

[20] Cf. LEVINE Lawrence W., Culture d’en haut, culture d’en bas, l’émergence des hiérarchies culturelles aux États-Unis (Highbrow/Lowbrow. The Emergence of Cultural Hierarchy in America), Paris, La Découverte, 2010 (1988) et MEISEL Perry, The Myth of Popular Culture (from Dante to Dylan), Oxford, Wiley-Blackwell, 2010

[21] MEISEL Perry, The Myth of Popular Culture, «The Battle of the Brows: A History of High and Low», op.cit., p.3-52.

[22] Le rock est d’ailleurs parfois bien souvent constitué par la tension entre une pratique lowbrow et une démarche artistique highbrow.

[23] Millet dit emprunter cette expression à Barthes sans avoir le souvenir de l’avoir lu. MILLET Richard, Le Sentiment de la langue, op.cit., p.100.

[24] STEINER George, Dans le château de Barbe-Bleue, Notes pour une redéfinition de la culture (In Bluebeard’ Castle, Some Notes towards the Redefinition of Culture), Paris, Gallimard, 1995 (1971), p.135.

[25] KUNDERA Milan, Le Livre du rire et de l’oubli, op.cit., p.267.

[26] «La philosophie, quand elle prend sa propre histoire pour de la pensée, ou la psychanalyse quand elle s’écoute elle-même et qu’on la prend pour une écoute de la littérature, contribuent à la surdité de l’époque. Comme les baladeurs préparent un peuple de sourds, les savoirs contemporains qui font leur bruit dans tant d’oreilles rendent sourds à la modernité de la modernité.» MESCHONNIC Henri, Pour sortir du postmoderne, Paris, Klincksieck, 2009, p.168.

[27] SZENDY Peter, Ecoute. Une histoire de nos oreilles, Paris, Les Éditions de Minuit, 2000.

[28] Ibid. p.124.

[29] Ibid. p.126.

[30] On pense ici au débat entre Boulez et Foucault dont fait état Jean-Jacques Nattiez dans la conclusion du dernier tome de son encyclopédie.

[31] STEINER George, Dans le château de Barbe-Bleue, op.cit., p.133.

[32] DELILLO Don, Great Jones Street, London, Picador, 1992

[33] Cette écoute se fait en effet sous l’égide de la responsabilité de l’écoute, mise en évidence par Peter Szendy.

[34] Ss. dir. NATTIEZ Jean-Jacques, Musiques, une encyclopédie pour le XXIe siècle, op.cit.

[35] Cette question de l’unité n’est bien sûr pas une prérogative, mais procède d’un mouvement dialectique dont la contestation apparaît parfois l’emporter face aux difficultés inhérentes à cette perspective et dont la conclusion fait état. Il en résulte une question de l’unité de la musicologie en vue de créer une musicologie générale, ne se fixant aucune limite dans ses investigations, mais guidée par des outils et des méthodes communes – en entendant bien qu’unité ne signifie pas totalité. 

[36] RALLO DITCHE Elisabeth, «Littérature et musique» in Anne Tomiche et Karl Ziegler (dir.), La Recherche en Littérature générale et comparée en France en 2007, Bilan et perspectives, Presses universitaires de Valenciennes, 2007, p.103-108.

[37] Ibid. p.308.

[38] On ne pourra revenir ici de façon exhaustive sur cette vacuité des outils critiques s’intéressant à cette hybridation du rock et de la littérature.

[39] HORNBY Nick, High Fidelity, London, Penguin Books, 1995. HORNBY Nick, Juliet, Naked, London, Penguin Books, 2010. COE Jonathan, The Dwarves of Death, London, Penguin Books, 2001. DELILLO Don, Great Jones Streetop.cit. RUSHDIE Salman, The Ground beneath her Feet, London, Vintage, 2000. LORIGA Ray, Héroes, Barcelona, Debolsillo, 2003. SPINRAD Norman, Little Heroes, London, Grafton, 1989. SAVITSKAYA Eugène, Un jeune homme trop gros, Paris, Les Éditions de Minuit, 1978. On signalera également la création récente de la collection «Solo» aux éditions le Mot et le Reste qui propose de courts textes issus de l’écoute ou du ressenti d’un album.

[40] On trouvera avec Rock Criticism from the Beginning, la synthèse la plus aboutie de ce champ de la critique rock. LINBERG Ulf et alii, Rock Criticism from the Beginning, op.cit.

[41] Le New Journalism est un mouvement théorisé par Tom Wolfe en 1973 dans le recueil The New Journalism qui se singularise par l’emploi de techniques littéraires dans l’écriture journalistique, la rapprochant manifestement de l’écriture romanesque. Cf. WOLFE Tom, The New Journalism, London, Picador, 1973

[42] Le journalisme gonzo, notamment pratiqué par Hunter S. Thompson, insiste sur l’ultra-subjectivité du journaliste en insistant sur les prismes influençant voire déformant la vision du journalisme, que ceux-ci soient des éléments extérieurs à celle-ci ou intérieurs (prise de stupéfiants notamment).

[43] BANGS Lester, Psychotic Reactions and Carburator Dung, London, Serpent’s Tail, 1988 et BANGS Lester, Mainlines, Blood Feasts and Bad Taste, London, Serpent’s Tail, 2003.

[44] KENT Nick, The Dark Stuff, Cambridge, Da Capo Press, 2002, TOSCHES Nick, Hellfire, London, Penguin Books, 2008.

[45] Ce terme est employé à Fabien Hein: «Rock et littérature sont pris dans des rapports symétriques méconnus. Je souhaiterai faire émerger ce que le rock fait à la littérature et ce que la littérature fait au rock en prêtant attention aux pratiques concrètes d’écriture et de publication, qui […] fondent ce qu’il est permis d’appeler une littérature rock […] Cette communication visera à explorer le caractère polymorphe de cette littérature spécifique.» HEIN Fabien, Le monde du rock et la littérature, 16 novembre 2005, CRILCQ, Université Laval.

[46] Cet emploi de la notion d’hybridité n’a rien d’évident. Il est notamment employé par Aude Locatelli dans son travail sur les «musique-fictions»: «Ce type de citation invite à souligner que l’«écriture-jazz», que j’ai tenté de caractériser, est nécessairement une écriture hybride.» LOCATELLI Aude, "Littérature et jazz", Littérature et musique, URL: http://www.fabula.org/colloques/document1285.php, page consultée le 06/06/2010. Elle poursuit cette réflexion sur l’hybridité et transposition intersémiotique avec l’idée que le jazz donne vie à l’écriture, qu’il est une musique de l’immédiateté, d’en bas, de la vivacité, illustrée par les notions de dynamique et d’élan. Ce processus de transposition intersémiotique vivifie la littérature. À la lecture, le roman devient un objet musico-littéraire dynamique. On en revient donc bien au statut hybride des œuvres musico-littéraires (hybridité à mettre en relation avec les jeux d’échanges) et à la dimension nécessairement métaphorique du fait de l’hétérogénéité des deux objets considérés. L’écrivain est condamné à utiliser un matériel qui est le sien. On doit alors s’interroger sur le double rapport identité, altérité et littérature, musique.

[47] Ce recours est exemplaire de romanciers comme Hornby ou Easton Ellis, mais également de critiques comme Bangs ou Marcus.

[48] BANGS Lester, Mainlines, Blood Feasts and Bad Tasteop.cit., p.167.

[49] Ibid. p.334.

[50] Ibid. p.67.

[51] Ibid. p.336-337.

[52] Cf. SPINRAD Norman, Little Heroes, op.cit.

[53] “Criticism is Entertainment.” LINBERG Ulf et aliiRock Criticism from the Beginning, op.cit., p.70.

[54] Le roman The Ground Beneath Her Feet de Salman Rushdie est exemplaire de ce jeu de reprise et d’échange entre le mythe orphique et la figure de la rock star.

[55] On pensera ici aux travaux d’Aude Locatelli sur les «musique-fictions» ou encore à toutes les études sur la littérature mélomane «classique», notamment de Françoise Escal, Hoa Hoï Vuong ou Claude Coste.

[56] Ce motif peut également interroger les transferts de notions de rythme et d’harmonie issues du rock vers le texte littéraire, ainsi que la matérialisation du son dans le roman. Celui-ci ne se fait pas que par l’intermédiaire du jeu intertextuel – réinscription de fragments issus d’une autre œuvre et d’un autre système sémiotique –, mais questionne également les divers procédés littéraires de la matérialisation d’une atmosphère sonore (et dans le cas du rock bruyante) dans le texte.