Comment parlons-nous des films qui n’existent pas? Goncharov vs. The Navidson Record

Comment parlons-nous des films qui n’existent pas? Goncharov vs. The Navidson Record

Soumis par Audrée Lapointe le 09/06/2023
Institution: 
Université du Québec à Montréal

 

Goncharov est un film de 1973, produit par Martin Scorsese et réalisé par Matteo JWHJ 0715, avec comme acteur-ice-s vedettes Robert de Niro, Cybill Sheperd, Harvey Keitel et Al Pacino. Longtemps resté dans l’inconscient culturel, l’intérêt pour le film de mafia italiano-russe renaît en en novembre 2022, lorsqu’une grande partie des utilisateur-ice-s de la plateforme de micro-blogage Tumblr commence à en parler.

The Navidson Record est un long-métrage filmé en 1990 par Will Navidson, qui documente l’aménagement de sa famille dans leur nouvelle maison sur Ash Tree Lane, en Virginie. Diffusé à petite échelle par la maison de production Miramax, le documentaire est rapidement devenu un incontournable dans la culture du cinéma américain. Il est le sujet de centaines d’ouvrages académiques, de corpus éducatifs, il est référencé dans les œuvres de Paul Auster, de Donna Tartt et décrit par Stephen King comme étant «pretty darn scary».

Goncharov n’existe pas. Il est la création d’une communauté de Tumblr qui, inspirée par le billet de zootycoon-archive–une photo d’une botte accompagnée de la légende «i got these knockoff boots online and instead of the brand name on the tag they have the name of an apparently nonexistent martin scorsese movie??? what the fuck», ayant reçu «this idiot hasn’t seen1» en réponse–décide d’en faire un vrai film. Goncharov devient le sujet d’analyses méta-textuelles, la muse d’artistes, la punchline (Phos, 2022) est mise en place pour que les personnes voulant participer au «gonchposting2» puissent être capables de se situer. Goncharov est le fruit d’une invention collective.

The Navidson Record n’existe pas non plus. Il est le sujet de l’essai de Zampanò, l’une des trois voix narratrices du roman House of Leaves, écrit par Mark Z. Danielewski et publié en 2000 par Pantheon Books. À l’intérieur même de la diégèse, The Navidson Record n’existe pas, comme l’écrit la seconde voix narratrice, Johnny Truant: «Zampanò’s entire project is about a film which doesn’t even exist» (Mark Z. Danielewski, 2000: p. XIX-XX.). The Navidson Record est une fiction dans la fiction.

Inspiré en partie par Comment parler des livres que l’on n’a pas lus?, de Pierre Bayard, le sujet de ce texte peut se résumer par cette question: comment parlons-nous des films qui n’existent pas? Le but est d’explorer deux formes de discours utilisées par les gonchposters et par Danielewski (à travers le personnage de Zampanò). La première forme est celle de l’appel au sens commun par l’appropriation des codes discursifs propres à la culture de fans et à la culture académique, représentée par Goncharov et The Navidson Record, respectivement. Dans cette partie, une approche théorique multidisciplinaire (mélangeant les études sur les communautés de fans d’Henry Jenkins et de John Fiske à celle de l’hégémonie culturelle) sera favorisée. La seconde forme discursive est le maintien du «kayfabe» (la suspension d’incrédulité), dont l’approche théorique postmoderne vient surtout de Simulacre et simulations de Jean Baudrillard. Avant tout cela, une courte explication du phénomène qu’est Goncharov ainsi qu’une présentation de House of Leaves semblent pertinentes, puisqu’ils sont tous les deux extrêmement récents.

Une théorie populaire est que l’étiquette sur la botte photographiée par zootycoon-archive était supposée faire la promotion du film Gamorrah, réalisé par Matteo Garrone en 2008 et «présenté» par Martin Scorsese, mais qu’une erreur d’impression a donné le résultat que nous connaissons aujourd’hui (Gavia Baker-Whitelaw, 2022). Le billet d’origine, daté du 21 août 2020, a beau avoir reçu beaucoup d’attention, c’est avec la publication d’une fausse affiche du film–distribution, esthétique et slogan y compris–éditée par l’utilisateur-ice beelzeebub 3 que la communauté de gonchposters voit réellement le jour. Ensemble, iels décident que Goncharov est un film de mafia, inventent une intrigue qui se déroule à Naples et déclarent que l’une des thématiques est celle du temps qui passe, représentée par les montres à gousset. Les gonchposters vont même jusqu’à inventer des dialogues, comme celui entre Goncharov et sa fiancée Katya–«Katya: Of course we’re in love. That’s why I tried to shoot you. Goncharov: If we really were in love, you wouldn’t have missed4»–qui aurait été tellement populaire à l’époque qu’il aurait été parodié par Les Muppets 5. Tout le monde entre dans le jeu, même Martin Scorsese lui-même qui confirme avoir fait le film quelques années plus tôt6.

Passons maintenant à House of Leaves, l’étrange première publication de Mark Z. Danielewski. Nous l’avons vu, l’intrigue principale du roman, le documentaire The Navidson Record, est fictive, même dans sa diégèse. Johnny Truant l’annonce dès la préface, tout ce que le lectorat s’apprête à lire doit être pris avec un énorme grain de sel:  

You can look, I have, but no matter how long you search you will never find The Navidson Record in theaters or video stores. Furthermore, most of what’s said by famous people has been made up. I tried contacting all of them. Those that took the time to respond told me they had never heard of Will Navidson let alone Zampanò (2000: XIX-XX).

Il poursuit en expliquant que si certaines sources citées dans l’essai de Zampanò sont réelles, beaucoup ne le sont pas, avant d’insister sur les probables erreurs qu’il aurait commises lors de sa révision. Mais faux ne veut pas dire invraisemblable et c’est ce qui nous intéresse. «Zampanò» (comprendre Danielewski) arrive à rendre The Navidson Record vraisemblable parce qu’il reprend des codes discursifs propres au langage académique, tout comme les gonchposters se sont réapproprié les codes culturels de la communauté de fans.

Pour expliquer comment Goncharov et The Navidson Record arrivent à parler de films qui n’existent pas, il faut tout d’abord prendre compte du concept de «sens commun» propres à ces codes. Intrinsèquement idéologique, le sens commun est la distorsion d’un système de significations «propres à un groupe social spécifique (celui des détenteurs du pouvoir) [qui] sont transformées en données universelles pour l’ensemble de la société» (Dick Hebdige, 1979: 12). Autrement dit, le sens commun est l’acceptation passive de règles, codes et conventions, qui semblent «aller de soi», même s’ils universalisent la culture dominante aux dépends des autres cultures. Cette domination idéologique est inconsciente et constamment répétée, ce qui lui donne une apparence de naturalité et a un «effet de reconnaissance instantanée» (ibid.: 15), explique Stuart Hall, cité dans Sous-cultures: Le sens du style, de Dick Hebdige. Ce dernier mentionne aussi que tous les aspects culturels ont une valeur sémiotique et que même les phénomènes les plus naturels fonctionnent comme des signes, des «éléments de systèmes de communication régis par des codes et des règles sémantiques» (ibid.: 17), capables d’être fidèles ou non à la réalité sur laquelle ils sont construits. Pour résumer, le sens commun est l’acceptation inconsciente d’un phénomène culturel sans cesse répété, basée sur la reconnaissance immédiate de codes. Le sens commun est un résultat de l’hégémonie culturelle, concept propre à la théorie gramscienne, selon laquelle l’influence idéologique bourgeoise sur la culture populaire a formé cette dernière dans des «ethos individualistes et consuméristes» (Allan Deneuville, 2021: 144) qui empêchent la remise en question. C’est pourquoi les phénomènes culturels qui reprennent les codes culturels sans toutefois correspondre à leur idéologie provoquent un sentiment de confusion: ils «interrompent le processus de normalisation» et sont le propre d’un discours qui «contredit le mythe du consensus» (Dick Hebdige, 1979: 21).

Retournons à Goncharov, qui joue avec le sens commun des communautés de fans en se réappropriant ses codes discursifs. Déjà, la simple existence d’une communauté dédiée au film implique son existence. Mais il est possible d’aller plus loin. L’idéologie dominante de la culture des fandoms est celle de la participation collective, qui font des fans d’un média (film, série télé, livre ou autre) des «active participants in the construction and circulation of textual meanings» (Henry Jenkins, 2013[1992]: 24) à travers leurs productions. John Fiske théorise que ces productions peuvent être sémiotiques, énonciatives et textuelles. Cette dernière est la plus pertinente, puisqu’elle englobe les productions artistiques (fanarts, fanfictions, montages, cosplays, etc.) et méta-textuelles (analyses, interprétations, liens intertextuels, commentaires appréciatifs ou critiques, etc.). Ainsi, la présence de productions textuelles est l’un des codes les plus importants dans la culture des fandoms. C’est pourquoi le large nombre de fanarts (reproductions de scènes7 et des personnages8), de captures d’écrans9, de montages10 et de fanfictions11 dédiées à Goncharov semble confirmer son existence. Après tout, pourquoi quelqu’un ferait l’effort de créer quelque chose pour honorer un média qui n’existe pas? Comme John Fiske prend le temps de le souligner, les productions textuelles ont beau être «often crafted with production values as high as any in the official culture» (1993: 39), les fans ne sont pas motivé-e-s par un aspect monétaire. Comment peut-on alors expliquer un phénomène comme Goncharov? La réponse est simple et résumée par l’utilisateur-ice de Tumblr almostsweetangel: «it's FUN. THAT'S WHY. THE PURPOSE IS THE ACT, THE MESSAGE IS THE MEDIUM, THE SYMBOL IS THE STORY» (23 novembre 2021). La motivation des gonchposters est le simple plaisir qui vient avec l’appropriation d’un média et du partage des productions entre fans. Il est ainsi de sens commun d’assumer que Goncharov est réel, puisque sa communauté de fans–les gonchposters–l’est. Le but n’était pas d’accumuler un capital, ou de tromper les personnes en dehors de leur cercle: le but était de s’amuser à inventer un film avec un groupe.  En réutilisant les codes culturels des communautés de fans (surtout les productions textuelles collectives), les gonchposters ont réussi à simuler l’existence d’un film simplement parce qu’iels ont fait appel au sens commun appartenant aux communautés de fans.

Le cas de The Navdison Record est un peu différent. Non seulement parce que Zampanò utilise les codes du discours académique, mais aussi parce que, nous l’avons vu plus haut, le documentaire est fictionnel à même la diégèse d’House of Leaves. Cependant, dans le but de rendre le discours de Zampanò le plus vraisemblable possible, Danielewski fait appel à ce que Michel de Certeau appelle «the mastery of language», ou l’appel à l’autorité, emblématique de l’autorité culturelle et du «social power exercised by the dominant classes within the social formation» (Henry Jenkins, 2013[1992]: 24), ayant comme but de contrôler les lectures possibles–et surtout acceptables–des médias culturels. Danielewski fait appel au sens commun académique en écrivant le récit de la famille Navidson sous la forme la plus associée à la culture savante, l’essai, avec toutes ses caractéristiques, comme le langage soutenu, les citations à d’autres textes et les références savantes. Le meilleur exemple de ces caractéristiques se trouve dans l’introduction, lorsqu’il est question de la réputation du documentaire:

In the 17th century, England’s greatest topographer of worlds satanic and divine warned that hell was nothing less than “Regions of sorrow, doleful shades, where peace/And rest can never dwell, hope never comes/That comes to all” thus echoing the words copied down by hell’s most famous tourist: “Dinanzi a me non fuor cose create/Se non etterne, e io etterna duro./Lasciate ogni speranza, voi ch’entrate.” (2000: 4)

Deux choses sautent aux yeux. La première est l’apparent refus de Zampanò de nommer ses références, qui ont beau être des œuvres considérées comme des classiques littéraires (respectivement Le Paradis Perdu de John Milton et L’enfer de Dante Alighieri, première partie de sa Divine Comédie), ne seront pas nécessairement familières aux personnes qui ne les ont pas lues mais les connaissent de nom et de réputation. La seconde chose est l’absence de traduction de la seconde citation. Cela qui rend l’essai, dès sa première page, inaccessible aux personnes qui ne parlent pas italien. Il s’agit pourtant du passage le plus connu de la Divine Comédie, «Avant moi ne furent nulles choses créées, mais éternelle, et éternellement je dure: laissez toute espérance, vous qui entrez!» (Dante Alighieri, 1893: 16), qui aurait été reconnaissable s’il avait été traduit. Zampanò présente immédiatement une tendance à citer des sources académiquement connues sans les expliquer, qui se poursuit tout le long de son essai. Parce qu’il présume que son lectorat n’a pas besoin d’explications, il en condamne une partie, celle qui n’est pas familière avec les références, à une position de passive acceptance «because they are always going to be guilty of infidelity or ignorance» (Michel de Certeau, 1984: 171). Ainsi, Zampanò se place comme figure d’autorité parce qu’il affiche ouvertement ses connaissances culturelles, son expertise, son capital et, comme son lectorat est «supposed to serve as the more-or-less passive recipient of authorial meaning» (Henry Jenkins, 2013[1992]: 25), explique Henry Jenkins, son sens commun est de croire en ses mots. Mais ce n’est pas tout, car Zampanò fait aussi appel à l’autorité d’autres expert-e-s, soit pour les contredire dans le but de soutenir son argument–il référence l’opinion d’un certain Dr. Isaiah Rosen, dont l’autorité vient de son titre, pour la contredire: «Despite Rosen’s claim, nothing about [Navidson] seems particularly devious or false. Nor does he appear to be acting» (2000: 9)–soit pour le solidifier, comme lorsqu’il cite Edith Skourja et son «impressive forty pages essay entitled Riddles Without on this one episode» (ibid.: 33). Les codes du discours académique que reprend Danielewski pour rendre l’essai de Zampanò crédible est donc le modèle de l’appel à l’expertise «of specially trained and sanctioned interpreters» qui surpasse «the street knowledge of the everyday reader» (Henry Jenkins, 2013[1992]: 25), poussant ce dernier à accepter le discours comme un fait, quelque chose qui va de soi. Pour résumer, les gonchposters et Danielewski utilisent des codes (culturels des communautés de fans et discursifs du langage académique, respectivement) qui forment un sens commun, ce qui rend les films dont iels parlent vraisemblables, même si, et c’est ce qui nous mène au second point, tout le monde sait qu’ils n’existent pas.

Habituellement utilisé dans le contexte de la lutte professionnelle, le terme «kayfabe» est «the fact or convention of presenting staged performances as genuine or authentic12», et est souvent illustré par les lutteur-euse-s qui continuent à jouer leur personnage même hors du ring. Sans utiliser le terme, Roland Barthes explique les effets du kayfabe sur le public qui, parfaitement conscient que le match observé est une performance, «se confie à la première vertu du spectacle, qui est d’abolir tout mobile et toute conséquence: ce qui lui importe, ce n’est pas ce qu’il croit, mais ce qu’il voit» (1957: 14). Il en va de même avec les personnes qui croisent une publication sur Goncharov sur leur page Tumblr et avec le lectorat de Danielewski: iels savent (à quelques exceptions dans le cas de Goncharov 13) que le film n’existe pas, mais iels acceptent cela et, un peu comme dans un contrat de lecture, suspendent leur crédulité. L’illusion demeure intacte malgré l’accord commun qu’elle est fausse. Cela peut s’expliquer parce que l’intention n’a jamais été de tromper les autres ou de dissimuler la vérité, mais de la simuler. «Dissimuler est feindre de ne pas avoir ce qu’on a. Simuler est feindre d’avoir ce qu’on n’a pas» (1981: 12), explique Jean Baudrillard dans Simulacre et Simulations, et le but des gonchposters et de Danielewski n’est pas de convaincre les autres que leurs histoires sont vraies. Leur but est de simuler une histoire qui pourrait être vraie.

Pour cela, iels font tout d’abord usage de ce que Baudrillard appelle la surenchère des «mythes d’origines et des signes de réalité» (ibid.: 17). Autrement dit, les gonchposters et Danielewski inventent une figure mythique qui sera à l’origine de leur film. Goncharov a Matteo JWHJ 0715, The Navidson Record a Will Navidson. Il faut ensuite créer des signes de réalité autour de ces figures. Pour Goncharov, ces signes sont la publication de l’utilisatrice Galaxygolfergirl–qui invente une existence complète à Matteo, de sa naissance dans une ville italienne sous le régime de Mussolini, jusqu’à sa tragique fin, par défénestration accidentelle alors qu’il jouait de la mandoline 14–ainsi qu’une collection de captures d’écran du documentaire Netflix JWHJ 0715, publiée sur Tumblr par apas-95 (22 novembre 2022). Bien que les informations inventées de toutes pièces, les genres de la biographie et du documentaire sont largement perçus comme des représentations authentiques, c’est pourquoi ils servent de signes de réalité. Danielewski n’est pas en reste, car il invente à Will Navidson une enfance difficile avec une mère absente (2000: 22), une participation à la guerre du Vietnam (ibid.: 367) et une carrière de photojournaliste qui le mène à gagner un prix Pulitzer «for his picture of a dying girl in Sudan» (ibid.: 6). Les signes confirmant la réalité de Navidson sont nommés à plusieurs reprises dans les notes de bas de pages, mais comme la simulation demande de feindre d’avoir ce qu’on n’a pas, ils sont inexistants, déclarés manquants par l’éditeur-ice ou «no longer in print» (ibid.: 83).

Une autre surenchère nommée par Baudrillard est celle de «vérité, d’objectivité et d’authenticité secondes» (1981: 17), qui sont aussi des signes de réalité, cette fois de l’objet simulé, des preuves de leur existence trouvées dans l’espace culturel. Goncharov a, par exemple, été parodié dans un épisode de Sesame Street « as "Gotcha-Clock", in a segment designed to teach telling time15». Il est référencé dans un épisode de la série de bande dessinée d’Alison Bechdel, Dykes to Watch Out For, daté du 22 mai 199116, et l’actrice Lynda Carter publie une photo prise lorsqu’elle a assisté à la première du film17. The Navisdon Record, lui, a été visionné par de grands noms comme Stanley Kubrick, Jacques Derrida, Anne Rice et David Copperfield (Mark Z. Danielewski, 2000: 354-365). L’une de ses scènes est le sujet de nombreuses blagues dans les émissions de fin de soirée comme celles de Jay Leno et de David Letterman, ou dans la sitcom Home Improvement de Tim Allen, qui fait de la scène une «one minute parody in the dark, mostly having to do with stubbed toes, broken dishware, and misdirected gropes» (ibid.: 468). Toutes ces «preuves» sont des simulacres, parce qu’elles sont habituellement des signes de la réalité et assumées comme telles. La volonté de maintenir le kayfabe le plus longtemps possible demande la création de signes de réalité, non pas pour la dissimuler, mais pour la simuler.

«Le commentaire sur les livres non-lus est un travail de création» (2007: 160), voire la création elle-même, rappelle Pierre Bayard, dans l’épilogue de Comment parler des livres que l’on n’a pas lus?. Cela s’applique aussi aux films qui n’existent pas. Comment ne pas apprécier les capacités créatrices mises en place dans un discours qui invente une œuvre de toutes pièces? Comment ne pas applaudir une connaissance si aigüe des codes de sa culture qu’il est possible de les simuler à la perfection? Comment ne pas louanger cette volonté de rester dans le kayfabe jusqu’à ce que la blague ne soit plus drôle, jusqu’à ce que le lectorat ferme la quatrième de couverture? Goncharov et The Navidson Record sont devenues des œuvres en elles-mêmes parce qu’ils marquent «un pas de plus dans la conquête de soi et dans la libération du poids de la culture» (ibid.: 161). La communauté de gonchposters et Danielewski sont des représentations de la figure créatrice libre, qui inventent parce que cela «it brings people joy for its mere existence and that IS the point18». Goncharov et The Navidson Record sont des films qui n’existent pas physiquement, mais qui existent parce qu’on parle d’eux.

N'existe-t-il pas une plus belle lettre d’amour à la créativité?

 

Bibliographie

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  • 1. Zootycoon-archive, «i got these knockoff boots online…», Tumblr, 21 août 2020, en ligne, consulté le 22 mars 2023.
  • 2. Bien que le fandom de Goncharov n’a pas de nom, l’action de publier des billets à propos du film est appelée «gonchposting». Ainsi, afin d’alléger le texte, la communauté sera appelée «gonchposters».
  • 3. Beelzeebub, «Goncharov (1973) dir. Martin Scorsese», Tumblr, 18 novembre 2022, en ligne, consulté le 22 mars 2023.
  • 4. Powerbottombrucespringsteen, «When Katya said…», Tumblr, 20 novembre 2022, en ligne, consulté le 20 mars 2023.
  • 5. Moths-in-hats, «The Muppets as Goncharov (1973)», Tumblr, 13 décembre 2022, en ligne, consulté le 21 mars 2023.
  • 6. Mexisco, «GUYS? Martin Scorsese’s daughter Francesca told him about Goncharov…», Tumblr, 25 novembre 2022, en ligne, consulté le 20 mars 2023.
  • 7. When-sandpape-arts, «honestly Andrey’s betrayal gave me actual chills…», Tumblr, 22 novembre 2022, en ligne, consulté le 20 mars 2023.
  • 8. Quiddling, «my toxic trait is them», Tumblr, 23 novembre 2022, en ligne, consulté le 20 mars 2023.
  • 9. Skylessnights, «GONCHAROV (1973) dir. Martin Scorsese», Tumblr, 24 novembre 2022, en ligne, consulté le 20 mars 2023.
  • 10. Margaretacarter, «pscentral event 09: comfort | comfort movie», Tumblr, 28 novembre 2023, en ligne, consulté le 20 mars 2023.
  • 11. Works in Goncharov (1973) dir. Martin Scorsese–beelzeebub, Archives of Our Own, en ligne, consulté le 13 avril 2023.
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