Blonde et Légale: Échos d’un nouvel archétype féminin

Blonde et Légale: Échos d’un nouvel archétype féminin

Soumis par Kelly Eden le 08/07/2021
Institution: 
Cégep Champlain St. Lawrence
Catégories: Féminisme, Fiction

 

«Je vais vous montrer de quoi Elle Woods est capable.» (Robert Luketic, 42:37-42:43)

La culture pop a longtemps été produite afin de servir les intérêts des hommes blancs occultant les femmes, sauf à de rares exceptions où on pouvait les voir dans des représentations de victimes d’hypersexualisation ou de misogynie. Depuis quelques années, tout en reconnaissant que bien du chemin reste à parcourir, on constate l’apparition de personnages féminins forts et dignes dans des textes importants et respectés de la culture populaire.  Ce nouvel archétype féminin est bien différent de l’ancien, car la femme est dépeinte comme étant à la fois douce et féminine, mais aussi rusée et imparfaite, prête à surmonter les barrières qui lui sont fixées par une société patriarcale.  Bien que souvent catégorisée comme une autre comédie romantique dénuée de sens, Blonde et Légale (2001) de Robert Luketic est l’un des textes pionniers de la culture populaire en ce qui concerne la représentation du nouvel archétype féminin qui met en scène une femme charmante et astucieuse, une guerrière des temps modernes en plus d’une amante contemporaine.

Elle Woods, la protagoniste de ce film, à la fois séduisante et intelligente, véhicule une féminité qui n'est pas réductrice. D’entrée de jeu, elle se fait larguer par son petit ami Warner, futur étudiant à Harvard. Elle rebondit et réussit à être admise à la Faculté de droit à son tour, mais elle est toujours considérée comme la blonde stupide stéréotypée. Malgré cela, elle parvient à décrocher un stage convoité et remporte finalement un procès important. Sa féminité est un atout et n'est pas supprimée pour s'adapter à un moule ou à un trope populaire. Au contraire, elle démontre que les femmes contemporaines ne sont pas limitées à une simple existence ordinaire. Elle Woods a des traits de personnalité bien féminins et, par le fait même, correspond aux normes sociétales de beauté. Par exemple, sa garde-robe se compose principalement de tout ce qui est rose et scintillant. Par ailleurs, son style sert de critique à une construction assez exclusive du féminisme. En effet, les rivaux de Woods aimeraient croire que sa garde-robe rose et le nuage doux au-dessus de son stylo indiquent qu’elle n’est pas aussi intelligente qu’eux, et qu’elle n’a alors pas sa place parmi eux (Kelly A. Marsh, p.203). Elle prouve plutôt, tout au long du film, que le féminisme et la féminité ne doivent pas être séparés (Jazmine M. Moreno, p.17). Luketic entérine cette qualité bien au-delà de la garde-robe de Woods: l’étudiante en droit utilise ses connaissances de la beauté pour devenir une bonne avocate. En effet, le film va à l'encontre de la notion galvaudée et limitative qui est toujours si présente dans la culture populaire selon laquelle «soit elle peut choisir d'être féminine, soit elle peut choisir d'être compétente, mais elle ne peut pas être les deux». (ibid., p.84). Dans le procès pour meurtre du mari de Brooke Windham, Hayworth Windham, Woods gagne finalement le procès en attrapant Chutney Windham, sa fille, dans ses mensonges lorsqu'elle déclare: «Au risque de désactiver le thioglycolate d'ammonium?» (Robert Luketic 1:26:19-1:26:23) L'agresseur s'était fait faire une permanente et ne pouvait donc pas se retrouver sous la douche lorsque le coup de feu a été tiré, ce qui lui a fait perdre son alibi. Woods représente bien sa cliente, car elle comprend l'industrie de la beauté et la condition féminine (Linda Holmes, 12:41-12:48).  Elle démontre perpétuellement un féminisme girlie dans lequel elle est à la fois résolument féminine et compétente.

À travers ses relations et ses interactions avec d'autres femmes, Elle Woods illustre les qualités d'une guerrière des temps modernes et d'une Amazone. Les Amazones «incarnent l’extrême féminin hérétique et insoumis, et leur caractère barbare souligne de manière moralisatrice la menace que représentent les femmes s’écartant des normes prescrites» (Fanie Demeule, p.11). Elle Woods est une leadeure positive dans sa communauté de femmes. Elle n'est pas aussi agressive que l'Amazone traditionnelle (Heidi-Jo Davis-Solyu, p.115), et incarne plutôt une version plus moderne de la guerrière: la Néo-Amazone. Ces femmes dépeignent une adaptation plus souple de l'Amazone: ce sont des guerrières contemporaines qui ne sont pas forcément hostiles aux hommes, mais se présentent comme émancipées et indépendantes (Fanie Demeule, p.21). Dans l’une des scènes du film, ce qui commence par une visite réconfortante dans un salon de beauté devient rapidement une marque de Woods, une Néo-Amazone qui montre à toutes les femmes au salon le Bend and Snap, qui les amène à acquérir une nouvelle confiance en elles. De manière plus concrète, elle offre une aide juridique à son esthéticienne et confidente, Paulette. En effet, ensemble, elles vont réussir à rapatrier le chien de Paulette que son ex-mari gardait, montrant la force de ces deux femmes guerrières au cœur brisé qui se réunissent. D'abord vus comme des femmes solitaires, ces personnages découvrent la force qui existe dans l'unité (idem). Les interactions de Woods avec son mentor, la professeure Stromwell, montrent également ses dispositions en tant que Néo-Amazone. Bien que semblant antipathique à première vue, Stromwell montre du respect à l’étudiante en la traitant sur un pied d'égalité et en la sortant de la classe pour ne pas avoir terminé les lectures assignées: «Elle part du principe qu'Elle est une étudiante sérieuse comme n'importe qui d'autre dans la salle et qu'elle devrait être tenue aux mêmes standards qu’eux» (Kelly A. Marsh, p.205). Plus tard, lorsque Woods veut quitter Harvard après avoir subi les avances déplacées de la part d’un professeur, Stromwell lui dit: «Si vous laissez un gros connard stupide bousiller toute votre existence, je serais très déçue d’avoir cru en vous» (Robert Luketic, 1:18:32-1:18:44). C'est d'une manière sévère et directe que la professeure encourage son étudiante, lui montrant un respect sans limites dans un champ dominé par les hommes. De même, la relation de Woods avec la nouvelle fiancée de Warner, Vivian, est initialement présentée de manière défavorable. Vivian est dépeinte comme un personnage féminin intellectuel traditionnel aux cheveux bruns, malveillant, qui utilise son style comme «une tentative de minimiser sa sexualité» (Kelly A. Marsh, p.205), ce qui renforce l'idée que les femmes n'ont pas leur place en droit. Plus l’histoire évolue, plus Vivian discute avec Woods et commence à comprendre sa collègue et rivale. Woods se met alors à encourager la féminité de Vivian, ce qui aura comme résultat le rejet de Warner, par toutes les deux, montrant une fois de plus le pouvoir des femmes qui se regroupent telles les Néo-Amazones.

Woods incarne également le nouvel archétype féminin à travers ses interactions avec les hommes dans un domaine académique et professionnel dominé par ces derniers. En effet, elle suit son ex-petit ami Warner à Harvard dans l'espoir de le reconquérir, mais lui montre qu'elle est bien plus qu'une blonde idiote en remettant en question à la fois ce qu’il pense d'elle et de ses capacités. Elle Woods est une femme dévouée et travaillante, car même après que Warner lui ait déclaré: «Tu n’es pas assez intelligente mon cœur» (Robert Luketic, 27:18-27:23) elle parvient à obtenir une note de 179 sur son LSAT (ibid., 42:07-42:09) et à être admise à la Faculté de droit de Harvard. On apprend également plus tard que Warner était d'abord sur une liste d'attente, renforçant l'impression que la protagoniste mérite amplement sa place. Woods excelle dans ce qu'elle fait et ne s'excuse pas auprès des hommes qui se dressent sur son chemin. Dans une plaidoirie sur les droits parentaux accordés aux donneurs de sperme, elle affirme que «toute émission masturbatrice où le sperme par définition ne féconde rien est un abandon de paternité» (ibid., 48:26-48:33). À ce moment-là, non seulement défend-t-elle son point de vue d'une perspective féministe, mais elle réclame aussi le respect de ses pairs en leur montrant qu'elle peut penser comme une avocate. Par ses réflexions dans son cours d’éthique, Woods capte l’attention du professeur Callahan qui deviendra plus tard son mentor de stage. En l'acceptant comme stagiaire, Callahan donne à Woods l'impression qu'elle est digne et qu’elle mérite son poste. Cependant, au cours de ce stage, le professeur demande souvent aux femmes d’aller chercher son café et parle par-dessus elles, et par conséquent, les invalide, les objective et les minimise. Plus tard, Callahan va même faire des avances sexuelles à sa stagiaire et lui faire des attouchements sans son consentement, ce qui la déstabilisera et détruira sa confiance et son estime. Elle décidera alors de confronter son professeur:

Elle Woods: C’est quoi, une proposition?
Professeur Callahan: Vous êtes une jolie fille.
Elle Woods: Tout ce que vous venez de me dire . . .
Professeur Callahan: Je suis un homme qui sait ce qu’il veut.
Elle Woods: Et moi je suis une étudiante qui s’aperçoit que son prof est un pitoyable trou du cul (ibid., 1:15:35-1:16:02)

Bien que sa réponse soit une démonstration de force, Woods demeure assez ébranlée et réfléchit à l'idée de quitter la Faculté de droit. Cette situation montre les dangers de l'inconduite sexuelle sur le lieu de travail qui va bien au-delà de l'acte et peut ruiner l'estime de soi.

Le film de Luketic met également en vedette des personnages masculins comme Emmett, qui renversent le stéréotype selon lequel chaque homme qui réussit a derrière lui une femme qui reste immobile, qui est jolie, et qui l'aime inconditionnellement (Linda Holmes, 11:30-11:35 ). Emmett respecte Woods et lui dit: «Tu sais, être blonde ça te donne un pouvoir non négligeable. Tu as plus d’atouts en main que tu ne le crois. Personnellement, j’aimerais te voir assumer ce pouvoir» (Robert Luketic, 1:04:04).  Les actions d'Emmett vont à l’encontre du récit patriarcal traditionnel qui dépeint les hommes comme dominants et nonchalants. Il encourage Woods et l'aide à réaliser son plein potentiel, avec amour et patience. À la fin du film, elle est élue major de promotion par ses pairs, ce qui témoigne de son succès à intégrer le monde des hommes et à être respectée par eux, malgré sa féminité ostentatoire qui l’aurait, normalement, empêché de gagner une telle considération, jetant ainsi les bases pour les générations futures.

Blonde et Légale de Robert Luketic présente un nouvel archétype féminin dans lequel les femmes sont à la fois féminines et intelligentes, présentent les qualités d'une guerrière Néo-Amazone et interagissent avec les hommes dans des domaines traditionnellement dominés par ces derniers, le fameux boys club, tels le droit et le monde universitaire. Bien que pionnière, la production n'est toujours pas à la hauteur en ce qui concerne la représentation des femmes, ainsi que de personnages marginalisés, racisés ou appartenant à la communauté LGBTQ+ dans la culture populaire. Blonde et Légale offre néanmoins aux spectateurs et spectatrices une perspective novatrice en mettant en scène une femme à qui s’identifier qui n’a pas besoin de prendre des attributs masculins pour réussir dans un univers masculin.

 

Bibliographie

Davis-Soylu, Heidi Jo. «Pretty Fierce: Amazon Women and Art Education», Visual Arts Research, vol. 37, no. 2, 2011, pp. 113–127. JSTOR, www.jstor.org/stable/10.5406/visuartsrese.37.2.0113.  Consulté le 30 March 2021.

Demeule, Fanie, «Représentations des Néo-Amazones: Katniss (The Hunger Games), Brienne (Game of Thrones) et Lagertha (Vikings)», Université du Québec à Montréal, November 2020. file:///Users/kellyeden/Downloads/Demeule_F._Thesis_2_novembre_2020%20(3).pdf. Consulté le 29 March 2021.

Holmes, Linda. «“Legally Blonde” 20 Years Later», Pop Culture Happy Hour from NPR, 16 April 2021, https://www.npr.org/2021/04/14/987337889/legally-blonde-20-years-later?fbclid=IwAR28pzw-ObmB9Tbk_dnmjv-kQ-Op5NWk0LTy73BmCUZE4R4IhXIAu5fqtz4.

Luketic, R. (2001). Legally Blonde. Metro-Goldwyn-Mayer Distributing Corporation (MGM).

Marsh, Kelly A. «Dead Husbands and Other “Girls' Stuff”: The “Trifles” in “Legally Blonde”», Literature/Film Quarterly, vol. 33, no. 3, 2005, pp. 201–206. www.jstor.org/stable/43797229. Consulté le 27 March 2021.

 McCullah Lutz, Karen and Smith, Kirsten. «Shooting Draft», Legally Blonde. 31 July 2000.

https://imsdb.com/scripts/Legally-Blonde.html. Consulté le 30 March 2021.

Moreno, Jazmine M., «From Blonde to Brutal: A Feminist Rhetorical Analysis of Legally Blonde and How to Get Away with Murder», Digital Commons @ ACU, Abilene Christian University, 2017. https://digitalcommons.acu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1058&context=etd. Consulté le 30 March 2021.