Appels à contribution

 

POP-EN-STOCK est constituée de dossiers thématiques à composition rapide ainsi que d’articles individuels («Zone Libre») sur tout ce qui concerne la culture populaire contemporaine. Deux articles seulement sont requis pour lancer un numéro de POP-EN-STOCK. On préconisera les numéros à stricte thématique d’objet, comme dans les deux premiers numéros sur l’Érotique du vampire et le Slender Man: croque-mitaine du web 2.0.

Les dossiers thématiques, comme les articles individuels, sont à soumission ouverte. Une fois un numéro thématique «lancé», il demeure ouvert, indéfiniment, à quiconque voudrait y soumettre une collaboration. Le(s) directeur(s) d’un dossier s’engage(nt) à évaluer et éditer les nouvelles propositions à leur dossier pour une durée de deux ans, sous la supervision des directeurs de la revue.

La longueur des articles est variable. POP-EN-STOCK accepte une limite inférieure équivalente à sept ou huit pages (3000 mots), afin de favoriser la publication rapide, mais peut aussi accepter des articles beaucoup plus longs selon l’offre (n’étant pas limitée par un impératif de préservation de la forêt boréale).

POP-EN-STOCK, c’est la rigueur d’une revue savante imprimée adaptée aux avantages du web.

 

APPELS À CONTRIBUTION

Érotique du vampire

Dès son inscription littéraire dans la culture savante au milieu du Siècle des Lumières, la figure du vampire est singulièrement érotisée, en contraste radical avec la tradition populaire qui en faisait un avatar sanguin du simple mort vivant. C'est encore l'érotisme qui sous-tend la prégnance de ce mythe dans l'iconosphère contemporaine, envahie depuis le début du millénaire par une surenchère transmédiatique et véritablement planétaire de vampires. Si les visages vampiriques de Kristen Stewart et Robert Pattinson dans leurs rôles respectifs de Bella Swan et Edward Cullen dominent du haut de leur über-stardom olympien les magazines people de toute la planète, twifans et twihards se comptent par milliers, échangeant sur les réseaux sociaux cybernétiques leurs potins pré, ultra ou post-adolescents au sujet de la saga vampirique de Stephenie Meyer (70 millions de livres vendus et 383 millions de dollars de recettes pour le premier film). L'invasion vampirique est partout déclarée, des grands écrans aux petits (True Blood, The Vampire Diaries, etc.), des jeux vidéos (Vampire: the Masquerade, etc.) aux bandes dessinées (du manga de Maruo Suehiro Vampyre au webcomic LaMortéSisters) des communautés Facebook aux tatouages des tribus urbaines. 

L'on peut, à la lumière de ses variations contemporaines, s'interroger sur ce qui constitue aujourd’hui l'érotique du vampire (et ce qui reste de ses invariants), en s'appuyant sur des approches pluridisciplinaires qui vont des études culturelles à la sémiologie, la sociocritique, les études filmiques, la ludologie, les études hypermédiatiques, la mythocritique, l'histoire de l'art, la sexologie, etc.

Responsable du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

Le Slender-Man: croque-mitaine du web 2.0.

Il est né sur les forums de Something Awful et s'est répandu sur le Web comme une traînée de poudre, comme une forme qui n'attendait que d'être nommée, comme une chose qui était déjà là. Dans ce dossier, nous tenterons de comprendre la noire fascination exercée par le Slender Man sur toute une génération d'internautes réactivant consciemment et inconsciemment de vieux archétypes culturels pour créer un mythe nouveau de la terreur.

Responsable du dossier: Samuel Archibald

 

Cinéma de l’extrême

L’extrême est cette frontière que l’on franchit afin d’en créer une nouvelle. Il invite à briser les règles pour en imposer d’autres qui seront à leur tour remises en question. Provocant et révolutionnaire, l’extrême est constamment dépassé par lui-même. Incapable de demeurer en place, il garde le cap vers de sauvages territoires à explorer. 

Au cinéma, il s’exprime à travers ces œuvres qui, à leur manière, viennent pousser les bornes du médium. Ces films ne se limitent cependant pas à tenter d’atteindre un paroxysme dans la représentation de la violence et du sexe à l’écran. Contrairement à ce cinéma extrême, le cinéma de l’extrême va beaucoup plus loin. Il expérimente le septième art sous tous ses angles, autant son esthétique et sa narration que son économie, sa politique et sa diffusion. Son corpus inclut les films d’Alain Robbe-Grillet, tout comme ceux de Roberto Rossellini, Jess Franco, Denis Côté, Kioshi Kurosawa, Daniel Cockburn et Belà Tarr. Sans oublier ceux des cinéastes à venir, ces façonneurs du prochain cinéma de l’extrême.

L’objectif du présent dossier consiste à élaborer une cartographie du cinéma de l’extrême dans son ensemble. Tout en conservant une perspective historique afin d’analyser certains films de l’extrême dans le contexte de leur époque, il demeurera à l’affût de l’actualité cinématographique. À l’image de son sujet, ce dossier se présente sous plusieurs formes. En plus d’articles théoriques examinant un aspect précis du cinéma de l’extrême, le lecteur y découvrira également de brèves présentations d’œuvres ainsi que des entrevues avec des réalisateurs. 

Responsable du dossier: Simon Laperrière

 

La Madone du Superbowl

Dimanche dernier (le 5 février 2012), Madonna a animé le spectacle de la mi-temps du Superbowl XLVI.

Pop-en-stock a voulu réagir à cet événement médiatique planétaire par un petit dossier surprise, animé d'ores et déjà par la polémique entre la célébration de la vitalité transgressive de la Reine de la Pop et le constat de la fatigue d'une spectacularité néobaroque poussée à bout.

Responsables du dossier: Antonio Dominguez et Hélène Laurin

 

Le Crépuscule des Super-héros

Apparus au lendemain du krach boursier comme personnages phares des comic books adoptés comme lecture de prédilection par les enfants de l’époque, les superhéros, avec leurs costumes colorés et leurs pouvoirs extravagants, émergèrent comme la version américaine du mythe du surhomme. «Héros positif qui doit incarner, au-delà de toute limite, les exigences de puissance que le citadin ordinaire nourrit sans pouvoir les satisfaire» selon les termes de la célèbre analyse d'Umberto Eco dans Le mythe de Superman, le superhéros américain est condamné à perpétuer une série d'idéologèmes inscrits dans la structure de ses récits mêmes (ne pouvant se consumer, il est voué à une temporalité itérative qui annule toute progressivité; modèle de l'homme «hétérodirigé», il est une «conscience civile complètement séparée de la conscience politique»).

Toute une industrie culturelle se bâtira sur ces coordonnées initiales, créant un véritable système tout aussi itératif que les récits, les personnages et les actions qu'il met inlassablement en scène. Symptomatiquement ce système entrera en crise au moment même où le mythe du surhomme s'hypertrophie en pleine réaction néoconservatrice contre les supposés excès de la contre-culture (qui avait allègrement parodié ce même mythe dans les comix underground). En effet, c'est dans l'Angleterre de Thatcher et dans les États-Unis de Reagan et de Rambo que surgissent deux romans graphiques majeurs publiés par l’éditeur DC Comics, The Dark Knight Returns de Frank Miller (1986) et Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons (1987). Miller propose une version glauque de Batman en en faisant un quinquagénaire sortant de sa retraite pour reprendre sa croisade contre le crime, poussant la logique d’application de la justice jusqu’à en devenir un vigilante tortionnaire au modus operandi versant dans le totalitarisme, alors que Moore et Gibbons créent un groupe de justiciers masqués dont la ligne de partage entre le bien et le mal est si floue qu'elle met en question une sorte de théodicée pervertie.

Chacune à leur manière, ces deux œuvres interrogent les fondements mêmes de la figure du superhéros en en problématisant toutes les coordonnées (la consumation temporelle, la crise de l'hétérodirection, la question de la progressivité et de la conscience politique, l'inflation de consanguinité diégétique restreignant le lectorat, etc.). Ce dossier vise à aborder la problématisation et la dégradation du superhéros entamée par ces deux œuvres charnières et approfondie par les multiples héritiers de ce véritable «crépuscule des idoles» nietzschéen.

Responsables du dossier: Gabriel Tremblay-Gaudette et Antonio Dominguez Leiva

 

Lady Gaga, que la reine de la pop se lève

Depuis la sortie de son premier album The Fame en août 2008, Lady Gaga domine la scène médiatique américaine et mondiale de la culture pop. Bien que sa musique suscite de nombreuses critiques, c’est surtout le personnage qu’elle incarne qui provoque fascination et discussion. Lady Gaga incarne la pop américaine et un Zeitgeist de l’extrême contemporain permettant d'explorer différentes facettes du cliché de l'icône de la pop star. La chanteuse de Poker Face et de Born This Way est avant tout une artiste de la performance qui, à travers la construction identitaire et l’iconographie grotesque de ses vidéoclips, questionne la culture pop qui la met en scène.

Ce dossier invite des textes consacrés au phénomène Gaga, reine de la pop des années 2010, héritière de Madonna, mais également influencée par les mouvements artistiques des avant-gardes et postmodernes. Nous tenterons de comprendre la fascination exercée par cette star de la pop en privilégiant des analyses qui traitent des influences culturelles sur Lady Gaga elle-même, ainsi que de l'impact de Lady Gaga dans la culture populaire et dans les arts de la performance contemporains.

Responsable du dossier: Alice van der Klei

 

Hunger Games, à l’ombre de la Grande Récession

Écrit au cœur de la «Grande Récession» économique, Hunger Games (2008) éveille dès son titre le spectre du traumatisme qui le fonde, la paupérisation, voire tiers-mondisation de la «terre de l'opulence», «the land of plenty». Quatre ans après l'adaptation filmique s'inscrit toujours à l’ombre de cette angoisse, véritable retour du refoulé au sein du monde globalisé par l'hyperconsommation.

Recyclage (l'ère étant, de facto, dévolue aux remakes et aux réécritures) d'un topos convenu de la dystopie science-fictionnelle, celui de la chasse à l'homme télévisuelle la saga s'adresse à ce nouveau public adolescent déniché (et, pourrait-on dire, refondé) par Rowling dans sa reprise de la mythologie traditionnelle de la Fantasy et ensuite vampirisé par Stephenie Meyer. De même que celle-ci réinventait l'érotique vampirique pour les nouveaux teens des virginity balls, Collins reprend la tradition dystopique des chasses à l'homme médiatiques pour en faire une tragédie du coming of age en milieu néolibéral.

Le succès de cette opération (l'œuvre est devenue la «favorite de tous les temps» sur Kindle, détrônant même Jane Austen dans les passages les plus souvent «soulignés» par les utilisateurs) en fait un véritable phénomène de masses que nous ne pouvons ignorer et qui ouvre à quantité d'interprétations. S'agit-il d'une attaque du Big Governement en vertu des valeurs du «survivalisme» darwinien des Pionniers américains ou au contraire d'un manifeste contre le fascisme de l'Amérique post-bushiste, en syntonie avec la génération de Occupy Wall Street? Est-ce un manuel de survie pour les adolescents de la crise économique ou une contestation de la manipulation médiatique?

Seront analysés les différents aspects de cette saga, de l'idéologie politique à la politique des genres sexuels, de la topique science-fictionnelle aux problèmes d'adaptation filmique et aux prolongements hypermédiatiques de cet univers de fiction en fulgurante expansion.

Responsable: Antonio Dominguez Leiva

 

YouTube Studies

L'univers vertigineux et virtuellement infini de YouTube, dont le Big Bang remonte à février 2005, est désormais un des faits de civilisation majeurs de ce début de millénaire. Avec 60 heures de nouvelles vidéos publiées chaque minute et huit cents milliards de visiteurs uniques par mois (qui y passent en moyenne quinze minutes par jour), il constitue le troisième site le plus visité d'Internet, après Google et Facebook.

Emblème de la «culture de la convergence» transmédiatique (H. Jenkins) qui caractérise la nouvelle iconosphère, YouTube est un conglomérat de bases de données transformées en spectacle, tout à la fois archive, bibliothèque et galerie multimédia, mais aussi réseau social (bien que son lien avec l'éthos Web 2.0 soit, en fin de compte, problématique) voire nouveau médium cannibale, émergeant de la phagocytose de tous ses prédécesseurs (cinéma, radio, télévision, vidéo, etc).

Héritière tout à la fois du vidéoclip, des home movies et du spot publicitaire qu'elle intègre en une synthèse protéiforme, l'esthétique du clip YouTube installe un rythme boulimique de consommation qui redéfinit notre rapport au récit et à l'image, ingurgité tous deux en des temps record avant d'être substitués par de nouveaux contenus surgis des multiples fenêtres qui entourent, tentatrices, toute capsule publiée dans le site.

Véritable invitation à la dérive labyrinthique dans une digression illimitée sous le signe de la surprise et la défamiliarisation permanentes, la mosaïque YouTube plonge le spectateur dans un polycentrisme nouveau où il est désormais le centre ex-centré de sa propre perception. C'est là où ce site hypermédiatique montre de façon éclatante tout ce qui le distingue du projet encyclopédique tel que pouvaient le concevoir l'âge classique et les Lumières.

Or, malgré l'importance cruciale de ce nouveau territoire du cyberespace qui est en passe de devenir une Gestalt à part entière celui-ci reste une véritable terra incognita dans les études académiques, à peine cartographiée par des anthologies pionnières telles que Video Vortex (Geert Lovink et Sabine Niederer, Amsterdam, INC, 2008) ou le YouTube Reader édité par Pelle Snickars et Patrick Vonderau en 2009 (Stockholm, KB).

C'est donc à l'émergence d’une véritable branche de médiologie culturaliste, les «YouTube Studies» que ce dossier voudrait modestement appeler. Toutes les approches (trans)disciplinaires pour tenter de cerner cette nouvelle iconosphère sont les bienvenues.

Responsalbe du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

Politik 2.0.

Afin d'appuyer et de commémorer le printemps étudiant québécois, POP-EN-STOCK lance dans la stratosphère son dossier consacré à la politique de résistance telle qu'elle s'effectue aujourd'hui, au moyen de médias sociaux, d'attaques informatiques et de masques de Guy Fawkes. Un espace où réfléchir à la culture démocratique de la geek generation.

Responsable du dossier: Samuel Archibald

 

Métahorreur(s)

Genre fondé sur le déplacement esthétique de contenus folkloriques et démonologiques préalables, le Gothique, on le sait, a toujours eu partie liée avec la métaréférentialité à travers quantité de topoï dont le plus célèbre reste celui du manuscrit trouvé. Mais c'est dans le sillage de la récupération pop des formules postmodernes que s'est opéré le véritable tournant métafictionnel du genre, plus précisément dans la transition du New Gothic des années 1980 (Angela Carter, John Hawkes, Joyce Carol Oates, Patrick McGrath, etc.) à sa réappropriation et diffusion midbrow, notamment dans l'œuvre de Stephen King (de Misery à Lisey's Story) et le succès planétaire de la franchise cinématographique des Scream (1996-2011).

Annoncé par une célèbre anthologie intitulée explicitement Metahorror (D. Etchison, 1992), un nouveau regard sur le genre (voire un authentique sous-genre) triomphe désormais, essaimé dans quantité d'oeuvres du tournant du millénaire, allant du Lunar Park de Brett Easton Ellis (2006) au Drood de Dan Simmons (2009), de la saga graphique de Neil Gaiman Sandman (1989-1996) au From Hell (1991-1996) de Alan Moore, du Wes Craven's New Nightmare (1994) au Cabin in the Woods de Drew Goddard et Joss Whedon (2012). C'est ce tournant méta-horrifique qu'il s'agit désormais d'interroger, à la fois dans ses productions contemporaines et dans l'infléchissement qu'elles opèrent au sein de la double tradition gothique et métafictionnelle.

Responsable du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

Le cinéma reaganien et ses métamorphoses

On peut difficilement être plus clair que Mark Herstgaard: «Reagan was certainly the most important president of the past thirty years and arguably the most important since Franklin Roosevelt. Just as Roosevelt inaugurated a new era in American history in the 1930s with New Deal programs that established a limited welfare state, so brought that era to a close by attacking the welfare state and putting the market back in charge. He began by crippling specific programs with spending cuts, but his larger achievement was ideological: he discredited the very idea that government should intervene in the economy to assist the poor and disadvantaged, regulate corporate conduct, or otherwise pursue a vision of the public interest that diverged from unrestrained private enterprise. Reagan championed a version of capitalism where the government’s role in smoothing over the market’s rough edges—by providing food stamps, protecting the right of workers to organize for better treatment, preventing corporations from cheating customers and investors or polluting the environment—was sharply reduced. He insisted that government is the cause of society’s ills and markets the solution; leave the market alone, and everyone will end up better off. Although this view began to face fresh questioning thanks to the Enron scandal, it continues to dominate public discussion and policymaking in the United States. The man himself may be gone, but we still live in the Reagan era».

De fait, le cinéma reaganien (qui excède de beaucoup la période 1981-1989) a fixé les règles qui, pour beaucoup, sont encore celles qui régissent les blockbusters d'aujourd'hui. Il n'en faudrait pas pour autant oublier tout ce qu'il doit aux films hollywoodiens antérieurs: une stricte volonté de renforcer le plus possible l'illusion de réalité, la réduction des personnages, des situations et des tons à des canons génériques, le raffermissement de l’identification aux personnages et le désir de susciter chez le spectateur une totale adhésion aux héros et une répulsion sans mélange à l'égard des méchants, lesquels couvrent toute la gamme du communiste au gangster en passant par le marginal. De ce point de vue, il reste étroitement lié au rôle éminent que Hollywood a toujours cherché à jouer dans l’élaboration et la diffusion des mythes fondateurs de l’idéologie américaine – idéologie qui considère, en retour, que «le cinéma assume l’essentiel de la constitution de l’image de la nation américaine, pour elle-même et pour le reste de la planète». On pourra ainsi s'intéresser aux précurseurs du cinéma reaganien, films appartenant à la période Johnson (Green Berets [1968]) ou à un Nouvel Hollywood plus tardif et crépusculaire (Death Wish [1974]).

On pourra, en aval, s'attacher à des films néo-conservateurs –ou prétendus tels– postérieurs (The Siege [1998], World Trade Center [2005]) ou examiner les parodies des canons du cinéma d'action des années 1980, de Team America. World Police (2004) à The Expandables (2010). On pourra également se pencher sur tout ce que le cinéma reaganien valorise, explicitement ou implicitement, comme codes sociaux, règles culturelles, schèmes historiques et politiques. On s'attachera, par exemple, à la représentation des femmes, dans le thriller –de Body Heat (1981) à Presumed Innocent (1990) en passant par Fatal Attraction (1987)– dans la comédie romantique –de Sixteen Candles (1984) à Pretty Woman (1990)– ou encore dans la science-fiction d'Alien (1979) à Terminator (1984). On pourra également considérer comment des films d'action portent des messages politiques, de façon directe (par l'invasion fantasmée des USA par l'Armée Rouge dans Red Dawn [1984], par exemple) ou informulée (par la mise en scène de corps bodybuildés qui incarnent la suprématie américaine et le retour en grâce de valeurs qui semblaient momenténament périmées). On pourra aussi montrer comment les films reaganiens cherchent à conjurer la peur du déclin axiologique et géopolitique de l'Amérique, cherchant à mettre en place, dans le cinéma de masse, une logique de rédemption (Rambo [1982-2008], Rocky [1976-2006], etc.) Enfin, on pourra analyser la nature et les fonctions du héros reaganien, solitaire, hostile aux mégapoles, insensible aux charmes de la modernité, écœuré tout à la fois par la bureaucratie, l'administration fédérale, une armée hésitante, une police affaiblie et une justice corrompue. Toutefois, on sera probablement amené aussi à montrer que le cinéma de l'ère Reagan n'est pas réductible à une propagande –fût-ce cette «propagande noire» théorisée par Vladimir Volkoff et Guy Durandin. Sans doute, en effet, ces films sont-ils plus compliqués et ambigus qu'on ne le croit et beaucoup d'entre eux semblent illustrer la notion d'«incoherent text» forgée par Robin Wood pour décrire les productions du Nouvel Hollywood (Martin Scorsese, Richard Brooks, William Friedkin). Ce ne sont là, bien entendu, que quelques pistes de réflexion et toutes les propositions envisageant sous d'autres angles le cinéma reaganien seront bienvenues.

Responsable du dossier: Sébastien Hubier

 

Un siècle de Tarzan

Né en octobre 1912 dans les pages d'un magazine mythique qui ouvrait la voie à l'âge d'or des pulps américains (The All-Story), Tarzan constitue sans conteste un des derniers mythes modernes, conglomérat unique d'archétypes et mythèmes anciens. Venu de la littérature, ce mythe intermédiatique qui aura accompagné toutes les grandes mutations de l'industrie culturelle (du cinéma au comic book, la radio, la télévision, ou encore le Net: une simple recherche Google donne 54 millions d'occurrences du nom) s'est assuré dans notre vie «une telle présence qu'il a presque acquis peu à peu une sorte de réalité. Celle d'un phantasme collectif», comme l'écrivit celui qui aura été son principal exégète, Francis Lacassin.

Sans cesse imité par une foule de «tarzanides» plus ou moins fidèles qui vont de Akim à Rahan, le mythe de Tarzan aura nourri différents sous-genres populaires, dont les plus importants restent la Heroic Fantasy (Conan en sera une variante explicite) et, dans une moindre mesure, le péplum fantastique et ses différents avatars cinématographiques. Le centenaire est donc une occasion pour nous de nous plonger dans l'ensemble de cet univers, du corpus historique des œuvres de E. R. Burroughs, Hal Foster ou Burne Hogarth jusqu'aux ramifications les plus contemporaines (adaptations, mais aussi déclinaisons tarzaniennes dans les blockbusters, parodies, etc.).

Responsable du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

Batman, le chevalier obscur

Héritier de l'archétype du Justicier masqué qui articulait le roman populaire du XIXe siècle jusqu'aux pulps dont il est contemporain, Batman incarne la face sombre du super-héroïsme américain. Puisant dans l'iconographie symbolique du Mal pour terroriser les criminels, le héros fera corps avec cette chauve-souris qui est son enseigne guerrière (devenue logotype dans la Bat-signal) et dont la Bat-suit épouse les formes. Contrairement à Superman dont il est l'envers structurel et à qui l'uniront diverses alliances, il est animé par le cycle girardien de la violence, qu'il ne peut arrêter par la mise à mort d'un bouc émissaire innocent.

Être double et tragique, il représente l'envers du rêve américain dont Bruce Wayne est l'aboutissement parodique, la part maudite dont la société foncièrement corrompue de Gotham city, protagoniste autant que lui de la saga et contemporaine des villes pourries du hard-boiled, a besoin pour ne pas sombrer dans une anomie sans rémission.

Humain, trop humain, il n'aura pour se mesurer à la noirceur de cette ville que son immense fortune, son incroyable intelligence (à l'instar de Sherlock Holmes il restera «The World's Greatest Detective»), sa force physique chèrement acquise (les annonces de body-building jalonnaient à juste titre ses premières aventures) et surtout sa symbiose avec la technologie dont il est, au moment où naît la science-fiction, le chantre super-héroïque. Héritière de la fonction magique de l'imaginaire tripartite indo-européen, la techné prendra la triple forme épique du costume (le Batbelt héritier des ceintures mythologiques), du refuge (la Batcave de tous les possibles) et du véhicule (la Batmobile étant le fantasme ultime de l´âge de l'automobile).

Défini, comme son envers prosaïque Dick Tracy qu'il relègue vite à l'oubli, par la galerie inquiétante de ses ennemis, êtres monstrueux dont l'onomastique dit toute la noirceur (le Pingouin, le Sphinx, le Chapelier fou, l'Épouvantail, Deadshot, Killer Moth, Mr Freeze, Poison Ivy, etc.) le héros devient prétexte à une incroyable Comédie inhumaine. Au sommet de cette épopée du Mal, le Joker, clown cruel et sadique qui devient sa némésis, du fait même qu'il est son envers maléfique (et peut être son semblable fraternel). Mais contrairement à ses confrères solaires, Batman restera hanté par ces figures à qui l'unissent des souterraines connivences, de Double-Face à Ra's al Ghul en passant par la grande tentation érotique de Catwoman.

Au fur et à mesure des 74 ans de son existence, ce grand mythe fondateur de la violence américaine dont il illustre le «complexe du loup-garou» (Dennis Duclos) survivra à toutes les déchéances, des accusations d´homosexualité dans les fifties au camp télévisuel des sixties et de la désaffection lectrice des années reaganiennes au crépuscule des superhéros dont il sera le symbole dans les séries alternatives (The Dark Knight ReturnsBatman: The Killing Joke, Batman, la relève, etc). Coup après coup, il renaît sans cesse de ses cendres et vient trouver une seconde jeunesse dans le cinéma, axé sur la bivalence mythique du héros gothique: le délire fantasmagorique de Tim Burton laissant la place à la trilogie noire de Nolan.

Responsable du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

Lolita, de Nabokov à la trashitude hypermoderne

À l'occasion du cinquantième anniversaire de la projection sur les écrans du film de Kubrick adaptant Lolita de Nabokov, nous voudrions nous pencher sur les représentations culturelles des jeunes filles dans les fictions narratives –littéraires, cinématographiques, télévisuelles et autres– des ancêtres de cette oeuvre fondatrice à notre ère hypermoderne. Lointaines héritières des pueri delicati et des doctæ puellæ romaines, ces jeunes filles couvrent une vaste gamme, des blondes «petites demoiselles» angéliques du romantisme jusques aux lolitas-trash d'aujourd'hui (Taylor Momsen, Vanessa Hudgens, Lindsay Lohan, etc.) qui inondent les émissions de télé-réalité aussi bien que les placards publicitaires ornant nos abribus et nos couloirs de métro –en passant par les nymphettes, les femmes-enfants, les lolycéennes gainsbouriennes, les mean girls américaines, les media lolitas nippones. Né, avec l'érotisme libertin des Lumières, de débris anciens, le type de la jeune fille délurée, friponne et lascive triomphe aujourd'hui: elle est le bel emblème de la société de consommation dirigée de notre culture de masse, une jolie icône de l’érotisme et de la pornographie autant qu’une figure centrale de la littérature savante. Tour à tour funeste, énigmatique et salvatrice, l’adolescente dégourdie est toujours désirable même lorsqu'elle est criminelle, non seulement parce qu’elle est fraîche et ravissante, mais aussi parce qu’elle détient le pouvoir fabuleux de ressusciter le passé et d’apaiser la crainte de l’avenir.

Responsable du dossier: Sébastien Hubier

 

Invasion Zombie

Dans le cadre de l’esthétique contemporaine du cadavre, peu de phénomènes ont semblé plus marquants, depuis Night of the Living Dead (G. A. Romero, 1968) que la surenchère transmédiatique et véritablement planétaire des morts-vivants. Si les années 90 ont été caractérisées par une sorte de «mort», ou à tout le moins de «stase», du zombie au cinéma, la créature, fidèle à elle-même, est réapparue de plus belle au tournant du nouveau millénaire et a maintenant envahi divers recoins de notre iconosphère globale.

Symptomatiquement, c’est un nouveau média, le jeu vidéo, qui a opéré la renaissance de cette figure jamais entièrement intégrée à la tradition littéraire gothique. L'apparition en 1996 de The House of the Dead et de Resident Evil a signé le retour en force de la créature qui a fini par recontaminer le grand écran. Au lendemain du traumatisme du 11 septembre 2001 et à l'ombre de la pandémie du SRAS, une véritable «zombie-manie» a débuté. Si la Zombie Movie Database (ZMDB) dénombre plus d'une centaine de films entre 2002 et 2009, plus d’une vingtaine de productions sont prévues pour la seule année 2012.

Dans le sillage du Zombie Survival Guide de M. Brooks (2003), une curieuse «littérature zombie» émerge alors qui triomphe dans l'étonnant best-seller de S. Grahame-Smith qui zombifie littéralement l’œuvre canonique de Jane Austen (Pride and Prejudice and Zombies, 2009). À son tour envahie par la nouvelle vague, la bande dessinée, médium qui avait jadis été essentiel dans la mutation mythopoétique vers le zombie moderne, se lance à partir de la saga de R. Kirkman The Walking Dead (2003-) dans une frénésie zombiephile inouïe qui à son tour alimente l’autre grand média postmoderne, la télévision. On assiste aussi à une pléthore d’études critiques sur cette figure jusque-là relativement dédaignée par l’institution universitaire.

Face à une telle invasion, et en syntonie avec la prolifération de «zombie studies», le temps est venu de s’attaquer de front aux morts-vivants, et d’en brosser un portrait historique et critique l’inscrivant aux sources mêmes d’un imaginaire horrifique postcolonial.

Responsables du dossier: Samuel Archibald, Antonio Dominguez Leiva et Bernard Perron

 

Bond… James Bond ou l’éternel recommencement

Objet de tous les fantasmes (l'homme que tous les hommes voudraient être et toutes les femmes séduire) et d'un véritable culte transmédiatique, James Bond pourrait bien être le dernier mythe littéraire moderne.

Constellation de signes avant d'être une quelconque «essence», il est constitué par une panoplie d'éléments récurrents dont il est toutefois plus que la simple somme, le smoking, le Walther PPK, le vodka-Martini «au shaker, non à la cuillère», la réplique-étendard «Bond, James Bond», les bolides, la poétique des gadgets… Ces signes fonctionnent par ailleurs au milieu d'une combinatoire narrative stricte qui, grâce au cinéma, est devenue une véritable mythologie formelle (le gun barrel, les génériques d'ouverture, la scansion entre pré-générique, générique et film, etc.).

Au-delà de cette profusion sémiotique, Bond est surtout défini par les deux pôles complémentaires qui articulent sa Quête, les Bond Girls et les Méchants. Chevalier de la «révolution sexuelle», ce play-boy meurtrier est tiraillé par une «névrose de séduction» qui ne serait que l'envers d'une quête frustrée de la femme idéale: d'où l'opposition entre des femmes exceptionnelles auxquelles le héros ne peut succomber sans qu'elles trouvent une mort tragique et des véritables femmes-objets dans un univers d'objets tout aussi fétichisés, super-gadgets au paradis des gadgets et comme eux promis à être consumés.

Comme pour ces bivalentes amazones, James Bond doit tout, sur le plan mythologique, à ses ennemis fantasmatiques (auxquels par ailleurs il dérobe les premières).  Suivant le précepte selon lequel on a les adversaires que l'on mérite et on devient ce que l'on combat, leur démesure négative renforce l'aura super-héroïque de Bond, dernier rempart contre ces figures tératologiques qui ne peuvent être que ses propres Doubles inquiétants.

Cette double articulation dit bien qu'au fond James Bond, sous ses dehors de «signifiant libre» est avant tout la pure incarnation fantasmatique d'un instinct de mort (son «permis de tuer») et d'une pulsion sexuelle (son «permis de séduire») qui seraient cautionnés et légitimés socialement («au Service Secret de Sa Majesté») au lieu d'être, comme pour le commun des mortels, soumis au travail répressif d'un double interdit sociétal. Il est donc ce vivant oxymore qui ne peut que nous faire rêver, sous toutes ses différentes réincarnations (car il est un mythe de l'éternel recommencement): une brute sur-civilisée.

Responsable du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

Le couple en cavale

Vivant l'un pour (et par) l'autre, le couple en cavale ne se dirige pas vers un but, mais s'inscrit contre un mode de vie, celui incarnant l'idéal américain. À l’inverse des grandes figures solitaires (cowboy, détective, criminel) de genres qui ont contribué à l’élaboration des codes du road fiction, l’archétype du couple en cavale présente une union fusionnelle. Alliés dans la marginalité, les héros avancent à toute allure, envers et contre tous, vers leur fatale destinée.

Le couple s'érige contre les valeurs de sa société, prônant une contre-culture propre à l’idée de contestation de la modernité telle que représentée dans Bonnie and Clyde,  Thelma & Louise, Natural Born Killer, etc. Dans ces fictions, les couples incarnent à la fois la révolte et la libération. La postmodernité voit se déplacer les motifs des héros nomades qui perdent leurs repères et dérivent sans ancrage pour finalement s’adonner davantage à une errance qu’à une progression: «L’Amérique n’est ni un rêve, ni une réalité, c’est une hyperréalité. C’est une hyperréalité parce que c’est une utopie qui dès le début s’est vécue comme réalisée.» (Jean Baudrillard). Fondé sur l’utopie d’un nouveau territoire miraculeux, le mythe américain de l’accession au bonheur par la route motive les actions des personnages désirant se rendre «over the rainbow» (Wizard of Oz). Mais alors que Dorothy voyage dans un univers onirique pour mieux retrouver la quiétude de son monde réel («There’s no place like home!»), le couple en cavale vit une crise existentielle, condamné à errer sur une frontière floue entre l’illusion et la réalité où le nouveau monde utopique s’avère être un Wonderland inversé.

N’étant plus l’incarnation des valeurs puritaines de la famille, le couple est défini simplement par un «ensemble de deux personnes liées par un sentiment, un intérêt quelconque». Il peut donc être d’ordre amical, fraternel, circonstanciel, etc.

Le couple carbure ainsi au déplacement et n’existe pas sans la route qui se termine inévitablement. Êtres aliénés par la société et motivés par la passion, ils fuient leur passé sans pouvoir entrevoir d'avenir et s'octroient tous les plaisirs du présent dans une célébration de la liberté éphémère rendue possible par le déplacement.

Responsables du dossier: Mélissa de Repentigny et Sébastien Dubé

 

X Women

«Où sont les femmes?», claironnait de sa voix aiguë Patrick Juvet en 1977. Que Beaubourg propose en mai 2009 une exposition des œuvres issues de ses collections permanentes composée uniquement d’artistes femmes pourrait bien constituer sinon une réponse du moins sa mise en images. S’il ne s’agit nullement de montrer un art féminin, ni même de présenter des productions artistiques proprement féminisées qui verseraient dans une apologie univoque (ou même controversée) du féminin, ce panorama des différentes artistes, des images et de leurs discours, cette «représentation de représentations des femmes», qui redouble la question de la représentation en lui conférant «un sens transitif», n’est rien moins qu’un état des lieux, au sens littéral, il permet de voir où en sont les femmes artistes de nos jours. Un rapide coup d’œil montre que celles-ci puisent massivement leur créativité dans leur condition féminine, dans ce qu’elle a de plus ostensible justement, que ce soient leur corps, leur sexualité et leur libido comme autant d’avant-postes de leur imaginaire, surjouant certains des stéréotypes masculins de la sexualité tout en réinvestissant les usages d’une séduction sensuellement perçue comme attribut féminin. De quoi une artiste ou écrivain femme dispose-t-elle aujourd’hui? Quelles sont les différentes modalités/potentialités artistiques de la féminité, de la perception de la masculinité, des relations de l’une avec l’autre? Qu’en est-il du décalage entre l’intériorisation des désirs, fantasmes et pulsions libidinales et la présentation extérieure de soi en tant qu’être sexuel? Comment s’émanciper ou plutôt quelle voie construire face à la masculinisation des normes et des configurations sociétales? Dans quelle mesure ne reste-t-on pas tributaire d’une virilisation défensive? Est-ce qu’il suffit de «réintroduire du féminin (mais du féminin dessentialisé) dans la théorie sociale» ou, comme le propose François Laplantine, de «réintégrer le sensible dans l’épistémologie»? Un présupposé mérite d’être clarifié dès lors: dans quelle mesure s’intéresser au genre du créateur et du récepteur est-il une clé de lecture et de compréhension de la création culturelle? Jusqu’à quel point «la norme du genre» est-elle nécessaire à la pensée et à l’écriture? Peut-on déculturaliser les représentations féminines telles qu’elles émanent des œuvres artistiques, des phénomènes culturels et médiatiques?

Si l’imaginaire sexuel et sensuel des artistes et écrivains est la condition d’une manipulation auctoriale, celles-ci l’exploitent dans des registres très divers. Les représentations littéraires, filmiques et médiatiques de la question des femmes ne peuvent être détachées d’enjeux politiques et idéologiques, mais également pornographiques et érotiques, fantasmatiques et virtuels, consuméristes, capitalistes et matérialistes. Le féminisme y possède une part active, le terme ne se suffit pas à sa dimension militante et engagée, tant il opère comme résultat d’une prise en main par les femmes de la féminité, ou plutôt de tout ce qui semble leur revenir (ou appartenir), avec toute la force des stéréotypes, excès ou dérives des représentations sexuelles. Le féminisme est ainsi pris en tension: «s’il encourage les femmes à prendre la parole en tant que telles, c’est afin de n’être pas traitées en tant que telles. Autrement dit, des femmes parlent en tant que femmes pour ne pas se voir assigner un rôle de femmes». Un certain féminisme au pluriel cherche à proposer des voies alternatives entre capitalisme et patriarcat. Non pas un repli identitaire, stigmatisé un peu facilement à une rhétorique féministe agressive ou à un féminisme militant (ce qu’il peut comporter d’excessif et de caricatural), mais une nouvelle alliance, au-delà d’une critique d’une masculinité hégémonique –cela fait déjà quelque temps qu’elle ne l’est plus–, révélant tout le potentiel de transformation générique dont la création féminine fait preuve aujourd’hui.

Responsable du dossier: Frédérique Toudoire-Surlapierre

 

Harlequin enchaîné: les 50 nuances de Grey

Vendue à 65 millions de copies dans le monde, la trilogie de E. L. James autour des amours tortueuses de la naïve universitaire Anastasia Steele et le jeune magnat Christian Grey constitue l'oeuvre la plus rapidement et viralement consommée de l'Histoire de l'édition. Émergeant de la fan fiction qui prolifère autour de la série Twilight, il s'agissait de transformer la pornographie de l'abstinence qui unit le couple principal en un récit d'initiation sadomasochiste, ce qui fut perçu par la communauté twihard comme une profonde entorse au mythe initial, provoquant l'exil de l'œuvre des sites officiels d'expansion de la franchise et par là son affranchissement du canon vampirique. Triomphant dans les nouveaux réseaux de la cyberlecture (du web au e-book), la trilogie imprimée devint vite l'oeuvre la plus vendue sur Amazon.

Baptisée par J. Goudreau comme l'émergence d'un nouveau sous-genre, le «mommy porn» destiné aux mamans trentenaires nostalgiques d'une sexualité à laquelle elles auraient en grande partie renoncé, honnie pour ses phrases «asiniennes» et sa trame «déprimante» (J. Reeves), l'œuvre intrigue avant tout par les conditions de son succès. Ce nouveau jalon dans la blockbustérisation marchande de la littérature de masses a été ironiquement considéré comme le symptôme d'une nouvelle (et ultime) décadence par le New York Daily («Fin de la civilisation: E. L. James choisie Personnalité de l'Année par le Publishers Weekly»), réveillant des vieilles craintes autour de l'abêtissement ("dumbing down") des masses américaines et, désormais, planétaires.

Le débat attise bien entendu les réflexions autour du post-féminisme. Alors que l'on peut se demander avec K. Roiphe si le libre arbitre est devenu pour les femmes un fardeau dont elles voudraient se délivrer par des fantasmes de soumission, d'autres penseuses y voient au contraire un signe inévitable et positif de l'égalité d'opportunités, les femmes étant libres enfin d'accéder sans complexes à leur propre pornographie. Or qu'il soit le signe de l'échec ou du triomphe du féminisme, ce qui frappe dans ce prétendu érotisme c'est à quel point il est dominé par le modèle de la littérature sentimentale la plus traditionnelle, au moment même où les productions Harlequin sont entrées dans une ère de sexualisation explicite de leurs produits (la catégorie Blaze/Désir), déjà annoncée par le succès de leurs rivales (Silhouettes, Candlelight Ecstasy) dans les années Reagan. La sentimentalisation du BDSM aux bras du Prince youppie serait-elle alors le signe d'un autre retour du refoulé, au-delà de la régression vers des consolations archaïques d'une féminité en déréliction?

Responsable du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

«Bolchoï Yarblokoss à vous tous»: demi-siècle d’Orange Mécanique

Un demi-siècle après sa sortie, le roman picaresque et dystopique de Anthony Burgess continue à hanter l'imaginaire collectif de la violence urbaine et du conditionnement neurobiologique. Splendidement adapté au grand écran par le grand imagier que fut Stanley Kubrick, le Voyage du Pèlerin de ce Candide perverti qu'est Alex (De Large) est devenu une sorte de mythe contemporain donnant à penser une série de contradictions qui nous fondent. Il permet de mettre un visage, celui, suprêmement intrigant de A. McDowell dans l'épopée filmique, à nos peurs et, peut-être, à certains de nos désirs inavoués, synthétisant nos ambivalences à l'égard des limites de l'hédonisme féroce qui articule notre société de consommation, dont les sous-cultures juvéniles sont en grande partie les moteurs et reduplicateurs, mais aussi à l'égard du libre arbitre, fondement du néolibéralisme à la fois que source de méfiance dans des sociétés de contrôle en proie à une véritable obsession sécuritaire.

C'est cette perspective mythique qu'il intéresse de cerner à travers les deux œuvres fondatrices de Burgess et de Kubrick mais aussi les autres adaptations filmiques (le méconnu Vinyl de Warhol, 1965, version claustrophobe et sadomasochiste sur fond d’anomie sociale) ou théâtrales (des adaptations par Burgess lui-même aux créations de Brad Mays, 2003) ainsi que les multiples hommages musicaux (Bowie, Sepultura, Die Toten Hosen, etc), les films qui ont été directement inspirés par l'œuvre (tels que Una gota de sangre para morir amando, «la Clémentine Mécanique» espagnole de Eloy de la Iglesia) ou indirectement (de The Warriors de Walter Hill au dyptique Funny Games de Michael Haneke, etc).

Responsable du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

Du cut-up au sampling

Polyvalente, mutante et omniprésente, la pratique du sampling pourrait bien être l'emblème ultime de l'«ère néobaroque» définie par le sémiologue italien O. Calabrese dans son ouvrage homonyme de 1987, l'année même de fabrication du mythique E-mu SP-1200. L'auteur définissait alors la nouvelle iconosphère (mais on peut facilement étendre ces notions à la sonosphère) par une série de catégories esthétiques repartie autour de binômes complémentaires: la répétition et le rythme frénétique, l'excentricité et le risque, le détail et le fragment, l'instabilité et la métamorphose, le désordre et le chaos, le noeud et le labyrinthe, la complexité et la dissipation, le plus-ou-moins et le je-ne-sais-quoi et enfin la distorsion et la perversion. Ces binômes, se décomposant à la fois en une série de figures, semblent tous peu ou prou (à commencer par la Répétition déclinée selon Calabrese en variations organisées, polycentrisme et irrégularité réglée) caractériser la technique du sampling et l'esthétique qui en découle dans ses différentes manifestations, du hip-hop à la musique électronique en passant par quantité de styles.

Nous nous intéresserons ici à toutes les dimensions transmédiatiques du sampling, que ce soit dans ses ancêtres littéraires mêmes (notamment les «Cut-ups» de W. Burroughs et B. Gysin mais aussi la tradition des assemblages qui va de Lautreámont au Reality Hunger Manifesto de D. Shields), dans ses multiples incarnations plastiques (dans la lignée du collage, de l'appropriation et du détournement) ou, bien entendu, dans ses différentes expressions sonores, des tape loops de la musique concrète, minimaliste ou électroacoustique, voire du jazz fusion et du rock psychédélique à l'explosion des samples qui articule l'émergence du hip-hop et la prolifération de la musique électronique dans toutes ses constellations avant d'être diffusée dans l'ensemble de la sonosphère contemporaine, de la musique industrielle au indie rock voire la pop la plus mainstream.

Responsable du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

Chick TV: Sex and the City et sa progéniture

La série Sex and the City, lancée par la chaîne câblée HBO en 1998, signa un temps fort dans la transmédiatisation de la «chick lit» vers le tube cathodique. Inspirée du livre de Candace Bushnell qui suit la chronique journalistique homonyme menée par Carrie Bradshaw pour le journal fictif New York Star, la série se voulait l'expression d'une nouvelle féminité hypermoderne. Ironiquement, celle-ci suit en tout point les trois impératifs du modèle de la femme moderne dégagés jadis par Edgar Morin: séduire, aimer et vivre confortablement.

Ce n'est là que le premier d'une suite de «paradoxes terminaux» qui caractérisent, à l'image de l'hypermodernité elle-même, la série créée par Darren Star et toutes celles qui, par la suite, s'en réclameront. Multipliant les «marques de notre culte contemporain du présent et du désenchantement que celui-ci engendre, étroitement [liée] à la consommation dirigée, à la communication de masse, à l'étiolement des normes autoritaires et disciplinaires, aux poussées successives de l'individualisation, à la consécration de l'hédonisme et du psychologisme» (S. Hubier), elle est un condensé du nouvel «esprit du temps» au tournant du millénaire, dont son succès planétaire sans précédent atteste la prégnance.

Mais sans doute le paradoxe central reste-t-il celui qui entoure l'appropriation du féminisme de la troisième vague, pris entre les idéaux émancipateurs, le retour du refoulé patriarcal et les conflits d'une réalité souvent vécue sous le signe du désenchantement. Sans cesse problématisé, comme les personnages eux-mêmes (''Can women have sex like men?'' est une des questions cruciales que se pose Carrie dès l'origine), il se voit allié de force à une fuite en avant (hyper)aliénante dans l'hyperconsommation, sans cesse déclinant sur un mode célébratoire la devise jadis subversive de Barbara Kruger «I Shop, Therefore I Am». D'où le parallélisme entre le (beau) Sexe et la Ville, qui ne peut être que New York, mégalopole-emblème du Village Global en pleine euphorie de «l'Âge de la Cupidité» (J. Madrick) d'avant le désastre économique et le traumatisme du 11 Septembre (il est symptomatique que la série élimine par la suite physiquement toute référence aux Tours Jumelles, acte suprême de déni d'une «prise au Réel» qui frapperait d'inanité tout l'univers glamourisé sur lequel elle repose).

Ce dialogue entre une pulsion et un milieu, tous deux mythifiés, ressuscite la riche tradition de la comedy of manners newyorkaise sophistiquée et joyeusement mélancolique qui remonte à Fitzgerald et Edith Wharton, en passant incontournablement par Woody Allen. Mais, à l'image d'une société devenue plurielle dans son uniformité, la série agglutine quantité d'autres traits génériques (formula show, soap opera, Bildungsroman, satire, scripts érotiques, «dramédie», etc.), comme elle démultiplie les personnages. En présentant quatre femmes typées à l’extrême (Carrie, Samantha, Charlotte et Miranda), on engendre, certes, un processus d’identification global chez les spectatrices (qui, si elles ne peuvent se reconnaître pleinement dans une seule des héroïnes, retrouvent au moins une facette de leur personnalité dans chacune d'entre elles). Mais se dégage aussi, autour des centaines de partenaires et personnages secondaires qui gravitent autour de chaque femme-récit (chaque membre du quatuor représentant une véritable «matrice» narrative) une sorte de «Comédie humaine» en accord avec la nouvelle esthétique télésérielle qui est en train de réinventer, fut-ce de façon ironique, le projet romanesque que l'on croyait, ailleurs, mort à coups de postmodernismes.  

Responsable du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

Alien, une tératogonie de l’abjection

«Il y a une chose qui perturbe tout le monde et c'est le sexe... Je me suis dit: c'est comme ça que je vais attaquer le public; je vais l'attaquer sexuellement. Et je ne vais pas cibler les femmes dans l'audience, je vais attaquer les hommes. Je vais mettre toutes les images susceptibles de leur faire croiser leurs jambes de crainte. Viol oral homosexuel, reproduction... la chose pondant ses œufs dans votre gorge, la totale…» C'est ainsi que Dan O'Bannon, le scénariste du mythique Alien (1979) décrivait rétrospectivement la genèse d'une création qui changea durablement l'imaginaire phobique contemporain.

Oeuvre hybride à l'image de sa créature éponyme, fusionnant le body horror le plus extrême avec les codes de la science-fiction, mais aussi le thriller, le monster movie, le drame en huis clos, voire le slasher (avec notamment l'érection de la Final Girl en antagoniste ambivalent du Monstre), Alien ne lança pas seulement une des franchises les plus populaires et tenaces de l'âge des blockbusters sériels mais consolida un sous-genre liminaire (le sci-fi horror) et, partant, devint une des métaphores les plus obsédantes de l'altérité pour dire la débâcle cauchemardesque de l'Amérique à la fin des seventies.

Après avoir suscité dès sa sortie de nombreuses interprétations psychanalytiques, féministes et marxistes, la saga inaugurée par le film de Ridley Scott s'est retrouvée récemment au centre d'un débat passionnant provoqué par le livre de Stephen Mulhall intitulé On Film, opposant les tenants de la philosophie du cinéma aux partisans de la philosophie ou encore «critique philosophique» des films.  C'est dans le sillage de toutes ces approches critiques que nous proposons de revenir sur cette créature dont l'ombre protéiforme ne cesse de nous hanter. Pour cela nous prendrons en compte autant le corpus canonique de la «franchise» cinématographique, incluant la tétralogie, ses crossovers (le diptyque qui confronte le Monstre au grand chasseur interplanétaire Predator) et ses spin-offs (dont le polémique Prometheus, 2012) que ses multiples ramifications transmédiatiques (les comic books, les jeux vidéos, voire la littérature, des novélisations initiales aux œuvres originales de J. Shirley ou D. Evenson). Seront aussi envisagés les différents remaniements du mythe, des nombreuses imitations (avec notamment le cycle de l'Alienomanie italienne, de Contamination à Xtro) aux franches parodies.

Responsables du dossier: Anotnio Dominguez Leiva et Hugo Clémot

 

Sherlock Holmes: suites et variations

Créature née de la plume d’Arthur Conan Doyle en 1887 dans Une étude en rouge, le célèbre et excentrique détective consultant de Baker Street remue l’imagination des écrivains et des cinéastes depuis la fin du 19e siècle. Élevé au rang de mythe littéraire par les multiples adaptations dont il a fait l’objet, Sherlock Holmes suscite toujours autant d’engouement et entretient une communauté de fervents fanatiques de tous âges. De Basile la souris détective de Disney (The Great Mouse Detective, 1986) à la trilogie presque complète de Guy Ritchie (Sherlock Holmes, 2009 et Sherlock Holmes: A Game of Shadows, 2011), en passant par les romans de René Réouven (Élémentaire mon cher Holmes!, 1982), de Nicholas Meyer (La Solution à 7%, 1975) ou encore de Michael Dibdin (L’Ultime défi de Sherlock Holmes, 1978), les renaissances du personnage sont nombreuses. Se nourrissant souvent de ses variations antérieures, en plus du canon originel composé des 56 nouvelles et des 4 romans écrits par Conan Doyle, les adaptations et les réinventions de Sherlock Holmes ne manquent pas.

Justicier et défenseur des valeurs bourgeoises du 19e victorien, le détective, véritable machine à penser et maître de l’art du déguisement, hérite à la fois du surhomme des romans-feuilletons, mais aussi du Dupin de Poe et du Lecoq de Gaboriau. Précipité par son créateur dans les chutes de Reichenbach, Holmes est ramené à la vie par la pression de ses fans –et dit-on par les demandes répétées de la mère de Conan Doyle lui-même– dix ans plus tard. Si ce «Grand Hiatus» –tel qu’il est nommé par les holmésiens– fut le terreau fertile de maints récits apocryphes, ces derniers ont aussi puisé dans les innombrables non-dits des histoires de Conan Doyle. Et si le Professeur Moriarty n’avait été que le fruit de l’imagination malade de Sherlock Holmes? Et si Holmes avait fui Watson et les affres d’une relation homosexuelle impossible? Et s’il avait plutôt tenté de se débarrasser de sa dépendance à la cocaïne en allant consulter Freud? Et s’il avait été Jack l’Éventreur? Les jeux de référents historiques et intertextuels sont nombreux, les hypothèses se succèdent, se complètent d’une réécriture, d’une variation, à l’autre. Ce dossier thématique se veut un ensemble d’études sur la figure de Sherlock Holmes, sur son univers littéraire et sur ces multiples jouvences.

Responsable du dossier: Sarah Grenier-Millette

 

Dinosaures et mondes perdus

Il y a un siècle, au moment même où l'âge des explorations qui avait inauguré les Temps modernes touche à sa fin (le 16 décembre 1911 Amundsen plante son drapeau au Pôle Sud, dernier point resté en blanc sur le planisphère), Arthur Conan Doyle se détourne de l'univers de la modernité holmésienne pour nous plonger dans son Monde Perdu (The Lost World). Le titre était en soi l'acte de naissance officiel d'un genre qui l'avait toutefois précédé, annoncé notamment par le Voyage au centre de la Terre de Jules Verne (1864). Mais c'est véritablement au moment où «le temps du monde fini commence» (Paul Valéry) que les mondes perdus peuvent éclore, dernier espace du rêve d'un Ailleurs absolu, qui est aussi un Autrefois mythique.

Dans cette «Terre rincée de son exotisme» (Michaux), où «tout est submergé par ce nouveau déluge, le Progrès» (H. de Monfreid) et où «il n'est plus de mystère» (Saint-Exupéry), voici que d'autres mondes émergent où l'horizontalité des espaces que l'on croyait clos ouvrent sur la verticalité du temps. Propulsées par l'engouement pour l'archéologie et les découvertes de la paléontologie, les fictions des mondes perdus ouvrent sur tout un imaginaire post-darwinien qui confine à la fois à la cosmogonie et la tératologie. Depuis, ces Mondes Perdus et leurs fantastiques créatures antédiluviennes ne nous ont plus quitté, de Pellucidar au roman homonyme de Michael Crichton qui prolonge sa fiction «jurassique», en passant par les mangas (Cage of Eden), les comic books (de Turok ou Rahan au cycle de Skartaris dans le DC Universe, qui a aussi sa propre Dinosaur Island), les jeux vidéos (la saga Ultima) ou les romans pour la jeunesse (la série Tunnels ou le cycle des Dinotopia), mais aussi les discours ésotériques, ufologiques ou créationnistes et, plus récemment, le sous-genre étonnant du «dinosaur porn».

Responsable du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

Serial Killers: Voici le temps des assassins

Dans son ouvrage Le complexe du loup-garou. La fascination de la violence dans la culture américaine, Denis Duclos fait de la «mise en scène collective» des serial killers (terme forgé au sein de la crise des seventies par l'agent Robert Ressler), l'emblème d'une bivalence constitutive du sociétal postmoderne, «comme si l'idéal de société parfaite et l'extrême sauvagerie des instincts meurtriers entretenaient un lien mutuel caché, une connivence secrète et naturelle». Si la société n'est, dans la lignée de Hobbes, «qu'un rempart précaire contre l'animal tapi en nous», ces «personnages représentant la violence et la mort» s'érigent en fantasme de retour panique et paradoxalement salvateur aux «guerriers fous» en une sorte de «sadomasochisme de fiction».

Héritier de l'homme criminel lombrosien et de la manie homicide, rêve ultime du dispositif médico-disciplinaire en ce qu'il incarne un crime qui est une folie et une folie qui n'a pour autre symptôme que le crime lui-même, le serial killer s'est substitué aux monstres surnaturels pour dire notre «malaise dans la civilisation». Suprême avatar du Thanatos (auquel l'Éros est symptomatiquement asservi) il rend visible (voire obscène) le «devenir-monstre» de notre culte contemporain de l'extrême, pendant thanatique du «corps absolu, corps d'absolu» du recordman, du gourou et de la star (Paul Ardenne). Type idéal, au sens wéberien, il constitue à la fois l'apothéose et l'anomie de l'individu incertain hypermoderne (Alain Ehrenberg), miroir tendu à l'«hypocrite lecteur, [son] semblable, [son] frère» qui y projette toutes ses contradictions pour les voir, en lui, extrémisées.

Stakhanoviste de la «part maudite» et la dépense sacrificielle, sériel lui-même, il appelle à la réduplication obsessionnelle sur tous les supports, entraînant une véritable surexposition romanesque et cinématographique (mais aussi télévisuelle ou bédéique) qui ne connaît plus de limites (d'où son intrusion dans les genres qui a priori auraient dû lui résister tels que la comédie musicale, le porno ou les fictions du «coming of age»). C'est donc à une chasse à l'homme que ce dossier nous invite, plongeant dans le maelstrom de nos «paranofictions» (fussent-elles placées sous le signe du «true crime») les plus meurtrières.

Responsable du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

To Pop or Not to Pop: les classiques «popifiés»

De tout temps, les adaptations (théâtrales puis cinématographiques, mais aussi bédéiques, etc.) ont joué sur la possibilité d'élargir le public des œuvres originales, transférant la légitimité institutionnelle de certains textes canoniques de la culture savante dans des productions populaires, fut-ce au moyen de transformations majeures en vue de satisfaire d'autres goûts (et autres habitus). Mais notre ère néobaroque, empreinte de réflexivité et de métamorphoses, connaît ce que Peter Brooker désigne comme «l'émergence d'une culture de l'adaptation plus intensément palimpsestique, ironique et autoréflexive», comme le prouvent des œuvres telles que le Dracula de Coppola (1992), le Romeo + Juliet de Baz Luhrmann (1996), le Mansfield Park de Patricia Rozema's (1999) ou le Vanity Fair télévisuel de Andrew Daviess (1998). À cela s'ajoute désormais la pratique des «réimaginations» modernisantes (Easy A10 Things I Hate About YouClueless Crime and Punishment in Suburbia,etc) ainsi que toutes les modalités d'expansion métapop que l'on connaît (séquelles, préquelles, reboots, visions alternatives, spin-offs), qui vont du Pride & Prejudice & Zombies de Seth Grahame-Smith (2009) à la cohorte de «mashups littéraires» qu'il a déversé sur les étaux virtuels d'Amazon.

Dans Film Adaptation and Its Discontents, Thomas Leitch proclame que la seule façon de sauver l'adaptation d'un «futur sombre et servile» est d'adopter une vision «scripturale» ("writerly") et non plus servilement «lectrice» ("readerly"), les «textes ne restant vivants que dans la mesure où ils peuvent être réécrits». De l'acculturation passive (basée sur le respect béat de la canonisation traditionnelle), on passerait, dès lors, à un nouveau regard qui privilégie «l'engagement, l'analyse et le débat raisonné» (id). Ces belles paroles recouvrent, comme toujours dans les industries culturelles, une pratique bien plus pragmatique à l'œuvre: ouvrir des nouvelles niches de marché en visant des jeunes de moins en moins cultivés en humanités classiques, tout en gardant l’«appeal» pour des catégories plus âgées ou dotées de «capital culturel». Pour cela, selon la distinction bourdieusienne, force est de passer de la «distanciation esthétique» et du «formalisme impeccable» chers aux élites à la demande de participation et le «désir d'entrer dans le jeu» des classes populaires.

D'où les «guerres culturelles» autour de ces opérations. S'agit-il d'un pur abêtissement pour les masses des classiques en vue d'un «dumbing down» généralisé (que celui-ci soit vu comme la cause ou la conséquence du premier), comme aurait tendance à le prouver, par exemple, l'«harlequinisation» de Jane Austen? Peut-on, sous prétexte d'aggiornamento et de «coolification», allègrement affirmer qu'Austen écrivit le «Sex and the City de son temps»? Et qu'affirme-t-on véritablement par là? À trop vouloir manipuler les textes pour les rendre «séduisants» au public contemporain (notamment à travers les lectures politiquement correctes) ne risque-t-on pas de commettre le «péché entre tous irrémissibles» contre l'histoire, le «péché d'anachronisme» selon les termes de Lucien Febvre?

Plutôt que réactiver une nouvelle querelle des Anciens et des Modernes, nous nous attacherons ici à analyser les différentes voies de la «popification» des classiques, leurs modalités de transformation et le(s) sens profond de ce qu'il en advient.

Responsable du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

Facebook Studies

Lancé il y a dix ans sur le cyberespace à l'usage des étudiants de l'Ivy League selon le modèle des sites de cotation «hot or not», Facebook est désormais le deuxième site le plus visité au monde après Google. Ayant dépassé la barre du milliard d'utilisateurs actifs en 2012, avec 350 millions de clichés téléversés quotidiennement pour près de 4,5 milliards de «likes» et un demi-petaoctet par jour de données, le médium social est devenu la plus grande base de données comportementales de la planète, en vue de sa plus haute exploitation commerciale (entré au Nasdaq en mai 2012, il est évalué à 134 milliards de dollars, pour un revenu annuel estimé de 5 milliards).

Emblème de «l'extase de la communication» baudrillardienne, utopie relationnelle ou signe d’une nouvelle tyrannie, voire germe d'un totalitarisme cool, Facebook est tour à tour exalté, soupçonné ou/et exécré, cumulant dégoût et fascination en un nouvel odi et amo catullien. Si quelques essais commencent à poindre, portés par l'aura de cela même qu’ils prétendent contester (en français: Facebook m'a tué, de A. Des Isnards et T. Zuber; Facebook, anatomie d'une chimère de J. Azam), il reste que, face à l'ampleur proprement excessive de ce phénomène qui est en train de changer (im)matériellement nos vies, la nécessité d'une véritable branche interdisciplinaire d'études facebookiennes se fait sentir. Comme nous l'avons fait pour YouTube, Pop-en-Stock est content de vous inviter à relever ce défi de plus en plus urgent si nous voulons véritablement cerner ce qui nous arrive: penser Facebook.

Responsable du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

Pub Stories

Vecteur de la modernité (apothéose de la fantasmagorie marchande dégagée par W. Benjamin dans son étude monumentale des «Passages» parisiens), puis de la postmodernité (comme le montra Thomas Frank dans l'incontournable The Conquest of Cool: Business Culture, Counterculture, and the Rise of Hip Consumerism), la publicité est désormais le dispositif le plus virulent de l'hypermodernité globalisée.

Bien que la revue Communications, porte-étendard des études transdisciplinaires françaises en parallèle aux premières cultstuds britanniques, consacra un numéro historique aux «mythes de la publicité» en 1971 (n. 17), l'analyse de la pub est longtemps restée cantonnée à l'opposition entre la déproblématisation des manuels didactiques produits par le secteur lui-même et les pamphlets de ses détracteurs qui, dans le sillage plus ou moins affirmé de l'école de Francfort, y voyaient une pure transformation du schéma de la propagande classique. Face à l'importance croissante de cet emblème omnivore et omniprésent qui informe tous les aspects de notre iconosphère néobaroque (O. Calabrese), cette réduction antithétique donne désormais l'impression de rater l'essentiel. Comme le montrent plusieurs études récentes (Nicolas Riou, 2001, Philippe Michel et Anne Thévenet-Abitbol, 2005, etc.) qui tentent de cerner la complexité du phénomène, la publicité est plus que jamais mutante et métaréfléxive, alliant stratégies de récupération et de détournement, transgression et normalisation au sein du paradigme tout-puissant de la «révolte consommée» (Joseph Heath, Andrew Potter).

Toutes les approches (trans)disciplinaires pour tenter de cerner ce pan toujours mouvant de notre iconosphère sont les bienvenues, autant en ce qui concerne les études de cas que les analyses d'ensemble, ainsi que les transcriptions de la logique publicitaire dans les autres champs de l'hypermodernité et, enfin, les réappropriations artistiques (littéraires, cinématographiques, arts plastiques, performance, etc.) qui sont faites par nos contemporains de la «culture pub» (Beigbeder, Kounen, les frères Chapman, etc.)

Responsable du dossier: Antonio Dominguez Leiva

 

L'aventure, c'est l'aventure!

«Un roman d’aventures n’est pas seulement un roman où il y a des aventures; c’est un récit dont l’objectif premier est de raconter des aventures, et qui ne peut exister sans elles», écrivait J. Y. Tadié en ouverture à son étude fondatrice sur le roman d’aventures publiée, symptomatiquement, un an après la réinvention en format blockbuster de l’aventure classique dans Les Aventuriers de l’Arche Perdue (1981).

Omniprésente dès les origines de la fiction (au point qu’on a pu en faire la condition sine qua non du romanesque même), l’aventure se cristallise en un hyper-genre qui domine la littérature dite populaire de la modernité, déclinée en une multiplicité foisonnante d’hypo-genres (romans d’aventures maritimes, exotiques, historiques –voire plus spécifiquement de cape et d’épée–, policières, western, fantastiques, d’anticipation ou guerrières pour ne citer que les plus en vogue). Transmédiatique comme toute paralittérature qui se respecte, le roman d’aventures colonise tous les supports naissants qui vont concurrencer, voire éclipser, la littérature populaire, de la bande dessinée au cinéma, en passant par la radio et plus tard la télévision.

Paradoxalement, alors qu’elle triomphe ainsi partout, l’aventure va voir ses formats traditionnels s’étioler (déclin de la fiction de cape et d’épée, des récits d’exploration et d’«aventures mystérieuses», spécialisation de nouveaux genres hégémoniques tels que le roman policier, d’espionnage ou la science-fiction). Deux voies semblent alors s’ouvrir alors à elle: sa transformation profonde (jusqu’à la subversion, voire la parodie, de ses poncifs) sous la plume d’écrivains aventuriers qui traversent le siècle (de Cendrars à McCandless en passant par Kerouac ou Malraux) ou la fétichisation de ses codes sur différents supports (de Tintin à Bob Morane, Indiana Jones ou Pirates des Caraïbes). Entre dissolution crépusculaire (Alex Garland, Barry Gifford, Marc Behm, etc.) et super-héroïsation nostalgique (voire méta-nostalgique, alors qu’on annonce le remake de Romancing the Stone), l’appel de l’aventure ne cesse de revivifier la pop culture.

Responsables du dossier: Antonio Dominguez Leiva et Sarah Grenier-Millette

 

Méta-Bollywood

L’industrie du cinéma populaire indien, ce fameux «Bollywood», est encore très méconnue en Occident et en Amérique. Placée sur la carte occidentale par le couronnement de Devdas (Bhansali, 2002) au Festival de Cannes il y a déjà douze ans de cela, ou encore plus récemment par le succès international de Slumdog Millionaire, film réalisé par le britannique Danny Boyle, en 2008, Bollywood est pourtant une gigantesque industrie qui produit près de 1000 films par année. Or, c’est à peine si on en entend les minces échos. Né en 1913 avec Raja Harishchandra, un film muet réalisé par Dhundiraj Govind Phalke, le cinéma indien a maintenant plus d’un siècle d’histoire, d’évolution et d’innovations. Aujourd’hui, il est possible de constater que le cinéma populaire indien, principalement au cours des dix dernières années, témoigne d’une tendance à rendre hommage à son industrie. Récupérant ses grandes figures emblématiques, le cinéma Bollywood, à la fois furieusement réflexif et totalement pop, utilise couramment plusieurs dispositifs métafictionnels. 

Ce dossier thématique se veut un ouvroir à de plus amples recherches dans le domaine du septième art sud-asiatique, plus précisément du cinéma indien dit mainstream, et encourager la diffusion d’une industrie qui mérite d’être découverte… Because it’s not the end, my friend, it’s only the intermission. The film is not over yet.

Responsable du dossier: Sarah Grenier-Millette

 

Automédialités érotiques

L'automédialité désigne la construction du sujet à la fois dans l’écrit, l’image et les nouveaux médias (B. Jongy, L'Automédialité contemporaine, Revue d’Études culturelles n° 4, Dijon, Abell, 2008). Quel terreau plus fertile pour la mise en scène, la figuration de soi, que le fantasme sexuel? Celui-ci questionne en effet l’identité, le genre, et les métamorphoses du temps. La scène érotique, libérant l’infini des possibles, permet l’élaboration d’un moi fantasmatique et protéiforme…

Dans le fantasme, le sujet est toujours présent, ne serait-ce que comme observateur. D'une part, en tant que producteur du fantasme, il est nécessairement impliqué comme «moi-sujet». D'autre part, il est aussi sujet du désir manifesté dans le fantasme: il est au plus près du «je» sujet d’énonciation. Enfin, puisqu’il s’agit d’action, on a un sujet-agent (ou patient) de l’action représentée. Sébastien Hubier note que «la subjectivité de l’érotisme explique surtout que ce dernier corresponde toujours, d’un point de vue littéraire, à une manière de lyrisme, au sens où, comme le note Georges Molinié, "l’expression lyrique est d’abord expression de soi à soi sur soi"».

Ce sujet opère une dramatisation de soi, qui rend son fantasme intelligible à autrui. Par les procédés de condensation-déplacement et de transformation mis au jour par Freud dans L’interprétation des rêves [Die Traumdeutung], l’intime devient intelligible au lecteur/spectateur. Ces derniers sont les éléments clés de l’invention de soi, puisque c'est auprès d’eux que se développe la fabrication du sujet. M.-F. Luna rappelle que «les récits libertins empruntent abondamment les ressources de la première personne, qu’il s’agisse de romans en forme de mémoires, de romans dialogués ou de romans épistolaires1», ce qui permet «aux narrateurs un rendu plus direct des sensations et des émotions qui provoque une identification plus excitante du lecteur au héros». Sébastien Hubier conclut de l’histoire du genre que «la dimension autodiégétique des récits érotiques indiquerait que l’excitation que provoque la lecture de ceux-ci n’est point (…) génitale, mais qu’elle renvoie au contraire à des stades archaïques du développement psychique.»

C’est pourquoi, ajoute-t-il, «la matière licencieuse est advenue dans le Bildungsroman, dans le roman-mémoires, dans le roman personnel et, enfin, dans ce genre paradoxal qu’est l’autofiction».

Dans une perspective culturaliste, nous accueillerons au cours de cette matinée les grandes oeuvres littéraires, la chanson pop, le récit expérimental et les petites annonces. À chaque fois, nous verrons comment l’érotisme permet de se mettre en scène, de dessiner un moi rêvé. Ce n’est pas seulement le moi de l’autre qui est fantasmé sur la scène érotique, mais soi-même.

Maja Vukusic Zorica évoque les pages érotiques de Miodrag Bulatović, dans lesquelles il met en scène son personnage romanesque et alter ego Gruban Malić et nous fait assister à l’élaboration de sois fantasmatiques au pluriel.

François Perea portera son attention sur les petites annonces électroniques de rencontre sans lendemain; il observe les modalités de figuration de soi et d’autrui, et l'investissement subjectif d'un personnage.

Enfin Gerald Preher analyse trois romans à la première personne qui prennent la forme de confessions d’un narrateur retraçant son désir et ses plaisirs avec une jeune fille: Lolita de Vladimir Nabokov, Blue Calhoun de Reynolds Price et Ma chère Lise de Vincent Almendros.

Responsable du dossier: Béatrice Jongy-Guéna

 

Interstices: la richesse des frontières

L'idée de frontière implique un double espace: celui des territoires qu'elle sépare, et le lieu de la séparation lui-même. Dans le contexte de la postmodernité, la séparation tend à s'élimer, à «s'élider2»; elle laisse place à un «entre», un interstice habitable, où le mélange est non seulement possible, mais reconnu et travaillé. Les plus étranges mutations deviennent possibles, dont l'une des plus impressionnantes demeure le roman Abraham Lincoln, chasseur de vampires. Devant quoi nous trouvons-nous? Une blague politique ou esthétique? Ou, plus fondamentalement, devant une transgression générique? La réponse varie d'un théoricien à l'autre. La question mérite néanmoins d'être posée: la notion de genre littéraire sous-entend un ensemble de codes qui modulent à la fois l'horizon d'attente d'un genre donné ainsi que ses modes de lecture, de telle sorte que tout franchissement des limites instaurées par ces codes contient la possibilité d'une nouvelle «carte» des genres.

Évidemment, les mélanges littéraires ne datent pas d'hier, que l'on pense aux comédies en cinq actes et en alexandrin du dix-septième siècle, au mariage du roman et des mémoires au dix-huitième, à l'avènement du roman d'aventures phagocytant les autres genres de la littérature d'imagination au dix-neuvième, aux jeux de la prose et de la poésie au vingtième... Il semble cependant que la modernité, puis la «post-modernité» aient favorisé davantage la transgression des frontières génériques. La liste des oeuvres «multigénériques» est nombreuse et leurs formes multiples: roman policier anticipatif, roman d'énigme dans un monde exotique, roman d'énigme fantastique, etc. Il est désormais acquis qu'un genre est variable, change avec le temps. Pour Tzvetan Todorov, «toute oeuvre modifie l'ensemble des possibles, chaque nouvel exemple change l'espèce» (Introduction à la littérature fantastique, 10). Richard Saint-Gelais va encore plus loin: pour lui, la compréhension du phénomène générique passe nécessairement par l'abandon d'une «conception essentialiste [l'espèce de Todorov] qui aboutirait à une hypostase des genres, en y voyant une matrice ou un ensemble de propriétés plutôt qu'un domaine de pratiques» (L'empire du pseudo: Modernités de la science-fiction, 13). Dans un tel contexte, quelles sont les nouvelles avenues pour les littératures de l'imaginaire? C'est à cette question que le dossier thématique Interstices: la richesse des frontières tente d'apporter des réponses.

Ce dossier thématique englobe les actes de colloque étudiant Interstices: la richesse des frontières, organisé par Mathieu Villeneuve, Paul Kawczak et Samuel Archibald, dans le cadre du Congrès Boréal 2014. Il reste, comme tous les autre du site, ouvert à des nouvelles collaborations.

Responsables du dossier: Mathieu Villeneuve et Paul Kawczak

 

Les sculpteurs de chair

En s’inspirant du qualificatif que réservait Gustave Le Rouge à son docteur Cornélius, on peut soutenir que les greffeurs sont régulièrement de véritables sculpteurs de chair, dans la littérature et au cinéma. Humaine ou animale, cette chair provient d’un corps considéré comme une marchandise, une matière première dans laquelle le chirurgien-artiste s’apprête à puiser afin d’engendrer de nouvelles créatures.

La greffe a une double nature. C’est une chirurgie que l’on ne pratique pas gratuitement puisqu’elle est censée vaincre un danger ou améliorer une situation; elle devrait donc conférer au greffé un état plus souhaitable et «normal». Elle traduit aussi une volonté de repousser les limites du savoir, ce qui peut amener son praticien à reconsidérer la nature telle qu’on l’envisage habituellement tout en soulevant d’importants enjeux éthiques. Tandis qu’on met surtout l’accent sur l’aspect restaurateur des greffes réelles (la médecine qui guérit, la chirurgie esthétique qui répare ou embellit, etc.), les greffes imaginaires comportent fréquemment une forte composante instauratrice, étant souvent effectuées par des chirurgiens correspondant à l’archétype du savant fou. Comme le montrent des personnages aussi célèbres que les docteurs Frankenstein et Moreau, entre autres exemples, il s’agit moins, alors, de régler un problème que de s’abandonner à l’enthousiasme d’inventer des créatures, qu’elles soient humaines ou hybrides. D’autres greffeurs et greffés sont apparus dans la littérature et au cinéma à partir du XXe siècle, leurs aventures évoluant selon les contextes et les genres (science-fiction hard, fantastique, gore, etc.).

Aussi fantastique puisse-t-elle paraitre, cette activité des sculpteurs de chair dans la fiction influence progressivement la perception de chirurgies bien réelles. Il est en effet de plus en plus difficile d’opposer sommairement les greffes imaginaires aux greffes effectives, ces dernières atteignant un niveau de complexité remarquable, à notre époque. À titre d’exemple, les tentatives visant à greffer une tête défraient couramment les manchettes; or, dans bien des articles évoquant ces développements, les chirurgiens sont comparés à Frankenstein et à Moreau, comme si la réalité rejoignait enfin la fiction.

C’est à l’étude de ces greffes imaginaires que se consacre le présent dossier. Une telle étude a le bonheur de nous plonger dans l’actualité tout en nous orientant vers des thèmes dotés d’une longue et riche histoire: les questionnements identitaires et métaphysiques côtoient des interrogations sur le corps, la science et la technologie, la psychologie et la médecine.

Responsable du dossier: Philippe St-Germain

 

Renaissance des super-héros

Le multivers superhéroïque est en pleine ébullition, travaillé par deux logiques au premier abord antinomiques,  mais peut-être complémentaires. D’un côté, depuis le double choc de The Dark Knight Returns de Frank Miller (1986) et Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons (1987), on assiste à un véritable «crépuscule des idoles» nietzschéen qui n’en finit plus de décliner la ruine du superhéroïsme classique et son idéologie naïvement impérialiste, tel qu’étudié dans notre copieux dossier Crépuscule des superhéros. Mais de l’autre, nous assistons à une véritable refondation du mythe originaire, notamment dans d’autres médias, le triomphe le plus spectaculaire de la figure venant, depuis le tournant du millénaire, des blockbusters cinématographiques.

Certes, les adaptations transmédiatiques des superhéros de comic book accompagnent ceux-ci dès leurs origines mêmes. Mais c’est avec le triomphe de la politique de convergence médiatique qui caractérise les nouveaux conglomérats financiers de l’industrie culturelle que cette logique va être poussée à bout. Les superhéros vont dès lors devenir les piliers de cette nouvelle configuration de la médiasphère, emblématisée par l’achat de Marvel par Disney en 2009. Parfait vecteur de la «blockbustérisation» cinématographique, décliné en une infinité de produits dérivés et s’appuyant sur la fidélisation intergénérationnelle de la «fanbase», le superhéros permet d’aligner la logique de production filmique sur les modèles déjà consolidés par l’industrie du comic book (notamment ses différentes modalités de sérialisation: cross-overs,, spin-offs, reboots, etc).

Cette renaissance commerciale de la figure s’appuie sur une triple logique économique, esthétique (il a fallu attendre la révolution infographique pour que les effets spéciaux rendent enfin «vraisemblables» à l’écran –et non bêtement risibles comme auparavant– les exploits superhéroïques, qui par ailleurs connectent parfaitement avec l’évolution néobaroque de notre iconosphère) et idéologique. En effet, une certaine vulgate situe le retour du superhéroïsme dans le sillage du traumatisme états-unien, et par extension planétaire, du 11 septembre. Remontant aux sources mêmes de l’imaginaire obsidional américain (les Pionniers sans cesse menacés par la double hostilité de la Wilderness et des autochtones), la Nation aurait ressuscité le fantasme des héros salvateurs doués de super-pouvoirs pour incarner cette super-puissance hantée par son propre déclin. La renaissance du superhéros serait ainsi l’érection d’un Totem allégorique (dont Captain America est le parfait avatar) à l’image de la (super)angoisse qui préside à l’ère de la «guerre à/de la Terreur».

Ce dossier vise à aborder les différentes modalités de cet exorcisme culturel qui informe désormais la culture mainstream globalisée (F. Martel), des grands succès cinématographiques des diverses franchises aux séries télé telles que Daredevil ou Gotham, voire des jeux vidéos tels qu’Injustice ou Marvel Ultimate Alliance.

Responsables du dossier: Antonio Dominguez Leiva et Clément Pelissier

 

Guerrières: figurations contemporaines de la femme armée

Sur fond de sempiternels personnages féminins filmiques passifs, le docteur Ellen Ripley créée par Ridley Scott ouvre une marche martiale en 1979. Depuis, l’imaginaire populaire n’a de cesse de se bonifier de femmes d’action. Qu’elles soient tireuses d’élite ou shieldmaiden, justicières ou sanguinaires, offensives ou défensives, ces figures de combattantes, qui étaient autrefois plutôt marginales, sont aujourd’hui omniprésentes. S’inscrivant dans un horizon déjà bien garni, elles se soudent pour former un nouvel imaginaire collectif se manifestant sur toutes les plateformes médiatiques; littéraire, cinématographique, télévisuelle, vidéo-ludique, etc. L’invasion de ces guerrières à l’heure actuelle souligne le désir de présenter et de voir des femmes au combat, et par le fait même, reflète une volonté de progression, sinon de renouvellement, dans la conception des normes de genres et dans l’imaginaire de la femme violente à l’écrit comme à l’écran.

De Buffy Summers à Lagertha Lothbrok, en passant par Katniss Everdeen, ces guerrières sont majoritairement acclamées par le public et possèdent de vastes fans club nichant dans les forums et réseaux sociaux. Se voyant fréquemment coiffées du titre de «personnages féministes», elles sont lues en parallèle aux revendications actuelles. Cette bannière féministe, souvent remise en cause par la critique, n’en témoigne pas moins d’un ébranlement au sein des représentations du ou des féminins. Or, si l’on observe la persistance mythique de la guerrière, il apparaît que de tout temps la femme est étroitement affiliée à la guerre à travers une réitération allégorique unissant mort et érotisme, et ce dans une fantasmagorie plutôt machiste. Qu’en est-il lorsque cette allégorie s’incarne sous nos yeux, se bat, se blesse, se retourne contre le patriarcat qui l’a conçue? Que penser de l’iconographie des guerrières actuelles, naviguant entre travestissement et stéréotypie? Ce dossier, dont l’objectif ultime est de constituer une véritable armée d’amazones, nous permettra de réunir, d’observer et de d’interroger les articulations contemporaines de la violence au(x) féminin(s) à travers ses figurations les plus diverses.

Responsables du dossier: Fanie Demeule et Joyce Baker

 

  • 1. M.-F. Luna, «Du “je” libertin» in J.-F. Perrin & Ph. Stewart (éd.), Du Genre libertin au XVIIIe siècle, Paris, Desjonquères, 2004, p.242.
  • 2. On peut considérer avec Michel Freitag que l'une des particularités de la postmodernité est de dépasser l'opposition dialectique telle que pratiquée par la modernité. Freitag, Michel, L'oubli de la société. Pour une critique de la postmodernité, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 2002.